Chapitre 12 – Camping 2.

La lune s'était levée et inondait leur camp de fortune. Elles s'étaient installées toutes les deux sur leur sac de couchage près du feu et écoutaient les bruits de la nuit. Emma avait pris appui sur la souche et jouait avec une brindille qu'elle enflammait puis éteignait.

– Tant qu'on est là, racontez-moi quelque chose, une légende, un mythe, n'importe quoi…

– Je ne suis pas une conteuse, rétorqua la Maire.

– Je suis sûre que vous devez les compter par centaines… qu'il y en a que vous avez racontées à Henry… Cela nous occupera jusqu'à notre coucher. Allons !

Regina soupira. Après tout, si cela pouvait aider à passer le temps … Et elle commença :

– C'est bon… Alors, c'est l'histoire d'un petit village, perdu dans le fin fond du Pérou. Magnalia. Il y a bien longtemps. Il était situé en bordure de colline, près d'un fleuve… comme celui-ci. La forêt qui l'entourait était dense et fournissait à ses habitants tout ce dont ils avaient besoin. Magnalia était prospère et ses habitants heureux d'y vivre. Pourtant… Peut-être avaient-ils abusé de ce bonheur ? Peut-être n'en étaient-ils pas plus reconnaissants et l'avaient-ils considéré leur bonheur comme acquis ? Personne ne pouvait le savoir. Quoi qu'il en soit, subitement, sans raison ni signaux, la famine et la maladie s'abattirent sur le village. Hommes, femmes, enfants, tous, un à un furent emportés par le malheur. Aucune famille ne fut épargnée. Et les morts se comptaient par dizaine.

– Wha, joyeuse, votre histoire ! Après on s'étonne pourquoi Henry était traumatisé, petit !

– Ne mêlez pas notre fils à ceci, voulez-vous ! Vous savez que jamais je ne lui ai raconté de tels récits…

– C'était pour rire, Regina. Détendez-vous !

– Hé bien si elle ne vous plait pas… C'est du pareil au même, je peux m'arrêter là.

– Non, non. Continuez… Je veux savoir la suite. Alors tout le monde est mort ?

– Non, imbécile, l'histoire serait finie ! Donc, il ne persistait que quelques survivants et le Chamane. Ils se tournèrent tous vers lui et lui demandèrent conseil. Celui-ci jongla avec ses runes, décrypta dans les viscères de bêtes mortes aux alentours. Il était persuadé qu'il s'agissait d'une malédiction, d'une punition divine, pour abus d'abondance. Alors il proposa aux survivants une cérémonie pour éloigner le mauvais œil. Ils devaient tous se rassembler, un soir de pleine lune dégagée…

– Heureusement que ce n'était pas dans le Maine, ils auraient attendu longtemps.

– Emma !

– Oui pardon. Poursuivez …

– Ils devaient se réunir donc et prier les dieux des âmes perdues… afin de faire totalement disparaitre le mal qui habitait le cœur des hommes et des femmes de son village, le Chamane créa et sculpta deux symboles, deux poupées.

– A la vaudou ?

– Si vous voulez. Vous pouvez ne plus m'interrompre ?

– Oui mais ce ne serait pas amusant …

Et Regina lui envoya à la figure sa serviette. Emma l'attrapa et rit.

– Bon, je continue. Une statue était faite de bois. Il l'avait sculpté avec détails. Cela lui avait pris des heures et des jours. Il l'avait paré de diamants et de feuilles d'or. Elle devait représenter la beauté et propager l'amour, la joie, le bonheur. L'autre, plus simple, plus sobre, creusée grossièrement et habillée d'un pagne de feuilles représentait la laideur et devait absorber la honte, le profit et la jalousie.

– Ha mais c'est comme Indiana Jones, en fait. C'est l'inverse, c'est ça ? C'est la beauté profonde et intérieure qui devait représentée par une statuette simple et la belle sculpture attire les convoitises ! Ha ! Je connais la chute, Mme Agatha Christie !

– Vous avez fini de spoiler des bêtises ?!

