Chapitre 16 – « Fall into me », de Forest Blakk, 2021.
C'était samedi et la matinée paraissait s'éterniser. Henry rangeait les derniers cartons dans le grenier tandis que Ruby s'occupait d'aménager la chambre d'ami. Emma avait profité de la présence de son fils et de son amie pour reporter son retour au Poste en début de semaine. Cela pouvait bien attendre lundi, elle n'était pas si pressée et sa cheville la lançait encore un peu.
Elle était descendue pour se rafraîchir quand elle entendit quelqu'un frapper, timidement, à l'entrée. Elle se dirigea vers la porte, clopinant, en s'appuyant sur son attelle. Depuis deux jours, elle se déplaçait sans ses béquilles et retrouvait une autonomie et une mobilité plus fluides. Elle ouvrit, s'attendant à voir un livreur, mais se retrouva nez à nez avec Regina :
– Qu'est-ce que vous faites ici ? Henry ne rentre que demain soir, lui dit-elle, froidement, sans la saluer.
– Bonjour Emma.
L'Ancienne Reine se tenait sous le porche, à moitié trempée, les mains dans les poches de son pantalon tailleur gris et large. Elle lui sourit, embarrassée. Elle ne se sentait pas à sa place, ni la bienvenue, et à forte raison. Pourtant elle répondit :
– Je suis venue pour toi.
– Hé bien voilà, je suis là… Vous me cherchiez ? Je n'ai jamais été loin, rétorqua-t-elle sarcastiquement.
– Je crois qu'on devrait se parler.
– Ha tiens, maintenant, vous souhaitez qu'on se parle ? Elle est bonne, celle-là ! Si je m'y attendais…
– Est-ce que je peux rentrer ? Ou tu préfères que je reste dehors… sous la pluie ?
Agacée, Emma mima le geste qui l'invita à franchir le seuil.
– J'allais faire du thé glacé…, dit-elle d'un ton plus calme mais toujours aussi sec, pour remplir le silence qui s'installait et pour cacher sa confusion.
La jeune femme blonde avait remarqué le tutoiement et le comportement inhabituellement hésitant de Regina. Quelle nouvelle surprise apportait sa visite ? Méfiante, elle gardait ses distances et replaçait sa carapace invisible. Elle retourna en cuisine.
Regina referma la porte derrière elle. Elle retira son imperméable et le secoua sur le seuil. Puis elle l'accrocha au porte-manteau sur pied à côté de l'entrée. Rapidement, elle emboita le pas à Emma. L'hôte de maison s'affairait dans la cuisine. Elle retirait des glaçons du congélateur. Elle en tapissait le fond de la cruche de verre, puis ouvrit le frigo pour prendre l'eau fraiche avant d'y incorporer les sachets de thé tout prêts.
La pluie qui tombait depuis plusieurs jours formait un rideau épais qui empêchait l'air de circuler. Les températures étaient encore élevées à l'intérieur des maisons, l'atmosphère moite collait à la peau. Regina regarda tout autour d'elle et découvrit pour la première fois l'intérieur de la maison de la Shérif :
– C'est joli.
– Vous n'êtes pas venue pour une pendaison de crémaillère. Alors venez-en au fait, Regina. De quoi voulez-vous parler ?
Cette dernière s'éclaircit la gorge et accepta le verre qu'Emma lui tendait :
– J'aimerais revenir sur ce moment dans la rivière, annonça-t-elle.
Emma s'arrêta brutalement dans son mouvement. Ses gestes étaient suspendus dans le temps. Elle n'en crut pas ses oreilles. Elle savait immédiatement à quelle scène la Maire faisait référence et n'avait jamais supposé, dans aucune des milles vies, que celle-ci allait en reparler. Elle avait cru que l'Ancienne Reine avait été des plus claires. Le sujet était clos. Quelle qu'en était la nature de leur relation-qui-n'en-était-pas-une, il ne pouvait plus être abordée. Elle l'avait prise au mot, elle avait accepté le message. Ce n'était pas le genre de message, justement, qu'elle risquait d'oublier. Diable ! Elle avait été abandonnée, dénigrée pendant plusieurs heures pour le comprendre, ce rejet ! De plus, à vrai dire, Emma avait totalement perdu espoir et s'était préparée à retrouver la Maire, sur son lieu de travail, comme avant. Voire pire, elle avait même pensée que les barrières s'étaient à nouveau élevées entre elles, identiques à leurs premières années.
