Elles avaient avalé des kilomètres, pendant deux heures en montant et en descendant les collines qui serpentaient leur parcours.
– J'en ai assez, cela fait des heures que nous marchons. Plus de vingt-quatre heures, une nuit, sans confort. C'est plus qu'il ne m'en faut. J'ai fait la moitié du chemin. Je rentre.
Regina s'arrêta. Sans attendre de réponse d'Emma, elle claqua des doigts et tourna des poignets mais aucune étincelle ne surgit. Rien ne se produisit. Pas une once de magie.
– Mais qu'est-ce qui se passe ? se demanda-t-elle en regardant ses mains, perplexe.
Emma tenta de faire de même. Elle pensa à déplacer un objet, puis à allumer un feu. Mais rien n'apparut. Elle suggéra alors :
– On a probablement dépassé la limite de la ville sans nous en rendre compte. Il se peut que nous soyons dans le monde extérieur.
– Mais comment ?
– La forêt est immense. Et sans accompagnateur … ça nous pendait au nez.
Regina pouvait sentir le reproche dans le sous-entendu « sans accompagnateur » :
– Parfait, nous voilà perdues au milieu de nulle part.
– Si vous n'aviez pas vexé Legolas, insista-t-elle, nous n'en serions pas là. Vous n'avez qu'à vous en prendre à vous-même.
– Je ne vois pas ce qu'il y a de vexant de l'appeler « Sherpa ». Il est susceptible, c'est tout.
– Et vous le saviez. C'était de la provocation. Vous le cherchiez depuis hier soir, ne le niez pas.
– C'est lui qui a commencé, répliqua-t-elle immédiatement, comme une enfant : Pourquoi ne m'avez-vous pas dit que nous avions dépassé la ligne ? demanda-t-elle pour détourner la conversation.
– Comment aurais-je pu le savoir ? Le plan était d'avoir un guide, mais vous l'avez poussé à bout !
– Ne me blâmez pas ! J'ai toujours dit que ces lutins étaient d'une insuffisance ! Il nous a abandonnées, c'est tout.
Passant de tout au tout, elle ordonna :
– Alors sortez-nous de là. Nous voilà parties pour plus de deux jours. Je ne le supporterai pas.
La Shérif ferma les yeux et rassembla son énergie. Cela ne les avançait pas de s'énerver :
– D'accord, il n'y a pas de souci. Je vais appeler pour qu'on vienne nous chercher.
La jeune femme sortit de sa poche arrière son téléphone. Elle forma un numéro mais aucune tonalité ne sortait de l'appareil. Elle regarda le détecteur d'antenne, puis tendit son GSM dans une direction. Rien. Puis dans l'autre, mais il ne perçut aucun signal.
– Je ne capte rien, finit-elle par reconnaitre après s'être étirée dans tous les sens, au bord de l'élongation.
– Même dans le monde extérieur vous êtes sensée être reliée à un réseau ! Vous cherchez mal !
Emma se renfrogna et parcourut quelques mètres, suivie comme une ombre par Regina. Celle-ci veillait par-dessus son épaule, comme un aigle sur sa proie, la moindre trace d'une connexion à un satellite quelconque. Quand Emma butta sur une pierre, son pied se déroba sous elle. Regina eut le réflexe de l'agripper à la sangle de son sac. Mais emportée par l'élan de la chute et le poids de sa compagne de route, l'Ancienne Reine fût entrainée malgré elle. Elles tombèrent dans une avalanche de pierres et dégringolèrent sur le bas d'une petite pente.
Elles ne contrôlaient plus rien dans leur cascade folle, roulant sans retenue tels des pantins désarticulés, les bras et les jambes dans tous les sens.
Des buissons de larges fougères sauvages avaient camouflé le sillon profond d'un lit d'une rivière sauvage et un grand vide se présenta subitement derrière elles. Elles glissèrent et plongèrent, toutes les deux, comme deux masses informes, dans l'eau profonde et chahutée.
