N/A : Je tenais à vous remercier pour vos commentaires sur ces derniers chapitres. C'est motivant et encourageant de voir les réactions que l'écriture, l'intrigue et la personnalité provoquent, les réflexions qu'elles apportent.
Merci… et surtout n'arrêtez pas :)
Chapitre 13 – Camping 3.
Emma s'éveilla au petit matin, plus tôt que les jours précédents. Les courbatures dues à sa mauvaise position sur son lit de camp et les douleurs lancinantes de sa jambe l'avaient tirée de sa nuit sans rêve. Les oiseaux chantaient déjà alors que le soleil était à peine levé. Elle grommela. Quelques faibles rayons traversaient les branchages qui se balançaient sous l'effet d'un petit vent et dansaient en ombres chinoises sur la toile. La Shérif se retourna sur son matelas. Regina n'était plus à ses côtés. Comme à son habitude, depuis qu'elles étaient parties, elle était la première à se lever et à se lancer dans les préparatifs du matin.
La veille, Emma l'avait rejointe sous la tente. Elle souhaitait discuter encore un peu pour dissiper tout malentendu. Mais la jeune femme brune était allongée, la tête tournée vers l'extérieur, les yeux clos et la respiration profonde et régulière. Ou elle feignait de s'être déjà endormie ou elle dormait du sommeil du juste. La Shérif ne pouvait pas le déterminer. Mais elle n'avait pas découché, ce qui était bon signe. Résignée, elle se coucha à ses côtés en veillant à ne pas la toucher ou la bousculer. Assommée par tous les efforts fournis tout au long de la journée, elle avait sombré rapidement.
Encore à moitié endormie, Emma avança à quatre pattes vers l'ouverture et dégagea les deux pans. Elle sortit la tête et chercha, dans toutes les directions, la présence de son ainée. Elle entendit, au loin, un clapotis qui attira son attention. Au bord de l'eau, entre deux arbustes, elle la découvrit qui entrait dans l'eau douce. Profitant probablement d'une certaine tranquillité matinale et de solitude, elle s'était totalement déshabillée. Emma sortit de sous la tente. Elle abandonna l'idée de prendre ses béquilles, trop encombrantes sur le coup. La vision de Regina dans ces eaux étincelantes était divine et, hypnotisée, elle voulait se rapprocher sans bruit, pour pouvoir la contempler. Elle rampa presque, jusqu'aux hautes herbes, en bordure de rive. Les tiges de roseaux plièrent sous son poids et elle écarta les grandes feuilles de fougère. Alors, elle put la voir dans toute sa splendeur. Regina avançait, le dos tourné, nue et les cheveux lâchés, assurant chacun de ses pas, les mains légèrement écartées pour maintenir un semblant d'équilibre. Féline, fine, somptueuse. Elle remorqua, à l'aide d'une cordelette attachée à son poignet, une bassine de laquelle sortait son nécessaire de toilette. Sa peau hâlée brillait dans l'aurore chaleureux. Arrivée à bonne hauteur, elle s'enfonçait doucement jusqu'au cou et se baignait. Prudente, elle fit quelques brasses, longeant la berge, évitant le milieu du lit et le courant, au centre. Il pouvait se montrer instable et entrainant.
La Shérif sentait son sang lui monter aux joues et ses nerfs battre aux tempes. Son rythme cardiaque augmentait au fur et à mesure que son regard glissait sur la nymphe au milieu des eaux. Elle se mordilla la lèvre inférieure et pouvait sentir la chaleur irradier de son bas ventre.
La Maire se leva et prit un carré de savon. Elle se frictionna la peau avec délicatesse. Elle passa le savon d'abord sur sa poitrine, se caressant gentiment les seins, puis elle redescendit vers son ventre et ses côtes, appréciant le contact soyeux de la mousse légère sur sa peau. Ses mains glissèrent sur son corps avec aisance, laissant des trainées onctueuses derrière elles… Douces, comme de la soie, pensa la Shérif.
