La Maire n'avait pas quitté la Shérif de toute la nuit. Elle avait veillé sur elle, apaisant ses moindres soubresauts, calmant ses angoisses, brimant tout signe de températures ou de délires. Au petit matin, les oiseaux chantaient. La petite brise apportait une odeur de fleurs des champs. La clairière qu'elle n'avait pas eu le temps d'explorer se rappela à elle. Il lui fallait y retourner. Elle était peut-être leur porte de sortie. Mais pour le moment, il n'y avait que la santé d'Emma et Emma qui comptaient. Dès les premières lueurs du soleil, l'Ancienne Reine avait palpé le front et l'arrière du cou de la malade. Elle constata, avec soulagement, que la fièvre s'était dissipée et que son visage avait repris ses couleurs. Elle sortit à quatre pattes de la tente devenue étroite pour deux personnes et s'occupa de relancer le feu. Le mouvement et les différents bruits éveillèrent la jeune femme blonde :
– Où vas-tu ? lui demanda-t-elle, faiblement.
La Maire se retourna et posa une main rassurante sur sa jambe découverte :
– Préparer le repas. Je ne m'éloigne pas. Appelle et je viens, lui répondit-elle doucement.
Emma hocha de la tête et se rendormit.
Regina sortit les provisions un à un et en fit l'inventaire. Emma avait pris en suffisance. Peu encline à partir faire du camping, elle avait privilégié le « trop » que le « pas assez ». A la vue des paquets et des boites qu'elle étalait sous ses yeux, il y avait de quoi tenir aisément deux jours de plus.
Pour s'en assurer, elle fit le calcul dans sa tête. Dans le meilleur des cas, Henry se rendrait compte de sa disparition ce soir, lorsqu'il irait se coucher.
S'il décroche de ses jeux vidéos, se rappela-t-elle.
La mère savait très bien que lorsqu'elle était absente, son fils passait le plus clair de son temps derrière les écrans. L'adolescent ne voyait pas les heures défiler ni la journée s'écouler. Elle l'avait surpris à errer comme un zombie inconscient, en quête de nourriture et de sanitaires, lorsque ses besoins primaires l'asticotaient. Et il avait bien compris comment le monde des adultes fonctionnait : tant que ses tâches ménagères étaient faites et que ses résultats scolaires étaient à la hauteur des exigences de sa mère, elle lui fichait régulièrement la paix. Mais aujourd'hui était le dernier jour de vacances. Aujourd'hui, dimanche, était LE jour, LE DERNIER jour de vacances, sans la présence de sa mère en plus, où il allait en profiter au point de s'oublier et d'oublier le reste du monde.
Donc dans le pire des cas, il s'apercevrait de sa disparition le lendemain,… à son réveil. Si tout allait bien. Sinon, ce serait Sandrine, sa secrétaire, qui se poserait des questions sur un retard inhabituel et qui tenterait de la joindre sans réponse. Regina savait qu'elle pouvait, en dernier recours, compter sur la réactivité de sa secrétaire… Dans 27h.
Cependant, quoi qu'il en était, il fallait aussi compter sur l'avertissement, le déploiement de l'équipe de recherche, la prise de contact avec le lutin, s'il n'était pas retourné dans la Terre du Milieu… et le fait de pister leurs traces. Elle-même ne savait pas où elles avaient atterri.
En conclusion, si tout se déroulait sans incident, elles seraient trouvées demain soir. Sinon… la Maire se prépara mentalement à ne voir débarquer les premiers secours que dans plusieurs jours.
Elle baissa les yeux et regarda les sachets lyophilisés, les conserves variées, les petites boites de conservation éparpillés autour d'elle… et une bouteille de vin rouge, enveloppée dans un sac de transport rond, matelassé. Pourquoi avoir emporté tant de victuailles alors que la Shérif aurait dû savoir que le gnome se serait occupé, sur place, de la partie repas ? Qu'avait-elle eu en tête, se sachant guidées ? Avait-elle pensé à alléger la pénibilité de leur recherche en ayant quelques douces attentions ?
