Une question de confiance

Le paniquemètre était enfin redescendu et je pu me permettre de souffler tandis que je faisais glisser une tasse bien chaude sur la petite table basse du salon. L'odeur subtile de la Bergamote se dégagea dans la pièce entière et me calma un peu plus. C'était presque instinctif.

—Je vous remercie, entendis-je simplement.

Puis je m'installai en face de l'autre côté de la table basse, et mes deux mains se lièrent sur mes genoux.

—C'est moi qui vous remercie, Edelgard.

La susnommée prit la tasse avec grâce qu'elle porta à ses lèvres avant d'en savourer le contenu. C'était le même thé que l'on servait au Pavillon Blanc, le meilleur de fait. Du thé frais et en feuilles, pas des sachets tout prêt à l'utilisation.

—Où l'avez-vous retrouvé ? finis-je par l'interroger.

—C'est plutôt lui qui m'a trouvé, Professeure.

Le principal concerné apparu soudain – probablement qu'il savait que l'on parlait de lui – et s'approcha en boitillant maladroitement. Il n'eu cependant aucun mal à sauter sur les coussins du canapé afin de se rouler en boule tout contre moi. Ma main rejoignit aussitôt son pelage, et le concert ronronnesque débuta.

—Je me promenais seulement dans le quartier, expliquai l'aigle. Je n'étais pas certaine que ce soit lui, mais il s'est précipité dans mes bras lorsqu'il m'a vue.

—Vous vous promeniez ? Dans mon quartier ?

—Je ne loge pas si loin, vous savez.

Non, en effet, mais de là à se retrouver pile poils entre le Pavillon Blanc et mon appartement. Toutefois, ce n'était pas ce qui me préoccupait le plus ce soir.

—Il semble aller très bien, ne vous inquiétez pas.

Hresvelg semblait dormir mais donnait régulièrement des coups de langue sur ses pattes avant. Les chats avaient après tout, le sommeil très léger.

—Vous devez me prendre pour une folle, à m'inquiéter ainsi, seulement pour un chat. C'est ce que tous les autres avaient l'air de croire.

—Je n'ai jamais rien pensé de tel, Professeure.

Et une gorgée de thé noya ses paroles.

—Il s'est probablement égaré en courant après une souris, soufflai-je en souriant légèrement à la vue de la bête endormie.

—Force est de constater que la souris à gagné, je le crains.

—Il devait certainement s'échauffer.

—Et vous osez le comparer à moi ?

La tasse tinta lorsqu'Edelgard la déposa sur la table, le sourcil levé et l'air interrogateur. Son attention se posa sur le chat, puis son regard parme et intense me recouvrit à nouveau. Cette expression habillant son doux visage : je la découvrais. Elle n'était pas sérieuse, et concernant l'humour il y avait encore du progrès à faire. Cela me fit grand bien.

—Cela faisait longtemps que je n'avais pas vu vos cheveux attachés ainsi.

Je n'y avais pas prêté attention jusqu'ici, j'étais bien trop inquiète quant à l'état de Hresvelg, mais alors que j'arrivai de nouveau à me détendre, cela me frappa. Edelgard avait noué ses cheveux comme lors de son règne, en sorte de macarons sur les côtés, attachés avec de petits bijoux noirs. Eux, ressemblaient particulièrement à ceux qu'elle portait autrefois. Sans ses cornes, l'ancienne impératrice semblait bien plus… Accessible. Fragile, même.

—Cela est plus confortable lorsque j'ai à nettoyer les box. J'ai fini par m'habituer à de nouveau me coiffer ainsi.

—Vous ne l'avez pas fait lorsque nous somme allé rendre visite à Dimitri.

—Il n'y avait pas de box à nettoyer, ce jour-là.

—Parce que ce soir, il y en a ? souris-je un peu moqueuse.

Et, à moins qu'elle n'ait eu prévu depuis le début de se rendre chez moi, et que mon appartement soit comparable à une écurie – ce qui faisait de moi une jument – la réponse était non. Je savais de toute manière qu'Edelgard prenait particulièrement soin de ses cheveux, même si comme elle le disait, c'était « plus pratique » de les attacher comme ceci. Moi, ce que j'en pensais, c'était qu'elle souhaitait retrouver une part de celle qu'elle était autrefois, mais je ne lui fis pas remarquer. Elle était déjà particulièrement gênée de ma réaction même si elle ne le montrait guère. La preuve en fut qu'elle n'osait plus me regarder. Depuis Dimitri, de toute manière, tout semblait avoir… accéléré.

—Cela vous va bien, me rattrapai-je alors.

Mais son regard me fuit un peu plus. Je n'imaginais pas non plus les petites rougeurs sur ses joues habituellement si pâles, comme si elle avait été sculptée dans un morceau d'ivoire. La grande impératrice, embarrassée. Cela m'arracha un sourire qui ne passa pas inaperçu.

—Cessez de vous moquer de moi, Professeure.

Mon regard s'agrandit de surprise et je posai la tête sur le revers de ma main, accoudée sur ma cuisse, de façon à bien l'observer. Me moquer ? Moi ? C'était bien là le dernier de mes objectifs si tant étaient que j'eus une liste d'objectifs.

