Chapitre 14.

Regina sirotait son vin à petits gorgées. Elle souhaitait le faire durer pour conserver la moitié de la bouteille jusqu'au lendemain soir. C'était peut-être le seul plaisir inavoué qu'elle ressentait depuis plusieurs jours et elle comptait bien le répéter. Son goût, sa saveur la détendaient. Son esprit vagabonda vers les cimes des arbres, jusqu'aux sommets des collines.

Et il lui fallait trouver du courage. Il devait se confronter avec son attitude de l'après-midi. Elle savait qu'elle s'était mal conduite. Avoir vu Emma, si en colère, si affectée, l'avait bouleversée jusqu'au fond d'elle-même. Il fallait qu'elle y mette de l'ordre et qu'elle reconnaisse ses torts. Elle le lui devait :

– Je suis désolée, Emma, confessa-t-elle enfin. Elle prit une pause pour rassembler ses idées et leva ensuite les yeux. Elle devait affronter son regard, elle devait atténuer la blessure qu'elle lui avait infligée : J'ai dit que nous étions deux adultes consentantes et je n'ai pas agi comme tel cet après-midi.

La jeune femme brune déposa son verre sur une souche, puis elle ajouta :

– Je vous ai aussi promis que je ne vous abandonnerais pas… et c'est exactement ce que j'ai fait.

Emma resta silencieuse. Son regard allait tour à tour vers elle puis vers le feu, pour assimiler ce qu'elle entendait. Y avait-il vraiment quelque chose à répondre ? Et si elle disait un mot, cela n'allait-il pas freiner Regina à enfin lui parler ? … ou même raviver son sentiment d'impuissance et méprisé de cet après-midi, bien qu'elle sentait qu'elle attendait ce moment depuis son retour.

La Maire poursuivit ses explications :

– Je ne me sens pas prête à … Elle s'arrêta. Comment l'exprimer ? Comment dire ? Elle-même ne le savait pas. Elle reprit : En vérité, je ne souhaite plus entamer de relation.

Elle inspira profondément et expira longuement. Elle prit un bâton et dessina des runes connues d'elle seule dans la terre sèche : Ne vous méprenez pas… Que ce soit avec vous ou avec quelqu'un d'autre.

L'Ancienne Reine leva les yeux pour s'assurer qu'Emma avait bien compris ce qu'elle voulait lui dire.

– Mais ce qui se passe entre nous… Comment l'expliquez-vous ?

– Que voulez-vous dire ?

– Ce matin veut dire quelque chose, Regina. Jouez franc jeu ! Ce matin… ce n'était pas purement sexuel. En fait, cela fait plusieurs semaines qu'il y a autre chose…

Regina baissa les yeux et avoua à demi-ton :

– Oui.

– Alors quoi ?

Elle releva la tête immédiatement. Elle était déterminée. Sa décision était prise et elle ne céderait pas :

– Alors rien. Depuis le départ de Robin – voilà elle l'avait enfin prononcé –, Je ne veux plus souffrir, dit-elle pour elle seule. Elle ferma les yeux longuement, se mordit l'intérieur des joues et poursuivit le fil de son explication : j'ai retrouvé mon équilibre… dans ma vie. Vous me l'avez dit vous-même, je n'ai besoin de personne pour être heureuse. Et vous… vous méritez quelqu'un de moins instable, quelqu'un de plus … lumineux.

– Vous n'avez pas à décider pour moi !

– Ha ! Réfléchissez ! Nous ne sommes pas faites pour être ensemble, tenta-t-elle de la convaincre : Nous sommes trop différentes. Trop opposées. Et puis il y a Henry, il y a vos parents… Alors ne compliquons pas les choses !

– Non, … C'est vrai, vous les aimez simples. Vous me l'avez déjà dit, reconnut-elle, résignée et attristée. Elle savait qu'il était inutile d'argumenter, que sa décision était prise.

– En effet. Je suis désolée de vous avoir envoyé les mauvais signaux… Et je regrette de vous avoir blessée tout à l'heure. Ce n'était pas dans mon intention.