Regina dût se sentir épiée, car elle leva les yeux précisément dans la bonne direction et repéra la jeune femme :
– Je ne vous connaissais pas voyeuse, Miss Swan.
Prise la main dans le sac, mais assumant ses intentions, Emma se redressa de sa cachette et s'éloigna des buissons. Confuse, la Maire insista et précisa :
– Ayez l'amabilité de vous retourner et de respecter mon intimité.
Mais Emma ne dit rien. Elle était concentrée, fermée. Elle s'approcha, clopinant, boitant. Chaque pas était une souffrance qu'elle retint. Elle serra les poings, crispa la mâchoire pour contenir la douleur.
– Il y a tant de choses que vous ne savez pas encore sur moi, affirma-t-elle sans un sourire.
Même si sa démarche était maladroite, son regard, quant à lui, était franc. Elle était déterminée, elle savait exactement ce qu'elle voulait. Et elle comptait l'obtenir. Au bord de l'eau, la jeune femme blonde se défit un à un de ses vêtements de nuit : le t-shirt suivie de la culotte. Puis, nue également, elle entra dans l'eau d'un pas mal assuré, essayant d'alléger sa cheville endolorie.
– Emma … ne … s'il vous plait !
Désarçonnée, Regina ne reconnut pas sa propre voix. Elle était faible, hésitante, presque fluette. Sa bouche était sèche : elle avait perdu toute sa verve. L'Ancienne Reine avait du mal à retrouver une respiration calme et elle sentait son assurance lui filer entre les doigts. Le temps s'était arrêté. Le monde s'était arrêté. Elle n'entendait plus le murmure de la rivière, elle n'entendait plus le chant des oiseaux. Plus rien n'existait autour d'elles. Elle n'avait d'yeux que pour la blonde qui s'avançait, confiance. Elle avait envie de la rejoindre, elle avait envie qu'elle poursuive son avancée, elle avait envie de la sentir proche, plus proche encore. Mais c'était contre sa raison. Et elle lui dictait d'autres recommandations :
– Emma…
La jeune femme ne disait toujours rien. Elle s'approchait davantage, en ligne droite, provocante, menaçante. Elle ne la quittait pas du regard :
– Que … faites-vous ?
Sa peau laiteuse et fragile contrastait avec son corps sec et musclé. Ses longues boucles blondes couvraient ses seins. La Shérif rayonnait dans la lumière du matin et la regardait avec amusement. Les joues de la Maire rosirent pour la première fois depuis leur rencontre.
Arrivée à sa portée, Emma posa sa main sur son épaule et la caressa doucement. Douce comme de la soie, répéta-t-elle pour elle-même. Les gouttelettes étincelaient sur sa peau humide et ruisselaient sur son corps, à son contact. Elle profila la ligne de son bras, puis elle lui prit la main :
– J'aimerais t'embrasser.
– J'ai envie de t'embrasser aussi.
– Bien ! Parce que quand je commencerai, je ne sais pas si j'arriverai à m'arrêter.
– Je… On ne devrait pas. Ça ne nous mènera nulle part, ça ne fera que compliquer les choses.
– Qu'est-ce que ça peut faire ? On est bien… en sécurité.
– Nous ne le sommes pas. Nous sommes perdues au milieu de nulle part, à la merci de nos sentiments. On ne voit plus clair.
– On n'est pas parfaites. On est juste … des gens… On ne fait de mal à personne ! Tu la ressens, non ? Cette alchimie entre nous. Ne me dis pas que tu ne la ressens pas toi aussi.
C'était plus qu'il n'en fallait pour l'arrêter. Regina se reprit aussitôt. Un changement s'opéra dans son attitude et dans ses pensées :
– Il n'y a rien, Emma. Ecoute, tu te trompes.
Elle tenta de la repousser à nouveau :
– C'est un contrat entre nous. Et tu te méprends. On a pris du plaisir, toutes les deux. Sans prise de tête. Peut-être que ça a obscurci ton jugement…
Emma attira Regina à elle et l'enlaça :
– Je ne crois pas que mon jugement soit obscurci.
