CHAPITRE 4 – « Straight to number one » de Touch and Go, 2012.

– Bonjour, Emma.

– Bonjour, Regina.

– Bien dormi ? lui demanda-t-elle le sourire explicite aux lèvres.

Emma s'immobilisa l'espace d'un instant puis elle entra dans l'habitacle comme si de rien n'était :

– Yep, répondit-elle d'un ton détaché.

Regina avait bien perçu son hésitation suivie de sa nonchalance forcée. Elle ne dit rien et démarra son véhicule et suivit les consignes de son GPS.

– Tout va bien ? demanda-t-elle d'une façon détournée.

– Oui.

La jeune femme blonde ne détournait pas la tête et ne décollait pas ses yeux de la route. Son attitude était étrange. Ses réponses fermées ne laissaient pas la place à la discussion. Pourtant la Maire força son cours :

– Il faut qu'on parle.

– De quoi ?

– D'hier. De maintenant… D'après.

Regina avait les deux mains posées sur le volant de sa vieille Mercedes et regardait tour à tour la route qui sortait de la ville qu'elle connaissait par cœur et sa passagère, en attente d'une réponse. Emma était silencieuse et ce n'était certainement pas dû au confort de sa voiture.

– Que voulez-vous que je vous dise …

– On est revenues au vouvoiement ?

– C'est vous qui avez commencé, rétorqua-t-elle du tac au tac.

– Ce n'était pas mon intention dans mon billet, ce matin. Soit ! Raison de plus pour en parler.

– Ce n'est pas la peine. Je n'ai rien à dire.

– Nous avons couché ensemble, Emma. Deux fois. Quoique vous en pensiez, nous devons en discuter.

Emma détourna les yeux et regarda le paysage à travers la vitre de sa portière :

– C'est pas le genre de choses que je sais faire.

– Quoi ça ? Communiquer ? Parler ?

– Oui, exactement.

Regina se rangea brusquement sur le côté et s'arrêta net sur le bord de la route. Elles étaient au milieu d'une forêt de hauts pins. L'herbe verte était haute et sèche. Le ciel ne se voyait qu'à travers l'espace tracé par la route. Il n'y avait rien d'autre que la nature et elles.

– Sortez !

– Quoi ?

– Sortez !

Et d'un claquement de doigts, la portière côté passager s'ouvrit et la ceinture de sécurité se défit. Regina n'attendit pas sa réaction et se débarrassa de la sienne. Elle s'extirpa de son véhicule et en fit le tour pour se planter devant l'ouverture, face à Emma.

– Pourquoi réagissez-vous comme ça ? Qu'est-ce qui vous prend ? Je pensais que nous nous étions mises d'accord.

Emma était sortie de la voiture et se tenait debout contre la portière arrière, les bras croisés. Elle ne dit toujours rien et regardait ailleurs. Ses pensées étaient confuses. Elle ne savait plus où elles en étaient toutes les deux et au jeu auquel elles jouaient. Elles ne savaient pas si elles étaient amies, amantes ou autre chose. Le lendemain de cette nuit très spéciale et très nouvelle pour elle l'avait totalement remuée. Regina avait posé une simple question et cela avait remis en question toutes ses relations. Sur quoi se reposait le contrôle ? S'agissait-il juste du sexe ou cela allait-il bien au-delà ?

– Dites-le.

La jeune femme brune l'avait extirpée de ses réflexions.

– Quoi ?

Le mot.

Et des flashs invisibles jaillirent sous les yeux ouverts d'Emma. Leurs corps nus enchevêtrés. Ses mains attachées aux accoudoirs. Elle ressentit, comme si elle le revivait, ses frissons, la température élevée, le désir. Et elle entendit à l'intérieur de sa tête, ses propres gémissements, ses suppliques, et sa reddition. Elle ferma les yeux, espérant ne plus voir, ne plus ressentir et ne plus rien entendre.

La voix de Regina l'interrompit, dans son vœu :

– Dites-le et tout s'arrête.

Emma hocha la tête de gauche à droite, butée, contractée. Rien ne sortait.

– Vous m'en voulez, je le vois. Vous ne me regardez plus en face.

L'ancienne Reine n'osa pas s'approcher, sa colère s'était dissipée face au comportement braquée de sa compagne de route. Il était évident qu'elle était perturbée.

– Mais je ne vous laisserai pas vous en tirer comme ça..., insista-t-elle : en m'ignorant comme une enfant de trois ans. Vous m'avez promis votre amitié et je ne veux pas la perdre, Emma. Je suis désolée. Mais si vous ne parlez pas, je le ferai pour deux.