Mille pensées assaillirent Emma en cet instant. Elle repensa à sa matinée et au reste de la journée. Oui, elle y avait cru. Les signaux n'étaient pas mauvais. Elle le savait. Elle ne s'était pas trompée dans leur interprétation, elle savait lire en la Maire, comme personne. C'étaient ces signaux justement qui l'avaient convaincue. Le pacte rompu, elle pouvait se lancer dans la concrétisation d'une relation. Elle pouvait tisser des liens plus profonds. Et c'était ce qu'elle avait planifié avant que Regina ne s'éloigne du camp et ne l'évince. Elle s'était vue la séduire, l'attendrir. Elle s'était projetée dans une conquête de cœur et de bonheur… Et au lieu de cela, elle a été rejetée, comme une moins que rien.

Peut-être que c'était tout cela qui effrayait la Maire justement… Emma avait peut-être été trop vite, trop brusque. Peut-être en demanda-t-elle trop ? Elle chassa cette idée de sa tête :

– Bien.

– Bien.

La jeune femme blonde se leva et tira à elle sa béquille :

– Je vais aller me coucher, si vous ne voyez pas d'inconvénient. Je suis vraiment très fatiguée.

– Non, allez-y. Je vais rester encore un peu ici…

Emma se traina péniblement jusqu'à la tente et se retourna. Son timbre de voix était monocorde :

– Pour ce que ça vaut, Regina, je suis moi aussi désolée. Je n'aurais pas dû vous entrainer là-dedans. J'aurais pu me débrouiller avec Legolas. Nous aurions été toutes les deux en sécurité à cette heure-ci. Vous dans votre salon avec un bon verre de cidre et moi à écouter l'Elfe chanter une berceuse aux lucioles.

Regina sourit et inclina la tête.

– Bonne nuit, Regina.

– Bonne nuit, Emma.

Regina rassembla dans une bassine les assiettes, les couverts et les verres. Elle s'approcha du cours d'eau et s'assit au bord de la berge. Un à un, elle rinça la vaisselle, perdue dans ses réflexions.

Allongée sur le dos, les mains derrière la nuque, la Shérif écoutait la Maire ranger le campement. Elle reconnut le frottement des affaires ranger et le clapotis de l'eau dans le fond de la bouilloire.

Regrettait-elle vraiment de l'avoir embarquée avec elle ? Emma ferma les yeux et ressentit les réactions de son corps. Son cœur pesait des tonnes dans sa poitrine. Il était lourd et prenait toute la place. Sa gorge se serrait et son nez la piquait. Elle se tourna sur le côté et glissa ses mains sous son oreiller. Elle ouvrit les yeux, elle ne parvint pas à les garder fermer. Trop de réflexions. Elle repensa au regard de Regina. Si celle-ci croyait en ce qu'elle disait, ses yeux, par contre, trahissaient une certaine tristesse, comme les siens.

Regina aussi l'avait ressenti

D'avoir essayé de le découvrir, ce matin, cela en avait-il valu la peine ? N'étaient-elles pas devenues en quelque sorte des amies, après ces aventures ? Et de par ses actions, n'avait-elle pas sacrifié leur amitié sur l'autel de ses sentiments plus profonds ? Emma souffla. Ses sentiments. Les larmes lui montaient aux yeux.

Je suis amoureuse de Regina Mills, se dit-elle. Son cœur en miettes se mit à battre plus fort, à cette révélation. Elle pouvait le sentir, écorcher et lacérer l'intérieur de sa poitrine. Le sang affluait à sa tête et tambourinait aux tempes. Qu'allait-elle pouvoir faire maintenant ?

Plutôt que de l'électriser, de l'encourager, cet aveur l'alourdissait, la plombait davantage. Emma se recroquevilla, serra les poings. Elle se sentait si seule … et à des années lumières de la personne affairée juste à côté d'elle.

X

Emma se réveilla et se redressa soudainement sur sa couche, l'oreille tendue. Les grillons s'étaient tus, la chouette n'hululait plus, les sons de la forêt avaient fait la place à un silence inhabituel.

