Avis de recherche

J'avais un très mauvais pressentiment. Un peu comme lorsque l'on part en vacances et que l'on se demande si l'on a bien fermé le robinet de la salle de bain ou coupé la gazinière. Pourquoi ? Je l'ignorai, mais ce soir là, durant le service, je ne cassai pas moins de deux tasses – pas les plus chères fort heureusement – et fit tombé un sac de moka d'Ethiopie qui ne fut pas récupérable hélas. Ce café là, par contre, c'était de l'or en grains. Fichtre.

Lorsque Dorothea me proposa de fermer à ma place – elle en avait pris l'habitude durant ces derniers jours où je m'étais pas mal absentée – je fus surprise mais acceptai la proposition. Après tout, terminer un peu plus tôt ne faisait de mal à personne. Sauf peut-être à Ingrid, qui de fait, attendait sa compagne dans le coin lecture vers la « bibliothèque de souvenirs ». La chanteuse m'expliqua que ce n'était certainement pas mon jour – enfin mon soir – et me fit un « ouste » de la main accompagné d'un clin d'œil, me conseillant fortement de ne pas claquer la porte trop forte afin que le Pavillon Blanc ne se change pas en Ruines Blanches ou en Vestiges Blancs, le nom était au choix. Corrin lui filerait un coup de main, mais je ne pus m'empêcher de penser que je me relâchais un peu trop ces temps-ci, en plus de voir ma concentration s'évanouir. Un peu bof bof pour une responsable. Ce n'était guère dans mes habitudes de compter sur les autres bien que j'aimais rappeler à la brune que les tables ne se lavaient pas du seul pouvoir de son regard mystique.

L'obscurité était ce soir tel un grand manteau sombre qui me recouvrait, accentué par cette mauvaise sensation que j'avais depuis que plusieurs heures déjà. J'accélérai le pas sans même m'en rendre compte, à la façon qu'ont les jeunes femmes de rentrer chez elles à près de quatre heures du matin dans des rues peu éclairées après une soirée arrosée. Je gagnai pas moins de cinq minutes mais sur un trajet de vingt, ce n'était pas négligeable.

Arrivée dans le hall, je n'eus la patience d'attendre l'ascenseur pour monter au cinquième et m'agaçait en voyant la machine bloquée quelque part entre le deux et le trois. Mes doigts galopaient sur mon bras, traduisant mon impatience, et je préférai laisser tomber pour prendre les escaliers dans un grognement d'impuissance. J'entendis le bip de la cage métallique à peine les premières marches montées mais je savais arriver en haut plus vite puisque je sautai d'un pallier à un autre – façon de parler. Là encore, la clef refusa d'entrer dans la foutue serrure ce qui valu un juron, suivit bientôt d'un second, mais ce mauvais pressentiment était toujours avec moi, voire plus encore.

—Je suis rentrée !

Cette annonce, elle était pour mon chat qui en général déboulait tel un bolide dans mes pattes parfois au point de m'en faire perdre l'équilibre. Cette fois là, je me tenais parfaitement sur mes jambes. Peut-être que la bête était en train de dormir quelque part, sur un coussin par exemple, ou bien laissait-il ses poils sur mon oreiller comme il aimait le faire quand je m'absentais quelques heures. Pourtant, lorsque j'entrai dans ma chambre, mon estomac se noua : il n'y avait pas de chat. Mon oreiller me parut froid quand j'y glissai la main alors je fis rapidement le tour de mon appartement. Point trace de Hresvelg.

—Eh merde, jurai-je encore.

Cette fois-ci, je ne pris même pas la peine de fermer à clef lorsque je me précipitai de nouveau sur le pallier de l'immeuble pour vérifier qu'il n'était pas sorti lorsque moi, fus entrée. Mais s'il s'était trouvé ici, comme c'était déjà arrivé, il serait déjà en train de pleurer devant une porte.

La température de l'hiver me parut bien plus mordante quand j'ouvrai les portes pour sortir – c'était pourtant la même. La détresse que je ressentais fit cependant perdre plusieurs degrés à mon corps. Je ne pouvais même pas imaginer ce qu'il se passerait s'il lui était arrivé quelque chose. Alors armée de la lampe torche de mon téléphone portable, je commençai à illuminer chaque recoin des rues adjacentes à l'immeuble dans lequel je logeai. Je lorgnai partout, derrière les caisses, les petites palissades, dans les poubelles. Des chats, il y en avait beaucoup, mais le mien restait toutefois introuvable. Je repensai alors à la première fois que je l'avais découvert, terrifié à l'arrière du café, et mon sang se glaça dans mes veines.

Il y avait beaucoup de chats noirs dans les rues : les gens étaient superstitieux et beaucoup étaient laissés pour compte. Le mien était reconnaissable entre tous parce qu'en plus de posséder une déchirure à l'oreille droite, son gant arrière gauche était blanc. Blanc comme la neige.

