La tempête de Jade
Un simple sms fut suffisant pour entamer cette nouvelle journée. Puisque la très brillante impératrice – ancienne impératrice – était assez douée pour se débrouiller par elle-même, je n'avais pas décidé d'en faire plus pour lui sommer de me rejoindre à l'aube au Pavillon Blanc.
Riche d'émotions, la soirée de la veille n'était pas sans conséquences et mon apathie sévère et moi arrivâmes les premières. J'étais tendue, et l'arrivée d'Edelgard quelques minutes à peine après moi puisque je déverrouillai seulement la porte du café n'allait pas arranger les choses. Sur quel pied danser maintenant qu'elle avait exprimé son souhait de ne plus vouloir traiter avec moi.
—Avant que vous ne me demandiez pourquoi je vous ai faite venir si tôt, Edelgard, laissez-moi seulement vous informer que j'ai bien pris compte de la… demande, hésitai-je, que vous avez formulée hier.
Formulée n'était pas vraiment le mot exact. Cela s'était plus apparenté à de l'exigence, ou même à un caprice pour certaines personnes dont je tairais le nom. Quoiqu'il en fut, mon ton était particulièrement sec tandis que je l'invitais à entrer d'un geste de la main afin de refermer derrière-nous. J'étais complètement braquée.
—Bien, pourquoi m'avoir faite venir si tôt, alors, Professeure ?
Et je n'étais pas la seule au vu de cette impertinence sans égal.
—Parce que ce n'est pas à moi d'en décider.
Je conduisis l'aigle arrogant jusqu'à l'arrière boutique dans laquelle je déverrouillai la porte qui menait dans les souterrains sombres que j'avais plus d'une fois empruntés. Enfin, par sombre, j'entendais seulement éclairés à la lumière des torches. Mon ancienne élève qui m'avait suivit tout en conservant cependant une distance raisonnable avec moi semblait méfiante quant au lieu inconnu vers lequel je la guidais. Ses pas ne suivirent les miens lorsque je descendis la première des marches.
—Soyez sans craintes, vous pouvez me rejoindre. Pensez-vous que ce café tiendrait une telle réputation s'il y avait des rats ?
—J'ose seulement espérer que les rats ne sont pas la seule chose dont je doive me méfier.
—Vous méfier ? tiquai-je lorsqu'elle passa fièrement devant moi comme pour me prouver que j'avais tort. Vous ai-je jusqu'ici donner une seule raison de le faire, Edelgard ?
—Dans cette vie ou dans la précédente, Professeure ?
Ses yeux parme dorés par la lueur des flammes aux murs m'accusaient d'un crime que je n'avais jamais voulu connaitre mais qui me renvoyaient dans le tombeau sacrée. Quelle ironie puisque nous nous apprêtions à rendre visite à sa propriétaire bien que l'aigle ignorait encore ce point.
—Ne perdons pas de temps, soupirai-je devant l'impassibilité permanente de mon ancienne élève.
Je me demandai un instant qui était la plus impatiente de nous deux. Edelgard qui souhaitait absolument se débrouiller par elle-même mais par-dessus tout éviter de croiser mon chemin, ou bien moi qui nait en bloc que me retrouver face à elle et me tenir à ses côtés éprouvait ma raison. Si mon rôle était d'empêcher toutes ces âmes de vriller, qui saurait m'éviter de le faire ? Peu importait les questions puisque, nous arrivions.
La pièce s'agrandit et l'Aigle de Jais se figea lorsqu'elle pénétra dans ce lieu saint. Dans ces vestiges d'autrefois. Pour qui entrait ici pour la première fois l'accueil était plutôt impressionnant bien que pour ma part je n'avais été guère déroutée. Ce que je craignais était plutôt la réaction de la Déesse lorsqu'elle allait constater que je n'étais cette fois pas venue seule, et mon invitée n'était pas n'importe qui. La réaction n'allait se faire attendre d'ailleurs.
—Aurais-tu perdu la tête ?! Ou bien as-tu encore moins de bon sens qu'un rocher dévalant une pente !
Nous n'avions pas encore grimpé les marches que la voix du saint microbe résonnait déjà tout autour de nous et en fit presque sursauter mon oiseau. Pour ma part, je préférai le silence à de longues joutes d'argumentation qui auraient été inutiles.
—Rappelle-moi pourquoi je t'ai choisie ?! entendis-je avant d'apercevoir deux grands yeux Jade mis en valeur par des sourcils froncés de la même teinte.
Ha, me serais-je trompée à affirmer que cette gamine semblait avoir soudainement pris quelques centimètres ? Elle n'était pas très haute, mais son charisme à l'instant m'écrasait comme son énervement semblait le faire.
—Serait-ce pour ton côté flegmatique ? Peut-être ? m'interrogeait la Déesse avec dédain. Pour ton étonnante coupe de cheveux, si ce n'est pas ça, alors ? Ou bien pour ce talent que tu possèdes à protester à la moindre de mes demandes ? Si une chose est certaine, c'est que ce n'est pas pour que tu changes ce sanctuaire en hall de réception !
—Eh bien… fis-je en me grattant la tête. Aux grands maux les grands remèdes et cette situation semble sans précédents.