Un craquement, des chuchotements à peine perceptibles à 20 ou 30 pas de leur campement. Ils étaient plusieurs. Et ils les encerclaient. Le 6ème sens de la Shérif ne la trahissait jamais. Elle avait de l'expérience dans les filatures, les surveillances et la chasse aux criminels. Elle savait qu'à l'extérieur, le danger rôdait. Par précaution, Emma prit son révolver dans une main et posa l'autre sur la bouche de sa compagne pour étouffer son cri de surprise.

Regina sursauta dans son sac de couchage et écarquilla les yeux, effrayée. Quand son regard croisa celui d'Emma et que celle-ci lui mima de se taire, le canon sur ses lèvres, elle opina de la tête. La jeune femme blonde murmura :

– Ecoutez !

– … ?

– Quelque chose ou quelqu'un vient par ici. Chut !

Regina reconnut un fin bruissement, au loin. Elles n'étaient plus seules. Elle regarda Emma. Celle-ci était appuyée sur un genou, à l'affût, tendue et prête à agir. Sa position lui donnait l'impression de la couvrir de son corps et vouloir la protéger. Elle chuchota :

– On va sortir de la tente avant d'être faites comme des rats.

En catimini, rampant ventre contre terre, elles s'extirpèrent de la toile. Elles se redressèrent sur leurs deux jambes et se dirigèrent rapidement vers la rivière. Le feu avait baissé en intensité et les flammes n'éclairaient que son foyer. Les deux femmes pouvaient se mouvoir sans être repérées. Soudain, elles furent interpelées à la lisière du bois :

– Shérif Swan, entendirent-elles au loin.

Emma se raidit immédiatement, pointant son arme dans la direction de la voix. Ce n'est pas parce que l'inconnu connaissait son nom qu'elles étaient sauves.

– Déclinez votre identité, rétorqua-t-elle à son tour, ou je tire !

S'écartant des buissons, Legolas et ses compagnons avancèrent prudemment. Ils mirent un genou à terre et baissèrent la tête, en signe de soumission. Il déclama aussitôt, le poing serré sur le cœur :

– Je vous demande pardon pour mon acte de lâcheté. Je vouerai ma vie à réparer cette erreur et laver l'honneur des Elfes.

Sans attendre et sans réserve, Emma se précipita à sa rencontre et se mit à sa hauteur, le serrant dans ses bras. Il se contracta face à ces effusions peu communes dans son monde.

– Ô Legolas, tu es tout pardonné ! Crois-moi. Te voir suffit amplement.

Elle le tapota dans le dos, dans un geste purement fraternel. Elle se leva et l'aida à se relever en le tirant par le bras :

– Allons redresse-toi ! Tu es venu avec des renforts. Puis s'adressant à sa compagne : Regina, venez… Il n'y a aucun danger.

Regina était restée à l'écart. Elle assistait à la scène d'un œil intrigué, froide et distante. Les premiers effets de surprises passées, elle réalisait ce qui était en train de se produire. Leur périple en solitaires prenait fin …et elle en ressentait une certaine déception. Tout était fini… Ce qu'elle aspirait depuis plus de trois jours se concrétisait… Elles étaient enfin sauvées. Elles allaient pouvoir rentrer…

Elle baissa les yeux et regarda le sol, de peur que la confusion de ses émotions ne se lise dans son regard. Pourquoi ressentait-elle ce pincement au cœur, pourquoi tant de retenue, pourquoi n'éprouvait-elle aucune joie intérieure ?

Elle s'avança doucement, perdue dans ses réflexions. Elle grimaça un faux sourire de contentement, feignant la délivrance et hocha mécaniquement la tête en direction de la nouvelle équipe.

Elle pensa à la tournure des événements. La soirée, quelques heures plus tôt, avait coupé court à l'ambiance des soirées précédentes. D'une certaine façon, les retrouvailles avec ces Elfes de secours tombaient à pic et le moment était idéal, loin de l'embarras et de la maladresse du lendemain. Elles évitaient ainsi à devoir se faire la conversation par politesse. Que demander de plus ?

Que demander de plus qu'un jour et une nuit supplémentaires pour réinstaurer le charme qu'elle avait rompu… Non, la Maire n'avait pas si hâte que ça de retrouver son confort et sa vie quotidienne.

