De par sa main
Dorothea qui venait d'arriver au Pavillon Blanc me rejoignit aussitôt à l'étage pour me trouver dans le bureau dans lequel j'étais enfermée depuis que les premiers rayons du soleil perçaient au travers des vitres.
—Comment va-t-elle ? m'enquis-je sans décrocher les yeux de la couverture du livre que je venais de refermer.
—Elle n'a pas fermé l'œil de la nuit.
—Edelgard a toujours eu le sommeil agité.
—Comme tous ceux qui débarquent ici, précisa Dorothea. Pendant combien de temps n'as-tu pas réussi à dormir, rappelle-moi ?
—Presque trois semaines.
Ma réponse se suffisait à elle-même. Qui dormirait sur ses deux oreilles en pareilles circonstances après tout ? Et pour certains d'entre nous, l'adaptation était plus longue que pour d'autre.
—Est-ce qu'elle est là ?
—Bien sûr, je n'allais pas la laisser chez moi, elle pourrait s'électrocuter sur… A peu près tout.
Merveilleux. L'accueil des nouveaux héros me semblait presque parfois pire que celui des nouveau-nés, à en croire les dires des jeunes parents qui venaient prendre une tasse ici. Si je connaissais parfaitement l'un, l'autre ne me donnait ainsi guère envie.
—Descendons.
Je fermai derrière moi en emportant tout le matériel nécessaire à cette journée qui s'annonçait particulièrement riche en émotions. J'appréhendais de me retrouver de nouveau dans la même pièce qu'Edelgard ainsi que toutes les sensations qui fleurissaient sur ma peau à peine son regard posé sur moi ou sa voix résonnant seulement à mes oreilles. Sans parler de son parfum, qui lui, incendiait chaque pensée avant même qu'elle ne se forme.
Edelgard se tenait droite comme un I, en bas, devant la porte, comme si elle n'avait pas bougée depuis l'avoir franchie la veille ou presque. Difficile de dire si elle se sentait ou non à l'aise ici, ce n'était guère mon cas. La voir me fit le même effet que la fois précédente et tous mes sens se mirent en alerte. Je ne sus éviter à mon regard de se perdre dans le sien toutefois, il m'attirait tout autant qu'il me sommait de me méfier. Non pas parce qu'elle représentait un danger, mais parce que je risquais de m'y perdre à jamais.
—Edelgard, je la saluai enfin.
—Professeure, fit-elle de même.
Je réfrénai un sourire en entendant ce titre, encore. Cela faisait bien longtemps que je n'avais pas enseigné même si d'une certaine façon, c'était encore ce que je faisais aujourd'hui lorsque je ne préparais pas le café.
—Je crains ne plus pouvoir prétendre à ce titre dans ce monde, hélas.
Son regard se bruma et je détournai le mien. J'ignorai alors ce qui me surprenait le plus, mon aisance qui d'une certaine façon revenait naturellement ou l'impression de ne l'avoir jamais quittée ?
J'allai chercher mon écharpe que j'avais laissée là en arrivant le matin-même et Dorothea me suivit d'un pas confidentiel.
—Est-ce que ça va aller ? demandai-je en nouant le tissu noir autour de mon cou. Corrin ne devrait pas tarder à arriver.
Je tendis ensuite les clefs que je déposai dans sa main lorsque ses doigts s'ouvrirent puis jetai un œil sur la boite que je trimballais avec moi depuis que je l'avais trouvée dans mon bureau.
—Et toi ?
—Ouais, fis-je en levant enfin les yeux après avoir lu les quelques lignes accompagnant le tout. Il me semble que ce n'est pas très loin.
J'enfonçai ma tête entre mes épaules après avoir bien fermé mon manteau – un second manteau puisque le précédent était toujours greffé à notre ancienne souveraine – et soufflai un bon coup.
—Cela faisait longtemps que je ne t'avais pas entendu parler avec un tel phrasé, sourit finalement la chanteuse.
