Présentations fortuites
Je m'étais encore rendue à l'aube au Pavillon Blanc afin d'aller trouver des réponses aux questions que je me posais, en vain. La seule personne qui aurait été capable de me les livrer préféra – comme à son habitude – restée très évasive lorsqu'elle ne me prenait pas de haut malgré sa taille de microbe ambulant. Etait-elle seulement au courant ? Pourquoi les pages étaient-elles vierges alors que d'habitude, l'encre y coulait à flot ? Quelle utilité y avait-il à me filer un bouquin dont l'histoire n'était pas complète ? J'avais beau retourné cela dans ma tête, ça n'avait aucun sens.
—Ha, Dorothea, tu es déjà là ? fis-je quand je remontai au rez-de-chaussée. Tu es bien matinale.
—Il le faut bien puisque je joue la responsable par intérim, sourit la brune en m'accueillant chaleureusement.
—Désolée de t'imposer ça.
—Ho, non ! Puisque je suis aux commandes peut-être vais-je pouvoir organiser mes soirées opéra !
—Ca ne durera qu'un jour ou deux, Dorothea, pris-je la peine de rappeler à la chanteuse qui s'emballait déjà.
—Un jour ou deux ? Alors qu'il s'agit d'Edie ?
Puis elle me fit l'un de ses clins d'œil sous-entendeur auquel je n'avais même pas envie de réagir bien que je soufflai déjà.
—Ma proposition tient toujours, Byleth, je peux m'en occuper si c'est trop difficile pour toi ! A moins que tu n'ais peur de te faire tirer les bretelles par notre patronne ?
Et de nouveau un clin d'œil. Quoiqu'il en fût, je n'avais pas vraiment le luxe de me soustraire à ma tâche puisque j'étais la seule à avoir accès à l'histoire d'Edelgard bien que dans le présent cas, cela ne m'était d'aucune utilité.
—Dorothea, soupirai-je pour attirer son attention. Tu ne cesses de me rappeler combien cela est difficile pour moi, mais qu'en est-il de toi ?
—Comment ça ? s'interrogea mon amie.
—Eh bien, rien ne serait arrivé à Fódlan si… essayai-je d'expliquer sans trop trouver mes mots. Toi, Ingrid…
—Tout le monde doit bien mourir un jour, Byleth !
Ce qui n'était pas faux, certes.
—Tu as de la rancœur ? Des regrets ? m'interrogea-t-elle ensuite curieusement.
—Pour être honnête, c'est quelque chose que j'ignore.
—Voyons, Byleth, cela fera bientôt un an que tu es là, ne vas pas me dire que tu n'as pas eu le temps de te poser la question.
Si, bien sûr que si. Cependant, les réponses ne m'étaient jamais apparues très clairement puisque brouillées par tout un tas d'émotions depuis, et même avant.
—Oublie ça, tu veux ? Je dois aller…
Dorothea et moi nous retournâmes lorsque la porte du Pavillon Blanc s'ouvrit sur le chant de la cloche suspendue. Surprise, moi ? Non, évidemment que non.
—Edie !
Puis je soufflai.
—Je vous ai dit hier que je viendrais vous chercher.
—Je sais me débrouiller par moi-même, Professeure.
—De toute évidence.
Concernant le fait de m'écouter, ce n'était pas encore gagné, mais j'imaginais qu'on ne referait pas l'impératrice de l'empire après tout.
—Et bonjour à toutes !
Mon regard passa par-dessus l'épaule d'Edelgard lorsque la partenaire de notre cuisinière entra dans les lieux comme ci c'était chez-elle, suivit de notre cuisinière justement. La blonde aux yeux émeraude, Sharena, n'avait rien à envier à la Joie elle-même, c'était sa parfaite personnification.
—Ho, je crois que nous n'avons pas été présentées, sourit-elle de plus belle en approchant de l'Adrestienne qui restait sur ses gardes.
—Edegard von Hresvelg, la salua-t-elle solennellement en tendant sa main gantée devant elle.
La blonde resta moins d'une seconde étonnée – ce genre de choses ne se faisait plus vraiment ici – avant de lier sa main à celle de la blanche. De fait, Reginn en fit autant.
—J'imagine que tu viens d'arriver. Mais tu verras, tu te feras vite à cet endroit !
Rien n'échappait au regard aguerri de Sharena en ce qui concernait les anciens héros. Peut-être que le fait de m'être absentée la veille lui avait également collé la puce à l'oreille puisque cela n'arrivait généralement que lorsque nous avions de nouveaux… invités. Quoiqu'il en fut et sans vouloir remettre en doute les douces paroles de la lancière, je n'étais pas si certaine qu'Edelgard s'acclimaterait si vite, même si elle s'était souvenue du chemin de la veille. Mille questions traversaient sans doute sa tête au moment-même, elle n'en faisait seulement pas part. J'imaginai que ce tutoiement familier était également quelque chose qui lui était étranger.
—Reginn ! Tu devrais lui faire goûter l'une de tes spécialités d'ailleurs, je suis sûre qu'elle apprécierait !
Celle aux cheveux bleus qui pour le moment était restée discrète excellait dans le domaine de la pâtisserie. Un point sur lequel, donc, Sharena ne se trompait guère pour qui connaissait l'impératrice de l'empire et son attrait pour les sucreries.
—Chaque chose en son temps si vous voulez-bien, dus-je intervenir avant que tout le monde ne s'emballe. Je pense que nous avons d'autres priorités pour l'heure.
—Tu es si rabat-joie Byleth ! s'exclama la chanteuse qui profitait largement de la situation. Nous pourrions décider d'une fermeture exceptionnelle et organiser un gouté de bienvenue ! J'en profiterai pour vous faire écouter mon dernier opéra !