La jeune Shérif ouvrit enfin les yeux et la regardait. Alors Regina en profita pour s'exprimer :

– Vous regrettez ce qu'il s'est passé hier, n'est-ce pas ? C'est moi qui ai abusé de vous, c'est de ma faute. J'ai cru que vous le souhaitiez également… que cela vous convenait et je vous ai entrainée malgré vous.

– Je ne suis pas faite pour … commença-t-elle à expliquer.

– Alors dites-le ! Nous mettrons un terme à tout cela et nous agirons comme si rien ne s'était passé. Nous pouvons le faire. Je peux nous jeter un sort d'oubli… Je peux le prononcer, à votre place. Je peux-

– Non ! explosa la Shérif, plus fort que de raison. Non, répéta-t-elle plus doucement : Je ne veux pas que ça s'arrête…

– Comment ?

– J'en ai besoin aussi…, avoua-t-elle à voix basse, comme si elle avait honte : Oh putain ! Regina, lâcha-t-elle, cédant à une lutte invisible intérieure. Elle se passa les mains dans les cheveux : Je ne sais pas comment … parler… Je ne sais pas comment… Je n'ai jamais …

Puis, les mouvements de ses mains allaient de son ventre vers l'extérieur. Elle ne savait pas comment exprimer ce qu'elle avait ressenti ou ce qu'elle ressentait. Regina la comprit et les captura dans les siennes. Elles restèrent ainsi quelques secondes, leur garde baissée et les muscles enfin détendus. Si Emma n'arrivait pas à communiquer, son corps le faisait pour elle.

Regina s'avança, d'un pas, dans son espace personnel. Quelques centimètres à peine les séparaient. Déterminée, inflexible et apaisée. Lorsqu'elle perçut dans le regard de son interlocutrice la confirmation qu'elles étaient bien deux à jouer à ce jeu, elle l'initia à nouveau.

– Hé bien, on va dire qu'on n'a pas besoin de se parler maintenant… ou aujourd'hui... et qu'on peut s'exprimer autrement. Cela vous irait ?

Pour toute réponse, Emma se rapprocha dangereusement de sa proie. Ses yeux quittaient les siens pour descendre sur ses lèvres puis son cou découvert. Elle ne tenta pas de cacher ses intentions.

Mais Regina sentit un frottement léger, comme une caresse, envelopper ses poignets. Quand elle en regarda l'origine, c'était trop tard. Emma avait incanté un lierre qui s'était enroulé autour de ses poignets et les maintenait enchainés. La Maire releva la tête pour comprendre et découvrit le regard sombre de sa compagne. Et celle-ci lui dit :

– Personne n'a dit que tu avais les pleins pouvoirs.

– C'est une chose que nous allons devoir mettre au point, ensemble.

– Plus tard… Nous discuterons plus tard.

Emma n'était pas encore prête à parler, à creuser les questions qui l'avaient assaillie au matin, à son réveil. Elles étaient trop profondes, trop importantes pour les aborder maintenant. Ce qu'elle voulait, c'était suivre son instinct et son envie. Pourtant, elle s'assura :

– Tu sais ce que tu dois dire pour que je m'arrête. Le même mot te convient ?

– Oui.

– Très bien… Alors les mains sur capot de la voiture, Madame la Maire et les jambes écartées.

Regina se dressa fière et hautaine. Elle réagit immédiatement :

– Quelle infraction ai-je commise, Shérif ?

– Vous avez dépassé la limitation de vitesse et vous stationnez sur un emplacement interdit à tout véhicule à moteur.

Elle montra deux panneaux de signalisation qu'elle fit apparaitre à l'instant, au milieu de nulle part.

– Maintenant je vais vous demander d'obéir que je puisse réaliser une fouille en règle.

– Je n'ai jamais enfreint la loi, Shérif, votre arrestation est abusive, contesta-t-elle.

– Je ne vous ai pas encore arrêtée. Mais je suis réactive à toute occasion…

– Avez-vous un radar-

Emma saisit Regina par le coude, la plaqua contre l'aile de la voiture et la força à s'incliner en avant, dans un angle qui mettait son postérieur en valeur.

– Insubordination à un représentant de la loi, cela peut vous coûter cher.

