Chapitre sept : un autre choix possible.
Le soleil se leva de nouveau sur l'auberge. Yoh s'éveilla, Anna ses côtés. Il remit lentement ses cheveux en place, sans la réveiller.
-Plus jamais je ne serais séparé de toi.
Il déposa un léger baiser sur son front et sortit sans bruit. Il rejoignit la cuisine où il entreprit de faire le petit déjeuner. Lorsque la jeune fille descendit, il lui présenta des œufs et une tranche de bacon grillée. Trop grillée, même.
-Désolé mais la cuisine et moi…
La jeune fille s'assit en souriant faiblement.
-Tu es sûre que tu as assez dormi ?
De nouveau, elle lui sourit. Par compassion. Comment pouvait-il seulement continuer à l'aimer ? Bien sûr, il ne savait rien de ce qui se passait dans sa tête. Sa tête et son cœur. Le problème était justement qu'il ne pouvait pas le savoir. Parfois, elle en venait presque à espérer qu'il développe les pouvoirs de son frère.
Hao, pourquoi moi ?
S'il avait su lire dans ses pensées, il aurait pu enfin comprendre son problème. Elle n'aurait plus eu alors qu'à attendre sa réaction pour savoir quoi faire. Il l'aurait sans aucun doute rejeté, et la question ne se serait plus imposée à elle. Juste être comprise et aidée. C'est tout ce qu'elle voulait aujourd'hui. Elle mangea sans envie le petit déjeuner que Yoh lui avait préparé et sortit de la pièce après l'avoir remercié. Elle sortit ensuite dans la direction de la salle du bain.
-Même mon onsen ne m'intéresse plus, se dit-elle avec dérision.
Tandis que l'eau chauffait, elle se coucha sur les dalles de pierres qui entourait le petit bassin, et laissa une de ses mains tomber dans l'eau tiède.
Comment pourrais-je faire ?
Les ronds que sa main produisait s'étirer sur toute la surface du bain, de plus en plus grand, comme en réponse l'écho de la question qui s'imposait au plus profond de son être.
Je ne peux pas faire ça. Je ne peux pas lui imposer ça…
Lorsque l'eau fut enfin chaude, elle se glissa dedans, sans faire de remous, et se laissa emportée par la douce chaleur qui se répandait en elle.
Le soleil levant trouva Hao prostré sur sa pierre. La nuit blanche qu'il avait passé avait creusé des cernes sous ses yeux noirs, et lorsqu'il se releva, la raideur de ses membres lui tira une grimace.
-Encore quelque chose que je te dois, petite itako…
Il sourit. Un vrai sourire. Un comme il n'avait plus connu depuis des dizaines, des centaines d'années. Personne n'avait jamais vu un vrai sourire d'Hao. Juste un simulacre de joie, de temps en temps, quand sa puissance lui donnait l'impression de pouvoir tout accomplir.
-Tout accomplir. Tout avoir. Quelle farce…Je suis impuissant ! La force n'est rien si elle ne permet pas d'avoir ce qu'on désire.
Il remit ses longs cheveux noirs en place et se dirigea vers la maison. Il y pénétra et trouva son groupe assoupit. Opacho et Rakist attendaient son retour près de la porte, refusant de quitter leur poste avant le retour de leur maître.
-Même vous…Vous êtes mes amis, mais vous ne pouvez rien pour moi…
Il sourit, d'un sourire sans joie encore une fois, et s'étira longuement.
-Personne ne peut plus rien pour moi. Je suis tomber dans mon propre piège.
La journée était déjà bien avancée quand Anna se dirigea vers la porte de l'auberge.
-Où vas-tu ? demanda Yoh qui venait d'apparaître derrière elle.
Il la suivait à longueur de journée, comme s'il avait peur qu'elle se volatilise en passant une porte.
-Je sors. J'ai besoin de marcher un peu. Seule.
Elle lui sourit faiblement et sortit. Elle marcha longtemps, parcourant le chemin entre l'auberge et la colline de Fumbari, dans un sens puis dans l'autre. Le soleil, le vent frais et la sensation de douleur dans ses muscles fatigués lui permettaient de penser, plus clairement qu'elle ne l'avait fait depuis longtemps.
-Qu'est ce que j'ai fait ?
Une larme perla sur ses joues, et elle l'essuya d'un geste rageur. Personne ne devait la voir pleurer. Plus jamais. Elle avait menti. Mentir, ce n'était pas le plus grave. Ce n'était pas la première fois, et sûrement pas la dernière. Mais à lui, si. Elle refusait de lui cacher plus longtemps ses questionnements. Elle devait aller le trouver et tout lui dire.
