Les portes du Pavillon Blanc
Il ne fut pas plus étrange que d'habitude pour moi de rêver d'autrefois, cette nuit-là. Ainsi, c'est la tête pleine de souvenirs – certains plus pénibles que d'autres – que je me réveillai ce matin là, comme tous les autres ou presque. Je n'eus cependant aucun mal à sortir de mon lit, une habitude prise jadis, malgré la fatigue et le charbon incendiant mes pensées les unes après les autres.
J'attrapai un t-shirt posé non loin et encore propre, cela aussi était une de mes vieilles habitudes, afin de rapidement me changer. Un jean noir et un pull de la même teinte que mes cheveux bleuet finirent de me parfaire pour aller bosser. Ma crinière avait du mal à ne pas bouger sur ma tête et cela n'était pas du au fait que je m'étais couchée ces derniers encore mouillés : ils ne restaient jamais en place et cela m'avait valu diverses remarques fût un temps, et aujourd'hui encore.
Lorsque je poussai la porte de ma chambre pour rejoindre la pièce à vivre je manquai presque de trébucher lorsque la bête poilue qui miaulait depuis de longues minutes passa entre mes jambes. Ce monstre était câlin, particulièrement de bon matin, particulièrement avec moi, alors je l'attrapai avant de lui gratter le crâne entre ses deux oreilles pointées en avant.
—Ingrid ? Tu as nourri le chat ?
Je fis quelques pas dans le salon que je partageais avec la jeune femme depuis son arrivée ici, chose à laquelle j'eus bien du mal à m'habituer au début, elle encore plus. Après plusieurs mois, nous avions trouvé nos marques, et le ronron sur pattes aussi d'ailleurs. Celui-ci s'empressa de se diriger vers la cuisine où se trouvait ma colocataire lorsque je le reposai : il avait très bien compris de quoi j'avais parlé.
—Pas encore, répondit la blonde en levant très furtivement les yeux par-dessus notre bar américain.
Elle avait tressé ses cheveux qui repoussaient incroyablement vite de la même façon que par le passé, et je masquai un sourire qui aurait très rapidement quitté mes lèvres lorsqu'elle reprit la parole.
—Je te rappelle que c'est ton chat, ta responsabilité.
—De la part de quelqu'un qui passe sa journée avec des animaux, tu n'es pas très agréable avec lui, lui fis-je remarquer en me rendant dans la cuisine pour attraper une boite de pâtée perchée dans un placard.
L'odeur de nourriture pour chat ne se mariait pas vraiment avec celle du café qui se dégageait de la tasse que me servit mon amie qui haussa les sourcils à ma remarque, mais je fis avec puisque : c'était ma responsabilité. J'en profitai pour distribuer deux trois caresses sous des remerciements ronronnesques, avant de prendre une profonde gorgée de ce nectar énergétique.
—Justement, Byleth. Je passe déjà mes journées à prendre soin d'eux.
Elle m'imita et termina sa tasse avant de la poser dans l'évier puis continua.
—Je sais que tu tenais à prendre ce chat, et c'est pour cette raison que j'ai accepté de l'avoir ici, mais c'est à toi d'en prendre soin.
Quelques mois auparavant, j'aurais très certainement trouvé cette façon de s'adresser à moi étrange, et peut-être même déplacée, Ingrid n'aurait d'ailleurs jamais osé, mais… Les choses étaient aujourd'hui très différentes, nous avions presque le même âge, nous étions colocataires et par la force des choses devenues amies. L'adaptation fût rude sur ce point, les coutumes d'ici ne ressemblaient en rien à celles d'où l'on venait mais elle, comme moi, avions du composer avec. Comment s'intégrer et se sentir à l'aise sans cela ? En y repensant, je trouvais parfois cette idée folle et improbable, et pourtant… Partager mes quartiers – pour le dire ainsi – m'avait au moins pu permis d'apprendre à la connaitre, chose que je n'avais jamais eu l'occasion de faire autrefois. Il en était de même pour tous ses camarades, et plus encore.
—Je dois y aller, fis la blonde aux yeux amandes en attrapant un long manteau et son écharpe. Ne m'attends pas pour dîner ce soir.
Je lui répondis d'un signe de la main avant de m'asseoir devant le bar afin de savourer mon café. J'avais encore du temps avant de commencer la journée bien que je ne traînais jamais. Lorsque je n'avais rien de particulier à faire, mes pensées avaient tendance à s'évader et cela n'était pas toujours agréable.