Regina lut les étiquettes et ouvrit les couvercles. Emma n'aurait jamais fait d'efforts si elle avait été la seule concernée. Elle se satisfaisait très bien de la simplicité et du moment.
Et à la vue de leur contenu, elle se demanda si la Shérif n'avait pas tout mis en œuvre pour que cette expédition soit des plus agréables… pour elle.
Forte et attendrie par ces pensées, La Maire rangea tout dans le sac et se leva. Elle observa Emma. Sa respiration était calme et profonde. Elle allait dormir encore pendant une heure ou deux. Regina partit cueillir des myrtilles et du sureau rouge. Ils étaient riches en vitamines C et elles en avaient besoin toutes les deux. Puis, elle dirigea vers la rivière et elle arrache les racines des Joncs. Son amidon permettra de renforcer leur flore intestinale et d'aider le système immunitaire d'Emma à se défendre.
Elle retourna au camp et se mit au travail. Elle prépara deux assiettes et fit bouillir les rhizomes des joncs. Ils avaient, en plus, les mêmes propriétés nourrissantes que la pomme de terre. Quand les aliments furent prêts, elle ajouta les céréales qu'elle avait trouvées dans l'un des Tupperware. Le repas était complet et équilibré. Regina se leva et se trouva nez à nez avec Emma, assise, à l'entrée de sa tente :
– Ça sent bon.
– C'est mieux que rien…, rétorqua-t-elle, modestement. Elle ajouta : Je rationne. Ce sera un café pour deux.
– Ça me convient très bien ! Merci.
Regina lui tendit son assiette en fer blanc et les couverts :
– Tenez, mangez ! Cela vous fera le plus grand bien. Vous n'avez plus rien dans l'estomac depuis le lapin de Legolas, hier midi.
– Vous vous rappelez de son nom ? lui dit-elle, par pure plaisanterie en prenant l'assiette et plongea sa fourchette dans la racine.
La Maire baissa la tête. Si elle avait gardé sa langue dans sa bouche, elles n'en seraient pas là. Emma, blessée, avait été à deux doigts de… Elle secoua la tête.
– Regina, vous allez bien ?
Interpellée, elle releva les yeux et dissimula ses pensées derrière un faux sourire :
– Oui. Tout va bien. Et vous, comment allez-vous ?
L'état de santé d'Emma était visuellement meilleur que la veille. Rassurée par cette constatation, les barrières de Regina s'étaient automatiquement dressées. La distance et le vouvoiement avaient repris leur droit.
– Beaucoup mieux.
– Votre fièvre.
– Je ne ressens plus rien. Plus de température, plus de frissons. Par contre, j'ai vraiment besoin d'une douche…
– Et votre jambe ?
– Douloureuse.
Le fait de s'être relevée et déplacée de quelques centimètres jusqu'au seuil de sa tente avait relancé le traumatisme. Emma avait concentré tous ses efforts dans le paraitre et ne voulait pas que Regina la voit à nouveau souffrir. Il lui fallait cacher les profondeurs des dégâts, si elles voulaient reprendre la marche et remonter la rivière pour retrouver leur chemin.
Regina désigna le cours d'eau :
– J'ai vu qu'il y avait des roseaux un peu plus loin. Sa quenouille a des vertus anesthésiantes et antiseptiques.
Emma regarda son assiette :
– Vous en savez des choses !
– Je suis une Sorcière, Emma. La plus puissante de toutes, je vous rappelle. Et j'ai vécu au Moyen-Âge. Les plantes, c'est une seconde nature pour moi.
– Toutes les plantes du monde, y compris celles du Maine ?
– Toutes les plantes utiles, comestibles et … vénéneuses, lui avoua-t-elle.
– Vous n'en connaissez pas une qui accélérerait la guérison ?
– Non, ça c'est faire appel à la magie.
Ce dernier mot leur rappela leur situation.