Emma battait des mains et des pieds pour retrouver une position sécurisante. Une douleur fulgurante transperça sa jambe gauche et elle ne put retenir un cri dans le tumulte de l'eau. Son cœur battait la chamade. Elle avala de travers une grosse gorgée d'eau et cracha ce qu'elle put. Elle était entrainée, tournant sur elle-même, prise au piège par le courant et perdait le sens de l'orientation. Il lui fallait respirer, et vite. Elle sentit une résistance au niveau de ses épaules. Son sac à dos étanche était gonflé d'air et la tirait vers le haut comme un gilet de sauvetage. Elle n'avait qu'à profiter de cette force et de cette pression salutaires. Arrivée à la surface, elle ouvrit grand la bouche, toussa et recracha ce qu'elle avait avalé. Elle regarda autour d'elle mais les rochers et les remous lui obstruaient la vue.
– Regina, cria-t-elle paniquée, Regina !
La Shérif fit la planche, releva les pieds, malgré la douleur, et écarta les bras tout en se reposant sur son sac. Elle essayait de se maintenir le plus immobile possible tout en étant emportée par la puissance du débit. Mais elle bougeait la tête, malgré tout, à gauche, à droite, regardant derrière elle et devant elle, à la recherche de la Maire :
– Regina, Regina ! Réponds-moi.
– Je suis là… coufh … ICI, dit-elle entre deux gorgées.
Relevant la tête, derrière elle, à quelques mètres, le visage enfoui sans ses cheveux défaits et trempés, Regina se débattait dans le courant de toutes ses forces.
– Lutte pas, … laisse… aller.
Emma ralentissait sa course comme elle le pouvait, se servant de son corps comme gouvernail. Quand Regina arriva à sa hauteur, elle l'attrapa par la hanse de son sac et lui ordonna :
– Attache-toi… sac à dos … comme bouée.
Toutes les deux effectuaient des efforts surhumains pour garder leur tête hors de l'eau. La Maire boucla les deux sangles supplémentaires, au niveau de sa poitrine et de ses hanches.
Emma défit sa ceinture et l'encercla autour de sa bretelle gauche et de la bretelle droite de Regina. De cette façon, elles ne risquaient pas de se séparer et de se perdre de vue.
– Là … tronc ! hurla la Maire.
En effet, le reste d'une découpe d'un arbre flottait à travers les eaux enragées. Les deux femmes donnaient l'impression de patauger comme des enfants qui apprenaient à nager pour se diriger vers leur planche de salut. A l'unisson et en accord, elles brassaient des volumes d'eau et se poussaient dans la direction du tronc d'arbre. Regina se tira sur une branche et Emma imita son geste. Elles s'extirpèrent à hauteur du bassin et purent souffler enfin.
– Merci mon Dieu, finit par respirer Emma.
Leur radeau de fortune poursuivait son chemin à travers les rochers mousseux et escarpés, happé par le bouillonnement de la rivière. Il bondissait dans des gerbes d'écumes, tel un cheval sauvage.
Elles tentaient tant bien que mal de stabiliser sa course folle et d'éviter de justesse les roches luisantes et coupantes qui jaillissaient soudainement dans leur champ de vision.
Le cours d'eau était déchainé. Il était impossible de s'y opposer. Les couloirs étroits et acérés formés par les berges accentuaient la force du courant. Emma et Regina étaient ballotées dans tous les sens, au gré des flots, comme des poupées de chiffon. Elles devaient se contenter de suivre le mouvement, de s'agripper et d'amortir les ruades du tronc balayé parfois comme un fétu de paille et d'anticiper les accrochages aux divers obstacles.
Puis, au bout d'un moment qui leur paraissait interminable, la rivière s'élargissait peu à peu et se transforma en fleuve, un peu plus tranquille. Enfin, à la première accalmie, Emma poussa le radeau vers le rivage. Elles se trainèrent jusqu'à la berge et s'affalèrent, toutes les deux, à même le sol, épuisées. Emma prit une grande inspiration et essuya les gouttes qui lui ruisselaient le visage. C'est fini, se dit-elle. C'est enfin fini. Elle cracha ce qui lui restait dans le fond de la gorge et tourna la tête vers sa compagne. Elle défit le lien qui les unissait encore. Elle tendit la main pour la poser sur son épaule et lui demanda :
– Tout va bien ?
– Ça va.
Pas plus, pas moins. Son corps tremblait toujours et évacuait d'une certaine façon tout le stress qu'elle avait accumulé. Regina s'était accroupie sur la petite plage, tête basse, les mains dans la terre et les pieds encore dans l'eau. Elles étaient en vie. Couvertes de coupures et d'ecchymoses mais saines et sauves. Elles restèrent immobiles pendant de très longues minutes, le temps de récupérer leur souffle et de sentir, à nouveau, tous leurs muscles.