L'Elfe distribua ses ordres à ses cinq compagnons, trois hommes et deux femmes. Ils hochèrent de la tête et grimpèrent avec agilité aux arbres. Puis le fils du Roi se retourna vers les deux aventurières :

– Nous allons terminer la nuit. À la première heure, quand le soleil éclairera notre route, nous partirons. Mes compagnons confectionneront un brancard pour vous porter, Shérif Swan. La remontée est escarpée et difficile. Elle est impossible dans votre état.

Sans s'être penché sur la situation d'Emma, sans l'avoir observée ou lui avoir posé des questions, Legolas savait qu'elle n'était pas en état de marcher. Celle-ci ne releva pas la remarque et lui sourit, rassurée. Elle lui serra l'avant-bras, en signe de remerciement et se dirigea vers sa tente, rompue de fatigue. Regina resta plus en arrière, elle attendit qu'Emma ait disparu pour s'approcher du chef de troupe. Un doute subsistait et elle voulait s'en assurer :

– Depuis combien de temps êtes-vous là ? lui demanda-t-elle directement.

– Deux lunes, répondit-il sans détour ni honte. Il planta son regard confiant dans le sien.

Deux lunes. Soit il avait assisté à tout ce qu'elles avaient vécu, soit il s'était tenu à l'écart, respectant leur intimité. L'un comme l'autre, cette attitude était étrange. Il n'avait pas annoncé sa présence.

– Le lapin, les oiseaux ? C'était vous.

Il sourit et inclina positivement la tête :

– Pour n'êtes pas une excellente chasseuse, Votre Majesté.

– Je ne suis pas chasseuse du tout ! Pourquoi n'êtes-vous pas venus nous rejoindre ?

Eriniti, répondit-il en roulant du « r » comme si cela avait une signification universelle.

La Maire savait qu'elle n'obtiendrait pas plus d'explications et elle haussa les épaules. Elle n'avait aucune connaissance du Monde Elfique, de son langage et de ses coutumes. Elle s'abstint d'exprimer à voix haute ce qu'elle pensait de son attitude. Son comportement lui appartenait et il garderait pour lui ses raisons. Elle rejoignit Emma sous la tente et demanda :

– Comment nous ont-ils retrouvées ?

– Je ne sais pas, je leur demanderai demain. La Shérif remonta la couverture et s'allongea, plus apaisée. Une autre question lui vint à l'esprit : Par contre, je suis curieuse de savoir comment se fait-il qu'ils ne soient pas affectés d'avoir traversé la Ligne.

– J'ai établi des relations politiques avec leur Grande Prêtresse Galadriel et la Terre du Milieu après le sort noir. Ils n'ont donc pas de seconde identité. Aussi, ils n'ont pas de pouvoirs magiques, ils sont libres de leurs mouvements.

– Pourtant ils semblent si différents…

– Ils ont une sensibilité différente. Leurs sens sont décuplés et plus fins que les nôtres. Ils sont également attachés, liés à la Nature. Elle seule dicte leur conduite. Ils peuvent s'adapter à tous les mondes, sans problème.

– C'est peut-être Elle qui les a conduits jusqu'à nous, dans ce cas.

– Peut-être…

Regina remonta, à son tour, son couchage jusqu'à son oreille pour clôturer la conversation. Elle voulait se retrouver seule, dans sa tête. Son esprit bataillait entre son manque de sommeil et ses pensées contrariées.

X

Emma et Regina rangèrent leurs affaires, aidées par les Elfes. Le feu éteint, toute trace humaine effacée, ils levèrent le camp peu après l'aurore. Les anthropomorphes semblaient frais comme des gardons malgré leur courte nuit et impatients de reprendre le chemin du retour.

