La bibliothèque du souvenir

Je m'écroulai dans le canapé du « coin lecture » du Pavillon Blanc à peine remontée et porte verrouillée derrière l'ancienne souveraine et moi-même. Cette escapade entre réprimandes et réprimandes était venue à bout du peu d'énergie qu'il me restait. Force était de constater que cette fois-ci, je ne pouvais échapper à mes devoirs mais comment procéder lorsque la principale concernée n'était aucunement d'accord avec ceci ? J'allais certainement m'en faire des nœuds à la tête.

—Eh bien, vous ne m'aviez pas habituée à une telle nonchalance, me sermonnait déjà l'Aigle de Jais.

Mais je n'eus le temps de répondre que je vis la curiosité d'Edelgard se déplacer d'un bout à l'autre des quelques étagères sur lesquelles étaient rangés nos différentes histoires, alors je me relevai.

—Sont-ce les fameux livres dont vous m'avez parlé ?

J'hochai la tête avant de finalement prendre la parole tout en lui montrant les différentes… séries. Pour le dire ainsi.

—Cette étagère-ci comprend les histoires des natifs de Zenith d'où sont originaires Sharena et Reginn, par exemple, que vous avez rencontrées. Et ici… fis-je en pointant du doigt une rangée de bouquins située plus bas, vous pourrez trouver celle de Corrin.

Le regard de l'aigle s'égara sur les nombreux ouvrages. Il y en avait tellement qu'elle ne savait sans doute pas où poser les yeux mais ces derniers furent naturellement attirés par la rangée située à notre hauteur et son index longea chaque dos avant de s'arrêter sur une pièce de titre qui attira mon attention bien plus que nécessaire, ainsi que la sienne. D'un geste, le livre se démarqua de ses confrères lorsqu'elle le tira légèrement mais je l'arrêtai en posant ma main sur la sienne avant qu'elle ne le fasse entièrement. Le frisson que je ressentis alors était tout aussi caractéristique que l'appréhension grandissante depuis la seconde précédente. La raison ? Mes initiales y étaient gravées à l'or.

—Auriez-vous peur que je découvre ce qui y est mentionné, Professeure ?

Mon regard grave se reflétait dans ses orbes parme qui luisaient d'un éclat que je n'avais plus revu depuis… Bien trop longtemps hélas. Je me rappelai alors qu'elle n'avait jamais pu feindre son inquiétude à mon égard et ô combien ce sentiment était aussi agréable que pénible.

—Pourquoi semblez-vous à ce point troublée ? s'enquit alors l'oiseau devant mon expression anesthésiée. Je ne cherchais qu'à vous déstabiliser mais j'étais loin de m'attendre à une telle réaction.

—Pour être tout à fait honnête avec vous, Edelgard, je préférerai en effet que vous restiez à l'écart de son contenu.

L'aigle resta étonné devant ma confession et le silence suspendu à mes mots quelques secondes jusqu'à finir brisé par la caresse du livre qui glissa sur le bois pour regagner sa place.

—Pour quelle raison ?

—Par lâcheté, j'imagine.

—Pardonnez-moi, Professeure, mais je ne suis pas certaine de tout-à-fait comprendre.

Mes yeux ne quittaient plus le dos du livre sombre dans lequel était inscrite mon histoire, mais pas seulement. Il s'agissait également de mes pensées, de sentiments, mais aussi de regrets. Je n'avais pas envie que mon ancienne élève ne découvre l'apanage de ces derniers.

—Bien, abdiqua-t-elle devant mon profond mutisme. Je ne vous obligerai pas à m'en dire davantage si tel est votre souhait. Peut-être serait-il préférable d'ailleurs que je regagne mes quartiers, vous devez avoir à faire avant que les autres ne vous rejoignent.

—En fait, nous n'ouvrons qu'en soirée le samedi, alors rien ne presse.