Quand la jambe d'Emma commença à s'engourdir, elle le comprit comme un signal qu'il lui fallait bouger. Elle tenta de se relever mais fut immédiatement arrêtée dans son mouvement. Le temps de réaliser, elle sentit la douleur remonter le long de sa jambe jusqu'à lui exploser la tête. Elle gémit :
– Haaaa.
L'attention de Regina fut attirée par la plainte.
Emma grimaçait. Elle tendit la jambe pour se faire craquer les os et se donner la sensation de tout remettre en place. Il était claire qu'elle avait atrocement mal, elle se tenait la cheville d'une main, comme si quelque chose l'avait lacérée.
La Maire s'approcha avec prudence :
– Restez tranquille. Laissez-moi regarder.
Elle prit son couteau hors de son fourreau et coupa le bas de pantalon jusqu'au genou. Elle défit avec minutie les lacets et la déchaussa délicatement.
La peau était violacée à plusieurs endroits. Mais c'était la cheville qui l'intrigua. Elle avait gonflé considérablement. La jeune femme brune palpa les différentes zones et testa les articulations.
– Ce n'est pas beau à voir. Ça m'a tout l'air d'une entorse… Je ne pense pas que cela soit cassé.
– Qu'est-ce qu'on va faire ?
– Vous, pour commencer, vous ne bougez pas.
– Ce n'est pas ce que je veux dire, Regina. Et vous le savez. Nous sommes perdues au milieu de nulle part. Mon téléphone est au fond du torrent et le vôtre… Elle désigna la pochette de la bretelle : est dans le même état que le mien : inutilisable.
– Chaque chose en son temps. D'abord nous allons vous soigner. Et pour cela, il faut nous installer. Restez ici, je vais jeter un œil aux alentours.
Regina ne s'éloigna pas trop loin. Elle savait qu'Emma ne pourrait pas marcher et elle ne pensait pas qu'elle serait suffisamment forte pour la porter longtemps. Elle dénicha un coin qui lui semblait, dans la limite des lieux, parfait et revint sur ses pas.
– Je vais vous soutenir. Profitons que l'adrénaline circule encore dans votre corps et endorme la douleur pour vous déplacer.
Les pensées noires d'Emma l'envahissaient déjà : elle se voyait comme un boulet, la raison de leur accident se rappelait également à son mauvais souvenir. Elle se maudissait intérieurement de ne pas s'être montrée plus aguerrie, plus alerte. Elle se reprocha de l'avoir forcée à la suivre, de les avoir perdues dans cette immense forêt et de l'avoir entrainée dans sa chute. Alors obéissante et coupable, elle s'accrocha, sans un mot, au niveau de son cou et se laissa portée jusqu'à l'orée du bois.
Le soleil battait son plein et les températures montaient sans cesse en ce milieu d'après-midi. Elles s'abritèrent à la fraicheur de l'ombre des arbres, près d'une grosse souche à moitié déracinée.
– Je vais chercher les sacs puis je vous ferai un bandage compressif.
A leur point d'arrivée, près des sacs et de la bottine abandonnée, l'Ancienne Reine prit appui sur ses genoux, à la recherche de sa respiration. Elle ressentait les symptômes d'un contre coup lui monter à la tête. Emma mise à l'écart, Regina pouvait laisser libre court à ses émotions. Alors son cœur palpita, ses inspirations saccadées s'accélèrent et ses pensées défilèrent dans tous les sens. La peur, enfin libérée, la saisit à la gorge, prête à l'étouffer. Elle revoyait les scènes sous ses yeux, comme si elle les revivait. Elle se remémorait tout ce qu'elles avaient traversé : leur chute interminable, ce vide sans fin, la bousculade sans air dans les remous, le torrent furieux, … Elles auraient pu mourir, elles avaient failli mourir, l'une ou l'autre… ou les deux, au milieu de nulle part. Elle porta sa main à sa poitrine et la serra pour brimer un sanglot.
Non. Pas maintenant.