De son pied droit, elle écarta les jambes de sa partenaire, pendant qu'elle maintenait ses hanches contre le véhicule. En un mouvement magique, le lierre sépara les mains de la contestatrice et l'obligea à les apposer sur la tôle. Regina enfin immobilisée, Emma pouvait palper son corps à sa guise. Elle exécuta le même geste qui l'avait emporté, la veille. Elle lui prit une poignée de cheveux et tira légèrement en arrière. Elle chuchota :

– Obéissez, Madame la Maire, c'est dans votre plus grand intérêt. La caméra de patrouille filme tout.

Et de même que pour les panneaux de signalisation, elle fit apparaitre une Go Pro sur le rétroviseur de la Mercédès. Regina ne sut si elle était active ou éteinte.

– Il serait dommage que les images soient diffusées sur les réseaux sociaux. Ce sont les élections, bientôt, non ?

– Ignoble personnage, je ne cède jamais au chantage…

– J'espérais que vous diriez ça…

La Shérif fit courir ses pouces sur sa nuque, pressant sur chaque vertèbre, puis caressa son dos jusqu'à ses reins, tandis que la brune cambra pour accompagner le geste. Emma remonta le long de ses flancs. Elle colla son bassin contre les fesses de sa prisonnière et maintint la pression entre le véhicule et elle. Emma passa par-dessous ses bras et se saisit de sa poitrine.

– Voyons voir ce que vous pouvez cacher, là…

Elle les prit à pleines mains et les caressa avec beaucoup d'attention. Elle les palpa, les pelota avec insistance.

– Transportez-vous de la drogue ?

– Non…, haleta-t-elle, non…

Ces massages, ce ton dominant lui faisaient presque perdre la raison.

– Vous me paraissez bien hésitante. Vous ne voyez pas d'inconvénients à ce que je vérifie minutieusement.

– Ne me touchez pas ! tenta-t-elle de dire alors que son corps exprimait le contraire.

Le jeu commençait à devenir dangereux. Elles étaient toujours sur le bord de la route. La seule et unique route qui les menait à l'extérieur de la ville. D'autres parents ou habitants pouvaient l'emprunter à tout moment. Regina était dans une position des plus compromettantes face à n'importe quel usager. Elle ferma les yeux, le temps de la réflexion. Comme si Emma avait lu dans son esprit, elle se pencha à son oreille et lui répéta ces phrases qu'elle avait entendues et retenues par cœur, de par leur importance, de par leur don mutuel, de par leur signification :

– Je te promets que du plaisir, Regina. Je te promets de t'écouter et d'être attentive à toi. Je te promets de m'arrêter immédiatement et sans te poser de questions dès que tu prononceras le mot « Samois ». C'est toi qui commandes…

Alors Regina s'abandonna à son tour, en faisant entièrement confiance à la personne qui électrisait ses sens et réalisait ses désirs.

– Je porterai plainte, reprit-elle pour toute réponse. Vous serez démise de vos fonctions.

Emma laissa échapper un rire sombre et menaçant. Elle prit les pans de son chemiser blanc et fit sauter les boutons :

– Il vous faudra montrer toutes les preuves pour cela. Quel scandale cela ferait, j'imagine les images en première page du journal ! Je ne me lasserai pas de les regarder derrière les barreaux…

La Shérif donna des petits coups de bassin suggestifs tout en glissant ses mains sous le soutien-gorge en dentelle.

– Oh Madame le Maire, petite cachotière… Il semblerait que vous appréciez mes menaces… Vos tétons pointent déjà.

Et elle grogna contre son cou. Une lueur féroce irradiait ses yeux, le désir prenait de plus en plus possession de son esprit. La Shérif se redressa et plaça le bras gauche de Regina puis l'autre derrière son dos. Elle renoua délicatement le lien magique qui gardait ses poignets emprisonnés. Elle força ensuite sa prisonnière à se coucher, en avant, sur son ventre, sur le capot. Puis elle s'installa à nouveau entre ses jambes écartées.

– Allez au diable ! rétorqua la jeune sorcière, essayant de se dégager. Vous ne pouvez pas…! vociféra-t-elle, emportée par le jeu et la chaleur qui montait en elle.

– Parce que vous êtes en position de force ?

Elle poursuivit sa fouille corporelle, négligeant la blouse déchirée qui retombait sur les bras dénudés.

– Avez-vous une arme sur vous ?

Et sans attendre de réponse, Emma s'accroupit. Ses mains se refermèrent autour d'une cheville puis remontèrent le long de ses mollets, les malaxant. Tout en se relevant doucement, elle caressa ensuite ses fesses par-dessus ce pantalon devenu trop étroit. Regina ferma les yeux et se mordit la lèvre. Elle respirait fort. Elle pouvait sentir qu'Emma la voulait, la désirait. Elle feignit de résister :

– C'est de l'abus de pouvoir … Vous a- … Oh !