Les deux cœurs s'unirent dans un battement harmonieux. Leur poitrine était collée l'une à l'autre, la chaleur de leur corps se mêlait et se confondait. Le souffle tiède d'Emma effleura le cou de la Maire et provoqua un frisson qui la parcourut jusqu'au fond de son âme. Puis, ne pouvant se contenir plus longtemps, la Shérif se pencha pour l'embrasser.
La jeune femme brune la freina dans ses intentions et son mouvement. Elle posa ses paumes sur ses clavicules. Ses gestes étaient hésitants, amortis, peu convaincants. Elle luttait contre elle-même. Mais il lui fallait maintenir la distance, la tenir le plus éloignée d'elle. Elle suffoquait.
– Emma… Non.
La jeune femme blonde parsemait sa joue de baisers sans en écouter les recommandations :
– Chuuuut ! Je sais que tu en as autant envie que moi.
– Non ! … Non ! … dit-elle en secouant la tête, même si tout son corps exprimait le contraire.
La tension était intense. Regina savait qu'elle allait au-delà d'elle, que c'était plus fort qu'elle.
– Pas ici, pas maintenant.
– Justement, c'est le moment et le lieu idéal, chuchota-t-elle pour toute réponse.
Regina détourna la tête, pour esquiver le baiser. Il fallait qu'elle y mette un terme :
– Samois ! proféra-t-elle.
Comme si Emma avait été sous l'emprise d'un sort, ce mot déclencha une réaction instinctive et elle recula immédiatement d'un pas :
– Regina, ne dites pas ça ! Tout mais pas ça ! supplia-t-elle, interdite.
Son corps était en retrait mais sa tête ne demandait qu'à la reprendre dans ses bras, à la supplier de poursuivre là où elles en étaient restées. Consternée, Emma demanda :
– Pourquoi ?
Regina reprit le contrôle de ses pensées et de ses actes. Sa posture se fit plus droite, plus confiante :
– Les termes étaient clairs. Nos accords ne sont plus respectés, rétorqua-t-elle platement : Soyons intelligentes. Ni toi, ni moi n'avons besoin d'engagements. Restons-en là.
La Maire feignait l'indifférence. Nues, seules, au milieu des eaux, cela lui semblait si … hors contexte, inadéquat. Alors elle fit quelques pas pour contourner la Shérif et mettre de la distance entre elles.
– Quels accords ?
– Cela devient compliqué Emma… Et je ne fais plus dans le compliqué.
– Que veux-tu dire ?
Le visage de Regina se ferma, elle fronça les yeux :
– Je n'ai pas d'explications à vous donner.
Et là-dessus, elle lui tendit la cordelette et prit ses distances. Elle retourna au campement sans se retourner.
Emma s'abaissa et s'enfonça dans la profondeur, tête comprise. Frustrée et contrariée, elle hurla de toutes ses forces, au point d'en expulser tout l'air de ses poumons. Elle se recroquevilla et serra ses jambes contre elle, pour ne former qu'une boule. Naturellement, elle remonta à la surface et elle se détendit. Le visage à l'air, elle se mit à respirer normalement. Le son des cascades murmurait sourdement dans ses oreilles. Elle repensa à leurs échanges. Les signaux étaient bien présents. Regina, son visage, son corps, répondaient en écho à son approche. Elle l'avait perçue prête, en accord… Accords. Quels accords avaient été rompus ? Tout en réfléchissant, elle tira la bassine à elle pour se laver également. Elle constata que ses affaires n'étaient pas dedans. Elle sourit à l'occasion qui venait de se présenter.
Au camp, Regina s'était habillée avec empressement. La chaleur qui s'était répandue dans son ventre ne disparaissait pas. Elle devait occuper son esprit. Elle essuya ses cheveux et mit à sécher sa serviette sur une corde tendue entre deux arbres. C'était mieux ainsi. Plus prudent. La situation risquait de devenir hors contrôle.