– Je vais reprendre rapidement des forces et nous pourrons repartir, dit Emma pour rompre le silence pesant. La culpabilité s'infiltrait à nouveau dans son cerveau.
– Pas dans votre état.
– Je renforcerai mon attelle et me sculpterai une béquille dans la fourche d'une branche. Cela suffira. Donnez-moi encore quelques heures et deux gourdes de votre potion… Cet après-midi, on lèvera le camp et on va remonter le cours d'eau. Il va bien nous mener quelque part. Soit vers l'ancien camp d'été d'Henry, soit vers une autre ville. Et de là, je retrouverai le chemin pour rentrer.
Regina se leva et dépoussiéra ses genoux. Elle rassembla la vaisselle et dit d'un ton qui ne prêtait pas à discussion :
– C'est hors de question ! La dernière chose que je veuille c'est d'errer au hasard, à suivre une estropiée, sans savoir elle-même où on va.
Elle se savait blessante, mais les 12 dernières heures qu'elle avait passées au chevet d'Emma, rongée par l'inquiétude et par … la peur de la perdre la hantaient toujours. Elle se redressa et planta ses yeux dans ceux de la Shérif :
– Le sujet est clos. Allez vous reposer, je vais faire la vaisselle dans la rivière.
Elle pivota sur ses talons et s'éloigna de sa compagne.
Le sang d'Emma lui montait au cerveau, tambourinant aux tempes. Toutes les insultes possibles et inimaginables l'assaillirent. Elle se glissa sous sa tente et tapa, furieuse son matelas. Elle râla entre ses dents, la maudissant, la Maire et sa superbe. Puis la Shérif finit par se rendormir. Son réveil avait puisé dans ses ultimes ressources.
X
Lorsqu'elle revint sur ses pas, une heure plus tard, Emma était assise à côté de sa tente et remplissait son sac à dos. Regina lui saisit le bras et l'interrompit dans son mouvement :
– Qu'est-ce que vous faites ?
– Je prépare les sacs et démonte le camp.
– Vous partez ?
– Non, NOUS partons.
Et elle se tourna vers ses affaires qu'elle enfournait avec précipitation. Pour tranquilliser la Maire, elle ajouta :
– Arrêtez de vous inquiéter pour tout. Tout ira bien. Un peu d'exercices ne me tuera pas. On s'harnachera. On ne se quitte pas d'une semelle.
– C'est beaucoup trop dangereux.
– Je sais mais il faut nous sortir de là. On peut le faire ! On peut y arriver. Restez positive. On ne peut compter que sur nous, Regina. C'est nous qui devons partir à leur rencontre. Ils ne nous trouveront jamais ici. Nous sommes perdues !
– En quoi allez là-bas va nous sauver la vie ?! Cela finira par nous faire tuer ou vous faire tuer !
– Si nous restons ici, dans un endroit isolé, personne ne nous trouvera.
– Mais nous serons en vie !
– Très bien, j'irai seule ! Restez ici, à espérer !
Regina se rapprocha, furieuse, et défit le sac qu'Emma était en train de remplir.
– Je ne veux pas que vous le fassiez. Non, je ne vous laisserai pas faire. Vous êtes blessée, vous ne tiendrez pas cent mètres. Cessez vos caprices et soyez sérieuse pour deux minutes. Emma la regarda agir, interloquée. Ses mouvements étaient limités par sa position au sol et par le peu de forces qu'elle avait réussi à rassembler.
Se croyant victorieuse pour un temps, Regina en profita pour s'agenouiller à sa hauteur et entreprit de s'occuper de sa jambe. Elle nettoya les plaies et appliqua un nouvel onguent frais à base de quenelle moulue. Elle regarda avec attention la chair meurtrie. La cheville avait dégonflé et le violet était passé au noir, c'était bon signe.
– Ça va guérir ! dit-elle confiante. Je vais encore compresser aujourd'hui et nous veillerons à ce que le linge soit constamment froid. Je vous donnerai des antidouleurs naturels. Ça ira !
– Ou pas. Nous devons partir.