Et Emma glissa sa main libre par devant, dans son pantalon de tailleur, immédiatement sous son string. Regina fondit littéralement sous le geste et plaqua son sexe en ébullition sur cette main inquisitrice. Elle laissa échapper un gémissement.

– Une objection, encore ?

La Maire tenta de repousser ses assauts alors que tout ce qu'elle voulait c'était suivre le rythme de la danse. Son cœur battait à tout rompre jusque dans ses oreilles. Elle baissa la tête contre le capot froid et renonça à lutter. Les doigts d'Emma s'insinuèrent en elle et s'enfoncèrent doucement. Elle laissa échapper un cri et se cambra. La Maire pouvait sentir le corps du Shérif l'envelopper de sa chaleur alors que la jeune femme embrassait et mordillait la courbe de sa nuque.

– Oh, Regina ! Tu es si trempée !

Impatiente maintenant, la blonde dénoua la ceinture du pantalon-tailleur, enleva la pression et ajouta son autre main. Celle-ci caressa son clitoris alors que l'autre continuait ses allées et venues. L'Ancienne Reine sentit les premières contractions qui annonçaient l'approche imminente de l'orgasme. Emma plaça alors son pouce sur son clitoris engorgé. Regina se concentra sur ses sensations jusqu'à en oublier où elle était. Elle attrapa de ses mains la ceinture en cuir du Shérif et s'y agrippa de toutes ses forces. La jeune femme brune ferma ensuite les yeux et laissa les vagues de plaisir intense l'envahir.

X

– Nous sommes en retard, annonça-t-elle en regardant les indications du GPS.

La ligne colorée se déroulait à l'infini sur le petit écran et semblait ne jamais prendre fin.

– Il s'en remettra, lui répondit la jeune blonde avec un sourire aux lèvres. Il va croire que tu as voulu éviter les ... préliminaires … d'accueil.

Emma était adossée à son fauteuil avec toute l'aise du monde. Elle mâchouillait un brin d'herbe qu'elle avait cueilli avant de monter dans la voiture.

Regina la regarda et lui fit signe d'un geste de la main :

– Pas de ça !

– Quoi ?

– Ne souriez pas, triomphante, après…

– Vous arboriez un sourire provocant dans la voiture tout à l'heure et moi je ne peux pas en avoir un triomphant ?

– Non.

– Ok… Ok… Et sinon… on appelle ça comment notre … escapade ? Une partie de jambes en l'air ? Un coup rapide sur le bord de la route ? Un plan c-

– Je vous trouve très loquace, subitement.

Emma riait. Elle se sentait bien, légère et en confiance. Et Regina qui semblait à l'aise également… Comme si rien ne s'était réellement passé. Comme si rien n'avait changé entre elles. Elles avaient repris tout naturellement le vouvoiement. Cela leur permettait, peut-être de cloisonner, de compartimenter… ce qu'il se passait entre elles. Toutes les craintes de la jeune blonde s'étaient envolées… Et sa bonne humeur retrouvée lui permettait de plaisanter à nouveau :

– Il faut savoir, je pensais que vous vouliez que l'on parle… Voilà je parle.

– Pour le moment. Ça a le mérite de vous avoir décoincée… On verra quand on abordera le sujet plus sérieusement.

– Je n'étais pas coincée ! se rebiffa-t-elle. Et ce sujet a besoin de sérieux ?

– Nous ne pouvons pas continuer à avoir ce genre de … relations sans fixer des règles.

– Des règles ?!

– Ha. Nous y sommes presque… Où se trouve ce camp de lutins ?

– Des Elfes. Ce sont des Elfes, Regina et je ne crois pas que Legolas serait ravi de vous entendre le dénigrer.

– C'est vrai que je dois aussi me méfier de son ouïe fine. Seules leurs divinités connaissent la limite de leurs pouvoirs…

Les sarcasmes et l'armure de la Maire se remettaient doucement en place. Les apparences devaient tromper leur entourage… Personne ne pouvait savoir. Cette règle tacite n'avait pas besoin d'être énoncée, Emma venait d'en prendre connaissance. Et cela lui convenait également.

Regina se gara non loin de l'entrée. Une énorme bannière avait été fixée d'un poteau à un autre : « Bienvenue Chers Parents ! ».