Interloquée, Emma se redressa :

– Vous connaissez ce mot « spoiler » vous ?

– Je vis avec un ado, Mademoiselle Swan. Ce n'est pas parce que je ne regarde pas la télévision, que je ne m'informe pas. Il faut vivra avec son temps… répliqua-t-elle, fière de sa répartie.

– Je suis curieuse de savoir quels sont les autres mots que vous avez appris… Mais bon… je veux la suite… Vous avez réussi, je suis tenue en haleine…

– Si seulement, cela pouvait vous faire taire !

– HA ! HA ! Allez, je vous écoute jusqu'au bout maintenant.

Emma mima la fermeture de sa bouche à clef et lança au loin cette clef imaginaire. Puis elle tendit la main pour demander à la Maire de poursuivre son récit.

Convaincue, celle-ci s'appuya sur son sac à dos, détendue et reprit :

– Au détour de cantiques et de danses, le Chamane transféra ces valeurs dans les poupées. Toute la nuit, jusqu'à ce que la lune disparaisse du ciel, ils s'en référèrent aux dieux. Puis le lendemain, la statuette qui symbolisait l'Amour fut élevée dans le centre du village, sur un autel. Depuis la prospérité fut revenue. Voilà, c'est fini, bonne nuit.

– Quoi ? C'est tout ? Qu'est-il arrivé à l'autre ?

– C'est une légende, Emma.

– Bien sûr, je vais me satisfaire de cette réponse ! Tout est possible à Storybrooke. Alors ? Qu'est-il arrivé à l'autre ? Il habite chez nous !?

Les yeux de Regina roulèrent jusqu'au ciel. Décidément, la Shérif n'était pas avare de commentaires stupides. Ceci étant dit, elle était bonne public.

– L'autre poupée a été jetée au fin fond de l'océan et n'a plus été revue depuis. Mais la légende veut qu'elle n'ait pas complétement disparu et qu'elle puisse surgir à tout moment, n'importe où dans le monde. Là où la reconnaissance du bonheur a disparu.

– Vous croyez qu'elle peut refaire surface ?

– Vous l'avez dit vous-même, tout est possible.

– Pourquoi m'avez-vous raconté cela ?

– Ce n'est pas ce que les campeurs font, le soir, autour d'un feu de camp ? Se raconter des histoires d'horreur pour se faire peur ?

– Si… si mais j'aurais préféré un truc plus … terre à terre qui se terminait bien.

– Ça se termine bien. Le village est heureux et eut beaucoup de petits habitants. C'est vous qui pinaillez pour des détails.

– Oui … oui … vous auriez pu vous abstenir de répondre à ma dernière question… Ce n'est pas parce que c'est une histoire que ça ne se réalisera jamais. Le doute est là, maintenant.

Regina s'amusait beaucoup. Cette histoire, elle venait de l'inventer dans de grandes lignes. Elle s'était basée sur celle qu'elle avait entendue dans un vieux film d'horreur raté, au détour d'une de ses soirées, seule. Elle n'admettrait jamais à personne qu'elle regardait, de temps à autre, en cachette un film ou l'autre.

– Peut-être qu'elle attend la bonne occasion, le bon lieu pour sortir de son bouquin et se concrétiser… Storybrooke, qui sait ?

La Maire ricanait silencieusement mais Emma pouvait l'entendre :

– Sérieusement, vous vous trouvez drôle ?

– Oui.

– Il faudrait vraiment revoir les bases de votre sens de l'humour.

– Bon, à vous !

– D'accord. Mais je change d'animation, sinon je ne dormirai pas. Le thème, dit-elle spontanément sans préparation : c'est soirée camping… Vous avez raconté une histoire qui fait peur… Mon jeu à moi, c'est… action ou vérité.

– Action ? Vous vous fichez de moi ? Vous n'êtes bonne à rien avec une patte en moins.

– Ecoutez qui se lâche, maintenant !