Un craquement. Elle se retourna brusquement et se retrouva, à nouveau, nez à nez, avec Emma, nue et fière. Elle avait récupéré une branche solide sur laquelle s'appuyer pour revenir au foyer.
– Qu'est-ce que vous faites ? demanda la Maire.
Ses muscles se raidirent, son visage se ferma. Regina était sur la défensive.
– Je viens chercher mes affaires pour me laver, répondit-elle nonchalamment.
Et en effet, Emma entra dans la tente, sans prêter plus d'attention à son acolyte. Regina la suivait des yeux. Elle suivait la ligne de son dos, la courbure de ses reins, la forme de ses hanches et ses fesses rondes quand elle se baissa pour se faufiler dans son abri.
L'Ancienne Reine détourna les yeux, embarrassée par sa propre attitude contradictoire. Son cœur s'emballait à nouveau. Elle lui tourna le dos pour éviter toute autre tentation. Elle entendit Emma sortir et récupérer ses béquilles.
– A tout à l'heure.
C'était au tour de Regina de rester silencieuse. Celle-ci se lança, tête perdue dans la préparation du déjeuner, sans accorder plus d'attention que nécessaire à ce qui venait de se passer. Elle devait pêcher, mais ça attendrait le retour de la jeune blonde. Elle ne se mettrait pas, à nouveau, dans un tel embarras.
Plus loin, Emma s'en alla clopinant, son nécessaire de toilette sous le bras. Elle eut la confirmation de la portée de ses réflexions. Regina perdait contenance en sa présence et ce n'était pas que sexuel. Il y avait autre chose. Mais le pacte était rompu… Aussi, elle pensa que ce qui était une fin était également un commencement. D'autre chose… où tout lui était dorénavant permis. Et cette pensée l'encouragea dans ses prochaines actions. Elle ne perdit plus une minute et se dépêcha de se rafraichir pour mettre son plan à exécution.
Pendant ce temps, la Maire réactiva le feu. Elle plaça des branchages secs et une grosse bûche au centre. Ensuite, elle prit la bouilloire et la mit à chauffer. Elle disposa les assiettes, les couverts et les tasses en fer blanc, près du feu. Elle récupéra une casserole et s'apprêta à partir à la recherche de fruits rouges sauvages. Elle agissait comme un automate, empêchant son esprit de dévier. Chaque fois qu'elle le sentait partir vers la rivière, vers la silhouette mince qui l'attendait, qui l'appelait comme le chant d'une sirène, elle le ramena vers ses tâches rébarbatives. Puis Emma la fit sursauter et l'interrompit à nouveau dans ses occupations :
– Qu'est-ce qui vous manque le plus ?
Interpelée, Regina leva la tête et, comme si l'histoire se répétait encore et encore, Emma était devant elle, debout, nue.
– Vous ne pouvez pas vous habiller une bonne fois pour toutes ?
– Rien ne vous empêche de regarder ailleurs. Je n'ai pas les mains libres pour tout emporter avec moi. Et je doute que vous m'auriez fait l'honneur de m'apporter mes vêtements. D'où ma présence. Alors retournez-vous, si ma nudité vous gêne !
– C'est un comble !
– Pourquoi êtes-vous si tendue ? Il y a une loi contre le fait de vous adresser la parole tout en me revêtant ?
Poussée dans ses retranchements, la Maire se leva, piquée à vif :
– Je vais pêcher. Il nous faut manger et emmagasiner des forces … Nous partons dans deux jours.
– A ce propos…
– Quoi ?!
Regina était crispée, ses muscles contractés. Elle sentait ses nerfs tambouriner à ses tempes. Cinq minutes avec la blonde et elle était déjà à bout. Que lui arrivait-il ? A contrario, Emma était détendue, calme et patiente. Elle souriait des émotions qu'elle provoquait chez sa compagne :
– J'ai réfléchi et je pense que vous avez raison.
– Je sens que je ne vais pas aimer la suite ! A quel sujet ?
Elle était à l'affût de la moindre répartie de la Shérif. Cette attitude nonchalante ne lui ressemblait pas. Elle sentait que cette dernière tramait une quelconque stratégie.