—S'il te plait, Dorothea, ne t'y mets pas à ton tour.
—Quelqu'un a dit gouté ?
—Corrin !
Il ne manquait plus qu'elle, pas étonnant puisqu'elle bossait ici il fallait dire. Comment m'en sortir alors que celle aux épis d'argent appréciait particulièrement ce genre d'évènement.
—Je vais prévenir Azura de nous rejoindre ! nous-dit-elle aussitôt.
—Et moi Ingrid !
—Personne ne prévient personne ! protestai-je d'un soupir mécontent. Maintenant si vous voulez bien vous mettre au travail, les premiers clients ne tarderont pas à arriver.
J'avais parfois l'impression d'être à la garderie, ce qui généralement ne me posait aucun problème tant qu'elles ne prenaient pas de retard dans leurs tâches. Cependant, le pas de recul qu'avait fait Edelgard quelques minutes avant ne m'avait pas échappé, tout comme ses bras croisés sur sa poitrine lorsqu'elle se plaça instinctivement en position défensive. L'impératrice ne disait rien, mais je la savais déstabilisée et il y avait de quoi. Tout le monde s'adressait à elle comme si elle était comme tout le monde : mais elle ne l'était pas. En ce moment même, Edelgard von Hresvelg était encore l'impératrice de l'empire qui avait déclarée la guerre à Fódlan. Et nous ? Ses victimes.
—Allons-y, lui-fis alors.
Je n'entendis ni attendis plainte avant d'ouvrir une énième fois cette porte alors qu'il était encore tôt et fit signe à mon ancienne élève de me suivre. Celle-ci ne broncha pas non plus et m'emboita le pas tout en gardant une distance raisonnable avec moi.
—Est-ce que tout va bien ? m'enquis-je tout de même palpant la tension qui s'était installée dés notre sortie et même avant. Si vous m'aviez attendue chez vous comme je vous l'avais demandé… ne puis-je m'empêcher d'ajouter.
—J'apprécie votre sollicitude, Professeure, cependant je vous rappelle que je ne suis plus une enfant et que je n'ai nul besoin d'être protégé de la sorte.
—Non, bien-sûr, vous n'en avez après tout jamais eu besoin.
Les paroles de Dorothea me revinrent en tête sans que je ne les y somme. Rancœur ? Regrets ? Après tout, j'avais moi aussi eu des espoirs, autrefois. En avais-je toujours aujourd'hui ? Me retrouver aux côtés de l'ancienne impératrice faisait revivre la mercenaire que j'avais été, mais pas seulement. Lorsque la brise souffla, j'eus presque l'impression de revoir les mèches de mes cheveux bleuet se teinter de Jade devant mes yeux. Et avec, le rôle que j'avais du jouer.
—Êtes-vous proche de ces personnes ? demanda soudain la jeune femme sans pour autant me regarder.
—Qu'est ce qui vous fait dire cela ? Ma façon de m'adresser à elles ? l'interrogeai-je. Je vous ai déjà expliqué qu'ici, cela était chose courante.
—Votre aisance, elle se contenta avant d'ajouter : vous aviez autrefois tendance à placer une distance entre vous et les autres.
—Comme vous le faites aujourd'hui ?
Son regard parme me braqua mais elle restait silencieuse. Je ne pouvais pas prétendre la connaitre par cœur mais pour avoir passé de nombreuses heures avec elle, à Fódlan, ses réactions ne m'étaient plus inconnues. Une année s'était peut-être écoulée mais j'avais encore l'impression de l'avoir quitté la veille : elle n'avait pas changé. Mes remarques n'avaient jamais glissé sur elle et son regard se voilait chaque fois que le mien tentait de voir au delà du masque qu'elle portait plus lourdement qu'une armure.
—Contrairement à ce que les apparences peuvent laisser penser, je n'ai pas toujours été ainsi, commençai-je sans savoir dans quoi je me lançai. Je suis arrivée dans ce monde avec autant de défenses que vous si ce n'est plus encore. L'on ne m'a cependant pas laissé rester seule et, l'ironie du sort a voulu que mes élèves d'autrefois deviennent mes professeurs d'aujourd'hui.
Je m'arrêtai alors que nous marchions d'un pas lent. Prononcer ces mots à haute voix ne faisait que les rendre plus vrais. Plus forts. Et pour ne rien cacher, mon égo en prenait quelque part un coup.
—Vous avez entièrement raison, Edelgard. J'ai toujours laissé une distance entre moi et les autres, et sans la présence de Dorothea, d'Ingrid, et des autres, fis-je en pensant notamment à Sharena qui m'avait immédiatement prise sous son aile, à l'heure actuelle je serais certainement toujours en train de rejeter quiconque s'approcherait de trop près ou tenterait de percer mes défenses.
Je plongeai mes yeux dans son regard pénétrant au risque de m'y perdre une fois de plus. Elle n'était pas différente de moi, je n'étais pas différente d'elle. Nos similitudes étaient plus nombreuses que les choses qui nous séparaient. Ces dernières ne se résumaient qu'à nos choix.
—Nous ne sommes cependant plus à Fódlan. Vous avez expliqué hier savoir ce qu'était le Pavillon Blanc mais ignorer la raison de votre présence ici. C'est à vous de le découvrir et pour se faire, vous remarquerez très vite devoir laisser certaines choses derrière vous.
—Et je suppose que votre rôle est également de m'y aider, murmura-t-elle.
—En fait, il m'arrive à moi aussi de me demander pourquoi je suis ici… avouai-je à demi-mots.
