Chapitre trois : Hao

Un nouveau coup de tonnerre. Anna arpentait la pièce pour la centième fois. Elle la connaissait par cœur, connaissait chaque caisse, chaque trace que ses mouvements laissaient dans la poussière. Une fois de plus, elle s'adossa à une caisse et remonta ses genoux contre sa poitrine. Pourquoi n'était il pas encore là ? Qu'attendait il pour venir l'aider ? Etait il possible que réellement, il ne l'aime plus ? La jeune itako repoussa cette idée. Non, Yoh l'aimait. Elle le sentait au fond de son cœur. Et c'est ce qui lui faisait le plus de mal. Il l'aimait, elle l'aimait, mais il n'était pas là. Pourquoi ? Un souvenir fusa dans sa mémoire. La première rencontre avec Hao. Pourquoi ce souvenir là ? A quoi pourrait il bien lui servir ? En revoyant le visage de leur ancien ennemi, frère jumeau de Yoh, son cœur se serra. Etrange. Pourquoi le fait de penser à Hao la rendait il si malheureuse ? Elle avait dit à Yoh lorsqu'elle l'avait retrouvé que son cœur balançait entre les deux. Mais c'était seulement une façon de lui dire de faire attention à elle. C'était la seule raison pour laquelle elle avait dit ça au jeune shaman. Alors pourquoi ce pincement ? Parce qu'il lui ressemblait, physiquement ? La jeune fille pressa ses mains sur ses yeux, s'imposant un noir complet. Mais une larme parvint à traverser la prison de chair. Pourquoi n'était il pas encore là ? Et pourquoi n'avait elle plus ses pouvoirs de shaman ?

Anna se força à réfléchir lentement. Les pouvoirs shamaniques étaient innés, le niveau de furyoku à la naissance étant impossible à changer ou presque. Mais ces pouvoirs s'accompagnaient d'une force de l'esprit. Si ce dernier était faible et fragile, les pouvoirs le seraient aussi. Alors, ces doutes qu'elle éprouvaient seraient ils la raison de la perte de ses pouvoirs ? Pour le savoir, pas d'autre choix. Elle devait mettre au clair ce qu'elle ressentait. Son cœur allait vers Yoh, comme elle l'avait cru pendant des années, où vers Hao, un Yoh plus sûr et intimidant ? La jeune fille soupira. Encore de longues heures de réflexion en vue.

Anna garda les yeux fermés pendant de longues minutes. Ces dernières lui paraissaient interminable, tant sa réflexion était difficile. Lequel des deux pouvait elle bien aimer ? Yoh, le garçon mou, mais si tendre, si gentil. Ou Hao, le même garçon physiquement, mais dur, et puissant. L'image des deux shamans se mélangea dans son esprit. La première rencontre avec chacun avait était difficile, et éprouvante. Yoh l'avait secouru du diable, son over-soul. Il ne la connaissait pas, elle ne voulait pas de son aide. Tout ce qu'elle voulait, c'était être seule. Et pourtant, le garçon s'était imposé, lui suivant la vie. Hao, lui, elle l'avait rencontré juste devant le village pache. Il était fort, séduisant, mais trop entreprenant. Et surtout trop sûr de lui. Non elle ne pouvait pas l'aimer. Impossible. Et pourtant.

Yoh se leva et arpenta la salle. De long en large. Puis de large en long. Il cherchait quelque chose qu'elle aurait laissé à son intention. Mais il n'y avait rien. Absolument rien. Le garçon se rassit dans son coin et posa son front sur ses genoux. La douleur. L'incompréhension. Il ne savait pas quel sentiment était le plus fort en lui. Probablement la douleur. Son esprit se perdit dans ses pensés et il l'imagina, encore une fois. Elle était assise dans un champ. Le vent jouait dans ses cheveux, qu'elle avait laissé flotté pour une fois. Pourquoi la vie les avait elle séparé. Ils étaient faits pour être ensemble. Cela lui sautait aux yeux. Elle était simple et ambitieuse, lui un peu mou et généreux. Ils se complétaient l'un l'autre. Et pourtant. Elle partie, il restait seul. Seul avec son désespoir. Le garçon s'enfonça un peu plus dans les ténèbres que créait son inconscient. Tout en lui l'appelait. Son cœur restait près d'elle, son âme était accrochée à la sienne. Son corps entier l'appelait, mais elle restait sourde à cet appel. La douleur augmentait encore et toujours. Elle allait bientôt le submerger, mais il s'en moquait. Il aurait accueilli la mort en libératrice, le libérant de ses doutes et de sa rancœur envers la vie.

Pourtant, pour lui, l'amour n'est pas signe de réciprocité. Il avait toujours cru qu'aimait quelqu'un, c'était tenir à le voir heureux, même si ce n'était pas en sa compagnie. Mais aujourd'hui, fini les grands discours, fini la grandeur d'âme. Seule la douleur était sa conseillère. Elle lui criait de la retrouver, de la ramener. De la forcer si nécessaire à vivre avec lui. Mais il ne parvenait pas à s'y résoudre. Il voulait la voir, mais la voir heureuse. Pas avec des larmes parcourant ses joues, inondant ces yeux où il se serait volontiers noyé. Tout pour qu'elle soit heureuse. Mais pourquoi, bon dieu, pourquoi, fallait il que se soit à son détriment. Ne pouvaient ils pas vivre ensemble ? Il avait déjà, inconsciemment, imaginé des tas de futurs possibles, où ils étaient ensemble. Ensemble, ils allaient se promener. Ensemble, ils s'endormaient côtes à côtes. Ensemble. Mais jamais, au grand jamais, elle ne l'avait quitté. Et voilà que la réalité dépassait la fiction, révélant toute sa cruauté, prenant un malin plaisir à le torturer.