Elle devait se reprendre. Il y avait tant à faire et Emma était blessée. Elle se redressa et prit bonne posture. Elle inspira profondément pour se donner du courage et se changer les idées. Maintenant n'était pas le moment. Elle avait des priorités. Emma avait besoin de soins et d'elle. Elle devait se ressaisir. Regina prit les deux sacs à dos et voulut tourner les talons. Mais un éclat argenté la détourna de son objectif. Quand elle regarda dans l'eau, elle vit les nombreux poissons longer les fines berges pour se nourrir d'insectes et de larves. Les écailles brillaient sous les effets de l'eau et de la lumière du soleil. Soulagée par cette bonne fortune, elle repartit vers leur futur campement.
X
Le pied d'Emma était enserré, à présent, dans un linge humide, légèrement surélevé grâce à une vieille bûche. Elle avait fabriqué une attelle de bouts de bois qu'elle avait ramassés autour d'elle. De sa position et dans son champ d'actions, elle tentait, tant bien que mal, de monter les deux tentes. Ce n'était pas chose aisée, mais déterminée, elle y parvint après de longues minutes. Heureusement qu'elle avait opté pour le matériel dernier cri qui se montait presque tout seul. Elle y jeta les sacs de couchages et vida les sacs à dos d'ustensiles utiles. Tout était resté sec : les vêtements, les provisions, son arme, les munitions et les allume-feu. Elle prit les allumettes et rassembla les morceaux de bois restant que Regina lui avait apportés. Elle enfourna quelques feuilles mortes, des brindilles séchées et des épines de pin. Elle colla de la résine sur les branches. Le feu était prêt à être allumé.
Satisfaite du résultat et profitant de l'absence de la Maire, la Shérif se traina jusqu'à la berge et récupéra quelques pierres pour délimiter le contour et contrôler le feu de camp. Elle déploya tous ses efforts dans ses bras et dans sa jambe valide. Elle ne voulait surtout pas être un poids mort pour Regina. Son esprit était clair et elle avait trois membres vaillants. Il ne lui en fallait pas plus, elle était encore enhardie. Quand sa mission fut accomplie, elle s'allongea, posa sa tête sur ses bras repliés et ferma les yeux. Deux minutes de repos. Juste deux minutes.
Pendant ce temps, un peu plus loin, la jeune femme brune avait repéré un mûrier et elle avait entreprit de cueillir plusieurs grosses poignées de mûres. Elle les ajouta à son autre récolte. Ses connaissances lui avaient permis de distinguer les racines et les herbes comestibles en cette saison. Lorsqu'elle arriva au campement, elle constata que les deux tentes avaient été dressées sommairement et qu'un amas de bois sec était positionné de façon pyramidale. Ce soir, le feu crépiterait à travers de hautes flammes. Emma s'était lovée entre le futur foyer et les tentes et s'était assoupie. Regina sourit, impressionnée. Elle ne put s'empêcher de secouer la tête, réprobatrice mais consciente que la jeune femme n'était pas restée en place et avait probablement accentué ses maux pour parvenir à ce dessein. Sans un bruit, Regina déposa le fruit de sa cueillette dans une casserole de fer blanc. Ensuite, elle fixa l'agencement des tentes à l'aide de piquets et de tendons. Elle déroula les sacs de couchages correctement sur leur matelas de mousse et repartit près du fleuve, avec son couteau et une longue branche.
Près d'une heure s'était écoulée et la pêche n'avait pas été fructueuse. Quand un poisson se présenta à sa portée, Regina projeta sa lance. Sans succès. La lame de son couteau, liée à une longue branche déviait trop souvent la trajectoire. Le calcul et l'anticipation étaient fortuits. La Maire tenta une dizaine de tentatives, en vain. Mais à force de ténacité et de concentration, elle parvint à planter son arme dans sa cible. Elle avait eu de la chance. Un seul poisson. Soit. Mais suffisamment grand pour les deux adultes. Elle l'embrocha sur une branche parfaitement découpée et retourna au camp. Emma dormait toujours. Elle passa à ses côtés, sans la réveiller, s'assurant malgré tout qu'elle respirait correctement.
Regina alluma et alimenta le feu avec d'autres branchages secs ce qui le fit ronfler joyeusement. Puis elle enfonça la branche dans le sol pour le maintenir à bonne hauteur des futures braises et cuire lentement mais sûrement leur repas.