Emma n'avait pas dit son dernier mot.
– Non. Nous allons rester ici. Et vous, allez vous reposer. Ne m'obligez pas à utiliser un somnifère. Je n'hésiterai pas à m'en servir.
– Vous pouvez faire ça aussi ?
Regina mentit et bluffa, le tout pour le tout :
– Si vous m'y forcez.
Emma s'arrêta et jeta le sac un peu plus loin. Elle souffla fort et serra les poings :
– Très bien, rétorqua-t-elle, énervée : Très bien …
Pendant que son infirmière enserrait sa cheville, la jeune femme blonde l'observait. Ses doigts étaient sûrs et son toucher était doux. Regina agissait consciencieusement. Emma savait au fond d'elle que la Maire ne lui voulait que du bien et c'était évident que c'était l'inquiétude qui l'astreignait. Mais elle avait du mal à accepter les intentions de Regina. Après tout, il s'agissait de leur survie à toutes les deux. Sa frustration s'adoucit mais son ton de voix était ferme et sec :
– D'accord. J'ai réfléchi. Voilà une autre proposition. Je vais mieux. Je vais bien. Vous m'apprenez ce que je dois savoir pour me nourrir et me soigner avec des plantes et des racines… Et vous pouvez partir seule, remonter le courant, vous-même. Vous êtes valide, vous être raisonnable… Et moi, j'attendrai ici.
– Mais est-ce que vous vous écoutez parfois ? Est-ce la fièvre qui vous fait à nouveau délirer ?
– Peut-être que vous y arriverez avant qu'ils ne s'aperçoivent de notre disparition…
On doit explorer toutes les possibilités.
– Non, je ne vous laisse pas. On ne se sépare pas. Nous sommes parties ensemble, nous restons ensemble.
– Ecoutez Regina. Vous pouvez y aller ! Vous pouvez essayer. J'irai bien ! Je resterai tranquille. Je vous le promets. Et s'il y a quelque chose en court de route, si vous êtes empêchée d'avancer, vous ferez demi-tour.
– Non. Non.
Regina secoua violemment la tête. Elle ne voulait pas entendre son discours déraisonnable, elle voulait chasser ces mots le plus loin possible d'elle, d'elles.
– Que voulez-vous faire alors ? Restez ici ?
– Exactement.
– Il n'y a rien ici. Pas de maison dans les alentours, pas de route, rien ! Pas moyen de contacter qui que ce soit. Nous n'avons aucune chance.
– Si ! Déjà, vous pourrez vous reposer et guérir… en attendant les secours. Ils viendront c'est une question de temps et de patience.
– Ce n'est pas la question. Comment vont-ils nous trouver ? Nous avons franchi la LIGNE, Regina. Personne ne peut la franchir sans en perdre la mémoire. Il n'y a qu'Henry et peut-être la formule de Gold… s'il veut bien aider.
– J'y ai pensé aussi. Belle le convaincra… Et vos parents, ils vous trouvent toujours !
– Vous voilà avoir foi en la nature humaine et dans Gold maintenant. Notre situation est vraiment désespérée.
– Il y a un terrain dégagé non loin d'ici. Nous pouvons rassembler des branches de sapins, de la mousse, du bois vert et y mettre le feu demain. Cela fera énormément de fumée et attirera l'attention, de loin, de haut.
– Et qui est ridicule ?
– Je ne partirai pas, Emma ! Je ne vous laisserai pas seule ! Je ne partirai pas sur un terrain inconnu et dangereux où je pourrais croiser dieu sait quoi sur mon chemin, tomber ou être blessée. Et je ne nous laisserai pas partir non plus. Sauf si vous comptez vous échapper pendant la nuit, mais que dieu vous en préserve, je ne vous lâcherai pas !
Elle s'assit à côté d'Emma et répéta :
– Nous restons ici. Rien ne peut nous arriver ici. S'il vous plait, Emma. S'il vous plait.