Regina n'avait pas remarqué l'immobilisme d'Emma, trop concentrée à essayer d'exprimer son introspection de ces derniers jours. Elle rassembla ses idées, puis elle reprit :
– Avec le recul…
La jeune femme brune déposa le verre sur l'îlot central et joignit les mains. Elle tentait de maitriser les spasmes nerveux qui les animaient. Ne tenant plus en place, elle essuya la condensation qui formait de gouttes, du bout de ses doigts. Cela lui permettait de centrer toute son attention : Je me suis rendue compte que j'ai été plus qu'horrible… Je t'ai repoussée… et je me suis enfuie… lâchement. Je savais très bien ce que tu attendais de moi. J'ai pris peur et je me suis enfuie… de toi, … de nous, … de moi.
Regina passa sa main dans ses cheveux mouillés, relâchés. Les mots avaient du mal à sortir. Elle s'était préparée pourtant à s'expliquer. Cela paraissait tellement plus facile dans sa voiture. Elle s'embrouillait dans le choix du vocabulaire, elle avait l'impression de tourner autour du pot, sans parvenir à aller droit au but. Tout cela, elle l'avait déjà dit. Mais 4 jours s'étaient écoulés, entre temps. Quatre jours d'interprétations, de froideur et de silence. En remettant leur conversation dans son contexte, Regina espérait embrayer sur la suite… Sur la véritable raison de cette fuite :
– Et je me suis très mal conduite après… J'ai tout fait pour ignorer… pour effacer ce que tu avais osé m'avouer… Mais je ne peux pas. Je ne peux pas… non, ce n'est pas ça… Je ne veux pas l'ignorer. Ce soir-là, j'ai dit beaucoup de choses qui n'étaient pas vraies. Et je ne veux pas te laisser les croire. Je ne veux pas te laisser sur un mensonge.
Regina leva les yeux. Elle planta son regard dans celui d'Emma. Celle-ci l'écoutait attentivement. Elle ne bougeait pas, toute ouïe. Elle attendait de savoir où la Maire voulait en venir. Elle se rendait bien compte de la difficulté qu'elle avait de s'exprimer : elle ne s'était pas déplacée uniquement pour s'excuser. Il y avait autre chose. La Shérif le sentait.
– J'ai cru que je serais plus tranquille, plus en sécurité en étant seule… en restant seule. Que ce serait plus facile.
– Simple, corrigea la Shérif, en se rappelant de leur dernière conversation. Elle ne put s'empêcher de réagir, ce mot d'une banalité, d'une futilité l'avait frappée, marquée au fer rouge. L'Ancienne Reine, avait-elle pensé que c'était simple pour Emma ?
– Oui. Plus simple.
Regina sourit tristement, car c'était tout sauf simple, depuis leur première nuit dans la forêt. Depuis qu'elle avait tenu Emma dans ses bras, à lutter pour faire baisser sa fièvre, à se ronger les sangs pour sa santé, à prier pour qu'elles s'en sortent, ensemble, indemnes :
– J'ai voulu oublier tout ce qui s'était passé, j'ai voulu faire comme si rien n'était arrivé… Et reprendre ma vie là où je l'avais laissée.
– J'ai compris. Ce n'est pas la peine de-
– Ecoute-moi jusqu'au bout, s'il te plait. J'ai besoin que tu l'entendes. Que tu entendes tout ce que j'ai à te dire.
