Odeur de paille et de défi
Je n'avais pas oublié la raison de ma présence au refuge Galatea et me demandai maintenant quand-est-ce que j'allais pouvoir organiser notre soirée caritative entre deux bottes de pailles à placer dans le box. J'observai de temps en temps mon aigle effectuer la même tâche dans celui d'à côté. Celle-ci n'avait point rechigné malgré son titre d'ancienne impératrice. Elle n'avait jamais rechigné devant les basses besognes, pensai-je silencieusement.
Ingrid rentrait l'un des derniers chevaux aux écuries pas très loin d'ici, mais finit par me rejoindre quand la souveraine s'éloigna chercher du foin. Elle jeta un coup d'œil par-dessus la porte du box avant de faire quelques pas à l'intérieur.
—Elle a de la suie dans les idées.
—C'est une étrange façon de la complimenter, souris-je en grattant ma crinière dans laquelle s'était égarés quelques brins de pailles.
—Tu penses que cela peut marcher ?
—Pas toi ?
—Si, justement.
—Pourquoi te tracasses-tu autant, dans ce cas ? m'enquis-je devant son regard absent.
—Ce n'est pas vraiment Edelgard qui m'inquiète, je sais qu'elle est prête à tout lorsqu'elle se fixe un objectif. Peut-être que cela devrait finalement m'inquiéter, réagit-elle à sa propre remarque.
—Je sais. Cependant, Dorothea a raison, fis-je sur un ton soudain bien sérieux ignorant la seconde partie de sa phrase. Et il ne peut pas rester enfermé à jamais.
L'arrivée d'Edelgard semblait avoir déclenché toute une série d'évènements dans ce monde que je ne soupçonnais pas jusqu'ici. Coïncidence ? Je n'y avais jamais cru. Peut-être que sa mort était tel un bon coup de pieds aux fesses dont nous avions besoin, moi y compris.
—J'irai lui parler. Je pense d'ailleurs qu'il est temps pour moi de reprendre certaines choses où je les avais laissées. Il ne s'agit pas seulement du refuge, et je ne peux pas fuir éternellement.
Ha, cela ne me disait rien qui vaille. Cependant, moi aussi, me devait d'aller au bout des choses et la présence de l'Aigle me donnait l'impression d'à nouveau pouvoir me sentir utile. Réellement utile et pas seulement en lisant des bouquins. Je fuyais ma principale tâche : aider les autres. Pourquoi ? Parce que je fuyais également mon histoire.
Ingrid me laissa lorsque revint Edelgard armée d'une fourche chargée de paille – elle avait déjà déposé le foin dans son box – et elle prit donc sa suite. Avec cette dernière masse, la petite pièce était prête à accueillir son nouvel occupant. Et avec cette dernière petite pièce, nous avions terminé. Plusieurs heures s'étaient écoulées sans même que nous nous en rendîmes compte. J'étais éreintée.
—Comment se porte la nouvelle employée du refuge Galatea ? fis-je en respirant enfin autre chose que l'odeur de paille et de foin, si ce n'était celle du crottin qu'Azura nettoyait à quelques mètres de là.
—J'ignore si je peux être qualifiée d'employée puisque Ingrid m'a bien précisé qu'elle ne pourrait me verser un salaire pour l'instant.
—Nos affaires au Pavillon Blanc ne sont peut-être pas suffisantes pour permettre l'entretien complet du refuge mais fonctionnent toutefois assez bien pour que vous n'ayez à vous soucier de cela. Je m'arrangerai avec Ingrid.
—Donc, je vais être dépendante de vous, si je comprends bien.
—Ne voyez pas cela ainsi, il s'agit seulement d'un partenariat. Vous rendez service à Ingrid, et je vous rémunère pour cette tâche.
—Ce qui fait de vous ma patronne, si je ne m'abuse ?
—On dirait bien, répondis-je en me grattant la tête une nouvelle fois.
La situation prenait encore des proportions alambiquées mais l'aigle n'émit aucune objection particulière. De toute manière, quel autre choix avait-elle ? Chercher un autre travail ? C'était en effet une possibilité.
—Le rôle que vous allez devoir jouer est bien plus important qu'il n'y paraisse de prime abord. Je… hésitai-je un instant. Je vais avoir besoin de votre aide.
—A quel sujet ?
—Vous le saurez en temps et en heure.
—Vous êtes toujours si évasive. Mais peut-être qu'ainsi mes souvenirs reviendront.
—Alors, vous cessez de refuser mon aide ?
—Voyez-le comme un partenariat, Professeure.
Cette fois-ci, j'appréciais la tendance qu'avait Edelgard à me renvoyer ma propre balle. Peut-être avions-nous finalement trouvé une entente qui nous conviendrait. C'était du moins ce que j'espérais puisque les raisons quant à ses objections récentes concernant mon rôle à jouer étaient toujours obscures. A peine l'eu-je pensé que cela me tracassait de nouveau d'ailleurs. Mes craintes n'étaient jamais bien loin, de toute évidence.
—Puisque nous avons encore du temps avant le déjeuner, que diriez-vous de tester nos reflexes d'autrefois ?
La blanche plissa le nez et je vis déjà la curiosité voiler son intense regard mais pas seulement : j'y trouvai également des doutes et une hésitation qu'elle n'avait jamais eu autrefois.
—Je vous parle en effet d'un entraînement, comme nous l'avons fait à de nombreuses reprises par le passé.
—Nous ne sommes plus à l'Académie des Officiers, Professeure.
—En effet, mon ancienne élève ne refuserait jamais un défi. Mais qu'en est-il de l'impératrice de l'empire ?
Je la provoquai volontairement tout en réalisant que ce duel était peut-être une mauvaise idée, après tout, puisque la dernière fois que nous nous étions affrontées, j'y avais laissé la vie. Le contexte n'avait cependant rien à voir avec notre dernière danse à Enbarr. Alors, allions nous faire un pas en avant ou bien, deux en arrière ?
—Très bien, puisque vous y tenez.
—Vraiment ? m'étonnai-je devant sa reddition. Je ne pensais pas qu'il serait si facile de vous convaincre.
—Vous connaissant, Professeure, vous auriez insisté pendant des heures si ce n'est des jours jusqu'à ce que je finisse par céder.
—C'est pourtant ce qu'a fait Ferdinand durant bien des années et le concernant, vous n'avez jamais accepté.
—Les choses sont différentes, claqua-t-elle sérieusement. Je n'ai jamais rien eu à prouver à Ferdinand.
J'eus du mal à déglutir et je sentis le poids de ce duel que je lui imposais peser sur mes épaules. Les enjeux de cette confrontation prenaient désormais un autre sens.
—Alors rendons les choses plus intéressantes qu'elles ne le sont déjà, Edelgard. Si je gagne, vous devrez répondre à l'une de mes questions.
—Et si vous perdez, Professeure ?
—Cela n'arrivera pas, la contredis-je d'un ton vindicatif.
—Vous êtes si sûre de vous, souffla la jeune femme impérieuse. Bien plus que vous ne l'étiez à Enbarr.
Parce que ce n'était ni le destin ni la fatalité que l'on pariait ce coup-ci. Et que la danse ne prendrait pas fin au moindre faux pas, ou à la moindre fausse note. Que celle-ci soit volontaire ou non.
