Virée au refuge Galatea
—Je suis navrée, Professeure, mais je refuse catégoriquement de m'asseoir sur cette chose.
J'avais beau répéter à Edelgard qu'elle ne craignait rien à seulement poser ses fesses sur la selle en cuir de mon cheval mécanique, rien n'y faisait, elle refusait même de seulement enfiler mon second casque. Celui-ci était pourtant d'une excellente qualité et le bitume n'aurait pas fait le fier à sa rencontre si rencontre devait se produire. Fort heureusement, j'étais excellente conductrice bien que depuis peu alors cela ne risquait pas d'arriver. Il valait mieux être prudent toutefois, et avec l'ancienne impératrice de l'empire, je me devais l'être encore plus. Rien ne devait venir abimer ce beau visage au risque de voir cette expression impérieuse et contrariée dénaturée.
—Puisque je vous dis que vous ne risquez rien.
—Pourquoi ne pas marcher ?
—Parce que le refuge se trouve à plus d'une heure et demie de marche.
—Parfait, l'air nous fera grand bien.
—Edelgard ! l'appelai-je perchée fièrement sur ma bécane en lui tendant le casque. Quid du courage de la grande impératrice de l'Empire d'Adrestia ?
Et ladite impératrice se figea. Bien-sûr, il n'était pas très fair-play de ma part d'en arriver là pour la convaincre mais quel autre choix avais-je ? La marche ne me faisait pas peur, j'avais seulement envie de faire découvrir à Edelgard quelque chose de grisant qu'il n'était pas permis de ressentir autrement que face au vent à plus de cent kilomètres à l'heure. Et, à moins de se prendre un Thoron de plein fouet, aucune sensation n'était comparable.
—Donnez-moi ça.
Et quelques minutes et négociations seulement après, les bras d'Edelgard entouraient solidement ma taille. Quant à moi ? Mon casque vissé sur ma tête masquait ce sourire fier et vainqueur mais aussi un peu bête qui décorait mes lèvres – fort heureusement.
Il ne fallut qu'une quinzaine de minutes tout au plus pour sortir de la ville. Cinq de plus furent nécessaire lorsque j'accélérai avec la sensation de faire fondre l'asphalte une fois le panneau m'y autorisant passé afin d'arriver près du chemin qui menait au refuge que gérait Ingrid depuis plusieurs mois maintenant. J'appréciais particulièrement de voir les longueurs albâtres se soulever dans mon sillage comme si la neige tombait pour la toute première fois lors de cet hiver. La tentation de faire un détour pour profiter davantage de cette ballade impromptue, mais surtout de la sensation de sentir mon aigle derrière moi et fermement accrochée, fut très tentante. Cependant, j'essayai d'appliquer le sens du mot modération puisque certaines choses se découvraient avec… parcimonie, disons.
Pieds droit au sol, je débrayai avant de mettre le point mort et de couper le contact. Les vibrations de la bécane tues, je sentis immédiatement le poids à l'arrière quitter la machine et la seconde suivante, les mains de la jeune fille inspectaient de long en large le casque sur lequel elle tirait sans que celui-ci ne daigne quitter sa tête.
—Attendez, fis-je en ôtant le mien. Il faut tirer ici.
J'attrapai la petite languette et d'un geste, détachait la lanière de sécurité. Edelgard n'attendit pas plus longtemps et retira l'équipement qui pour une première fois, pouvait sembler très oppressant. Se retrouver la tête emballée dans un écrin de plastique était peu commun. Elle le vivait cependant plutôt bien ou du moins le feignait parfaitement et je refreinai un sourire devant ses cheveux ébouriffés et ses joues rougies par le froid qui s'était sans doute introduit dans la course.
—Alors ?
—Pardon ?
—Comment était-ce ? m'enquis-je impatiente.
—Une calèche tirée par un par un cochet aveugle sur les vieilles routes de l'empire m'aurait bien moins secouée.