Le cœur d'Emma tambourinait d'impatience dans sa poitrine. Ses impressions l'amenaient-elles bien là où elle le pensait ? La présence et les mots de Regina signifiaient-ils bien ce qu'elle croyait ?
– D'accord… D'accord… J'écoute.
– Bien. Merci.
Regina expira toute sa tension. Ses doigts lissaient son pantalon maintenant et se crispaient aussitôt, inconsciemment. C'était à son tour de se sentir totalement mise à nue. C'était la première fois qu'elle parlait à cœur ouvert. Même avec Robin, ça ne lui était jamais arrivé. Il la voyait autrement. Il ne la voyait qu'en Reine repentante. C'était comme s'il avait fait abstraction de son passé… Et si cette abstraction lui plaisait par moment, cela l'embarrassait à d'autres car elle se trouvait seule avec ses doutes et ses craintes. Au détour d'une conversation, il s'était comparé à elle. Lui le voleur qui donnait aux pauvres, c'était ce qu'il interprétait comme son côté sombre. Mais il n'avait pas idée des blessures, des luttes intérieures qu'elle devait quotidiennement affrontées. Elle ne pouvait pas les partager avec lui, parce qu'il ne voyait jamais le Mal en elle. Il n'avait jamais vu la part des ténèbres qui l'habitait toujours et contre laquelle elle se battait tous les jours. Il ne l'avait jamais réellement comprise. Avec Emma, par contre, c'était une toute autre histoire.
– J'ai cru que tout était déjà écrit. Je fais partie de ces gens qui croient en l'Amour Véritable et en l'Âme Sœur. Et je les ai perdus, Emma. Deux fois ! Qu'est-ce que cela fait de moi ? Toute mon existence est basée sur ce dogme. Toutes les personnes que j'aime d'un amour sincère finissent par partir d'une façon ou d'une autre. J'étais à deux doigts de perdre Henry, il y a quelques années.
– Justement, je te l'ai dit ! C'est de la connerie. L'Amour Véritable, l'Âme Sœur, tout ça n'existe pas ! Il faut envoyer toute cette connerie balader… Qu'est-ce que ça t'a apporté jusqu'ici d'y croire ?
L'impatience se confondait avec son agacement. Elle n'apprenait rien de nouveau et elle avait l'impression de ressasser le passé. Était-ce encore un mauvais tour que l'Ancienne Reine lui jouait ? Était-elle venue pour libérer sa conscience ? Jouait-elle avec ses nerfs ? Avec leur amitié ? Où voulait-elle en venir ? Que voulait-elle réellement, enfin ?
– Tu dois comprendre que c'est toute une existence que je dois envoyer balader, comme tu dis, dit-elle en mettant les choses au point : Toute une culture, une croyance ! Ce n'est pas aisé pour moi. Depuis que le sort noir est levé, j'appréhende toujours le pire. … Je me suis convaincue que je ne méritais pas d'être heureuse. Je le sens au fond de moi. Il faut que tu comprennes que je pense, je crois intimement que je devrai toujours payer le prix… d'une certaine façon, de tout le mal que j'ai fait… Enfin, je ne suis pas venue pour ça. Je-
La Maire se leva soudainement et contourna le plan de travail. Elle se rapprocha de la Shérif, elle n'était qu'à un pas, à peine. Elle prit appui sur sa hanche et finit par lui confesser :
– Ce que j'ai surtout compris, en rentrant chez moi … c'est que … Depuis que je suis seule … loin de toi… que la maison est vide… sans toi… Oh, mon travail a bel et bien repris, dit-elle en ricanant… Mais ma vie, elle, est tout aussi vide ! …. Et tu n'es pas là… Trois jours, trois nuits avec toi… et du jour au lendemain, tu n'es plus là.
– A qui la faute ? Tu ne m'as-
– Je n'ai pas arrêté de penser à toi, la coupa-t-elle : Ces 3 jours … là-bas, toutes les deux, dans la forêt… c'étaient les plus beaux moments que j'ai passés depuis … Depuis Daniel.