Harnachés solidement au brancard, Emma fut soulevée de terre sans difficulté. Et d'un mouvement uniforme, ils prirent la route. Ils longèrent et remontèrent le cours d'eau, avec une assurance peu commune. Regina s'en tenait à bonne distance, de peur de réitérer sa chute et de la finir plus dramatiquement. Elle grimpait à l'aide de ses bras et de ses jambes, prenait appui sur des prises naturelles, se hissait de roche en roche. Elle transpirait à grosses gouttes, ses muscles lui criaient de ralentir la cadence mais elle ne se plaignait pas. Elle concentra toute son attention sur sa respiration pour ne pas trop s'épuiser ou ralentir l'équipage. Aussi, la conversation avec Emma, la veille, l'obsédait. Emportée par sa fierté, assombrie par ce retour imprévue, elle restait enfermée dans ses réflexions. Se fixer sur ses mouvements, exulter toutes ses forces sur des points précis l'aidaient à ne pas laisser cette colère s'exprimer.

Pourquoi cette colère ? Pourquoi cette instabilité dans ses pensées ? Elle ragea dans un effort.

Plus avant, à la détente aisée, les Elfes sautaient avec agilité, peu encombrés par le brancard. Ils semblaient dans leur élément. Ils ne faisaient qu'un, mués par un même lien invisible. Ils donnaient l'impression de danser une seule et même chorégraphie. Ils coordonnaient leurs mouvements, sans communiquer. Ils ressemblaient à des cabris. C'était à peine s'ils étaient essouflés.

Et ça l'énervait. Ça l'énervait de les voir impassibles, ça l'énervait de les voir légers, ça l'énervait de les voir tout court. Ils les avaient sauvées. Ils étaient et seraient les héros. Toute sa colère était dirigée vers eux. Elle grogna. C'était tellement plus facile de diriger sa rage vers eux, plutôt que sur elle. Après tout, c'est eux qui l'avaient privée de plus de temps avec Emma, d'une possibilité de se rattraper.

Depuis qu'ils étaient partis, elle n'avait pas adressé la parole à la jeune femme blonde et elle ne l'avait pas regardée, non plus. Volontairement. Elle évitait toute distraction, tout rappel de ce qu'elles avaient vécu et partagé là-bas. Elle regrettait maintenant son comportement. Elle regrettait de s'être montrée stérile et froide… Et la Maire se rendait compte qu'elles allaient rester sur ce dernier échange.

Elle s'en voulait terriblement mais essayer de parler, au milieu de ces êtres… lutins… se rabaisser à- … Non. Après tout, c'était mieux comme cela. A quoi cela pouvait-il leur servir, à part donner de faux espoirs à Emma.

La contradiction dans ses réflexions allait bon train. Elle ne savait plus. Trop confuse, elle avait besoin de rentrer chez elle au plus vite, de s'enfermer de retrouver sa vie, sa place, la gestion de la ville, l'organisation de ses journées en fonction d'Henry. Reprendre le cours normal des choses, retrouver ses repères lui donneraient un second souffle, une direction plus certaine et sécurisante. Diriger une ville, ça, elle savait le faire ! Elle saisit une branche de sapin et se tira au-dessus d'un énième obstacle. Bientôt la délivrance. Bientôt le calme.

A quelques mètres devant l'Ancienne Reine, le visage d'Emma verdissait au fur et à mesure des mouvements ascensionnels. C'était comme si elle s'était trouvée à fond de cale en pleine tempête. Trop heureuse de sortir de leur expédition, elle ne leur dit rien de son mal-être. Elle s'agrippait sur le côté du brancard, les jointures de ses doigts blanchissant, et fixait son regard sur un point, toujours plus loin, pour ne pas vomir. Elle ne pensait qu'à maitriser le grand huit qui tourbillonnait dans son estomac, prêt à jaillir au moment le plus inopportun. Elle supplia doucement et vainement, la salive au bord des lèvres :

– On pourrait aller plus doucement, s'il vous plait ?

La troupe mit une journée entière à remonter les gorges du cours d'eau. Arrivés au sommet de la colline et des falaises, Legolas annonça :

– Nous allons faire une pause.