Elle claqua la porte et réajusta sa tenue. Elles s'étaient toutes les deux rapidement rafraichies près d'une source non loin de leur emplacement, avant de remonter dans la voiture. Et la Maire avait changé magiquement de vêtements. Ce qui avait fait rire Emma.

La jeune femme brune ne fit pas trois pas sur le sentier de terre qu'elle fut assaillie par des bras puissants qui l'enlassaient subitement :

– Maman !

Il l'avait dépassé maintenant. En quatre semaines, il avait grandi et avait pris du muscle. Cet adolescent de seize ans se transformait trop rapidement en un magnifique jeune homme. Elle eut du mal à le reconnaitre. Il sentait les bois, l'humus et la sève chauffée par le soleil. Elle le serra contre sa poitrine et s'imprégna de son odeur. Ces effluves lui rappelaient aussi Robin et cela eut l'effet de pincer légèrement son cœur. Elle se ressaisit et s'exclama pour se changer les idées :

– Laisse-moi te regarder ! Comme tu as changé !

Elle prit son visage entre ses mains et l'observa avec tendresse, sous toutes ses coutures :

– Ton menton s'est raffermi et tu te rases maintenant ?!

Regina passa ensuite ses doigts dans ses cheveux drus et indisciplinés :

– Maman, s'il te plait !

– Ta voix a mué ! Quand a-t-elle mué ? Oh mon bébé…

– Laissez-le tranquille Regina, vous voyez bien que vous lui tapez la honte devant ses copains.

Henry se jeta ensuite dans les bras d'Emma qui se passa de commenter les mêmes constatations que son autre mère.

– Tu m'as manqué, gamin.

Il se dégagea de son emprise un peu forte malgré son semblant de détachement et se retourna vers sa mère adoptive :

– Pourquoi n'as-tu pas répondu à mon corbeau ? Je me suis inquiété. Comment vas-tu ?

– Mon chéri, je vais bien. Emma est restée près de moi, je n'étais pas seule.

Elle leva les yeux et leurs regards se croisèrent. Elles se retinrent toutes les deux de se sourire. Regina se tourna à nouveau vers son fils :

– Cela ne tenait pas à deux jours. Comment, toi, par contre, l'as-tu appris ? Je pensais que vous étiez coupés de tout contact avec l'extérieur.

– Les compagnons de… Robin, hésitait-il à prononcer de peur de lui faire de la peine : sont venus faire une veillée et je les ai entendus parler entre eux. Alors c'est vrai ? Il est parti ?

Emma répondit à sa place :

– Oui, je t'expliquerai cela plus tard. Tu as entendu ta mère. Elle va bien. Ne gâchons pas ton retour et ta fin de camp. Pour le moment, fais-nous visiter.

La famille Mills-Swan emprunta une promenade à travers les bois qui partait du parking et qui les menait jusqu'à des constructions. Elle avançait parmi les épicéas qui se balançaient au gré d'une douce brise d'été. Les résineux étaient majestueux et semblaient habités d'une âme. Au bout de quelques mètres, disséminés dans une clairière, les deux femmes pouvaient apercevoir les chalets de bois dans lesquels logeaient les enfants. La pelouse, autour de chaque cabine, avait été piétinée par des centaines de pieds et pourtant elle restait toujours verte et épaisse. Une légère pente descendait vers un rivage sablonneux et un long ponton servait de bite d'amarrage pour les barques et des canoës de bois.

– C'est magnifique.

Regina était comme transportée par cette nature et cette quiétude. Cela lui rappelait sa jeunesse, son insouciance, sa douce liberté accrochée à la crinière de Rocinante.

A l'extrémité du lac qui étincelait sous la lumière du soleil, sur la berge, les ruines froides des feux de veillées étaient encerclées de grosses pierres et de rondins qui avaient servi d'assises. Un terrain de jeu occupait une place importante, à l'écart du regroupement des cabines. Une centaine d'enfants courraient partout et criaient à tout va, tandis que les parents buvaient un punch frais et discutaient. Les moniteurs se reconnaissaient à leurs vêtements : amples aux articulations et serrés au bout de leurs membres et à leurs oreilles pointues. Aucun d'entre eux ne portait d'armes, mais Regina savait que, plus haut, dans les branches, à l'abri des regards, des sentinelles veillaient, à l'affût.

Galadriel, la Grande Eldar, s'approcha d'elles. Elle semblait se déplacer dans un souffle d'air. Elle les accueillit à bras ouverts :

– Bienvenue Regina, et à toi aussi, Emma.