—Hresvelg ! hurlai-je à plein poumons à chaque intersection.

Mais je n'eus pour réponse que des aboiements et bruits de poubelles remuées par quelques chats errants.

L'heure défilait sur mon écran, tout comme ma batterie qui fondait à vue d'œil à l'instar de la température qui finalement, faisait chute libre.

—Bon sang, mais c'est pas vrai !

Il ne devait me rester qu'une quinzaine de pourcents, tout au plus – Ingrid me conseillait toujours de recharger avant de quitter notre appartement mais je ne l'écoutais que rarement. Cette fois, je regrettai amèrement de ne pas l'avoir fait. Quinze pourcent, en prenant en compte les cinq derniers qui fondaient généralement comme neige au soleil, ça me laissait moins d'une demi-heure d'éclairage.

Interroger les rares passants était aussi utile qu'une paire de palme à un canard puisque ceux qui ne traçaient pas leur chemin devant la folle agitée dont j'avais l'air se contentaient d'hocher la tête. Qu'en avaient-ils à foutre, après tout, d'un banal chat perdu ? Il y en avait tant d'autres, les avis de recherches scotchés aux poteaux d'éclairage et de circulation me le prouvaient.

La panique et le désarroi s'emparèrent de moi quand je passai sous la dizaine de pourcents et je maudis mon inutilité tout comme mon inattention au moment où j'avais fermé la porte. Je commençai à faire la liste de tout ce que j'aurais pu faire autrement, allant même à jusqu'à me considérer irresponsable. Hresvelg, c'était ce que j'avais de plus précieux ici.

—Dorothea ! claquai-je après trois sonneries.

Seule, je n'arriverais à rien dans le noir et les lumières tamisées des quelques réverbères ne m'aidaient pas à la tâche.

Byleth ? s'enquit la jeune femme. Qu'est-ce qu'il se passe ?

—C'est Hresvelg, il est sortit de l'appartement et je ne le trouve nulle part !

Je faisais les cents pas puisqu'avais déjà la sensation de tourner en rond entre les blocs d'immeubles et de commerces.

Comment ça, il est sortit ?!

—Il est juste sortit ! Il n'est plus là !

Je n'arrivais pas à communiquer calmement, j'étais seulement capable de hurler et d'hausser un peu plus le ton à chaque fois. La vérité, c'était que j'étais effrayée qu'il lui arrive quelque chose par ma faute.

Calme toi ! Je vais demander à Ingrid de jeter un œil autour du Pavillon Blanc, il t'a peut-être suivi jusqu'ici !

—Je ne l'ai pas croisé sur le chemin du retour !

Ma puce… entendis-je dans un écho qui semblait lointain. Tu po… aller… deh… mais la fin était complètement inaudible.

Ma main englouti mon visage avant de remonter lisser ma crinière pour ramener tous mes cheveux en arrière. Si Hresvelg m'avait suivi jusqu'ici, il n'aurait certainement pas attendu pendant trois heures devant le café. Il devait être ailleurs. Et ailleurs, putain, ce n'était pas ici.

—Dorothea, je n'ai presque plus de batterie, dit à Ingrid de me re- mais je ne terminai pas. Attends… C'est bon… soufflai-je sans attendre une quelconque réponse.

J'entendis le bip de fin d'appel de mon téléphone sans même regarder l'écran puisque mon bras tomba le long de mon corps comme s'il pesait soudain trois tonnes.

Je mis un pied devant l'autre et fis un pas, avant d'en faire un suivant, puis me précipitai à l'angle d'une rue, sous la lumière d'un lampadaire qui soudain éclaira l'obscurité tel un phare dans la nuit.

J'aurais pu reconnaitre le pelage de Hresvelg entre milles, ainsi que sa petite patte blanche recouverte de longues mèches qui avaient exactement la même teinte neigeuse. Je trouvai cette couleur magnifique sur les flammes vermeilles… La petite chose se blottissait entre les doigts fins et gantés.

—E- Edelgard… articulai-je le souffle court en m'arrêtant dans ma course.

—Professeure, je…

Le temps d'une seconde, je vis son regard parme s'agrandir mais son intensité me fut soustraite au moment où mes jambes reprirent leur course et que mes bras se refermèrent. La chaleur qui se dégagea la seconde suivante fut plus apaisante qu'un feu de bois lors d'un blizzard. Je fermai alors les yeux sur les flocons de neiges qui reposaient sur cette toile faite de flammes.

—Professeure… répéta l'Aigle de Jais captive de mon étreinte. Tout va bien…

Sa voix parvenait à mes oreilles et le reste du monde se tût. J'avais besoin de quelques secondes, les enveloppant, tous les deux. Quelques secondes seulement. Le temps que mon cœur ne se calme, si c'était bien le mien qui battait aussi fort.

Je cru bien le perdre, ce soir là. Je cru bien le perdre, encore une fois. Comme je l'avais déjà perdue elle.