Chapitre deux : doutes

Pliée en deux, la jeune fille remonta ses genoux sous son menton. Elle était seule dans la grande pièce sombre que seul un petit soupirail éclairé. Appuyée contre une caisse, elle regarda ses poignets. La marque des cordes était encore visible. Mais ce n'était pas cette marque qui lui faisait le plus de mal. Sa plus grande blessure était invisible. C'était une faille, un interstice qui avait trouvé place dans son âme. Depuis qu'elle était ici, et cela faisait maintenant près de trois jours, cette fissure avait continué de grandir, se nourrissant des doutes qu'elle trouvait au fond de son cœur. Des doutes qu'elle rejetait de toutes ses forces, mais qui pourtant, ne voulaient pas disparaître. Des doutes sur ce qu'elle ressentait pour Lui. Ou plutôt de ce que lui ressentait pour elle. Elle l'aimait de tout son être, chaque fibre de son corps l'appelant à l'aide, chaque parcelle de son cœur priant pour qu'il arrive bientôt. Mais son esprit lui disait qu'il ne viendrait pas. Même si elle l'aimait, lui, ne ressentait sûrement pas la même chose. Elle l'avait torturé mentalement si longtemps. Elle l'avait poussé à faire ce qu'il ne voulait pas, l'avait frappé…Et pourtant, elle l'aimait. Et elle continuerait à l'aimer. Mais le Doute était son ennemi dans ce piège où ses pouvoirs lui étaient inutiles. Elle s'était réveillé deux jours après son enlèvement, d'après ses kidnappeurs, et le fait que Yoh ne soit pas venu la chercher avait commencé à creuser son âme et ses certitudes…Depuis, elle se posait des questions, son pouvoirs étant trop faible pour faire appel à un fantôme. Car il avait disparu comme ses doutes étaient apparus. Et cet orage qui ne cessait pas…Il était la manifestations de ses doutes…Les plus forts éclairs apparaissaient lorsqu'elle doutait le plus fort…Mais elle l'attendait encore et toujours. Viendrait-Il bientôt ? Où s'en moquait il éperdument ?

Un nouvel éclair. L'orage durait depuis deux jours…Et chaque éclair creusait un peu plus son cœur, déjà meurtri, lui rappelant la force des sentiments qu'il éprouvait et qu'ils savaient à présent ne pas être partagés. Cette pièce noire, elle, représentait son cœur…Lorsque Anna était là, elle avait toujours été vive et claire. C'était sa chambre…Sobre, mais attirante. Elle avait toujours était lumineuse…Et son cœur s'en trouvait lumineux lui aussi. Car si sa chambre respirait la joie de vivre, cela voulait dire qu'Anna était heureuse ici. Et pourtant, voila trois jours, il était rentré ici pour l'appeler pour le dîner et avait trouvé la chambre vide, noire…sombre. Et son cœur s'était immédiatement terni lui aussi. L'orage avait alors éclaté tandis qu'il lisait le petit mot qu'elle lui avait laissé. Tout d'abord, juste un petit nuage. Puis le ciel était devenu lourd et avait lâché ses trombes d'eau lorsqu'il avait senti son cœur se déchirer. Anna lui disait dans son dernier mot qu'elle partait. Elle devait partir, parce qu'elle ne ressentait plus rien pour lui, et que vivre sous le même toit ne leur apporterait rien de bon, ni à l'un ni à l'autre. Yoh avait d'abord cru à une blague et l'avait cherché partout dans la maison. Il avait questionné Ryu, Manta et tout les autres. Mais aucun ne l'avait vu. Alors il était revenu dans cette pièce et avait pleuré toutes les larmes que son corps avait contenues. Il avait pleuré, encore et encore, malgré les questions de ces amis, et leur tentatives pour le réconforter. Mais rien ne le pouvait. Son âme s'était brisée en mille morceaux, et il ne pourrait pas la reconstruire tant qu'elle serait absente.

Yoh ferma les yeux. Il n'avait pas dormi depuis trois jours. Une fois de plus, l'image d'Anna l'assailli dès qu'il eut les yeux clos, et le força à les rouvrir. Son image, sa voix, ses mouvements, son odeur…Tout ce qu'elle avait était et serait toujours lui revenait en mémoire dès que les ténèbres de son cœur l'envahissaient. Le désespoir. C'était tout ce qui restait dans son cœur. Il sentait le besoin d'être avec elle. La toucher, sentir son parfum…Même juste rester près d'elle aurait suffit à combler son cœur de bonheur. Mais elle n'était plus là, et son envie le dévorait de plus en plus. Il voulait faire tout ce qu'il n'avait jamais fait. Lui dire qu'il l'aimait qu'elle était tout pour lui. Il voulait passer ses doigts dans ses cheveux, toucher la peau de son visage, caresser ses lèvres…et même l'embrasser. Poser ses lèvres sur les siennes, simplement. Peut être qu'elle était partie parce qu'il n'avait jamais rien fait pour la retenir. Il ne lui avait jamais dit ce qu'elle représentait pour lui, ne lui avait jamais rien offert pour lui prouver qu'au fond, il l'aimait. La peur de lui avouer avait toujours combattu pour l'en empêcher. La peur de découvrir sa réaction. Et si elle ne partageait pas ses sentiments ? Si elle le trouvait ennuyeux, et qu'elle vivait là juste parce que c'est ce qu'on lui avait dit de faire ? Si elle avait craché sur ces sentiments qu'il aurait étalé devant elle ? Comment aurait il réagit ? Son regard parcouru la pièce, pour finir par se poser sur la lettre d'Anna, laissée devant lui. Yoh tandis la main pour s'en emparer, et l'emmena à hauteur des yeux. Le papier était gorgé d'eau, trace éphémère des pleurs qui l'avaient secoué pendant de longs jours, et qui avait ébranlé son âme encore un peu plus. L'encre était devenue illisible par endroits, mais le jeune garçon avait lu la lettre tellement de fois que cela ne le gênait plus. Il la parcouru une fois encore, les larmes ne coulant pas sur ses joues cette fois. Elles avaient déjà toutes quitté son corps.

Yoh,

Je m'en vais. Cette décision m'a été difficile, car j'aimais cette maison. Mais je dois m'en aller. Je restais ici car tels étaient les ordres de la famille Asakura.

Mais je ne t'aime plus Yoh. Pardonne moi d'être dure et crue, mais c'est la vérité.

Je m'en vais donc, afin que ni toi, ni moi ne souffrions de cette présence qui ne nous est plus indispensable. Ne me cherche pas. Oublie moi.

Au revoir.

Anna.

Yoh s'enfonça encore un peu plus dans le désespoir. Il devait se lever. La chercher et la ramener. Mais il en était incapable. Il ne se sentait pas la force de se lever pour continuer à vivre. C'était un nouveau combat. Le combat le plus difficile qu'il avait rencontré. Un combat contre lui-même. Et il était en train de perdre.