Questions réponses et liqueur de Kraken

Le samedi, nous n'ouvrions qu'en soirée. De dix-huit à vingt-et-une heure, précisément. Les autres soirs, nous fermions généralement vers vingt-heure. Un peu plus tard lors de certaines occasions. Nous n'étions pas un Night Club, seulement un café. De renom lorsque j'en vantais les mérites. Modeste lorsqu'il s'agissait d'aborder les horaires.

Après mon service, et donc après la fermeture, je pris une douche. Une seconde douche puisque j'avais prise la première après notre combat au refuge Galatea. Après celui-ci, j'avais seulement ramenée Edelgard chez elle, à sa demande. J'en avais fait autant et m'était également raccompagnée chez-moi où je m'étais contentée d'un énorme sandwich pour déjeuner. Après m'être occupée du chat, j'avais finis par tout simplement errer dans mon appartement jusqu'à ma prise de service. Travailler le week-end, c'était particulièrement laid. La soirée du samedi passait cependant plutôt vite et il ne s'agissait que de trois petites heures. Trois petites heures bien longuettes.

Je rentrai donc chez moi et arrivai vers vingt-et-une heure trente, presque tapante. Trente-et-une, puisque mes clefs n'avaient pas voulu rentrer dans ma foutue serrure au premier essai. J'étais un peu nerveuse, et il y avait de quoi.

Quand j'eus avalé d'une gorgée un fond de The Kraken pour me requinquer, je me posai un instant dans mon canapé qui me servait généralement de coin lecture, coin repas, coin détente. Mais la détente n'était pas au rendez-vous et je ne pouvais pour le moment rien avaler. Quant à la lecture, j'en avais eu ma dose. Ce verre de rhum me fit l'effet d'une gifle et ma langue brûlait encore comme tapissée de feux d'artifices. Je m'étais procurée cette bouteille qui me faisait me sentir tel un pirate – j'avais vu des films à la télévision et compris très rapidement qu'un très célèbre faisait de la pub au rhum – sur internet à prix modeste. Une formidable invention, internet. Pour ma part, les onze épices secrètes faisaient sombrer toutes mes pensées lorsque j'en abusais, et je me couchais généralement un peu plus tard tel un navire à la dérive prêt à couler profondément. Ce furent les quelques coups à la porte qui rafistolèrent le trou dans ma coque et me remirent à flot.

J'attrapai le chat, trop éreintée pour lui courir après ce soir, et allai ouvrir.

—Entrez, fis-je en apercevant mon aigle.

Et elle entra.

Je pris son manteau lorsqu'elle ôta ses plumes – après avoir reposé le chat. J'avais appris quelques manières depuis mon arrivée ici et d'aucuns ne me diraient qu'à ce moment précis je ressemblais encore à la mercenaire d'autrefois même si j'en conservais évidemment l'allure et pas seulement. Je faisais les choses bien. J'essayais. Comme tout bon hôte qui recevait ses convives.

—Avez-vous dîné ?

—Non, répondit laconiquement l'aigle.

—Je vais aller préparer quelque chose.

—C'est inutile, Professeure, je n'ai pas particulièrement faim.

Moi, par contre, j'avais les crocs finalement. Le verre de Kraken m'avait carrément découpé l'estomac en deux.

—De plus, je n'ai guère souvenirs que vous possédiez un quelconque talent pour la cuisine, me rappela-t-elle.

J'aurais pu rire et lui retourner ce constat mais son ton était particulièrement indifférent.

—J'ai du apprendre deux ou trois trucs en arrivant ici, puisqu'Ingrid n'a débarqué que deux mois après, il a bien fallu que je me débrouille par moi-même.

J'abandonnai donc l'idée devant son manque de réaction, et me commanderait une pizza après son départ.

—Quelque chose à boire, dans ce cas ?

Elle me fit un modeste signe de la tête. Par tous les Saints, Edelgard ne s'autorisait donc jamais un quelconque relâchement ?

—Bien, je boirai seule, alors.

Et liant le geste à la parole, je descendis un fond de mon alcool aux onze épices secrètes – fond plus épais que tout à l'heure. Edelgard serait certainement déjà partie quand le navire prendrait l'eau.

—Vous-êtes seule ? remarqua la plus jeune en jetant un œil à la ronde.

—Ingrid sort généralement avec Dorothea après le service du samedi.

—Vous ne souhaitiez pas vous joindre à elles ?

—Afin de tenir la chandelle ?

Une expression que j'avais apprise ici.

—Sans façon, les Saints m'en préservent.

Et celle-ci à Fódlan.

—Pourquoi ce sourire, Edelgard ?

La susnommée arqua un sourcil, elle n'avait même pas remarqué que ses lèvres s'étaient tendrement étirées et à peine lui eu-je fait remarquer, que ce sourire plus discret qu'une sourit disparut aussitôt. J'imaginais que ma question finirait à la trappe – là où disparaissaient les discrètes souris – mais elle me répondit quand-même.