—Je n'oserais le faire, souris-je un peu plus.

Après tout, elle avait retrouvé Hresvelg. Je lui devais bien un peu de respect.

—Vous savez, repris-je sur un ton plus sérieux en prenant une posture qui en révélait tout autant, ce que vous avez fait avec Dimitri était… remarquable, lui reconnaissais-je. Peut-être que vous pourriez jouer un rôle, vous aussi…

Elle plissa à peine les yeux. Certaine de comprendre où je voulais en venir. Son calme semblait imperturbable, probablement du au détachement parfait tout au long de sa vie.

—Pour autant que je sache, Dimitri n'a pas encore accepté.

—Il le fera. J'en suis certaine, affirmai-je sans craintes – les autres étaient ailleurs. A moins que cela ne vous intéresse point, Edelgard.

—Là n'est pas la question.

Elle avala la dernière gorgée de la boisson aromatisée et j'entendis de nouveau la porcelaine tinter, annonçant par la même occasion un silence qui dura au moins une dizaine de secondes. Le temps semblait se soustraire à lui-même, s'écouler lentement, lorsqu'elle me fixait ainsi.

—Je ne suis pas faite pour ce rôle.

—Vous avez mené les Aigles de Jais à la victoire, argumentai-je alors. Vous avez même remporté la guerre.

—Personne ne sort vainqueur d'une guerre, hélas.

Par tous les Saints, pourquoi en arrivions-nous de nouveau là ?

—Je me suis toujours souciée de mon peuple et je pense pouvoir affirmer sans me tromper que j'ai été bonne avec lui lors de mon règne. Je n'étais pas une impératrice crainte et haïe.

Ma main disparut dans le poil sombre de la boule qui me présenta aussitôt son ventre les quatre pattes en l'air. Les ronronnements m'aidaient à me détendre – heureusement. J'avais comme qui dirait l'impression de marcher sur un fil tendu, le tout les yeux bandés.

—Cependant, celle qui a toujours guidé les autres, c'était vous. Je n'ai menée les Aigles à la victoire que parce que vous étiez à mes côtés. Et si j'ai remporté la guerre, c'est uniquement parce que je vous ai défaite.

—Vous ne devriez pas douter de vous à ce point, Edelgard.

—Je ne doute pas, j'énonce seulement des faits, Professeure. Votre présence rassure naturellement les autres et tous n'hésitent pas à vous suivre, même dans une bataille perdue d'avance.

—Faîtes-vous référence à Enbarr ?

Je tiquai, évidemment, sur le « bataille perdue d'avance ». Car cette bataille avait couté des vies. De nombreuses vies. Des vies que je regrettais, mais également des vies que je ne voulais voir s'éteindre. Voila pourquoi, elle fut « perdue d'avance ». Du moins, elle l'était déjà pour moi. Perdue.

—Il ne s'agit pas seulement d'Enbarr et de ce qui y s'est déroulé, c'était une façon de parler, j'imagine. Ce que j'essaie de vous dire, Professeure, c'est que tout le monde vous fait confiance. Que vous le vouliez, ou non.

J'eus du mal à déglutir. Me faire confiance ? L'avait-elle elle-même fait, à Fódlan ? Ce qu'elle m'expliquait alors n'était pas qu'un compliment – elle en avait conscience. Il s'agissait également d'un fardeau que je me devais de porter. Aujourd'hui, toutefois, je n'étais plus seule à le faire.

—Et vous, Edelgard ?

—Ce monde-ci vous a-t-il à ce point rendue curieuse ? Ou bien m'aviez-vous dissimulé cette soudaine éloquence ?

—J'étais votre professeur et vous étiez mon élève. Les choses ne sont plus les mêmes.

Même si elles l'étaient encore, d'une certaine façon. Les deux étaient vrais.

—Quand j'y repense, vous avez toujours été celle à poser les questions puis à écouter les réponses. Je me suis bien plus confiée à vous que vous, ne vous êtes confiée à moi.

Cela aussi, c'était vrai. J'imaginais que c'était mon rôle en tant que professeur, d'écouter mes élèves et de prendre soin d'eux. De veiller à ce qu'ils aillent bien, et à ce que rien ne leur arrive. Sur ce point, j'avais fatalement échoué. Cependant, lorsque l'on entraînait des enfants à devenir soldats, c'était bien dans l'intention qu'ils se battent un jour. La défaite était alors inévitable, et parfois fatale. Tout ça, c'était désormais derrière moi.

—Je ne sais quoi répondre, Edelgard, soupirai-je en réalisant qu'elle avait bien raison. Y-a-t'il quelque chose que vous souhaiteriez savoir sur mon compte ?

—Il y a bien une chose sur laquelle j'ai passé des années à m'interroger, Professeure.

Elle prit une profonde inspiration et son regard me perfora de part en part.

—Je souhaiterais comprendre pourquoi vous m'avez laissé vous abattre.

Cette question aurait certainement du me dérouter. Mais j'étais restée bloquée sur le « des années » qu'elle venait de mentionner.