Et Emma lui renvoya sa serviette. Regina l'attrapa au vol en riant. Elle ne l'avait jamais entendu rire de façon si détendue et sereine. C'était comme si l'Ancienne Reine avait oublié qui elle était et s'abandonnait totalement. Son rire sonnait comme une douce mélodie à ses oreilles et cela lui plaisait. Elle se jura, intérieurement, de réitérer ces moments, dès que l'occasion se présenterait.

– Ok. Vérité et vérité.

– C'est vraiment une activité de pré-ado ! Cette idée ne peut être que la vôtre… Vous n'avez pas d'histoire, n'est-ce pas ?

– Cela vous étonne ? L'imagination a sauté une génération, vous devriez le savoir. Henry a tout hérité. Alors, vous avez mieux à proposer, peut-être ?

– Je ferai avec.

– Très bien. Vous avez droit à un Joker. Et promis, je commencerai doucement.

Regina ne la croyait pas. Elle haussa des épaules en attendant la première question.

– Ok, alors citez-moi une célébrité, une personne QUE JE CONNAIS que vous aimeriez baiser, épouser et tuer ?

– Mais c'est quoi ça pour une question ?

– C'en est une. Après ce sera votre tour. Et j'y répondrai aussi. C'est la règle : de poser des questions auxquelles nous devons nous-mêmes être soumises. Allez Regina, ça passe le temps. Vous avez autre chose à faire ? Non… Laissez-vous prendre par le jeu.

La Maire contesta entre ses dents, à quoi se rabaissait-elle, ici en ces lieux ?

– Si vous racontez un mot de tout ceci …

– Ce qui se passe dans ces bois, reste dans ces bois ! Si vous voulez on peut faire un pacte de sang. On se coupe la main et on se la serre.

– Mais vous n'êtes pas bien !

Et Emma rit aux éclats. Elle passait, contre toute attente, une excellente soirée, coupée de tout. Regina toussota un peu pour se reprendre et dit :

– Laissez-moi réfléchir. Morte ou vivante ?

– Mais beurk !

– Enfin ! Pas ça ! Vous savez ce que je veux dire… Morte, en admettant qu'elle soit en vie, ça vous va ?

Emma riait sous cape. Le premier degré de Regina ne la faisait pas marcher mais courir.

– Oui.

Elle était curieuse de son choix.

– Alors le plus facile : épouser. Probablement Barack Obama.

– Quoi mais pourquoi ?

– Ça ne fait pas partie des règles. Vous ne pouvez pas les changer quand ça vous arrange.

Aise de sa réponse et de la réaction de sa compagne, Regina songea à la réponse suivante.

– On a une longue soirée d'été à tuer, rien n'empêche que les réponses soient des sujets de discussion… La règle n'est que celle qu'on s'impose.

– Pourquoi j'ai cette sensation de me faire avoir ?

– Mais où allez-vous chercher tout cela ? Vous êtes parano !

– Parce que tout ce qui traverse votre petite cervelle de moineau a des sous-entendus… Mais je m'y plierai. J'adore jouer et je ne perds jamais !

Le sourcil droit d'Emma se suréleva. Intéressant, pensa-t-elle pour elle-même. Regina répondit à sa demande :

– Je trouve cet homme beau, attirant, intelligent, drôle, prévenant et toujours très élégant. Il semble attentif et à l'écoute. Il n'a pas peur de mouiller sa chemise, comme on dit. Et la galanterie, dans ce monde féministe, a encore toute son importance. Je trouve cette qualité très rassurante et séduisante. Cela vous va ?

– Rien que ça ? Vous êtes sûre que vous n'exagérez pas un peu ? Un sentiment de jalousie s'installa chez la jeune Shérif : Je crois que je ne vous ai jamais entendu parler en bien de quelqu'un. Même pas un compliment… Alors, il va me falloir toute la nuit pour m'en remettre.

– Prenez-en de la graine. Vous devriez le prendre en exemple. Ça vous changera.

– Si ça se trouve, de l'autre côté de l'écran, à la maison, c'est une chiffe molle, sans caractère, totalement contrôlée par sa femme.