Elle lui prit la main entre les siennes et l'apporta sur sa cuisse. Elle la serra, en lui transmettant toute sa conviction. Et elles restèrent, ainsi, assises près du feu pendant de longues minutes, leurs pensées naviguant au gré de leur humeur renfrognée.
Puis l'Ancienne Reine se leva et prit son couteau.
– Que faites-vous ?
– Comme nous allons camper pendant encore 2 jours, je vais creuser une feuillée. Nous en aurons besoin.
Emma la regarda s'éloigner vers l'extérieur du camp. Regina était pleine de surprises. Si on lui avait dit que la Maire pouvait tenir la distance avec Grylls Bear ou Mike Horne, elle ne l'aurait jamais cru. Mais la voir s'activer sur le camp, au four et au moulin, avec détermination et savoir était très impressionnant. C'était une nouvelle facette qu'elle découvrait. Elle se rappela des moments qu'elle avait partagés avec sa mère quand elle-même avait été projetée dans la Forêt Enchantée. Snow aussi avait des talents de survivante et de guerrière.
Regina avait contourné un arbre et avait disparu de sa vue. La jeune femme blonde pouvait l'entendre creuser un trou dans la terre sèche, à coups d'efforts et d'expirations.
Cette distance entre elles leur faisait du bien. Elles étaient toutes les deux tendues et sensibles. Emma s'allongea sur le dos et regarda la cime des arbres. En d'autres circonstances, elle aurait adoré profiter de ces moments avec Regina.
X
Emma s'était à nouveau endormie. L'onguent avait fait son effet. Il avait anesthésié partiellement la douleur et ses effets décontractants s'étaient répandus dans tout son corps. L'Ancienne Reine retourna au travail après s'être assurée que la Shérif n'avait pas bougé et ne s'était pas à nouveau lancée, derrière son dos, dans ses projets élucubrateurs.
Il était à peine neuf heures et elle était déjà en nage et éreintée. Elle reprit l'écorce d'arbre qui lui servait de pelle et poursuivit son trou. Elle avait déjà délimité le périmètre et renforcé son contour. Elle en était arrivée jusqu'aux genoux. Si elle prévoyait pour du long terme, il lui faudrait creuser plus profondément, encore vingt bons centimètres. Elle essuya les gouttes de transpiration de son front et enfonça la pointe de son outil dans la terre devenue molle. Cette activité lui occupait l'esprit et l'empêchait de s'effondrer. Elle n'avait pas pris le temps de penser, elle n'avait pas pris le temps d'assimiler les derniers évènements. Si elle le faisait, elle s'effondrerait. La peur de perdre Emma ne la quittait pas. Elle revit comme des flashs le visage d'outre-tombe de la veille d'Emma, elle revécut le moment où la jeune blonde était debout, hagarde, perdue au milieu du camp, elle ressentait à nouveau ses tremblements et sa fièvre.
Ses larmes se mêlaient à sa sueur et elle ne fit rien pour les sécher. Elle creusa avec plus d'acharnement et de rage. Elle ferait tout ce qui est en son pouvoir pour les sortir de là, toutes les deux.
Son cœur se serrait dans sa poitrine chaque fois que son esprit évoquait les scènes de la veille, chaque fois qu'elle pensait qu'elle avait failli la perdre. Il était hors de question qu'elles remettent à nouveau sa vie en danger. Avec ses aptitudes, elles pourraient survivre des semaines, des mois… suffisamment pour qu'Emma retrouve sa mobilité complète et qu'elles repartent, en toute sécurité, vers la civilisation. Ensemble. Emma et elle. Pas séparément et pas blessée. Jamais.
X
Dans l'après-midi, les deux femmes profitaient d'un moment d'accalmie. Elles paressaient toutes les deux au bord du fleuve. Emma était allongée sur la berge, les mains croisées sous la nuque et les jambes plongées dans l'eau. Le soleil recouvrait et chauffait son corps.
– Ça vous fait du bien ?
A quelques mètres d'elle, dans une cuvette naturelle, en bordure de plage, Regina trempait les vêtements sales et essayait de les laver à l'ancienne et de les rincer.