– Je crois qu'il serait plus prudent que nous restions ici encore quelques jours.
– Comment ?!
Regina n'en crut pas ses oreilles. De qui se moquait-elle à être versatile ? Cette réflexion dénotait totalement de ce qu'elles avaient prévu et préparé. Et c'était si inattendu … Pourquoi un tel changement de comportement et un tel revirement de situation ? Qu'avait-elle en tête ?
– Ma cheville n'est pas du tout remise et je n'ai pas été prudente tout à l'heure… Si vous voyez ce que je veux dire… Je ne suis pas capable de marcher, ne fusse que 10 mètres… Alors vous pensez bien, rebrousser chemin avec un sac à dos plein… Non, c'est impossible de partir demain… , expliqua-t-elle innocemment.
– Mais vous étiez même prête à partir toute seule !
– Et j'avais tort. C'est plus raisonnable d'attendre ici les secours. Je suis sûre qu'ils nous trouveront. Et si ce n'est pas le cas… Nous survivrons jusqu'à ce que je me rétablisse et que nous rentrions par nos propres moyens. Alors …
Regina était abasourdie. Elle ne sut que penser :
– Pourquoi ?
– Pourquoi quoi ?
– Pourquoi avez-vous subitement changé d'avis ?
Emma était habillée maintenant. Elle avait enfilé un short beige et un top blanc. Elle s'appuya sur ses béquilles et s'approcha de la Maire. Trop proche. Elle envahit son espace personnel, volontairement. Elle lui sourit, chaleureusement et lui déclara, mielleuse :
– J'écoute la voix de la raison. Il y a un problème à cela ? Puis elle inclina la tête et reposa sa question : Alors, qu'est-ce qui vous manque le plus ?
– Je vais nous ramener de quoi manger, peut-être que les pièges ont fonctionné aujourd'hui.
L'Ancienne Reine ramassa sa perche et partit rejoindre les rives. Fuir était le terme plus approprié.
Emma s'assit et prit appui contre la souche. Elle ramassa un morceau de bois et déploya la lame de son opinel. Elle se mit à tailler une forme tout en poussant ses réflexions. Cela devenait vraiment intéressant.
X
Regina avait passé toute l'après-midi à rassembler des branchages secs de pin et des branches vertes d'arbres. Elle avait coupé, cassé, arraché, tiré des abattis, des rameaux entiers, des lourdes ramures. Elle avait formé un énorme amas au milieu de la clairière.
Elle avait des griffures sur les bras, les jambes et la joue. Son t-shirt lui collait à la peau de transpiration, il était couvert de traces de mousse, de sève et de terre. Les écorchures piquaient au soleil et avec le sel de sa peau, mais elle ne se plaignait pas. Elle recula de plusieurs mètres pour admirer le résultat. Elle était fière du travail accompli. Elle s'était donnée à cœur perdu dans son ouvrage. Son mal-être était loin derrière elle. Elle haussa les épaules. Ridicule. Qu'est-ce qui lui avait pris ce matin ? Pourquoi avait-elle perdu ses moyens ? La fatigue, l'isolement, sans doute.
Après quelques heures d'acharnement physique, elle voyait plus clair. Cette incartade leur servirait de leçons : le sexe et les relations ne formaient jamais de bonnes combinaisons. Elle le savait maintenant. Elle ne se laisserait plus prendre au piège. Elle n'aurait qu'à mettre les choses au point avec Emma. Elle comprendra. Elles avaient convenu ensemble des termes, elles s'étaient mises d'accord : pas de sentiment. Il n'y aura souci.
Elle regarda le bûcher. Demain, elle l'allumerait et l'alimenterait afin de le rendre le plus visible possible, de loin, de haut, sur leur lieu de campement. Les secours seraient probablement lancés à leur recherche et ils seraient attirés par l'épaisse fumée noire qui se dégagerait du bucher.