Le Shérif ne s'était pas rendu compte qu'ils avaient quitté le lit du torrent et qu'ils s'étaient enfoncés dans la forêt. Le terrain qui se présentait à sa vue était plus plat et praticable, bien qu'encombrés de milliers de troncs. Elle se dégagea du brancard et se précipita à l'arrière d'un arbre pour soulager le poids de son ventre. Quand elle se sentit enfin plus légère, elle retourna auprès de ses compagnons. Elle resta debout pour dégourdir ses jambes contractées. Elle but plusieurs gorgées d'eau fraiche. Les Elfes étirèrent les muscles de leurs bras endoloris et discutèrent entre eux de la marche à suivre pour la suite. Ils n'étaient plus très loin.

– Comment allez-vous ? lui demanda la Maire, qui s'était approchée à pas de souris.

Emma leva les yeux et croisa son regard. Celle-ci s'adossa au tronc, à ses côtés, sans y être invitée et lui tendit une barre de céréales que la Shérif prit volontiers. Puis elle regarda autour d'elle, pour éviter toute confusion :

– Vous êtes sûre que c'est à moi que vous souhaitez parler ? Ha oui, c'est vrai … Y a les Elfes… Qu'est-ce qui est pire ?

– Ne faites pas l'enfant…

Emma ricana :

– Ce n'est pas moi qui boude dans mon coin. Que vous arrive-t-il ?

– Rien…, mentit-elle.

– Vous ne m'avez pas adressé la parole de la journée. C'est donc comme ça que sera notre retour à Storybrooke, alors ? Comme si rien ne s'était passé ?

– Rien ne s'est passé. On a survécu point. Il n'y a rien à ajouter, rétorqua-t-elle, renfrognée.

– Si vous le dites.

D'une poussée des fesses, Emma se détacha de son point de repos et s'éloigna en boitant. Elle vissa le bouchon hermétique de sa gourde et la remit dans son sac :

– Je croyais qu'on était au-dessus de tout cela… Mais c'est bon, j'ai compris. Puis elle haussa le ton et dit : si vous êtes prêts les gars, on peut y retourner.

Il était inutile de discuter. Ce n'était ni le lieu, ni le moment. Et elle ne voulait pas s'éterniser. Elle avait supporté plus qu'il n'en fallait. Legolas prédit le reste du voyage :

– Encore deux heures de marche et nous traverserons votre Ligne. Votre peuple vous attend.

– Comment peux-tu le savoir ? demanda la Shérif.

Il leva un index vers le ciel et les deux femmes regardèrent dans la direction qu'il pointait. Il expliqua :

– Reine Snow se tient informée de notre avancée.

Des oiseaux pillaient au-dessus de leur tête. C'était comme s'ils conversaient entre eux et qu'ils commentaient la présence et les actions des Elfes et des humaines.

X

Lorsqu'ils franchirent la Ligne rouge de la route, David et Snow avancèrent jusqu'à elle.

– Emma ! Enfin ! Comment vas-tu ?

Les Elfes la déposèrent délicatement sur l'asphalte, près de l'ambulance, tandis que ses parents s'agenouillèrent à ses côtés :

– Ma Chérie, comment tu te sens ? lui demanda sa mère : On a eu si peur.

La Shérif les accueillit dans ses bras, heureuse de les retrouver. Soulagée de cette pression qu'elle avait sur les épaules et le cœur. Elle gardait ses dernières forces pour lutter contre le flot d'émotions qui voulaient la submerger :

– Je vais bien. Ce n'est qu'une entorse. Quels drôles de vacances, hein ?! Moi qui n'en prends jamais !

Son père posa sa main sur son épaule et exerça une légère pression d'encouragement et de soutien. Ni plus, ni moins. Il l'avait retrouvée, c'était tout ce qui comptait. Il n'avait pas besoin d'en rajouter.

Deux ambulanciers s'affairaient pour prendre la relève. Mais Emma les arrêta :

– Ça va aller, dit-elle, ce n'est pas deux pas qui vont faire la différence.

– Justement, laisse-nous t'aider un peu, lui demanda son père.

Au loin, Regina regardait l'agitation autour du Shérif et du van. Elle ne put s'empêcher de sourire lorsqu'elle reconnut les premiers signes d'agacement dans les tics faciaux de la jeune Shérif. David tentait de soulager les infirmiers et de soutenir sa fille jusqu'à l'arrière du véhicule. La Maire ne se rendait pas compte qu'elle écoutait d'une oreille distraite la Grande Souveraine Galadriel. Celle-ci s'interrompit et attendit.