– Si mes réponses ne vous plaisent pas… ne me posez pas de questions ! Bien la suivante… Baiser, alors ? s'amusa-t-elle à prononcer pour détourner la tension vers un sujet plus frivole.

– Yep.

Emma ne se décrispait pas. L'attirance que Regina avait pour Obama et la façon dont elle l'avait décrit lui déplaisait fortement. Bien qu'elle savait que c'était ridicule, elle ne parvenait pas à prendre du recul.

– Baiser ou une nuit de folle passion ? demanda l'Ancienne Reine pour détendre l'atmosphère.

– Choisissez. De toute façon, vous ne me donnerez pas de plus amples explications.

– Alors je choisis Emma Peel.

– Qui ?

– Vous pourrez vérifier lorsque nous serons de retour à Storybrooke que ce personnage existe bien. C'est une célébrité. Je ne donnerai pas d'autres noms… Si je dois me fier uniquement à vos connaissances, je crains que mes goûts en matière de sexe ne soient pas présents dans votre liste restreinte de personnalités.

– Vous auriez pu me citer, osa-t-elle rétorquer.

– Vous avez dit personnalité ou célébrité, vous n'êtes ni l'une ni l'autre.

– Ouch ! Emma se tint le cœur, comme si elle avait été frappée : ça fait mal, ça !

– Que je reconnaisse que vous n'avez pas de personnalité ? Mais je pensais que vous le saviez…

– Ok, ok, on va arrêter les tirs à boulet rouge ! Mais qu'est-ce que je vous ai fait !

– Vous me faites participez à des jeux ridicules ! lui rétorqua-t-elle, feignant l'ennui. Cependant, même sous la torture, elle ne le reconnaitrait jamais, elle s'amusait beaucoup : à votre tour, maintenant.

– Bien, très bien ! Alors « Tuer ».

– Tuer : Mmm je crains que la liste soit longue.

– Je m'en doutais. Une seule personne, Evil Queen ! Une seule.

– Vous n'êtes pas drôle.

– Vous non plus, rétorqua-t-elle souriante à travers les flammes orange et vives : Alors ?

– Vous auriez dû me poser la question, il y a quatre ans.

– Pourquoi, il y a quatre ans- ? Ha, ha. Très malin. C'est moi n'est-ce pas ?

– Je ne peux rien vous cacher ! Quel pouvoir de déduction ! répliqua-t-elle sur le ton de la moquerie : Vous voilà dans une de mes réponses, alors heureuse ?

– Allez Regina, jouez le jeu.

Le visage de la jeune femme brune redevint plus sérieux :

– Je ne sais pas Emma... Joker. Maintenant que je connais la valeur de la vie… Et l'importance de la seconde chance qu'il m'ait été donnée… Je n'ai plus envie de tuer quelqu'un, même si c'est dans mon imagination. Vous comprenez ?

Emma ne disait rien mais hochait la tête. Plus elle en apprenait sur la Maire, plus cela la surprenait.

– Et bien, nous avons fait le tour de mes fantasmes, maintenant, laissez-moi en apprendre sur les vôtres.

– Le plus facile pour moi, actuellement.

Regina leva à nouveau les yeux au ciel en anticipant sa réponse. Mais elle fut toute autre :

– Tuer le serial killer qui sévit à Storybrooke.

La Maire faillit en avaler sa salive de travers. Elle ne s'attendait pas du tout à ce retour.

– C'est la première chose à laquelle vous pensez ?

– Oui.

– Pourquoi ?

Regina la regarda attentivement. Quelque chose avait changé chez le Shérif à l'évocation de ce tueur en série. C'était comme si son aura s'était obscurci, son regard était sombre, ses gestes plus durs. De sombres pensées l'envahissaient et prenaient possession de son esprit.

– Sans lui, nous ne serions pas ici… Et il se moque de moi, Regina. Il agit en toute impunité, sous mon nez. Personne ne s'en rend compte, sauf moi, et ça l'autorise à poursuivre ses meurtres… Je l'imagine tous les soirs calculer, planifier et rire à mes dépends. Alors c'est le premier de ma liste, sans aucune hésitation.