—Je pensais simplement au fait qu'elles avaient tout de même fini par êtres ensembles. Je ne suis guère surprise ceci-dit.

—Ingrid et Dorothea ?

—Qui d'autres ?

Je me retins de lui expliquer que j'étais en somme entourée de couples, entre Azura et Corrin, Sharena et Reginn, alors, ma question restait cohérente. Enfin paraissait l'être dans mon esprit embué par les vapeurs du souffle du Kraken.

—Voulez-vous bien reposer ce verre, Professeure, afin que l'on en vienne aux faits ?

—Vous êtes si sérieuse, fis-je en obéissant mais en ne le remarquant qu'après.

Elle, n'avait certainement pas besoin d'un verre pour répondre à des questions que je n'osais poser. Quoique, oser n'était pas le principal problème. Il y en avait seulement trop et j'essayais d'en formuler une qui pourrait englober tout ce que je souhaitais savoir. Cependant, le mieux était l'ennemi du bien et à vouloir trop en savoir j'allais risquer de ne rien apprendre. La preuve en était qu'à trop réfléchir je ne savais même plus lequel des pourquoi cherchait son parce que.

—Je crois que la seule chose que je désire savoir, c'est pourquoi vous avez agit ainsi, l'autre soir.

C'était sorti tout seul. A peine aidé par les deux fonds de Kraken.

L'aigle soupira. J'étais certaine qu'elle n'avait pas envie de répondre et d'épiloguer sur ce fait mais ma récente victoire imposait récompense. La bienséance aurait voulu que je n'insiste pas, mais la bienséance, là, je m'en fichais éperdument. Moi aussi, j'avais le droit de comprendre, même si je n'avais jamais porté une quelconque couronne sur la tête – elle n'y serait jamais restée en place.

—Au risque de vous décevoir, les idées que vous semblez nourrir à ce sujet ne sont pas aussi incroyables qu'elles n'y paraissent de prime abord.

—Je ne nourris rien, je me demande seulement pourquoi vous vous êtes braquée ainsi.

Parce qu'elle s'était braquée, c'était un fait. Aussi certain que le soleil se levait chaque jour même quand le ciel était gris.

—Nous avons toujours été ennemies, Professeure. Le jour où je vous ai rencontrée, vous avez levé votre lame pour me protéger mais le destin savait déjà que vous la retourneriez contre moi un jour. Je n'ai jamais oublié cette promesse : celle de vous tuer. Promesse tenue. Alors…

Puis ses yeux parme se posèrent franchement sur moi.

—Comment me tenir face à vous comme si de rien était ?

Ennemies ? Je me demandai si ce mot avait encore un sens aujourd'hui pour qu'elle l'emploie ici et maintenant. Je me demandai également s'il avait eu un sens autrefois. Dans les faits, Edelgard ne cherchait pas à me nuire. Ni à moi, ni à quiconque d'ailleurs puisque pour elle, cette guerre était seulement l'option la plus rapide et surtout celle qui causerait le moins de victimes en Fódlan. J'imaginai que m'être retrouvée dans le camp opposé au sien faisait rationnellement de moi son ennemie. En tout cas, l'avait fait.

—Nous n'avons plus aucune raison de nous battre ici.

—Pensez-vous que les choses soient si simples, Professeure ? Beaucoup ne considèrent les Adrestiens que comme des impérialistes qui ont été prêts à mettre un continent entier à feu et à sang, alors que mon seul souhait était d'accorder plus de liberté au peuple et de rendre le système plus juste, argua l'ancienne souveraine. La mort ne change rien à ce fait. Bien que l'empire ait remporté la guerre, elle ne change rien au fait que les victimes furent nombreuses. Vous êtes l'une de ces victimes. La victime de mes ambitions.

Finalement, je me resservi ce verre malgré son regard désapprobateur qui noya aussitôt ma gorge.

—Vous semblez me reprocher de conserver ce rôle d'Impératrice bien que mon empire soit ailleurs. C'est pourtant de cette façon que tous me considèrent ici. Comme une ennemie qui a causé leur perte. De mon fait, et par mes choix, ils sont tombés uns à uns.

Par tous les Saints, ma bouteille se vidait comme si le fond était percé.

—Avez-vous seulement essayez de vous mettre à ma place, pendant moins d'une seconde ?

—Est-ce là votre question ?

—Je vous demande pardon ?

—Celle que vous m'auriez posée si vous aviez remporté notre duel.

La blanche semblait incertaine face à ma soudaine demande. Sans doute que celle-ci lui inspirait des sentiments mitigés. Pour ma part, ces sentiments m'envahissaient à la en-veux-tu-en-voila et j'étais incapable de les ordonner de manière rationnelle pour en comprendre le sens.

—Elles auraient été bien trop nombreuses.

—Mais si vous ne deviez en choisir qu'une.