Les larmes lui montaient aux yeux. Elle souhaitait marquer chacune de ses phrases et en confirmer ainsi leur valeur. Elle dût se soutenir sur le meuble, elle sentait ses jambes s'affaiblir et ses yeux s'embrumer davantage.
Chacun de ces mots avaient un impact sur Emma. Celle-ci avait beaucoup de mal à réaliser ce que Regina lui déclarait :
– Je ne comprends pas… je ne sais même pas si je t'entends bien … Regina, que veux-tu dire ?
Regina lui prit les mains pour la faire taire et la rassurer, également. Elle raccourcit la distance entre elles :
– Tu m'as fait, tu ME fais me sentir… moi. Je n'ai plus été aussi bien, naturelle… depuis lui. Dans cette forêt, avec toi, je n'avais pas à prétendre, à être quelqu'un d'autre ou à calculer. J'en ai oublié, pendant un court moment, que j'étais cette Evil Queen avec ce besoin de vengeance qui me tenaillait. Pendant un court moment, j'avais oublié qu'il fallait que je plaise à tout le monde et que je prouve ce besoin de rédemption. J'ai oublié cette pression mise par tes parents, Henry. Je n'ai jamais ressenti cette pression avec toi… Pendant un moment… même encore maintenant … ici… avec toi … J'ai pu et je peux… juste … être… pour la première fois, moi … De son pouce, elle lui caressa le dos de la main, pour maintenir le contact physique : Grâce à toi. Je ne pensais pas que je pourrais l'être à nouveau encore. Je ne pensais même pas que je l'avais encore en moi. Et tu m'as fait ressentir tout ça.
Regina chassa une larme du dos de sa main :
– Tu … Tu m'as manqué cruellement… Tout ce que je voulais, c'était te retrouver, te rejoindre,… Je ne savais pas … comment… Alors Emma, si tu veux encore de moi, si ta proposition est encore valable, s'il n'est pas trop tard, je préfère t'avoir ma vie que pas du tout.
Emma sourit. Elle se rapprocha et caressa la joue de Regina de sa main valide :
– C'est vraiment ce que tu veux ? lui demanda-t-elle enfin, effrayée par un nouveau rejet.
Emma avait de la peine à le croire. Ses mains en tremblaient.
Submergée par l'émotion et délivrée de s'être complétement confiée, Regina hocha simplement la tête.
Le doute, le manque de confiance en elle s'installa à nouveau, ce rien d'exceptionnel qui ne quittait pas la part d'ombre du Shérif :
– Tu sais que je n'ai rien de spécial, je n'ai aucune particularité. Je ne suis pas merveilleuse, je ne ressemble pas à un Prince Charmant, souffla-t-elle, à voix basse, humblement.
– Dieu merci. Un seul suffit ! répliqua la Maire, en riant.
– Je ne suis pas tout ce que tu cherches…
– Tu es tout ce dont j'ai besoin… Elle appuya son regard, sûr, confiant. Emma était tout ce dont elle avait besoin. Ce n'était que cela et c'était beaucoup. Il lui avait fallu du temps pour le reconnaitre, mais ce vide, ce cœur serré n'était pas l'effet de sa noirceur. C'était le manque d'Emma, à ses côtés. En cet instant, elle n'attendait qu'à se blottir dans ses bras, à s'assurer de sa présence, à se reconnecter par un contact physique. Regina regarda ses lèvres, humecta les siennes :
– Alors, si tu es d'accord … Pourquoi ne m'embrasserais-tu pas maintenant …
– Tu veux que je t'embrasse ? répondit la Shérif, amusée, feignant l'oisiveté.