Emma fit un signe de tête. Elle ne la connaissait pas et était impressionnée par ce premier contact. Comment cette femme, ou elfe, connaissait-elle son nom ? Elle était superbe, ses cheveux se confondaient avec les rayons dorés du soleil, comme s'ils ne faisaient qu'un et lui donnait l'impression d'être entourée par une puissante aura. Sa peau diaphane était lisse, brillante. Ses gestes étaient doux, lents et apaisants. Sa voix était calme et posée. Regina s'enquit :

– Comment s'est déroulé le camp ?

– Comme prédit. Les runes ne trompent pas. Je suis ravie et reconnaissante que tu aies fini par accepter notre proposition. Il est important que cette génération et celles à venir comprennent l'importance du lien qui nous unit à la Nature. Leur avenir en dépend.

Henry entraina son autre mère à l'écart et la dirigea vers son campement :

– Viens, on va chercher mes bagages. Laissons-les discuter.

– Ok. Comme tu veux. Tu es pressé de rentrer ?

Il jeta un coup d'œil derrière lui pour s'assurer que Regina ne l'entendait pas :

– Alors ? Qu'est-ce qui s'est passé ? Elle n'a pas répondu à mes messages. Comment elle va ?

– Ne t'inquiète pas, elle n'a pas tourné … mal tourné…

– C'est vrai, tu t'es occupée d'elle ?

– Euh… oui… en quelque sorte… Ok, ok, doucement, gamin ! Chaque chose en son temps. Déjà, l'histoire lui appartient et c'est à elle à te raconter ce qu'elle veut que tu saches. D'accord ? Tu sais à quel point elle déteste qu'on parle d'elle sans son autorisation !

Emma faisait bien entendu allusion à sa propre mère et aux conséquences qu'avait entrainées la fin tragique de Daniel.

– Tout ce dont elle a besoin, c'est de patience et de temps.

– Et de moi ! Je retourne à la maison, Emma. Je ne veux pas la laisser traverser tout cela toute seule. Tu comprends ? Et de toute façon, l'appartement est devenu trop petit pour nous cinq. J'ai besoin d'une chambre à moi. J'ai une vie aussi … j'ai besoin d'intimité.

– Hé bien, on dirait que tu as réfléchi longtemps…

– J'ai eu quatre semaines et des copains aussi…

– Henry, j'ai trouvé une maison, je comptais te l'annoncer… mais … tu me devances un peu, là.

Emma se garda de lui dire que Regina n'était pas seule mais ne pouvait pas trop s'épancher sur ce sujet. L'histoire d'un futur déménagement était partiellement vraie. Elle avait songé à quitter l'appartement de ses parents mais n'avait pas encore effectué les démarches. Il faudrait qu'elle accélère un peu les choses.

– C'est cool… c'est cool.

Il se sentait casser dans son enthousiasme et dans ses plans. Il avait travaillé ses arguments avec ses amis.

– Mais Maman a besoin de moi, maintenant. La seule fois où elle croit que je suis retournée auprès d'elle, c'était quand Peter Pan a pris mon corps. Elle doit se sentir entourée tout le temps. Tu comprends ? Toi, tu n'as pas besoin de moi.

Henry s'avança et se blottit contre sa mère biologique :

– Je reviendrai. J'installerai une chambre chez toi aussi. Il faut que j'aille chez elle !

– Oui… oui, répondit-elle automatiquement, sans grande conviction.

Ce retournement de situation allait compliquer un peu ce qu'elle avait projeté de concrétiser avec son amie, amante, peu importe.

– Génial ! J'expliquerai tout à Grand-mère et Grand-père, je suis sûr qu'ils comprendront !

– Henry, ne leur dis pas pour la maison. Je ne leur en ai pas encore parlé…

– D'accord. Ça risque de faire un peu beaucoup pour eux… c'est mieux.

Regina les rejoint. Elle avait constaté que la discussion entre son fils et Emma était animée :

– Alors, qu'est-ce qu'il se passe ici ?

– Je reviens vivre avec toi.

Et le jeune homme se jeta dans ses bras pour l'embrasser, heureux. Sa mère l'accueillit avec beaucoup de sentiments et de reconnaissance. Elle avait rêvé de ce moment depuis le premier jour de son départ. Elle avait cru, qu'avec le temps, en grandissant, il ne reviendrait plus jamais. C'était inespéré !

– Oh Henry, ça ne pouvait pas me faire plus plaisir !

XXX