– Vous réfléchissez trop loin, Emma.

Elle se leva de son emplacement, instinctivement. Puis se rassit à ses côtés. Les lueurs des flammes traçaient des ombres mobiles sur le visage de la Shérif. Son visage était fermé, elle fronçait des sourcils. Elle était déterminée.

– Ce n'est pas personnel.

– Si ça l'est. Je suis la seule à savoir et il le sait. Il n'y a qu'une façon d'y mettre un terme, de l'empêcher de nuire à jamais.

– Vous n'êtes pas seule : il y a votre père et moi. Et il ne sait rien. Parce que nous avons le contrôle. Pas de ses crimes, mais de sa communication. Rien n'a filtré, Emma. Il ne sait pas que nous savons, il ne sait pas que vous savez. Et c'est très bien. S'il croit que vous êtes une idiote-

Emma la regarda de travers :

– Vous ne m'aidez pas, là …

– Ecoutez-moi un instant. C'est un avantage qu'il se croit impuni et invisible. Trop orgueilleux et confiant, il finira par commettre une erreur qui lui sera fatale. Et c'est là que vous lui tomberez dessus. Montrez-vous plus intelligente que lui. Tout est une question de stratégie…

– En attendant, il assassine d'innocentes personnes.

– Je sais, mais c'est lui qui faut blâmer et non vous.

La jeune femme blonde cassa des morceaux de brindilles et les jeta un à un dans le feu. Cela lui donnait l'impression de passer ses nerfs sur quelque chose. Même si elle semblait distraite, elle écoutait attentivement. Les mots de Regina l'apaisaient. La Maire lui confessa :

– Sandrine établit un recensement de la population fixe de Storybrooke et j'ai l'intention de demander au conseil de mettre en place une douane. Vous avez soulevé un lièvre, Emma : il y a une faille dans notre système.

La Shérif tourna son visage dans sa direction, interrogateur.

– Vraiment ?

Regina hocha la tête, positivement et pour l'encourager :

– Tout le monde peut entrer à Storybrooke et avoir de mauvaises intentions. Nous devons protéger notre ville.

Elle posa la main sur sa cuisse. Ses intentions étaient de donner du poids à ses paroles et lui transmettre sa confiance en elle :

– Et c'est grâce à vous, que nous nous en sommes rendu compte. S'il est parmi les invisibles ou les navetteurs, nous finirons par le trouver.

– Et si ce n'est pas le cas ?

– L'étau se resserrera. Nous passerons les registres au peigne fin.

– Ça prendra des semaines !

– Peut-être que ça n'avancera pas assez vite à votre goût, mais c'est déjà un début. Et je me répète, vous n'êtes pas seule…. Alors sortez ce monstre de votre tête, ne le laissez pas prendre ce qu'il y a de bon en vous. Réfléchissez avec votre cerveau et non avec vos émotions. Il ne mérite pas votre attention ! Et il ne vaut pas la peine que vous jeopardisiez vos valeurs et que vous noircissiez votre cœur.

– Je dois protéger Storybrooke.

– Pas de cette façon. Sinon, vous le regretterez toute votre vie.

Emma regarda à nouveau le feu, le regard perdu, pris à parti par sa colère et sa peur et ce que Regina lui disait.

– Regardez-moi, Emma.

La Shérif tourna la tête. Ses yeux brillaient, sous l'éclat du feu qui crépitait.

– Vous n'êtes pas seule. Et je ne le laisserai pas corrompre votre âme. Dussé-je lutter contre vous-même.

– Pourquoi faites-vous cela ?

– Parce que vous êtes la mère d'Henry, répondit-elle trop rapidement : Si je n'agis pas, il m'en voudra toute sa vie.

Regina se leva. L'ambiance avait changé. Son cœur battait dans sa poitrine. Un petit peu plus fort, un petit peu plus vite. Elle se sentait concernée par les intentions de la Shérif, mais la réaction de son corps aux paroles qu'elle venait de prononcer la déconcertait. Elle avait besoin de prendre ses distances et elle avait besoin de l'air.