– Je veux que tu-
Emma caressa tendrement sa joue de son nez et de ses lèvres avant de déposer un baiser sur le coin de sa bouche. Elle posa ensuite sa main à l'arrière de sa nuque. Regina suivit le mouvement et découvrit son cou. Elles fermèrent toutes les deux leurs yeux et se laissèrent envahir par la chaleur qu'elles dégageaient l'une et l'autre. La jeune femme blonde continua à la faire languir en traçant du bout de sa langue la ligne de sa mâchoire. La Maire frémissait, elle pouvait sentir ses jambes presque se dérober sous l'effet que ses attentions provoquaient. Elle s'accrocha à ses hanches pour se coller à elle, elle enroula ses bras autour de sa taille pour la sentir toute proche. Alors la Shérif se redressa. Elles rouvrirent les yeux et soutinrent leur regard avide. Emma scella enfin ses lèvres aux siennes dans un tendre et doux baiser. Leur étreinte devint passion. La Shérif pressa la Maire contre elle et l'emprisonna dans ses bras. Elle la maintint serrée, pour mieux la sentir, pour se convaincre de la réalité. Regina réciproqua le geste. Elle ouvrit doucement la bouche et accueillit avec envie la langue chaude et timide d'Emma. Elles s'embrassèrent si longtemps, qu'elles en perdirent la notion du temps, ignorant tout ce qui les entourait.
– Maman !
Henry se tenait à mi-hauteur des escaliers, Ruby derrière lui. Il était stupéfait de ce qu'il voyait. Les deux femmes se séparèrent et s'écartèrent d'un seul mouvement, comme si elles s'étaient brulées. Le jeune garçon descendit les marches à la vitesse de la lumière pour se positionner devant Regina. Il fit face à Emma qu'il repoussa de la main, les mâchoires serrées :
– Non ! Dégage, ne la touche pas, lui dit-il abruptement.
– Henry, mais qu'est-ce qui te prend ? Regina le retint par le bras et tenta de le tirer en arrière. Mais il se libéra de sa prise. Il était remonté, furieux. Il ne se maitrisait pas.
– Tu te tiens éloignée de Maman, tu entends Emma ! Tu ne l'approches pas !
Son attitude était menaçante. Il était à sa hauteur. Sa tête dépassait un peu celle d'Emma. Il se sentait trahi, par sa propre mère, cette personne en qui il avait entièrement confiance. Elle était censée protéger sa mère… pas … pas …
– Mais calme-toi, gamin, je sais pas ce que tu as vu mais c'est pas ce que tu cr-
Il devait se méprendre. A-t-il pensé qu'elle lui voulait du mal ? Qu'elle l'avait étranglée, peut-être ? Elle voulut poser ses mains doucement sur ses épaules, pour l'apaiser. Mais le non verbal de son fils l'avertissait du contraire. Il valait mieux éviter tout contact physique, de peur d'envenimer la situation. Elle reconnaissait les signes d'une colère aveuglante qui peut mener à des actes regrettables. Elle s'abstint et se tint, discrètement, à distance, malgré qu'il avançait lentement. Il ne devait pas s'apercevoir qu'elle reculait devant lui. Il pouvait mal l'interpréter. Ce n'était pas par peur, c'était pour son bien, à lui. À elle.
– Me prends pas pour un con, non plus !
– Henry ! Regina le reprit.
– Non, mais sérieux !
Emma voulut le rassurer :
– Je ne lui faisais aucun mal, je ne sais pas ce que tu as vu.
– Tu l'embrassais, je sais ce que j'ai vu. Je ne suis pas stupide, je te dis !
Regina contourna son fils, qui la maintenait à l'écart. Elle lui demanda :
– Mais qu'est-ce qui te prend ? Calme-toi !
– Ce qui me prend ?! C'est qu'Emma embrasse ma mère ! Voilà ce qui me prend ! Tu sors à peine d'une rupture, tu as risqué ta vie à cause d'une expédition qu'elle a menée, sans expérience et … elle te saute dessus, là… ici...
– Techniquement, … intervint Ruby. Elle regardait de loin, assise sur les escaliers et elle riait entre ses dents de la dispute qui se déchainait sous ses yeux.
– Ruby, n'aggrave pas les choses ! coupa court la Shérif.