Emma tourna la tête dans sa direction :
– Oui, énormément. Et vous ? Vous n'avez pas réussi à concocter un savon naturel à senteur de pin ?
Elles rirent.
– Non, je n'ai pas poussé aussi loin mes études, lui répondit-elle avec bonne humeur.
– Vous voyez que vous pouvez faire preuve d'un certain sens de l'humour, quand vous voulez.
La Maire sourit. Emma se redressa sur ses coudes et s'exclama soudainement :
– Il faut très chaud. J'ai envie d'aller me baigner.
– Soyez prudente, voulez-vous. Ne vous éloignez pas.
– Regina, je vais bien. Il n'y a pas de souci.
Après une vingtaine de contorsions, Emma parvint à retirer son top et son short.
– Ça vous embête de me donner un coup de main jusqu'à ce que je puisse flotter toute seule.
Regina leva la tête et la découvrit dans ses sous-vêtements. Elle déglutit.
– Non. Non pas du tout.
Elle posa les linges sur le côté et se leva. Elle la rejoignit en cinq pas. Elle passa son bras dans le bas de son dos et Emma se maintint au niveau de ses épaules. Elles avancèrent doucement, la blessée sautilla sur un pied jusqu'à ce que l'eau les atteigne à mi-cuisses.
– Vous pouvez me laisser. Je me débrouillerai toute seule d'ici.
Regina lâche sa prise et s'assura que la jeune femme disait vrai. Emma s'agenouilla de sa jambe valide, en se penchant en arrière, tout maintenant l'autre droite devant elle. Elle s'enfonça dans l'eau jusqu'au cou.
– Oh punaise, ça fait un bien fou ! Vous devriez faire pareille, Regina. C'est revigorant.
Emma ferma les yeux et se laissa envahir par cette sensation de bien-être. Elle étendit les bras et sa jambe blessée, puis elle fit la planche. Elle effectua des mouvements circulaires des bras pour rester en surface, la tête légèrement redressée.
Regina resta plantée, là, hors du temps, à la regarder profiter des bienfaits de la fraicheur de l'eau. Sa peau laiteuse brillait sous les rayons du soleil et les reflets de l'eau formaient un halo lumineux tout autour d'elle. Ses cheveux d'habitude ondulés étaient alourdis et lisses. Ils lui collaient à l'arrière de la nuque pour se répandre, comme une auréole, autour de sa tête. Son corps était finement dessiné. Ses muscles, toujours apparents bien qu'elle ait perdu en masse musculaire en peu de temps, étaient ciselés au goût de la Maire. Son ventre et son bassin se mouvaient, ondulaient selon ses mouvements, comme une sirène. Regina était hypnotisée, prise par un enchantement, absorbée par la vue qui se dévoilait sous ses yeux.
Emma se redressa subitement et l'éclaboussa pour la sortir de sa torpeur. Regina releva les mains pour se protéger des projections :
– Mais … qu'est-ce que vous faites!? Arrêtez !
– Ce n'est qu'un peu d'eau, décoincez-vous ! Venez vous baigner avec moi.
– Je… Je ne préfère pas. Je dois terminer la lessive et m'attaquer au repas de ce soir.
– Vous avez tout le temps… Et je peux terminer de laver nos vêtements pendant que vous partirez chasser.
– J'ai beaucoup à faire.
– Vous trouvez toujours quelque chose à faire ! Ce ne sont que des excuses…
Et elle l'éclaboussa à nouveau.
– Mais arrêtez !
Emma plongea et nagea doucement, lentement, menaçante, jusqu'à elle.
– Emma Swan ! Ne tentez même pas ! cria-t-elle pour l'avertir.
Et la Maire fuit en faisant de grandes enjambées, en riant malgré elle. Mais pas assez. Deux brassées suffirent. Emma se tira à la force de ses bras. Puis elle saisit sa compagne par les genoux, la renversant en avant. Regina battit des mains pour se garder en équilibre. En vain. Elle fit un magnifique plat sur le ventre. Et elle fût complétement mouillée, des pieds à la tête, le short et le t-shirt inclus. La Shérif sortit la tête de l'eau pour se rendre compte du résultat et s'esclaffa.