—Vous exagérez, lui reprochai-je faussement. Mais vous y prendrez goût.
—Comme si j'allais de nouveau monter derrière vous.
—Il le faudra bien afin de repartir, à moins que vous ne préfériez rentrer avec Ingrid ? souris-je avec malice.
Je prenais bien trop plaisir à jouer de cette situation, consciente que je ne le devrais pas, mais taquiner ainsi Edelgard était quelque chose qui m'avait particulièrement manqué. La dernière fois remontait à l'époque de l'académie des officiers et je m'étonnais de voir si facilement disparaitre le poids des années qui s'étaient pourtant bien égrainées.
—Alors c'est ici que travaille désormais Ingrid ? me questionna l'ancienne élève de Garreg-Mach en levant les yeux vers la bâtisses principale vers laquelle nous nous dirigions puisque je n'avais pas voulu salir mes pneus dans le mélange de terre et de crottins disséminés ci et là.
—En effet, elle en est la propriétaire depuis quelques mois. C'est un ancien haras.
—Un haras ?
—Un lieu où l'on élève des étalons, pour la compétition généralement.
—Je vois, se contenta l'aigle avant de finalement ajouter : Ingrid a toujours apprécié s'occuper des pégases et chevaux, je ne suis guère surprise de découvrir qu'elle le fait encore aujourd'hui.
C'était un fait. La lionne avait presque un don naturel pour cela. Surtout lorsque l'on savait que tout le monde n'avait pas le luxe de pouvoir approcher un pégase, en l'occurrence. Je n'avais d'ailleurs jamais vu Edelgard sur l'une de ses bêtes ailées. Quoiqu'il en fut, il n'y avait nul pégase ici, seulement des canassons tous plus ou moins âgés qui se tenaient sur quatre pattes, trois, pour le plus malchanceux de tous.
—Elle ne s'occupe pas seulement des cheveux, précisai-je à la blanche tout en tirant l'une des grilles du portail de l'entrer avant de refermer derrière nous. Elle recueille également tout autre animal en détresse, blessé, abandonné.
—Comme votre chat ? demanda-t-elle sourcils levé.
—Non. J'ai trouvé Hresvelg dans la réserve du Pavillon blanc il y a six mois environ. Le pauvre animal était terrorisé alors j'ai décidé de le prendre avec moi.
—Hresvelg… soupira-t-elle en répétant son nom tel un écho à mes oreilles.
—Il me faisait penser à vous, lui déclarai-je tandis qu'elle s'interrogeait probablement sur ce choix de prénom. Mais tout cela n'a aucune importance.
—Vous n'avez jamais été très douée pour mentir, Professeure.
—Avec vous seulement, me contentai-je.
Cette discussion plus épineuse qu'elle n'y paraissait de prime abord prit fin et je me dirigeai mécaniquement vers le paddock central où je trouvais généralement Ingrid et cette fois-ci ne fut guère différente des fois précédentes. La lionne repérée au centre du près dont l'herbe était incroyablement verte malgré la saison puisque la neige était cette année capricieuse, j'approchai des barrières de bois lasurées pour y poser mes bras que je croisai. Observer Ingrid s'occuper des chevaux et juments était quelque chose que j'avais toujours trouvé plus apaisant qu'une tisane à la camomille.
—C'est incroyable, laissai-je échapper. Ces purs-sangs anglais ne sont ici que depuis quelques jours mais elle arrive déjà à les approcher.
Mes yeux ne quittaient pas la plus petite des trois bêtes à la robe alezan qui trottait en décrivant des cercles autour de la fauve. Ce spectacle était presque fascinant et la chaleur qui naissait doucement en moi rendait le contraste avec les crocs de l'hiver plus mordant encore. A défaut de la neige, le froid, lui, était bien au rendez-vous.
—Ils refusaient de quitter leurs box lorsqu'ils sont arrivés, expliquai-je ensuite.