Ses pas la menèrent dans une ruelle qu'elle ne connaissait pas. Au bout se tenait une sombre bâtisse, visiblement abandonnée. Anna continua de s'approcher, comme si elle était attirée par cette maison.
-Pourquoi suis-je attirée ainsi ? Je ne comprends…
Une fenêtre de la maison s'illumina soudain. La ruelle, faiblement éclairée, lui permit de se cacher du mieux qu'elle put lorsqu'elle reconnut la silhouette qui se dessinait en ombre chinoise sur le verre encore intact de la fenêtre.
-Hao…souffla-t-elle.
Avait-elle été attirée par son pouvoir ? Non, cette supposition était stupide. Elle était venue ici, guidée par son inconscient, car c'était le seul moyen qu'elle avait pour apporter une réponse à ces questions.
Anna se tapit encore un peu plus dans les ombres de la ruelle. Elle déglutit avec difficulté. Hao, le sombre, le terrible Hao était à seulement quelques mètres d'elle, sa bande se trouvant probablement juste en dessous de sa chambre, attendant les ordres de leur seigneur pour répandre la terreur dans la ville.
-Sauve-toi, idiote, se morigéna-t-elle.
Mais ses jambes refusaient de bouger. Il lui semblait qu'elles s'étaient fixé dans le sol, refusant tout mouvement qui aurait pu les éloigner de cette ombre. Hao attacha ses cheveux en une longue queue de cheval, chacun de ses gestes se trouvant amplifié par la lumière et le jeu des ombres. Anna soupira. Elle ne pourrait pas rentrer pour lui parler. Elle n'en avait pas le courage. Pas encore. Après tout, il l'avait enlevée et séquestrée pendant plusieurs jours…Mais plus tard…Oui plus tard elle reviendrait, et alors elle pourrait mettre les choses au point avec lui. Et avec elle-même.
-Plus tard, promit-elle.
Amidamaru réapparu doucement dans la salle principale de l'auberge, le visage fermée. En le voyant, Yoh n'aurait pu dire q'il avait de bonnes ou de mauvaises nouvelles pour lui, mais il avait déjà sa petite idée sur la question.
-Alors ? Tu as fait ce que je t'ai demandé Amidamaru ?
Le fantôme acquiesça, l'air plus sombre que jamais.
-Je ne crois pas que ce soit très correct, maître Yoh.
-Je sais. Et ça ne me plaît pas pus qu'à toi. Je t'assure. Si je t'ai demandé, à toi, de le faire, c'est parce que j'ai confiance en toi. Je sais que tu ne me cacheras rien.
Le fantôme nia de la tête.
-Je ne peux pas vous faire de rapport Yoh. Ca ne correspond pas avec les idées que je me fais des devoirs d'un samouraï et…
Yoh le fit taire d'un geste. Il un sourire désolé, et acquiesça de la tête.
-Arrête, s'il te paît. Je sais que cela ne correspond en rien à ce que tu attendais de la part de ton maître. Je sais que tu fais ça pour m'épargner toute peine, et je sais aussi que j'ai un grand ami qui veille sur moi…
Une larme roula sur sa joue. Il eut un sourire forcé, mais son menton tremblait.
-Mais ton absence de réaction devant ma demande est la plus simple et la plus concise des réponses. Tu refuses de me le dire parce que tu sais que je serais choqué, blessé par la réponse. Mais je t'ai posé cette question en toute connaissance de cause, et je dois donc me plier aux conséquences de celle-ci. Pas la peine de me le cacher, j'ai compris.
Il déglutit avec difficulté, comme si les mots qui se déversaient de sa bouche lui été tiré de force, comme si un poison violent brûlait sa gorge en remontant des entrailles de son être.
-Elle y est retournée pas vrai ?
Le samouraï ne répondit pas et détourna le visage. Yoh lui sourit et l'enferma avec un léger « pardon » dans sa tablette, qu'il laissa sur le sol. Puis il se leva et sortit à son tour de la maison, des larmes parcourant ses joues.
-C'est drôle…se dit-il avec dérision. Je pesais avoir connu les sommets de la douleur, de la peur et de la tristesse. Je croyais avoir pleurer toutes les larmes de mon corps lorsque la torpeur s'est emparée de mon esprit l'autre jour. Et je découvre que pour chacune de ces choses, d'immenses réservoirs vivaient encore tapi dans les tréfonds de mon âme. La vie n'est donc que souffrance accumulée ?
Il courut longtemps, et ses larmes continuaient de couler. Le ciel se couvrit et se déchira quand, arrivé au sommet de la colline, il se laissa tomber à genoux pour hurler son désespoir.