Henry regarda les trois femmes tour à tour, suspicieux :
– Tu le savais ?
La louve se tourna vers son amie pour savoir quoi lui répondre. Celle-ci hocha vivement et négativement la tête. Mais c'était trop tard, Henry s'était aperçu du manège :
– Ce n'est pas la première fois ? Depuis combien de temps ça dure ? Qui d'autre le sait ? mitrailla-t-il.
Regina fut surprise également de découvrir que Ruby était informée. Elle lui lança un regard plein d'éclairs. Il lui faudrait éclaircir tout cela plus tard.
– Oh ! Doucement ! Je ne fais que regarder. D'ailleurs, ce ne sont pas mes histoires et ça tourne au vinaigre, je vais remonter. Si vous me cherchez, je suis en haut.
Et la serveuse s'éclipsa à pas de loup, sans demander son reste.
– Henry, arrête. Je ne veux aucun mal à ta mère …
Emma avait profité de cette seconde de distraction pour reprendre le contrôle de la conversation :
– Je ne l'ai pas forcée, je ne l'ai pas ensorcelée…, tenta-t-elle de le convaincre.
– Est-ce qu'elle sait que tu ne crois toujours pas aux valeurs des contes de fées ? Est-ce qu'elle sait que tes relations ne durent pas plus de 6 mois-
– Hé ! Mais pour qui tu me fais passer ?!
Il se mit à les énumérer sur ses doigts pour confirmer ses dires :
– Il y a eu mon père, Auguste, Walsh, à nouveau mon père et Hook. Et ça, ce sont ceux que j'ai connus ! Alors, laisse ma mère en dehors de tes histoires de… de … .
Regina s'interposa :
– Je suis là. Stop ! C'est inutile de parler de moi comme si je n'étais pas là ou comme si j'étais une petite chose fragile. Henry, maintenant, ça suffit. Nous sommes assez grandes pour faire attention l'une à l'autre. Et cette histoire, entre nous deux, ne te regarde pas !
– Je la connais, je sais ce qu'elle fait. Comment c'est arrivé ? Là-bas ?
Innocemment, Emma répondit :
– C'est arrivé comme ça, je-
– « C'est arrivé comme ça » ?, répéta-t-il. Vraiment ? C'est ça les adultes… Oops, mes lèvres ont glissé sur celles de ta mère ? On est bon, là ? Quand grandiras-tu et agiras-tu comme une mère ?
– Je ne suis pas qu'une mère, et ta mère non plus d'ailleurs, je te signale… je suis aussi une femme et-
– Beurk ! Non ! Je veux pas savoir !
– Emma, non. Trop d'informations…, arrêta Regina qui était à deux doigts de couvrir les oreilles de son fils.
Il se tourna vers sa mère adoptive, celle qui était censée avoir plus de raison :
– Ce n'est pas le problème. Le problème c'est Emma.
– Hé ! Mais je-
– N'interviens pas, je ne te parle pas à toi, la coupa-t-il, insolemment. Il relança Regina, peut-être qu'en tirant sur la corde sensible : As-tu pensé à moi ? Si ça se termine ? Tu crois que je le vivrais comment ? Je ne veux pas être à nouveau prise entre deux feux.
– Pourquoi ça se terminerait ? lui demanda soudainement inquiète Emma.
Regina ne releva pas l'angoisse d'Emma. Elle avait déjà fort à faire à gérer la colère déraisonnée de son fils :
– Henry, il ne s'agit pas de toi. Ça ne te concerne pas. Et je pense que nous avons fait nos preuves jusqu'ici pour dire qu'on a quand même bien géré ton éducation, toutes les deux, chacune à notre manière… Je n'ai pas à demander ton avis, ni ta permission.
– Maman !
– Non Henry, c'est ma vie privée. Je ne me mêle pas de la tienne. On te parlera quand nous estimerons, Emma et moi, que c'est le temps de le faire. Jusque-là, je ne veux plus t'entendre.