– Comment osez-vous !? La menaça la Maire, sur un ton qui était à l'opposé de la remarque.
Elle mit ses mains bien à plat, légèrement incurvées et projeta, à son tour, des gerbes d'eau, visant les yeux de la blonde. Aveuglée et prise à contre-pied, Emma tenta de remettre ses cheveux en place et de s'éloigner de l'attaque. Mais c'était sans compter sur la rapidité de réaction de son assaillante. Celle-ci fléchit les jambes et se propulsa dans sa direction :
– Vous allez me payer !
Elle la poussa en haut du bras gauche. Le choc était doux et tendre à la fois. Et elle l'entraina dans son élan. Emma gémit de douleur :
– Haaaa.
Regina lâcha immédiatement sa prise et se précipita à sa hauteur.
– Oh pardon, pardon… J'avais oublié… Est-ce que ça va ?
Alors Emma rit aux éclats et se dégagea de son emprise. Regina fut surprise, avant de réaliser :
– Espèce de … comédienne !
La jeune femme blonde voulut nager plus vite et plus loin. Cependant, les réflexes de la Reine étaient encore vivaces. Elle lui agrippa le pied valide pour la ramener à elle puis la saisit aux épaules. Et d'une poussée sûre, elle lui enfonça la tête sous l'eau.
– Demandez Grâce ! lui ordonna-t-elle.
Elle laissa Emma remonter à la surface et reprendre sa respiration. Celle-ci ne voyait toujours rien, les cheveux éparpillés devant ses yeux. Elle recracha l'eau qu'elle avait bue et pataugea dans tous les sens, désorientée. Regina reprit sa place derrière elle et annonça :
– J'attends ! et elle lui enfonça à nouveau la tête dans l'eau gentiment.
Quand Emma surgit à nouveau hors de l'eau :
– Grâce, votre Majesté ! Je vous demande Grâce ! dit-elle en éclatant de rires : Vous êtes la plus forte à ce jeu-là.
– C'est tout ce que je voulais entendre, lui rétorqua-t-elle. Puis la gagnante se retourna et se dirigea vers la rive : vous terminerez la lessive ! Je vais essayer d'attraper un volatile.
Emma leva les deux mains en signe de reddition, toujours amusée et satisfaite de ce moment de complicité.
X
Le restant de l'après-midi, Emma l'avait passé à construire à l'aide de 6 grosses branches, un module pour faire pendre une bouilloire avec sa suspension ou faire rôtir les deux proies que Regina avait rapportées de sa chasse. Elle les fit tourner doucement au-dessus du feu. Elle arrosa la chair de temps en temps avec le jus qui retombait dans la casserole placée sous les volatiles.
Le moment était propice à la discussion. Le sujet ne l'avait pas quitté de la journée. Elle avait cherché à apaiser son acolyte, à lui montrer qu'elle se portait comme un charme, que les soins qu'elle lui prodiguait étaient efficaces.
– Vous savez que je suis têtue…
Regina ouvrait un sachet de pâtes lyophilisées et s'arrêta dans son mouvement. Ce qu'elle avait craint toute la journée venait sur le tapis. Elle ne dit rien. Elle versa les tagliatelles dans la bouilloire en ébullition et referma le couvercle.
– 8 minutes et ce sera prêt. J'ai fait une salade de feuilles et de pissenlits.
– Ce n'est pas plus sécurisant de rester ici, vous savez. Avec ces bonnes odeurs, nous pourrions attirer un prédateur : un ours ou un loup.
Emma observait chacun de ses gestes. Elle ne la quittait pas des yeux. Tandis que l'objet de toute son attention évitait son regard et se concentrait plus qu'il ne fallait à ses tâches culinaires.