Elle me lorgnait d'un œil perplexe. Cette attente silencieuse ne dura qu'un court moment cependant, elle reporta son attention plus près du sol. Sur la bête qui vint ronronner bruyamment entre mes pieds.

—C'était une manière de ne jamais vous oublier bien que, cela n'aurait été guère possible même si je lui avais donné un prénom plus conventionnel comme Tigrou ou Minet. Mais… soupirai-je presque sur un ton à peine audible, avoir un Hresvelg avec moi me faisait du bien et atténuait un peu… ma peine.

Edelgard était atterrée. Avais-je déjà été plus transparente que du verre poli qu'à cet instant ?

—Et puis… repris-je en m'accroupissant au sol et en faisant danser mes doigts devant les yeux de Hresvelg qui s'arrondirent. Il sort les griffes à la première occasion, mais une fois qu'il se sent à l'aise, il a la patte douce et légère.

Le chat me donnait des coups de cette fameuse patte douce et légère, et mordillait avec des crocs un tantinet plus saillants quand j'agitais la main un peu plus vite.

—Je doute avoir ma place ici, Professeure.

—C'est faux, répliquai-je en me relevant avec le félin dans mes bras qui cette fois cherchait à attraper mes mèches de cheveux bleuet comme si s'y était niché un oiseau vivant.

Elle observa ce jeu un instant mais je ne savais si c'était le chat ou bien la teinte de ma crinière que laquelle elle s'attardait. En mourait et en me séparant de la Divine Ancêtre, elle avait, tout comme mes yeux, retrouvé une teinte naturelle.

—Pour quelqu'un qui a lu mon histoire, si vous-même ne me comprenaez pas… prononça l'aigle difficilement. Comment pourraient le faire les autres ?

J'écarquillai les yeux. Mes lèvres se pincèrent une seconde.

—Je n'ai pas pu la finir. Les dernières pages sont vierges.

Mes aveux la laissèrent interdite. Ces pages blanches m'avaient laissée interdite, moi aussi. Elle allait sans doute demander quelque chose comme « pour quelles raisons » ou dans ce ton là, mais je ne la laissai demander puisque, je n'en avais pas terminé avec les réponses bien que j'avais largement dépassé l'unique question qu'était ma récompense.

—Vous avez mentionné regretter d'avoir franchie ses portes. Pourquoi l'avoir fait, si c'est pour avoir des regrets ?

Ce fut de toute évidence la question de trop puisque le visage de l'Adrestienne s'assombrit aussitôt mes mots portés à ses oreilles. Son regard se décrocha du mien pour aller fixer un point invisible quelque part. Quelque part loin de ces maux dont je semblais être la cause. Moi, ou mes questions. Moi, et mes questions.

—Une part de moi avait peur de ne plus jamais pouvoir le faire. Et de seulement disparaitre, sans jamais avoir pu vous revoir. Au moins une fois.

Sa réponse plus vive que la lame de mon ancienne épée trancha mon cœur en deux.

Après la mort, l'on se retrouvait souvent a errer dans une sorte de brume, jusqu'à voir la façade du Pavillon Blanc. Pour ma part, je n'y étais pas restée longtemps, c'était à peine si je m'en souvenais puisque le son de la cloche fut ce qui me réveilla. Mais, c'était ce que tous les autres m'avaient raconté. L'on ne pouvait rien distinguer de ce et ceux qui se trouvaient à l'intérieur, seulement une façade avec un nom. Pour ceux n'osant franchir le pas, cela laissait donc tout le luxe de comprendre ce qu'il se passait. Cependant, ce pas, certains ne le franchissaient jamais, quand d'autres restaient incapable de pousser cette porte même s'ils l'avaient voulu. Mais… Toute personne devant qui cette porte s'ouvrait avait droit à une seconde chance. Sans quoi, elle resterait seulement close. Close à jamais.

Edelgard… Edelgard, avait poussé cette fichue porte. Elle l'ignorait, mais elle venait également de trouver la réponse à la première question qu'elle s'était posée en arrivant au Pavillon Blanc.

—Si la fin justifie les moyens, tout acte n'en reste parfois pas moins impardonnable. Si je ne suis pas prête à trouver la rédemption, je l'étais encore moins d'affronter le regard de mon ancien professeur…

—Avez-vous des regrets ? osai-je alors, le tout pour le tout.

—J'en ai bien un. Vous avoir perdue.

Ses yeux parme mêlaient un sentiment de peur et une indifférence qu'elle avait probablement travaillés et parfaits tout au long de sa vie et durant son règne plus encore. Le tout me déstabilisait au plus au point et je ne sus s'il devait m'arracher une larme ou bien un sourire.

—Vous savez, Edelgard, murmurai-je doucement. Je me suis immédiatement rappelé que c'était vous, qui m'aviez tuée. Mais, je n'en ai jamais éprouvé de colère. J'étais seulement triste. Triste à l'idée que je ne vous reverrai jamais.