Convaincue de la bonne tournure de la suite des événements, que la roue tournait enfin à leur avantage, elle se décida à quitter la clairière. Elle était épuisée et en nage. Un petit plongeon, habillée, dans la rivière, lui ferait le plus grand bien. Elle ramassa ses affaires et repartit. Son prétexte pour se tenir éloignée de la Shérif était arrivé au bout de sa logique. Il était temps pour elle de regagner le campement. Cela devait faire plusieurs heures qu'elle était partie et qu'elle n'avait plus montré signe de vie. Elle fit un dernier détour vers ses pièges et fut surprise d'avoir réussi à capturer un lapin. Les baies qu'elle avait mises en appâts avaient certainement attisé sa gourmandise. Il était de bonne constitution et servirait d'excellent repas. Elle le glissa à l'intérieur de sa besace et se dirigea vers les tentes, d'excellente humeur.
La Maire avait à peine franchi le périmètre de quelques pas qu'elle fut accueillie froidement :
– Si ma présence vous importune tellement, je peux revenir sur ce que j'ai dit et nous pouvons toujours partir mercredi matin.
Emma planta son couteau dans une bûche qu'elle avait positionné au bout de ses pieds, à quelques centimètres de sécurité. Elle avait dessiné des cercles de plus en plus petits pour former une cible et une centaine d'encoches trahissait le nombre de lancée.
– Ce n'était pas dans mon intention de-
– De quoi, Regina ? Me laisser seule pendant 4 heures ? Ne me faites pas l'affront de mentir, en plus ! Qu'est-ce que vous vous êtes dit ? Que de toute façon, je ne pourrais pas aller bien loin ? Ha ! Emma ricana : Pendant que vous vous épuisiez à monter le feu de détresse, moi je me fais chier comme un rat mort, à ne rien pouvoir faire ! 4 heures à ramper, à me tirer… même pour aller aux chiottes. Merde !
La Maire tiqua sur la grossièreté mais ne la releva pas. Emma était furieuse et elle avait toutes les raisons de l'être. Celle-ci prit sa gourde vide et la lança dans sa direction. Elle roula jusqu'à ses pieds :
– Voilà de quoi vous occuper pendant encore un moment. Je n'ai plus ce truc d'antalgique-d'analgésique-ou-je-ne-sais-pas-ce-que-c'est-que-cette-potion, dit-elle d'une traite : Je l'aurais faite moi-même, si je savais comment ... Et sans vouloir être un fardeau supplémentaire ou vous commander, j'ai réellement mal et ça ne passe pas.
– Laissez-moi regarder.
– Non !
– Mais il faut que je vois si votre cheville s'est infectée…
– Peu importe ! Si j'avais été en état… Si je n'étais pas si dépendante … Je me serais barrée d'ici.
Des larmes se formèrent au coin de ses yeux. Elle s'était sentie inutile et impuissante. Pire, elle avait été écartée, exclue. Réduite à l'état d'une larve, seule, au milieu de la forêt, sans pouvoir subvenir à ses propres besoins primaires :
– Je suis désolée, Emma.
La jeune femme blonde repoussa d'un geste de la main ses paroles :
– Vous n'êtes pas en droit de quoi que ce soit, Regina. Je n'ai pas la liberté, moi, de m'en aller pour prendre l'air… pendant 4 putains d'heures, je n'ai pas le loisir d'aller à la rivière, sans aggraver mon entorse. Gardez vos excuses pour vous-même. Je vous demande de m'apporter ce dont j'ai besoin pour me soigner. Après, je vous laisse tranquille.
X
Regina prépara consciencieusement le lapin. C'était une chose d'avoir vu les cuisinières de son château s'affairer à sa préparation, c'en était une toute autre de mettre en application, soi-même, le savoir –faire culinaire. Il n'était pas aussi beau ni présentable qu'elle l'espérait mais il était consommable. Elle le transperça de part en part d'une branche épaisse et le posa au-dessus du feu. Elle ajusta, sur le côté des braises, une casserole dans laquelle bouillaient les racines. Il ne lui restait plus qu'à assaisonner la salade de plantes sauvages.