– Je reviens, je vais chercher de l'eau à la rivière.

– Tout va bien ?

Pour ne pas l'inquiéter, Regina posa sa main sur son épaule tout en se retournant :

– Oui, j'ai soif et il me faut la bouillir avant.

Elle prit la casserole. Emma la regarda s'éloigner du camp, sans la retenir. Ces deux derniers jours avaient dû être éprouvants pour la Maire. Jamais elle ne s'était montrée aussi ouverte et exposée. Si c'était dans sa nature à elle de dire tout ce qui lui passait par la tête, c'était tout le contraire pour son acolyte. Quels efforts avait-elle déployés pour s'être montrée si accessible ? Si sensible ?

Emma s'allongea et regarda le ciel étoilé qui annonçait une autre nouvelle journée de chaleur.

Vivre… survivre dans les bois, à l'écart de tout et de tous avaient de quoi exacerber les émotions des personnes les plus solides. Face à face, sur ce camp de fortune, il n'y avait nulle part où se réfugier et personne d'autre à qui parler. La réalité et la littérature avaient prouvé que deux options se présentaient aux survivants en mauvaise posture : s'entretuer ou s'unir pour confronter l'adversité. Dieu merci, elles n'avaient pas traversé cette expérience la première année de son arrivée. La finalité aurait été toute autre. Aussi, elles n'avaient pas à se plaindre du cadre dans lequel elles se trouvaient. Cela aurait pu être pire.

La jeune femme blonde sourit à la tournure des événements de ces derniers mois. Elle pensa à ce rapprochement entre elles. Une réelle toute autre finalité.

Un peu plus loin, Regina s'agenouilla au bord de la berge et plongea le récipient pour le remplir d'eau. Elle expulsa une longue expiration qu'elle n'avait pas pensé avoir retenue. Elle ferma les yeux. Elle reconnut le murmure de la rivière glisser sur les pierres plates, le hululement d'une chouette délimitant son territoire et le chant des grillons amoureux. Ce silence de la nuit la détendait. Une légère brise vint caresser et rafraichit sa peau chaude. Elle se laissa envahir par ses sensations. Elle huma l'air et ses odeurs. Tout était si paisible et si … simple, ici.

La jeune femme ouvrit les yeux. Elle déposa la casserole pleine sur le côté et s'assit, plia les genoux et croisa les chevilles. Elle rassembla ses jambes près d'elle en les maintenant à l'aide de ses mains jointes. Que lui arrivait-il ? Les images se succédaient comme des fantômes. Elle avait beau élevé ses barrières, dès qu'elle se trouvait en la présence de la blonde, celles-ci s'affaissaient immédiatement. Pourquoi se dévoilait-elle avec une telle aisance ? Pourquoi n'avait-elle plus aucune pudeur ? Dès que son amie lui posait une question, elle y répondait spontanément. C'était probablement dû à la fatigue… ça ne pouvait être que ça. Mais la réaction de son corps, tout à l'heure, avait accompagné son engagement. Ce rapprochement avec Emma devenait également physique, il semblait plus profond.

Un bruit de masse qu'on tire sur des cailloux l'extirpa de sa torpeur et elle tourna immédiatement la tête dans sa direction.

Emma se trainait à l'aide de deux béquilles faites maison jusqu'à elle.

– Emma, que faites-vous ici ?

– Je vous ai appelée et vous ne m'avez pas entendue. Cela fait une demi-heure que vous êtes partie. Tout va bien ?

– Oui. J'avais besoin d'un peu de solitude. Retournez au camp ! Je ne vais pas tarder.

La Shérif poursuivit sa pénible démarche, en ne prenant pas garde des recommandations de la Maire :

– Vous êtes une solitaire, c'est vrai… mais vous n'aimez pas la solitude. Je vous connais. Qu'est-ce qu'il se passe ?

– Rien. Laissez-moi tranquille ! Vous n'avez pas à vous inquiéter. Je vais bien.

