Il s'appelait Hresvelg

Cela faisait longtemps que je m'étais habituée à l'absence d'Edelgard à mes côtés. La première fois remontait à son couronnement auquel je n'avais pas assisté. Je ne sus que bien après, évidemment, que ces quelques jours de dispense lui avait été accordés dans ce but. Je ne le sus d'ailleurs que lorsqu'elle se révéla être l'Empereur des Flammes, et par la même occasion l'Impératrice de l'Empire. Cela m'amenait donc à la seconde fois où elle s'était tenue loin de moi ou plutôt, à la celle où elle avait cessé de le faire. Les cinq années où mon esprit fut happé à moi me parurent durer une seconde à peine, le temps de cligner des yeux à plusieurs reprises, mais déjà avant cela, elle avait quitté mes rangs, préparant rondement l'assaut sur Garreg-Mach. Bien que les aigles me choisirent plutôt que l'empire, l'absence de la déléguée ainsi que de son second, Hubert, se fit largement ressentir.

Pendant la guerre, je n'avais croisé Edelgard qu'une seule fois au sommet de la tour de la Déesse, où nous avions dansé. Si cette rencontre avait eu pour but de tenir une promesse, elle fut aussi l'occasion d'en formuler une autre. La promesse fut tenue et quelques mois après je recevais le coup fatal à Enbarr. Ce fut là, notre toute dernière rencontre. La guerre m'avait habituée à son absence, mais la mort l'avait rendue plus difficile encore.

J'avais déjà réalisé que je ne la reverrais peut-être plus jamais à peine les portes du Pavillon Blanc franchies. Même si tout le monde mourait un jour, tous ne parvenaient pas jusqu'ici. Cette possibilité était telle une épée qui pointait au dessus de ma tête et afin de la faire disparaitre, je dus accepter cette idée et me convaincre que jamais je ne reverrais l'Aigle de Jais. Il était parfois plus facile de vivre dans le deuil que de nourrir un espoir déjà éteint.

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Nous avions laissé Dimitri seul une fois les graines disséminées afin de les laissées germer. En d'autres termes, le jeune homme avait besoin de réfléchir. Peut-être était-ce parce que j'avais été particulièrement occupée que les quelques jours passés avant cela sans voir Edelgard ne m'avait pas vraiment dérangés. Peut-être que la raison se trouvait également dans le fait qu'après notre éprouvante conversation, j'avais eu besoin de ne penser à rien. Et, force était de constater que face à elle, je pensais à tout sauf à rien.

Là, tout semblait différent. Cela ne faisait que quelques heures depuis que nous nous étions quitté la veille et je n'arrivais à penser à rien si ce n'était à elle. Quelques heures seulement et pourtant, le manque de sa présence réveillait une solitude avec laquelle j'étais née et qui ne s'était dissipée que lorsque j'avais pris en charge les Aigles de Jais à Fódlan.

—Tu t'ennuies, toi aussi…

Mon chat s'amusait avec mes doigts sur le rebord du lit. Allongée sur le ventre, le bras tendu dans le vide, je sentais les griffes et les crocs du matou insister sur ma main comme si elle s'était changée en souris. Quoique, si tel avait été le cas je n'aurais déjà plus de main. J'observai la boule de poils sombre faire des petits bonds en avant pour attraper mes doigts avant de reculer pour mieux remuer le popotin. Le nombre d'heures pendant lesquelles on pouvait rester à seulement observer un chat était fascinant. Comme si, croiser le regard de ces petites bêtes faisait accélérer le temps. Mais dans mon cas, lorsque mes yeux croisaient les billes rondes de Hresvelg, le temps me rappelait autrefois.

Hresvelg était arrivé dans ma vie à un moment où, j'imaginais, j'avais autant besoin de lui que lui avait besoin de moi. Terrifié, affamé, n'osant qu'à peine sortir ses deux petites oreilles de la boite en carton dans laquelle il faisait ses nuits. Je ne sus ce qu'il se passa lorsque je vis ses moustaches pour la toute première fois ainsi que son pelage de Jais, ce ne furent pas ces quelques détails qui me rappelèrent Edelgard de prime abord, mais bien son regard. Il était si intense qu'on ne pouvait en mesurer la profondeur et les souffrances qu'il dissimulait le faisaient luire un peu plus fort. Ce jour là, j'avais passé des heures à seulement l'observer. Du moins, j'avais observé la boite dans laquelle il s'était caché. Cela avait prit plus d'une journée avant qu'il ne daigne montrer le bout de son nez, et une de plus avant qu'il ne décide d'approcher. Mais… Au premier contact, je sus. Je sus qu'il était là pour moi et que je serais là pour lui. Je sus que le prendre avec moi était l'unique chose à faire. Cela pouvait paraitre risible, mais ce chat m'avait en quelques sortes sauvé la vie.

—Aucun autre prénom n'aurait été avec ton teint.

Et par teint, j'entendais évidemment son caractère. Caractère fort particulier. Hresvelg était mignon, mais dés lors que quelque chose lui déplaisait, il n'hésitait pas à sortir toute griffe dehors ou pire encore, à me dédaigner. Dans ces moments là, il se contentait de me toiser, installé sur mon oreiller, sur la table du salon, ou bien sur le frigo dans la cuisine. Partout où il décidait de se percher pour me prendre de haut, lorsqu'il ne faisait pas de lents allers-retours la queue levée devant moi le regard impérieux. Même ses « miaou » pouvaient se traduire par quelque chose s'approchant du « nourris-moi, humaine » ou bien « ne m'approche pas, je suis fort contrarié ce jour ». J'avais l'imagination débordante en ce qui concernait les regards et miaulements de Hresvelg, et notre relation laissait mes amis souvent perplexes. Nous pouvions passer plusieurs heures, vexés, chacun dans une pièce de l'appartement sans oser se regarder. Généralement, cela se terminait par des câlins et ronronnements au couché.

Je finis par m'endormir finalement, bercée par les ronronnements et le tintement du pendentif en forme d'aigle accroché à son collier lorsqu'il se roula en boule tout contre moi.

Ce ne fut que quelques heures plus tard que je me réveillai en trombes, ma crinière ébouriffée. Je n'avais cependant pas le temps d'y mettre un quelconque coup de peigne et attrapai mes clefs pour me précipiter dans l'entrée. J'étais en retard pour le service du samedi soir.

Hresvelg était très important pour moi, et lorsque l'acier tinta dans la serrure quand j'eus fermé la porte, je ne réalisai pas qu'il avait alors suivit mes pas.