Le silence qui régnait sur le camp depuis qu'elle s'était mise à cuisiner était pesant. Elle avait tenté à quelques maigres reprises d'engager la conversation, mais Emma était restée muette. Celle-ci ne l'avait pas laissé approcher quand elle avait défait son pansement et qu'elle avait lavé ses blessures. La Shérif avait à peine prononcé des mots de remerciements quand elle lui tendit l'onguent frais.
Pendant qu'Emma renouvelait ses bandages compressifs, Regina était retournée à la rivière pour se rafraichir. Elle n'avait pas trainé, comme elle l'avait escompté quelques temps plus tôt. Elle s'en voulait d'avoir été sous l'emprise de ses propres émotions et d'avoir transmis un sentiment d'abandon à sa compagne. Elle n'avait pas mesuré la portée de ses actes. Elle aurait pu venir vérifier de temps à autre que tout allait bien pour la jeune femme blonde, mais n'avait pas pensé à agir. Elle se rappela qu'une bouteille de vin les attendait depuis le premier jour dans le fond du sac et se leva pour aller la chercher. A l'aide du couteau suisse, elle tira le bouchon dans un pop joyeux et versa le vin dans les deux tasses de fer blanc, préalablement rincées. Elle déposa le gobelet près de la Shérif et retourna s'asseoir à l'opposé d'elle. Regina dit, pour briser l'ambiance maussade :
– Mon piano.
Cela attira l'attention d'Emma qui tourna enfin la tête dans sa direction. Regina répéta pour clarifier sa déclaration :
– Votre question sur ce qui me manque le plus, hormis Henry, mais je suppose qu'il n'était pas compris dans la réponse, … c'est mon piano qui me manque le plus.
Cette confession la tira de sa morosité. Intriguée, la jeune femme blonde lui demanda :
– Je ne savais pas. Vous jouiez du piano ?
Elle hocha la tête positivement.
– Je joue encore. Je ne me suis jamais arrêtée. Je ne l'ai jamais dit à personne.
La Maire leva son verre et fit un signe de salut. Elle attendit qu'Emma fasse de même avant de boire sa première gorgée.
– Pourquoi je ne vous ai jamais entendu ? Henry ne m'en a jamais parlé. Je pensais que c'était un ornement, qu'il faisait partie de vos meubles.
– Parce que c'est quelque chose qui m'appartient.
– Quand jouez-vous ? Depuis quand ? Quoi ?
Regina sourit, amusée par toutes ces questions. Ce n'était pas sa mère qui lui avait appris à aimer cet instrument, ni la musique, c'était Henry. Son cœur s'était remis à battre grâce à son fils. Il était inutile de remonter si loin dans le temps. Alors, elle alla à l'essentiel :
– Le soir, avant qu'Henry n'aille se coucher, jusqu'à ces 8 ans. Je jouais pour l'apaiser. Je le sentais s'endormir contre mon bras et je savais qu'il était temps de le remonter dans son lit.
– Qu'est-ce qui s'est passé ?
La jeune femme brune regarda tristement le feu monter vers le ciel :
– Le Livre est apparu et il a bouleversé nos vies. Après, nos relations n'étaient plus pareilles. Il s'est détaché de tous nos moments à deux. Il ne voyait plus que l'Evil Queen en moi. Alors j'ai arrêté jusqu'à il y a quelques mois. Quand il est revenu à la maison, j'ai repris. Mais tôt, le matin. A 5h, quand tout le monde dort et que personne ne peut m'entendre.
– Pourquoi ?
– Je ne sais pas. J'ai ressenti le besoin … comme pour rétablir notre connexion… Mais je ne voulais pas le forcer. A cette heure, le monde m'appartient… et ça… ça m'appartient.
Emma était émue par ces révélations quelque peu intimes. Autour d'une question, elle en apprenait tellement sur la Maire. Cette femme si forte, si puissante… était si fragile et sensible.
– J'aimerais vous entendre jouer, un jour.
– Un jour … peut-être, répondit-elle distraitement, sans promesse : Et vous ?