Emma était arrivée à sa hauteur et laissa choir ses béquilles. Ce qui fit taire tous les bruits de la nature. Regina rouspéta. La jeune femme blonde tenta de garder l'équilibre en essayant de s'asseoir. Ce ne fut pas une mince à faire, sans aide ni appui, mais elle y parvint, à force de volonté. Elle attendit patiemment que la Maire parle, qu'elle se confie. Mais rien ne vint. Son regard était perdu de l'autre côté de la rive. La regardait-elle au moins ? Peu à peu, les chants, les cris, les sons se confondaient à nouveau au silence. Et Emma s'en inspira comme Regina l'avait fait avant elle. Elle en profita pour reprendre son souffle et décontracter ses muscles endoloris. Incapable de rester immobile, elle prit des petits cailloux qu'elle lança dans l'eau. Au bout d'un long moment de réflexion, forte de ses conclusions intérieurs et convaincue que le mal-être de Regina provenait de leur proximité, elle promit :

– Jamais je ne me servirai de ce que nous partageons… Jamais. Vous pouvez me faire confiance, Regina. Je suis fatiguée, je vais me coucher.

Regina la retint :

– Attendez !

– Qu'y a-t-il ?

– Il vous reste encore deux réponses à me donner.

– Lesquelles ?

– Baiser et épouser.

Emma rit et se prit au jeu. Elle se réinstalla sur ses fesses :

– Alors épouser, sans hésitation, Noami Watts.

Regina s'exclama immédiatement :

– Oh, oui ! Excellent choix ! Une magnifique femme et actrice ! C'est vrai qu'elle-

– Comment pouvez-vous la connaitre, si vous ne regardez pas la télévision ?

Regina fut prise au piège. Il n'y avait aucun moyen pour elle ne s'en sortir. Cette célébrité n'était connue dans une seule branche : les écrans. Petit ou grand. Séries ou film. Elle n'avait aucune échappatoire.

– Joker !

– Vous vous en êtes déjà servi ! Alors, répondez ! Vous regardez la TV, n'est-ce pas ?

– Je n'ai pas à vous répondre.

– Qui ne dit mot consent ! Vous la regardez en cachette, n'est-ce pas ? Même Henry ne le sait pas ! Quand ? Que regardez-vous ?

Emma changea de ton et devint suspicieuse :

– Vous regardez les Disney, en cachette !? Avouez !

– Mais d'où sortez-vous ce genre de réflexions !

Et Emma se roula au sol presque, se tenant les côtes de ses éclats de rire. Elle imaginait très bien The Evil Queen, sous la couette, le PC allumé, le casque sur les oreilles à se passer tous les dessins animés de la célèbre Maison de Mickey. Regina se mit à la frapper sur le bras, à plusieurs reprises :

– Voulez-vous bien cesser immédiatement vos enfantillages ! Je vous interdis d'élucubrer sur quoi que ce soit en rapport avec moi !

Le Shérif riait toujours. Voir la Maire se mettre dans cet état pour un plaisir inavoué était hilarant. Celle-ci continua à la marteler de gentils coups et d'avertissements :

– Arrêtez, je vous dis !

– Ou quoi ? Vous allez me punir ? Oh oui, Regina, punissez-moi …, se lâcha-t-elle : Vous l'avez déjà rêvé, j'en suis sûre !

– C'est bon, j'ai compris, je m'en vais !

– Vous battez en retraite ? Je pensais que vous ne perdiez jamais !

Cette conversation échappait à son contrôle. La Maire n'avait plus d'emprise sur les délires de la Shérif. Et cette dernière s'en donnait à cœur joie. Alors, elle se leva, reprit la casserole et la planta, là, sur la plage, comme une tortue gigotant sur le dos.

– Hé, Regina, attendez… Aidez-moi à me relever !

– Vous vous êtes débrouillée pour venir ici toute seule, vous ferez bien le chemin inverse !

– Et on n'a pas fini de jouer… Je n'ai pas encore dit avec qui je souhaite coucher…

Regina haussa des épaules dans une indifférence totale. Elle regagna le camp sans se retourner.

XXX