—Et je doute pouvoir un jour m'adresser à elle autrement qu'ainsi.
—Elle n'est arrivée qu'hier.
Je n'ajoutai rien et retournai près de l'entrée suivit de près par ma collègue qui serait pour la journée responsable du Pavillon Blanc. J'ouvrai ensuite la porte et l'invitai à sortir – Dorothea avait surement dû la briffer – avant de me retourner une dernière fois.
—Tu m'appelles si tu as le moindre problème.
La brune me fit un signe de la main et la cloche tinta tout en donnant le rythme à mes pas.
Ce ne fut qu'après de longues minutes que le silence alourdi par les crocs de l'hiver fut brisé et contre toute attente l'Adrestienne fut celle à engager la conversation. Mon éloquence d'autrefois n'était pas bien différente de celle d'aujourd'hui.
—C'est la toute première fois que je vous entends vous adresser à Dorothea ainsi.
—Vous devrez vous y habituer au risque de vous faire dévisager chaque fois que vous vous retrouverez en publique.
—Vous ne vous souciez guère de ce genre de chose autrefois.
—C'est exact, mais les coutumes et normes de ce monde sont très différentes de celui duquel nous venons, j'expliquai alors. Mais vous remarquerez très vite qu'il reste toutefois maintes similitudes.
Bien sûr, il n'y avait plus de système de noblesse comme existait autrefois, mais les inégalités étaient tout aussi nombreuses et présentes même si les différents castes n'étaient plus de type souveraineté. Les rois et empereurs étaient ici remplacés par différents PDG et autres grosses fortunes du pays, sans même aborder la politique actuelle. Du moins pas pour l'instant. Je n'avais pas encore tout saisit moi-même.
—Même s'il demeure certaines hiérarchies, dans ce monde vous comme moi, ainsi que Dorothea et tous les autres, sommes logé à la même enseigne.
Je vis pour la première fois les lèvres pincées de l'ancienne impératrice s'étirer. Sans doute que ma dernière remarque était synonyme de mes mots et parfaite illustration de ce que je lui expliquais.
—Ha, nous y sommes, fis-je ensuite en lisant le numéro de rue sur la façade de la résidence devant laquelle je m'arrêtai.
Je badgeai avec le trousseau de clef que j'avais trouvé le matin même et la porte s'ouvrit sur un bip qui surprit légèrement mon ancienne élève. Elle m'emboita le pas lorsque je pénétrai dans le hall de cette résidence particulièrement moderne, néanmoins, je préférai prendre les escaliers que l'ascenseur flambant neuf, peu certaine qu'Edelgard supporterait de se retrouver enfermée dans une boîte en métal. Cette dernière me suivait sans poser de question quand d'habitude, nos autres invités ne cessaient de s'interroger. Je me souvenais d'ailleurs parfaitement de ce moment avec Dorothea changée en moulin à paroles pour l'occasion. Enfin, j'entendais par là bien plus que d'habitude. Elle s'était émerveillée sur toutes les choses qu'elle avait découvertes : c'est-à-dire tout.
—Je tiens à préciser que je ne suis aucunement responsable de ce à quoi vont ressembler vos quartiers, fis-je en enfonçant la clef métallique dans la serrure sous la poignée. J'imagine qu'ils ne ressembleront en rien à votre palais, il faudra vous en contenter.
La jeune femme ne me répondit pas lorsque la porte s'ouvrit et je fus surprise par la luminosité naturelle du soleil inondant ce sobre appartement dans lequel je faisais mes premiers pas. Tout le monde n'avait pas cette chance-là et je me demandai par ailleurs qui déterminait comment étaient attribués les logements. Les Déesses et Dieux, sans doute. Quant à moi, je découvrais l'adresse sur le paquet que l'on déposait sur mon bureau et me changeais en agent immobilier pour la journée. Quelle ne fut pas ma surprise avec l'arrivée d'Ingrid qu'il s'agissait de ma propre adresse. Pourquoi j'avais eu un si grand appartement s'était alors expliqué.