Regina ne voulait pas s'énerver à nouveau :
– Si ça l'est, lui répondit-elle sur un ton inhabituellement calme : C'est partir dans l'inconnu qui est dangereux. Je ne changerai pas d'avis parce que nous avons joué comme deux enfants dans la rivière et que vous avez monté cette espèce de support… Je sais que vous allez mieux. Et cela me rassure. Mais ça ne fait que 24h.
– Je suis une battante et vous aussi, Regina. Je préfère aller de l'avant, agir plutôt que de me cacher derrière un vain espoir.
Regina déposa les ustensiles et leva enfin les yeux :
– Si vous étiez en état, certainement, oui. Mais il y en a une des deux qui doit avoir l'esprit éclairé. Autrement, c'est stupide. Moi je préfère qu'on reste ensemble, à se soutenir mutuellement plutôt que de se disputer.
Emma tritura dans les braises du feu, frustrée. C'était la vérité, si elle n'avait pas été blessée, elles rebrousseraient chemin toutes les deux. Et il était plus prudent de rester ensemble. Savoir Regina dans la nature, sans aucun contact, risquer sa vie pour sauver la sienne, parce qu'elle se montrait obstinée… Elle avait enfoui cette pensée au fin fond d'elle, privilégiant, plus leur fuite que sa raison. Pourtant, elle insista :
– Je ne vais pas pouvoir attendre, ici, indéfiniment…
– Très bien. Je vous propose un compromis.
– Lequel ?
Elle était toute ouïe. C'était la première fois que Regina proposa une porte de sortie. Il semblerait qu'elle y ait réfléchi, elle aussi.
Ce qu'elle ne savait pas c'est la raison pour laquelle Regina avait cherché une solution. La Maire connaissait l'entêtement de la Shérif et elle avait peur que soit la situation entre elles ne dégénère et qu'Emma ne lui en tienne rigueur, après tout, c'était de sa faute si elles étaient coincées ici. Soit qu'elle profite d'un moment d'inattention pour fuguer, seule, à l'aventure.
Elle lui partagea le fruit de sa réflexion :
– Nous en avons encore pour deux jours de nourriture, que je peux rallonger avec les apports de la nature. Si, mardi soir, les secours ne sont pas là, nous remonterons le lit de la rivière, ensemble, jusqu'à notre point de chute. D'ici là, cela permettra à votre jambe de guérir et à vous de vous reposer un peu. Aussi, nous pourrons mieux nous préparer. Mes connaissances en la nature et votre arme nous aideront à nous ravitailler tout au long du chemin. Est-ce que cela vous convient comme marché ?
– Mercredi matin à la première heure ?
– Oui. Mercredi matin à la 1ère heure. Nous nous en sortirons, Emma. D'une façon ou d'une autre. Je vous le promets.
– Qu'est-ce qu'on va faire pendant ces 2 jours ?
– S'asseoir, se poser, réfléchir… Survivre. C'est déjà pas mal, non ? Il n'y a rien de mal à vouloir prendre un peu de temps. Enfin ! Arrêtez de prétendre que ça va. Je vois bien l'état de votre jambe. Même si elle est en voie de guérison, il fau semaines pour se remettre correctement d'une entorse.
– S'il s'agit bien d'une entorse.
– On peut s'arrêter de se mentir ?! Ce n'est pas un jeu ! explosa-t-elle.
La Maire se leva, contrariée. Elle jeta la cuillère qu'elle tenait en main et s'éloigna.
– Regina ! Revenez… Je suis désolée…
La jeune femme brune se drapa dans ses bras, à la recherche d'un peu de réconfort qu'elle ne trouvait pas près du feu. La nuit allait bientôt tomber et l'ombre des collines recouvrirait leur campement. Elle se sentait à nouveau tendue.
– Regina, entendit-elle, s'il vous plait… Vous avez raison. Mieux vaut jouer de prudence et de patience. Je vous le promets… Revenez maintenant.
La Maire se retourna et revint à ses occupations sans dire un mot. Emma respecta son silence et n'en ajouta pas davantage.
XXX