– Mais-
– Non. Je n'ai pas aimé le ton que tu as employé ni le manque de respect vis-à-vis d'Emma. Que tu sois surpris ou en colère, c'est une chose, mais lui parler comme tu l'as fait ! Cela m'étonne de toi. Je t'ai mieux élevé que ça !
Henry regardait ses chaussures, maintenant. Emma en était restée bouche bée. Son fils, la furie, venait de se transformer en doux mouton en l'espace de 2 secondes.
– Tu sais ce qu'il te reste à faire…
Regina n'avait pas besoin d'insister et Henry ne se fit pas prier. Lui-même avait été étonné par sa propre véhémence :
– Excuse-moi, Emma, je n'aurais pas dû m'adresser à toi comme je l'ai fait.
– C'est pas grave, gamin. J'aurais certainement agi-
– Emma ! intervint à nouveau la Maire : Si, ça l'est !
Regina se retourna et prit la cruche de thé glacé et les verres empilés :
– Voilà, soit tu remontes ceci à Mademoiselle Lucas et vous continuez à ranger, soit je sors avec Emma pour discuter ailleurs.
– Mais …
– Très bien. Elle déposa le plateau sur le meuble et regarda Emma :
– Allons chez moi ! Et elle fit mine de se diriger vers la porte.
– Non ! s'écria-t-il : Non, ça va ! Vous pouvez rester ici. Je monte.
Tout sauf les laisser seules sans sa surveillance. Que serait-il arrivé s'il était descendu quelques minutes plus tard. Il secoua la tête pour chasser les images dégoutantes qui jaillirent. Il avait bien compris qu'il n'avait pas son mot à dire et que sa mère ne souhaitait pas sa présence… Mais il était hors de question qu'il les laisse seules, à faire Dieu sait quoi. Il récupéra le plateau lui-même. Henry remonta les escaliers, les pieds lourds et la queue entre les jambes. Il pouvait entendre les éclats de rire hilares de Ruby, qui n'avait pas raté une seule miette de la conversation qui s'était poursuivie depuis sa fuite. Il serra le plateau plus fermement. Il savait que l'amie de la famille n'allait pas hésiter à le chambrer.
Quand elles furent assurées qu'il était bien en haut et qu'il ne tendait plus l'oreille, Emma s'exprima enfin :
– Hé bien, ça c'est fait ! On n'a plus à se creuser la tête pour savoir si on doit lui en parler ni du comment et ni du quand.
Les épaules de Regina s'affaissèrent d'un coup. Son visage fermé, ses traits durs se dissipèrent en une fraction de seconde et cédèrent la place à une mine inquiète. Elle se dirigea vers le salon et s'assit, submergée par l'émotion.
– Ce n'est pas comme ça que je souhaitais qu'il l'apprenne.
Elle se prit la tête entre les mains et expira profondément. Emma la rejoignit rapidement et s'installa à ses côtés :
– Il l'a plutôt bien pris, je trouve, dit-elle pour la rassurer.
Même si son corps exprimait le contraire. Son cœur battait toujours la chamade suite à la pression exercée par son fils et son comportement, assez violent et … déroutant. Elle ne l'avait jamais vu comme cela.
– Tu n'as pas vu son regard, quand il est parti. Je le connais, on n'en a pas fini.
– On fera les choses doucement, Regina. Correctement.
– Qu'entends-tu par correctement ?
– On prendra notre temps. De se redécouvrir, de savoir ce qu'on veut réellement… Doucement parce que je ne veux pas gâcher cette chance…
– Une chance ?
– Il a raison… je n'ai jamais été très sérieuse. J'ai … un problème avec les engagements… les responsabilités.
– Vraiment ? Je ne l'aurais pas cru.
Emma roula des yeux, à ce constat sarcastique. Elle poursuivit, l'air de rien :
– J'ai envie d'essayer vraiment… sincèrement, avec toi. Je ne veux pas faire n'importe quoi. Je veux faire les choses bien… pour une fois.