Quand Regina réalisa enfin le silence inhabituel qui régnait entre elles, elle se tourna vers son interlocutrice, étonnée. Elle s'excusa :

– Pardonnez-moi. Avec cette effervescence, je voulais m'assurer qu'ils s'occupaient bien de la Shérif.

Le regard de la Reine de Elfes était chaleureux et doux. Il la fixa avec insistance, tendrement, en attente d'une réponse à une question qu'elle n'avait pas prononcée. Son visage était impassible. Pourtant, la Maire sentait que la femme, devant elle, lisait en elle comme dans un livre ouvert. Elle dit :

– Je ne veux pas souffrir.

– N'est-ce pas déjà le cas ? répliqua-t-elle aussitôt. Et elle dirigea son regard vers le convoi qui s'apprêtait à partir, les lumières bleues balayant les troncs des arbres dominant. David entra dans son truck, Snow avait dû rester avec sa fille. Regina suivit son regard. Elle sourit. C'était un mécanisme de défense face à une vérité désagréable.

– Celle-ci, je la contrôle, répondit-elle, déterminée.

Le sujet était clos. Galadriel écarta un bras et l'invita à l'accompagner dans sa marche. Elles s'éloignèrent de l'attroupement :

– Legolas est détaché à votre service pendant 360 lunes.

– Non, merci, rétorqua-t-elle fermement.

– Il doit réparer. Il a une dette envers vous.

– Considérez-la comme rendue. Il nous a retrouvées et ramenées. Il a veillé sur nous, là-bas. Je suis toute aussi responsable que lui.

– Bien. Cependant, il me faut vous informer… Pendant votre absence, nous avons dépêché deux équipes. Elles parcourent la limite de votre ville.

– Comment cela se fait-il ?

– À son retour, Legolas nous a expliqué la raison de votre expédition. C'était un devoir de s'engager volontairement et de diriger les opérations en parallèle à votre sauvetage.

L'Elfe avait dû s'humilier au milieu des siens pour revenir avec des renforts et demander de l'aide pour poursuivre leurs recherches. Ce petit retour des choses apporta une légère satisfaction à la Maire. Elle se gardait bien de la communiquer à haute voix ou à montrer ne fusse-ce qu'un rictus de contentement. La Grande Prêtresse Galadriel continua ses explications :

– Les seules faiblesses de votre monde se concentrent essentiellement aux points de contacts avec l'extérieur. Votre magie n'est pas suffisamment forte pour lutter contre la Nature, Votre Majesté. Prendre, c'est également donner en retour…

– Chez nous, c'est un autre adage : Tout à un prix, répliqua-t-elle évasivement.

La Prêtresse acquiesça, sans dire un mot. La jeune femme brune osa demander :

– Avez-vous déjà pensé à une solution ?

– Je n'en vois qu'une : vivre en harmonie avec le monde qui vous entoure.

– Encore une réponse ésotérique. Que signifie-t-elle ?

– Je vous laisse le soin de le découvrir.

A cinquante mètres de là, Emma regarda par-delà la fenêtre de l'ambulance les deux silhouettes s'éloigner. Elle n'avait pas eu un regard dans sa direction. Pas un. Alors la Shérif lâcha totalement prise. Elle s'enfonça dans le matelas en mousse et ferma les yeux. Saisissant l'occasion de cette soudaine docilité, l'ambulancier pu prendre sa tension.

Une larme s'échappa.

– Emma ?

Snow posa sa main chaude sur la sienne et lui serra délicatement les doigts.

– Je suis fatiguée … et contente d'être rentrée, mentit-elle à moitié.

Elle repensa à sa témérité, à son effronterie de la veille. Sa volonté de la séduire avait eu raison de leur espèce d'amitié. Si elle s'était abstenue, si elle s'était raisonnée… Maintenant tout était perdu. Après avoir vécu 24h merveilleuses, elles étaient devenues deux inconnues l'une pour l'autre.

XXX