—La lumière est ici, expliquai-je en appuyant sur les petits interrupteurs à l'entrée. Nous sommes bien loin des bougies et torches de Fódlan, ajoutai-je en découvrant les lieux. Un avantage de ce monde, j'imagine.
—Dorothea a en effet prit beaucoup de plaisir à me montrer cette avancée technologique pendant au moins une heure. Cela, et également l'eau qu'il n'est désormais plus nécessaire de chauffer au feu.
Ma main rejoignit mécaniquement ma chevelure dans laquelle mes doigts s'accrochèrent puis je lâchai un soupire.
—Normalement, c'était à moi de vous expliquer tout cela.
—Peut-être auriez-vous pu le faire si vous ne vous étiez pas dérobée, Professeure.
—Vous n'avez pas tort.
Au contraire même, me dérober était précisément ce que j'avais fait la veille. La surprise mais surtout le choc de la voir passer les portes du Pavillon Blanc était toutefois un élément disculpant, à ma décharge.
—Voici de l'argent, fis-je en déposant les billets qui se trouvaient dans la boite que j'avais prise avec moi sur un meuble dans l'entrée, n'allez pas tout dépenser en sucreries, vous n'avez plus non plus la fortune des Hresvelg avec vous dans ce monde. Et voila votre Smartphone, repris-je en tendant devant elle le petit appareil, une autre prouesse technologique de ce monde. A priori, il y a déjà de quoi tous nous joindre à l'intérieur.
L'ancienne impératrice restait interloquée devant cette chose comme je le fus moi-même et je lui expliquai alors comment cela fonctionnait devant un regard aussi curieux que déconcerté. Ce monde avait beaucoup à offrir et elle avait désormais le temps nécessaire pour en découvrir chaque chose en son temps.
—Vous apprendrez à vous en servir, comme pour le reste, terminai-je. Evitez donc de toucher à tout et demandez-moi si vous avez la moindre question ou le moindre problème.
Les mèches blanches de la jeune femme se soulevèrent lorsqu'elle osa enfin un regard autour de nous puisque jusqu'ici, elle ne me quittait pas des yeux ainsi que les petites choses que je lui montrais ci-et-là. Elle ne demanda cependant rien de particulier.
—Je sais qu'il n'est guère dans votre genre de demander de l'aide à autrui, Edelgard, vous êtes bien trop fière pour cela. Toutefois… souris-je presque tendrement, écoutez-moi pour une fois.
—Pourquoi faites-vous cela, Professeur ?
—Comment ça ? demandai-je peu certaine du sens de sa question.
—Pourquoi est-ce à vous de le faire, reformula-t-elle alors.
Pourquoi ? Ha, éternelle question qui tournait en boucle dans ma tête.
—Je l'ignore, il faut voir ça avec la Déesse.
Celle aux cheveux immaculés resta figée une seconde, suivit bientôt d'une autre bien que rien ne venait trahir son éternelle impassibilité, masque qu'elle continuait de porter aujourd'hui et ici-même.
—Je sais que cela fait beaucoup d'informations.
Il en fut de même pour moi.
—De quoi vous souvenez-vous ?
Les bras de l'Adrestienne se croisèrent sur sa poitrine et elle baissa légèrement la tête. Son regard se déroba un instant et je la savais plongée dans ses pensées, à essayer de mettre de l'ordre dans son esprit.
—C'est assez…
—Flou ?
—En effet.
—Certaines personnes ne mettent que quelques heures à se rappeler, d'autres plusieurs jours, plusieurs semaines ou même plusieurs mois. D'autres encore ne se souviennent jamais mais pour la plupart, les souvenirs reviennent peu à peu.
Ce dernier cas était plutôt rare et rien ne permettait d'ailleurs d'affirmer que cela ne changerait pas un jour.