Elle profita d'un peu de calme et de solitude pour se débarrasser de ses vêtements humides et les étendre sous les rayons du soleil, afin de les faire sécher plus rapidement. Elle se changea et enfila des vêtements propres et secs. Elle jeta, à nouveau, un œil à Emma et pensa qu'elle devait se défaire également de ses vêtements trempés qu'elle portait encore sur elle. Lorsqu'elle s'approcha de sa compagne, elle constata que celle-ci frissonna. Immédiatement, elle secoua son épaule avec douceur :
– Emma, réveillez-vous.
La jeune femme blonde était pâle et ses yeux cernés, creusés. Cela n'annonçait rien de bon. Elle insista :
– Redressez-vous, lui demanda-t-elle gentiment. Changez-vous ! Vous allez attraper la mort si vous restez dans cet état.
Sans réaction, Regina la força à se redresser. Elle la défit de son débardeur et de son soutien. Ce n'était pas comme si elle la découvrait pour la première fois, mais elle avait la tête ailleurs qu'à profiter de la vue d'une femme en détresse. La peau d'Emma était froide malgré la moiteur de l'air et la chaleur des flammes. Se pouvait-il qu'elle souffre d'hypothermie ? La Maire se dépêcha de lui retirer ce qui lui restait de vêtements. La Shérif ne résistait pas, bien qu'elle semblait éveillée, elle se laissait manipulée, sans objection ni commentaire éventuellement salace comme cela pouvait être souvent le cas.
Ce n'était pas normal. Emma n'allait pas bien. Du bout du bras, Regina prit une serviette et la frictionna pour la sécher et la réchauffer le plus rapidement possible. Puis elle lui prit des sous-vêtements propres et le t-shirt qu'elle avait mis la nuit précédente.
– Fffr… fffroid, finit-elle par articuler péniblement.
Et le geste accompagna la parole. La chair de poule parcourait ses bras et ses jambes, la température de son corps ne montait pas malgré les soins prodigués. Emma tremblait et se recroquevillait toujours. Des gouttes de sueurs perlèrent sur son front. Regina saisit son sac de couchage et tenta de la glisser dedans, en commençant par les pieds. Le visage de sa compagne se tordit quand elle entra sa jambe blessée puis elle finit par rendre les armes, éreintée et s'endormit à nouveau. La Maire l'installa confortablement, se servant de ses propres affaires comme oreiller. Elle veilla à ce que la distance qui la séparait du feu n'était pas sujette à accident. Puis elle se leva et partit observer les alentours, gardant une oreille attentive en direction du campement.
Après un premier tour d'observation et d'éclairage, Regina arracha des herbes, cueillit des feuilles et récoltait le suc de différents plants qu'elle avait repérés. Elle les tria de par leurs formes, leurs tessitures et leurs odeurs. Elle n'hésita pas à les gouter ou à les manipuler entre ses doigts pour être certaines qu'il s'agissait bien des ingrédients dont elle avait besoin. Elle jeta les plantes qui ne lui convenaient pas ou pour lesquels subsistait un doute. Elle les traita de façon différente, avec un certain savoir. Chacun avait leur spécificité.
Un peu plus loin, en s'enfonçant dans la forêt, elle vit une lueur aveuglante à travers les troncs d'arbres. Elle s'y dirigea et elle repéra une clairière, un espace dégagé dans cette immense jungle verte.
– …naaa, entendit-elle à peine.
Elle fit immédiatement demi-tour et courut à l'origine du cri. D'autres l'accompagnaient et se distinguaient au fur et à mesure de son approche. Pour enfin comprendre :
– REGINAAAAAA !
Quand elle arriva au campement, elle découvrit sa compagne debout au milieu de leurs affaires. Elle criait son nom, à bout de forces et de pleurs et regardait partout, sans la voir, effrayée.
Regina déposa sa cueillette et, sans réfléchir, la prit par les bras pour focaliser son attention sur elle :
– Emma… Qu'est-ce qui se passe ? Qu'y a-t-il ? demanda-t-elle, affolée.
Emma s'effondra sur elle-même et Regina l'accueillit pour amortir sa chute.
– J'ai cru … vous … partie… Que vous m'aviez … seule… Personne…
Elle pleurait, défaite et perdue. Elle ferma les yeux et continua de sangloter. Elle s'agrippa au col de la Maire, le poing serré et envahie de tremblements. Elle délirait. Regina la serra contre sa poitrine et tenta de l'apaiser :
– Non. Non. Jamais je ne ferai une chose pareille. Je cherchais des herbes médicinales, expliqua-t-elle : Je me suis un peu éloignée… Je suis là, maintenant. Je ne m'en irai nulle part.