—Plait-il ?
—Edelgard ! tentai-je d'interpeler mon élève dont les yeux ne quittaient plus le trône.
Mais celle-ci devait être perdue quelque part entre le « suis-je vraiment en face de la Déesse ? » et le « mais elle est incroyablement petite » ou quelque chose comme cela, sans doute, bien que sur ce dernier point, l'aigle n'était pas bien grand non plus.
—Comment as-tu pu être aussi bête ?!
Puis la gamine – celle aux cheveux de Jade – soupira lassement avant de reposer plus calmement sa tête sur le revers de sa main gauche. Maintenant que la petite crise était passée, j'allais peut-être pouvoir m'expliquer à moins que la blanche ne veuille prendre le relais mais celle-ci semblait plongée dans un profond mutisme. Le choc de la rencontre avec les Dieux, certainement.
—Vous m'avez confié le rôle de guider les âmes lorsqu'elles franchissent les portes du Pavillon Blanc, déclarai-je plus sérieusement.
—Je vois qu'il t'arrive d'écouter.
—Cependant, certaines, bien conscientes de ce qu'il se passe, ne désirent pas recevoir d'aide, poursuivis-je en faisant fi de la condescendance que la Déesse ne prenait la peine de feindre.
—Par certaines, parles-tu de celle que tu as ramenée avec toi ?
—Edelgard souhaiterait seulement pouvoir se débrouiller par ses propres moyens. Sans mon intervention, précisai-je après une seconde.
—Se souvient-elle ?
—Vous souvenez-vous ? demandai-je à l'intention de l'aigle qui répondit seulement d'un mouvement de la tête avant de reprendre en direction du trône : pas encore, hélas.
—Alors je suis navrée mais cette petite devra prendre sur elle afin de te supporter.
—Qui qualifiez-vous de petite ? intervint enfin la concernée. Je suis Edelgard von Hresvelg, im-
—Ancienne impératrice d'Adrestia ! la coupa aussitôt sec la plus petite de nous toutes. Je suis au courant, pour qui me prends-tu ?!
La voix de la Déesse gronda et résonna de nouveau dans la salle du trône. Je cru presque sentir le sol – puisque les murs étaient somme toute inexistants – trembler. Les flammes des torchères vacillèrent sous sa puissance un instant mais rien de suffisant pour déstabiliser l'Adrestienne cependant qui soutenait la jeune fille du regard. Après avoir déclaré la guerre à un continent tout entier et après l'avoir remporté de surcroit, faire face à la Divine Ancêtre en personne pouvait sembler risible. Ou bien était-ce seulement parce que Edelgard n'avait jamais baissé la tête ou abdiqué devant personne : elle était bien trop fière.
—Je me demande laquelle de vous deux est la plus têtue, souffla celle sur son trône.
—Certainement vous, fis-je en croisant mes bras sur ma poitrine façon Edelgard.
—Petite impertinente ! tempêta celle aux yeux Jade. Veux-tu que je te rappelle ce qui est arrivé à ton prédécesseur ?
—Il a prit sa retraite ? osai-je d'un sourcils levé.
—Je te parle de la personne qui était là avant ton père ! Eh bien… commença la Déesse en se grandissant comme le faisaient ses yeux, ce n'est jamais arrivé ! Je suis Sothis ! La Déesse qui a veillé sur Fódlan ! Un peu de respect, voyons !
Puis elle se rassit sur ses pierres en me laissant pantoise. Sothis ressemblait à une gamine de douze ans mais se comportait parfois comme une grand-mère et les réprimandes qu'elle se permettait à la moindre occasion étaient dignes de celles qu'auraient pu nous faire nos ancêtres. Particulièrement lorsqu'elle trouvait quelque chose d'insensé. Finalement, malgré son caractère inqualifiable, je la trouvais au fond attachante d'autant plus qu'elle avait toujours veillé sur moi, bien qu'à sa manière toutefois.
—Je dois bien reconnaitre que votre obstination force l'admiration ! Cependant, reprit-elle tandis que ses lèvres dessinèrent un sourire, tu ne te déroberas pas cette fois-ci !
—Cette fois-ci ? s'interrogea l'Adrestienne qui se tenait silencieusement à mes côtés depuis que la pièce avait tremblée.
—Longue histoire, soupirai-je nonchalamment.
—Allez, ouste ! Je vous ai assez vues.
La plus petite étira ses bras pas plus grands qu'elle et prit une position plus… détendue, avant de cligner plusieurs fois des yeux lourdement.
—J'ai besoin de me reposer.
En d'autres termes, elle souhaitait faire une sieste et je la voyais déjà s'assoupir alors que nous n'étions pas parties. Après cela, elle demandait le respect ? Quelle ironie, mais on ne contredisait pas la Déesse en personne – pas plus d'une ou deux fois par jour du moins – alors je préférai partir et fis signe à Edelgard de me suivre. Cette dernière se retourna une dernière fois tandis que je descendais les premières marches. Non, elle ne rêvait pas et n'imaginais rien, c'était bien la grande Déesse priée en tout Fódlan qui s'endormait sur ce trône.