—Les chevaux sont naturellement à l'aise avec Ingrid, entendis-je soudain. Ils doivent certainement sentir la bienveillance et la tendresse qu'elle leur porte et dégage.
Mon sourire s'étira lorsque je me retournai et que mes yeux rencontrèrent les orbes auréolin de la femme qui s'était approchée sans qu'on ne la remarque. L'une des mèches de ses longs cheveux bleus fendait son visage éburné dont les joues étaient rougies par la température.
—Comment vas-tu, Azura ? m'enquis-je aussitôt.
—Bien, et toi ?
J'hochai seulement la tête avant de présenter ma camarade qui restait en retrait. Je me passai bien de lui préciser qu'il s'agissait de l'ancienne impératrice de l'empire qui avait provoqué mon arrivée ici : Edelgard suffisait.
Azura bossait avec Ingrid depuis que cette dernière avait rachetée le haras. Ce choix n'était que peu surprenant puisqu'elle avait l'habitude de s'occuper des bêtes, d'une en particulier puisque partageait sa vie avec un Dragon. Les chevaux, les chiens, les chats, rien ne l'impressionnait de fait et aucun animal un tant soit peu éclairé ne remettait son autorité en question. Un seul regard et tous rentraient au pas !
—Corrin n'est pas ici ? l'interrogeai-je en balayant le paysage du regard.
—Non, elle dort encore, tu penses bien. Puisque Dorothea est partie précipitamment du café hier, elle a du gérer la fermeture.
Mes doigts vinrent nerveusement gratter ma tête puisque j'avais oublié ce… léger détail. Un miracle que le café tienne encore sur ses fondations, pensais-je pendant une minute. Fort heureusement, ici, Corrin n'avait plus la capacité de se changer en Dragon.
—Comme si Corrin avait besoin de finir tard pour profiter d'une grasse matinée, m'amusai-je devant Azura qui me rendit mon sourire. Le prochain transfert est pour quand ?
—La semaine prochaine, répondit-elle laconiquement.
—Si je puis me permettre, intervins celle aux cheveux neigeux, pourquoi ces bêtes arrivent ici ?
Je me permis à mon tour de répondre.
—Parce que certaines sont jugées inaptes à la compétition, voila tout.
—Pour quelles raisons ?
Je laissai Azura répondre à cette question-ci bien qu'en connaissais également la réponse.
—Taille non conforme, comme ces trois-là trop petits de moins d'un centimètre, dit-elle en pointant son doigts explicatifs sur les animaux qui trottaient agréablement dans leur prés. Robe trop terne ou au contraire trop vive. Les raisons sont aussi nombreuses que la stupidité humaine est grande.
Et Ingrid, comme Azura, comme moi ou d'ailleurs comme toute personne avec un minimum de bon sens et de considération, préférait recueillir ces pauvres laissées pour compte plutôt que de les savoir finir à l'abattoir sans avoir pu galoper ne serait-ce qu'une seule fois au grand air.
—Est-ce que vous avez besoin d'aide ? demandai-je – là encore – en connaissant déjà la réponse.
—Tu sais bien qu'on ne peut se permettre d'en refuser aucune. Nous n'avons pas encore eu le temps de préparer les box.
C'est clair qu'avec seulement trois employés, et cela en comptant la patronne, pour gérer un endroit si grand qui demandait d'autant plus d'entretiens pour les locaux que pour les animaux, toute aide était la bienvenue. Surtout que les bénévoles n'étaient pas très nombreux. Seulement, puisque ce refuge fonctionnait uniquement par le biais des dons de très généreux – ou parfois pas généreux du tout – donateurs, eh bien, Ingrid ne pouvait se permettre d'embaucher. C'était d'ailleurs la raison pour laquelle je venais donner un coup de main dés que j'en avais l'occasion, en dehors du fait d'occuper mon temps libre ainsi que mon esprit.