– Moi ? Je ne joue pas d'un instrument.
– Non, qu'est-ce qui vous manque le plus ici ?
– J'ai des plaisirs plus faciles à emporter.
– Ha oui ?
– Oui ! Une bonne bière bien fraiche en fin de journée avec une pizza 4 fromages ! J'en salive d'avance.
– C'est toujours une histoire d'estomac, avec vous !
– Exactement ! A vous, posez-moi une question…
– Si vos parents retournent dans le Pays Enchanté, les suivriez-vous ?
– Et bien, Regina, vous n'y allez pas avec le dos de la cuillère, dites-moi !
– J'ai eu le temps de pratiquer… Vous hésitez à répondre ?
– C'est une question que je me suis posée depuis que le sort a été levé et que j'ai toujours évité d'affronter…
– Vous utilisez votre Joker ? demanda-t-elle, espérant être à égalité.
– Non. Non.
– La réponse est si sensible ?
– A vrai dire, je connais la réponse depuis le premier jour. C'est juste que … Dieu merci, je n'ai pas eu à l'appliquer… encore. Mais j'y répondrai après le repas…
– C'est un bon compromis. Il sera bientôt prêt de toute façon.
La jeune femme brune distribua les assiettes et s'installa près de sa compagne de camp. Emma bougea dans tous les sens, cherchant à s'asseoir confortablement mais n'y parvint pas. Sa cheville la faisait trop souffrir. Regina déposa sa vaisselle et demanda, sans s'approcher :
– Puis-je jeter un coup d'œil, s'il vous plait ?
La Shérif réfléchit. Elle hésitait entre son amour-propre et céder aux tentatives répétées de réconciliation. Elle opta pour la seconde. Sans un mot, elle déplaça sa cheville vers la Maire. Celle-ci la prit avec douceur entre ses mains. Elle palpa la peau à divers endroits et effectua quelques légers mouvements de torsions tout en observant attentivement la réaction de la blessée :
– Je crains une rechute, sans gravité… Pensiez-vous sérieusement ce que vous m'avez dit ce matin ?
– A quel sujet ?
– Reporter notre départ.
– Je n'ai pas le choix, je crois, répondit-elle en désignant sa cheville.
La motivation d'Emma avait été tout autre, au matin. La rupture de contrat avait ouvert de nouvelles perspectives intéressantes et laissait la place à d'autres avantages : l'attachement, et… les sentiments. Loin de Storybrooke, sa proposition de prolonger leur séjour avait pour but de convaincre et conquérir la Maire. Elle avait espéré que le camping et leur promiscuité joueraient en sa faveur.
Mais la réaction virulente de Régina en réponse à son jeu de séduction l'avait sérieusement refroidie, voire même renfermée. La jeune blonde s'était mise à nue, au sens propre comme au sens figuré, en la confrontant, face à face, dans le plus simple appareil. Elle s'était offerte, prête à une symbiose, une alchimie qu'elle croyait partagée. Elle y avait cru. Et sans aucune autre formule de procès, sans avertissement, elle s'était fait jetée… pire, ignorée ! Regina l'avait plantée avec ses espoirs, seule, pendant 4 heures… tandis qu'elle sculptait une étoile dans un morceau de bois. Une œuvre qu'elle voulait lui offrir pour marquer le moment.
Elle chassa ses rêves présomptueux et insensés au fin fond de sa tête et retourna à la réalité. Elle avoua :
– Il est plus prudent de rester ici, je pense.
– En effet.
– Combien de temps, encore ?
– Deux jours entiers sans bouger.
– On ne sortira jamais d'ici ! déplora Emma qui perdait patience. Elle n'avait plus qu'une aspiration : rentrer et enterrer ses projets.
– Si. Et je vous aiderai. Je vous mettrai un autre onguent ce soir, avant d'aller vous coucher.
L'Ancienne Reine se réinstalla à ses côtés et ajouta : Mangeons avant que cela ne refroidisse !
A nouveau, le silence régnait autour du feu de camp.
XXX