– Emma, j'ai compris.
– Attends, c'est à moi à parler maintenant. Moi aussi, je me sens bien avec toi, Regina. Tu n'es pas la seule à ressentir… La Shérif dessina un lien imaginaire entre la Maire et elle : ça, entre nous. Tu le sais. Et j'ai envie d'être meilleure, de me prouver que je peux être meilleure… avec toi, pour toi. Je veux vraiment que ça marche. Tu me donnes envie d'essayer… Alors, oui, on avancera à notre rythme… Et lorsqu'on sera sûres de nous, on l'inclura. Est-ce que ça te va ?
– Et comment comptes-tu t'y prendre ? J'ai cette impression que tu as déjà une petite idée.
– Oui. Exactement.
Dans la rivière, c'était exactement ce à quoi elle avait pensé, espéré. Elle avait planifié, méthodiquement, ses prochains mouvements… qui avaient été vains. Aujourd'hui, elle allait pouvoir les mettre à exécution et avec l'aval de Regina, en prime. Elle se redressa, fière, sur le canapé :
– Reprenons à la case départ, la case traditionnelle, annonça-t-elle : Veux-tu bien sortir avec moi ?
– Comme un rendez-vous ?
– Non pas comme, un vrai. Un chaste.
– Un chaste ? Quelle étonnante demande de ta part. Il me faudra le voir pour y croire ! répondit-elle, sur un ton plus léger.
Cela en valait la peine, après tout. Emma semblait motivée et elle ne pouvait ignorer les sentiments qui l'habitaient depuis qu'elle s'était décidée à la revoir. Elle se garda bien de lui partager son enthousiasme. Après tout, il ne fallait pas qu'Emma pense qu'elle était une cause acquise.
– D'accord… Je sens ton scepticisme. Public, ce sera, dans ce cas. Je t'invite à boire un verre ou je t'emmène au restaurant ? C'est toi qui décides.
– Au restaurant…, répéta la Maire, pensive.
Jamais personne ne l'avait emmenée à un diner, romantique qui plus est. C'était une nouvelle expérience pour elle.
– Demain soir ? osa-t-elle proposer rapidement, intrépide. Emma surfa sur la vague de l'excitation et de l'opportunité.
Cependant, elle perçut un léger mouvement de recul chez Regina. Elle s'expliqua :
– Et tu appelles ça, prendre notre temps ? Y aller doucement ?
– Oui. C'est une simple sortie entre nous, seules. On parlera, on se tiendra chastement la main devant un délicieux repas, avec une musique douce… et …
– Je pense qu'il est trop tôt, interrompit-elle. Henry a besoin de stabilité. Lui aussi a vécu une semaine, en plus de sa rentrée, assez perturbée.
– Tu te défiles ?
Regina lui saisit la main et la cala entre les siennes :
– Non ! Non, Emma. Pas du tout. C'est le timing. Demain. C'est trop tôt. Je te prends juste au mot. Doucement. Il nous faut d'abord reprendre nos marques. Ne soyons pas trop précipitées. Et nous devons penser aussi à lui. Il vient de nous découvrir, à bouche, que veux-tu, avec tout ce que ça entraine comme conséquences pour lui.
– Je comprends. Ok… Mais je viendrai chez toi, Regina. Je ne vais pas attendre que le moment soit propice… Je le provoquerai. Même pour un souper ou pour un bête film, boire un digestif sur ton patio. Je ne vais pas attendre une autre occasion. Et je saurai me tenir… Ce n'est pas comme si c'était la première fois que j'étais venue et qu'on-
– Tu seras la bienvenue !
Regina prit son visage entre ses mains et l'embrassa avec empressement pour la rassurer qu'elle n'en attendait pas moins. Oui, elle aussi avait besoin de la revoir rapidement, le plus souvent :
– Tu es la bienvenue, quand tu veux, lui répéta-t-elle.
XXX