Elle la berçait comme on tranquillise une enfant, en se balançant d'avant, en arrière. Elle lui caressait les cheveux et l'embrassait, instinctivement sur le front :
– Je suis là. Chht. Je suis là.
La crise de panique d'Emma avait mis plusieurs longues minutes à s'atténuer. Après des gestes attentifs et attentionnés, des mots doux et apaisants, la jeune femme se laissa envahir par la fatigue et sombra à nouveau dans un sommeil de plomb.
Regina l'entraina jusqu'à sa tente et l'installa confortablement. Elle ouvrit son sac de couchage complétement pour faire circuler l'air. Elle changea son pansement et trempa un linge dans l'eau froide de la rivière. Elle rinça son visage, ses bras et ses jambes. La fièvre avait gagné tout son corps et il bouillonnait. Son visage était exsangue et ses lèvres sèches et craquelées. Tous les signes de la déshydratation et de la maladie apparaissaient en même temps. Rassurée qu'elle se soit bien endormie, elle retourna à sa première tâche. Elle ramassa sa récolte et s'attela rapidement à sa préparation. Elle prit les différentes plantes et elle les écrasa, les effilocha ou les pressa. Puis elle mit à bouillir une petite casserole d'eau et infusa la concoction qu'elle avait consciencieusement préparée. Inquiète, elle n'avait pas quitté du regard la jeune blonde. La mâchoire contractée, celle-ci marmonnait des mots incompréhensibles, interrompue de temps en temps par des soubresauts.
Regina posa régulièrement sa main sur son front et elle se rendit compte que la fièvre ne baissait toujours pas. Était-ce dû à une bactérie dans l'eau, à un état de choc ou à l'infection qui remontait de sa jambe ?
La mixture prête, elle la versa dans sa gourde. Elle s'assit de façon à placer ses jambes de part et d'autres de la tête d'Emma. Elle la prit dans ses bras et la tira à elle pour la maintenir droite contre sa poitrine :
– Emma. Buvez ça. Ça vous fera le plus grand bien.
L'odeur n'était pas très engageante. Elle avait pensé à y ajouter les mûres cueillies plus tôt mais le temps lui avait manqué. Le plus urgent était de lui donner cette potion pour faire diminuer la fièvre et neutraliser le mal qui la rongeait de l'intérieur.
La Shérif grimaça, dégoûtée, et détourna le visage :
– Ne faites pas l'enfant ! Vous devez la boire.
Sa patiente se montra récalcitrante et concentrait toutes ses dernières forces à lui échapper. Regina maintint son emprise d'un bras tout en dirigeant le verre de l'autre main. Elle supplia presque :
– Je t'en prie… Emma, bois … s'il te plait…
Et comme si elle était presque consciente de la plaidoirie, comme si la détresse de Regina venait attendrir le subconscient d'Emma, celle-ci entrouvrit les lèvres et but quelques gorgées.
– Il en faut encore …
Regina la remonta un peu plus haut contre elle. Elle caressa ses cheveux de sa main qui l'avait relevée et maintenue droite. Les yeux clos, le visage impassable mais blanc, la Shérif vida la moitié de la gourde, sans plus broncher.
– Bien. Très bien…
Regina la reposa et se faufila à l'extérieur de la tente. Elle devait préparer leur repas pour récupérer les forces perdues et une nouvelle gourde pour la nuit.
Le soir tomba tardivement. Même si les journées se raccourcissaient, l'été prolongeait la présence du soleil dans le ciel. Les ombres des arbres et des collines s'allongeaient lentement et obscurcissaient de plus en plus la vue. Regina rassembla suffisamment de bois pour le maintenir actif toute la nuit. Elle avait ramené deux grosses buches qui se consumeraient lentement.
Elle sortit son sac de couchage et son mousse de sa tente et les installa près d'Emma. Il était hors de question de la laisser seule, sans surveillance. Et si elle se réveillait, elle lui ferait boire la potion de temps à autre.
La Maire se glissa dans son sac comme une chenille et se serra contre la malade. Elle la prit dans ses bras. Tout contre elle. Sa présence semblait l'apaiser. Elle lui parlait à voix basse, la rassurant ou se rassurant, sur le lendemain.
– Tout ira bien… tout ira bien, répéta-t-elle.
XXX