Dorothea tira une tête de dix pieds de longs lorsque je lui racontai ma très courte discussion avec Ingrid. Non pas parce que cette dernière avait été particulièrement sèche avec moi, mais parce qu'elle n'allait toujours pas pouvoir passer un moment seule avec elle. La blonde travaillait énormément ces derniers temps. Avec les fêtes qui approchaient, elle s'attendait à recevoir nombre d'animaux offerts en présents puis abandonnés par manque de temps, d'investissement, mais aussi et surtout de cœur.
La journée fut finalement semblable à la précédente en tout points jusqu'à la fermeture. Je l'avais passé presque entièrement derrière le comptoir à remplir et à laver des tasses afin de les remplir de nouveau. Dorothea avait donné un coup de main à Corrin pour le service, et Sharena était venue chercher Reginn, comme d'habitude. Finalement, il ne resta plus que la brune et moi pour la fermeture.
—Byleth, m'interpella la chanteuse lorsque j'eus terminé de ranger les tables. Ingrid te trouve particulièrement fatiguée ces temps-ci, et ce n'est pas la seule.
—Je le ne suis pas plus que d'habitude, rétorquai-je peu encline à engager ce genre de discussion. Et puis nous n'avons pas eu de nouveaux habitués depuis un moment maintenant, ce qui me laisse du temps.
—Ho, tu n'as pas du voir le couple d'hier, il est revenu aujourd'hui et je pense que cette fois ne sera pas la dernière !
—Je ne parle pas de ce genre d'habitués, Dorothea.
Les lèvres de ma collègue s'étirèrent, elle savait très bien de quoi je parlais bien que je n'eus l'envie de rentrer dans son jeu.
—J'imagine que c'est préférable ainsi, finit-elle par répondre.
Je pris une grande inspiration et préférai rester muette. Comment la contredire ? Passer les portes du Pavillon Blanc n'était pas anodin, pour les personnes comme elle. Pour les personnes comme moi. Pour ceux et celles dont les histoires étaient inscrites et contées ici-même.
—Je trouve que tu t'es acclimatée plutôt rapidement, Dorothea, finis-je par lui faire remarquer. Tu n'es là que depuis quatre mois, après tout.
—Acclimatée ? répêta aussitôt celle au regard malachite. Tu l'es bien plus que moi à utiliser ces termes, ria-t-elle ensuite avant de reprendre plus sérieusement : j'aurais du arriver bien plus tôt…
Je n'étais absolument pas du même avis qu'elle. Pour ma part, j'aurais préféré qu'elle ne franchisse jamais cette porte. Du moins certainement pas de cette façon.
—Est-ce qu'il t'arrive d'y repenser ? je demandai soudain, submergée de souvenirs.
—A Fódlan ? Tous les jours.
Le silence prit la parole quelques instants, quelques instants avant que ses lèvres se n'entrouvrent de nouveau.
—Et à la mort, parfois.
J'eus du mal à déglutir en l'entendant prononcer ce mot. Pour une personne ordinaire, l'ouverture d'esprit nécessaire afin de tout comprendre était semblable à une fracture du crâne mais pour nous, ce n'était que quotidien, désormais. Bien que fracture fut certainement nécessaire, en quelques sortes.
—Certaines personnes me manquent quand d'autres sont ici, entendis-je très calmement. Mais j'ai surtout pu retrouver Ingrid, alors, je suis heureuse d'avoir passé les portes du Pavillon Blanc.
Nous savions pertinemment que certaines personnes ne seraient pas là tout de suite, et nous n'étions d'ailleurs pas certaines de revoir un jour tous les protagonistes de nos histoires mais d'une certaine façon, ce n'était peut-être pas plus mal. Passer les portes du Pavillon Blanc avait une signification particulière pour nous, alors… Si certaines personnes pouvaient ne jamais franchir ce pas…
Je m'apprêtai à prendre la parole lorsqu'une poche de froid nous enveloppa au moment ou la cloche du café tinta quelques secondes qui durèrent étrangement plus que quelques secondes seulement.
—Nous sommes… fis-je en me redressant avant de me figer. Fermés…
Nombre de proches et connaissances était resté là-bas et s'il demeurait quelqu'un que je ne voulais jamais voir entrer ici, c'était bien elle. J'aurais mille fois préféré voir les flocons de l'hiver s'introduire sur le souffle de l'air que ses longs cheveux blancs dansant sous le vent… Où ? Quand ? Comment ? Ces questions, tout comme mes émotions, restèrent en suspend.