Edelgard me dévisageait maintenant et son regard appuyé qui ne me quittait plus se chargea de me poser la question qui lui brûlait les lèvres sans même qu'elle n'ait eu besoin de la formuler.
—Je me suis immédiatement souvenue, livrai-je alors.
Puis son regard s'éteignit étouffé par cette révélation qui n'en était pas une.
—Mais vous êtes là, murmura-t-elle, finalement, vous n'avez peut-être guère changé, après tout.
Je pris une lente et très profonde inspiration. Cette situation n'était facile ni pour elle, ni pour moi, et j'imaginais que plusieurs semaines si ce n'était plus seraient nécessaires pour nous y faire. Cela était certainement bien plus difficile pour l'ancienne impératrice d'ailleurs.
—Ecoutez, Edelgard, mon rôle est de vous aidez à vous souvenir. Cela signifie que nous allons devoir passer du temps ensembles, alors si cela représente un problème pour vous…
—Cela n'en n'a jamais été un, me coupa-t-elle. Mais, qu'en est-il pour vous, Professeure ?
Elle me braqua de son regard parme auquel je ne pouvais échapper et même si je l'avais voulu cela m'aurait été impossible. Lorsqu'elle me fixait ainsi, toute fuite était vaine.
—Après tout, votre mort est de mon fait.
S'il demeurait un souvenir qui ne m'avait jamais quitté, c'était qu'Edelgard m'avait tuée.
/
Installée dans le canapé du salon, je relisais encore et encore l'histoire de mon ancienne élève comme pour chercher à en découvrir la suite. Le futur était peut-être encore à écrire, un peu d'aide aurait été la bienvenue. Je ne fis même pas attention, absorbée par ce récit que je connaissais par cœur mais que je redécouvrais chaque fois, à la porte de l'appartement qui claqua quand rentra ma colocataire. Ce ne fut que lorsque ses longueurs dorées apparurent à quelques mètres seulement que je relevai enfin la tête.
—Je viens d'avoir Dorothea, m'indiqua-t-elle en rangeant son téléphone dans sa poche arrière. Elle m'a tout raconté.
Mais je ne répondis pas.
—Comment vas-tu ?
Je secouai seulement les épaules.
—Pourquoi ne me l'as-tu pas dit, ce matin ?
—Tu dormais.
—Alors hier soir lorsque je suis rentrée.
—C'est moi qui dormais.
—Avec son arrivée ici ? Cela serait fort étonnant.
Je secouai de nouveau les épaules, peu encline à lui expliquer que j'avais passée la nuit à me retourner dans mon lit et que je n'avais guère eu envie de me prendre la tête avec elle au sujet d'Edelgard de toute manière.
—Est-ce que c'est la sienne ? demanda enfin la blonde en pointant ses yeux amandes vers le livre que je tenais encore ouvert devant les miens.
Alors j'hochai cette fois la tête.
—Tu l'as terminée ?
Puis je recommençai.
—J'imagine que tu sais ce qu'il lui est arrivé après... la jeune femme hésita quelques secondes avant de prendre place à mes côtés. Après tout ça.
Elle croisa ensuite ses bras sur sa poitrine, le regard vague, troublé. Chaque arrivée dans ce monde et au Pavillon Blanc ne laissait personne de marbre généralement. Cette fois encore moins.
—Tu as également du apprendre les raisons de sa mort, lâcha-t-elle froidement.
Je me redressai dans le silence qui s'installa ensuite puisque Ingrid, comme tous les autres, avait conscience qu'il m'était interdit de révéler ce genre de choses avant que la principale concernée ne se souvienne elle-même. Je reposai enfin le livre et croisai mes doigts sur lesquels ma tête vint se poser. Le voile de silence continua de nous envelopper et m'avala un peu plus.
Pour la toute première fois, ces quelques pages étaient vierges.