Qu'étais-je en train de tenter ? La retenir ? Malgré sa volonté de ne pas vouloir être en ma compagnie ? Quoiqu'il en fut, cette tentative allait sans doute rester lettre morte alors autant la laisser partir. Et pourtant.

Je levai un sourcil lorsque je vis l'Adrestienne reprendre avec soin et sérieux l'examen de chacun des livres qui trônaient sur les différentes étagères. Rien ne venait la perturber. Rien ou presque en fait.

—Comptez-vous rester là à seulement m'observer silencieusement, Professeure ?

—Non, en fait, je comptais me rendre au refuge où travaille Ingrid comme je le fais généralement lorsque nous sommes fermés.

—Alors qu'attendez-vous pour le faire ? demanda-t-elle impérieusement avant de reprendre. Vous ne pouvez-vous permettre de me laisser là, n'est-ce pas ?

—En effet, répondis-je laconiquement.

—Dois-je en conclure que vous n'avez aucunement confiance en moi ?

—Il ne s'agit point de cela.

—Je n'oserai ouvrir ce livre sans votre consentement, Professeure, et loin de moi l'idée de rendre de nouveau visite à la Déesse.

—Vous n'avez nul besoin de vous justifier, Edelgard, je sais ce que vaut votre parole et ce à bien des égards. Si je ne souhaite vous laisser seule ici, c'est seulement parce que j'allais vous proposer de m'accompagner.

L'incompréhension voila le regard d'Edelgard pendant une seconde, peut-être deux, avant que ses doigts ne viennent redessiner ses sourcils pour se rejoindre sur l'arrête de son nez. Un reflexe mécanique qu'elle faisait parfois même sans s'en rendre compte lorsque quelque chose la perturbait.

—Je doute qu'Ingrid soit ravie de me voir, soupira-t-elle avant de relever les yeux.

—Comment voulez-vous qu'Ingrid s'adoucisse si vous n'avez même pas le courage de lui faire face ?

—Êtes-vous vraiment en train d'affirmer que je manque de courage ?

—Je le crains, hélas, souris-je naturellement.

La jeune femme croisa ses bras sur sa poitrine. Cette fois-ci, elle était vexée. Peut-être faussement vexée puisque moi-même m'amusait de la situation et Edelgard me connaissait en théorie assez pour le savoir désormais. Les combats et la guerre nous avaient peut-être séparés mais tous ces nombreux échanges, avant tout cela, avaient laissés des souvenirs gravés. Et une proximité que ni elle, ni moi, ne pouvions nier.

—Sachez que si l'ambiance reste tendue avec Ingrid, Dorothea sera quant à elle très heureuse de vous voir.

—Eh bien, la Déesse avait raison, votre persévérance force le respect, Professeure.

—N'est-ce pas là une qualité que l'impératrice de l'empire admire ?

—Je me dois de me corriger, car vous concernant, il s'agit finalement plus d'entêtement que de persévérance.

Si je lui avais fait remarquer son sourire, celui-ci aurait immédiatement quitté ses lèvres alors je me contentai de seulement l'apprécier avec toute la discrétion dont j'étais capable. C'est-à-dire énormément pour le faire durer quelques secondes supplémentaires.

—C'est d'accord… capitula finalement l'aigle devant ma surprise que je dus feindre au risque de la faire changer d'avis.

Je ne lui demandai pas pourquoi avoir accepté après avoir exprimé la volonté de ne plus vouloir me voir davantage puisque visiblement, je ne la partageais pas. Peut-être m'obstinais-je, en effet, à vouloir passer du temps avec elle. Et prétendre que cela était dans le seul but de lui faire retrouver la mémoire n'aurait été que mensonge. Cependant, chaque minute supplémentaire passée à ses côtés nourrissait un espoir qui m'était encore inconnu pour l'heure et qui risquait de rendre la chute plus violente encore lorsque de nouveau, elle choisirait de m'écarter de sa route pour avancer seule.