Quatre ans et quelques flocons

Edelgard m'interrogeait sur l'avanie que je lui avais faite, à Enbarr. Moi, Byleth Eisner, autrefois mercenaire intouchable et enseignante respectée, avait laissé l'Impératrice de l'Empire d'Adrestia me porter le coup fatal. C'était un fait, et une réalité que je ne pouvais nier. Une bataille « perdue d'avance ».

—J'ignore de quoi vous parlez, réfutai-je toutefois.

—Ne me prenez pas pour une idiote, Professeure. Au cours des quelques mois à l'Académie des Officiers, je n'ai pas pu vous battre une seule fois.

—Vous oubliez ces cinq années que j'ai passées endormie.

—Vous avez volontairement baissé votre garde.

J'eus la sensation que la cicatrice laissée par Aymr qui partait de mon bas ventre pour remonter sur mon épaule gauche se mit tout à coup à brûler, comme si elle avait été tracée par un sillon de lave. A peu de choses près, c'était un peu ce qu'il s'était produit.

Pendant quelques secondes, je fus propulsée dans la salle du trône du palais impérial. J'entendis de nouveau le son de mes talons résonnant sur le sol de marbre. Le regard parme de l'impératrice, prête à m'abattre, réduisant tout mes espoirs à néant ainsi que les rêves que je nourrissais encore quant à un avenir… Avec elle. S'il me fallait admettre quelque chose, c'était certainement qu'Edelgard avait apporté un sens à ma vie, qui en avait été dénue jusqu'à lors. Mes mains étaient peut-être déjà recouverte de sang lorsque je lui fis face, ce jour là, je n'étais toutefois pas prête à y voir se déverser le sien. J'avais donc baissé ma garde puisque… Comment assassiner de mes mains la femme que je m'étais jurée de protéger jusque là ? Ce fut, l'acte de trop que je ne pouvais commettre.

—Un monde sans vous… N'était pas un monde dans lequel j'avais encore ma place.

—Pourquoi ne pas avoir décidé de me suivre, alors.

—Je voulais seulement vous protéger. Je… murmurai-je péniblement. Je m'étais jurée de vous sauver, quoiqu'il m'en coûte.

—Quelle ineptie. Je n'avais nul besoin d'être sauvée. J'avais seulement besoin de vous. Et cela vous à couté la vie.

Ce fut mon regard, cette fois, qui se subtilisa au sien. Je me dérobai, incapable d'affronter la colère que reflétaient ses yeux. Si l'arrogance était une forme de pouvoir, le sien était bien supérieur au mien. J'étais cependant coupable. Coupable de ne pas m'être montrée à la hauteur de celle que je représentais pour elle. Cela aussi, je le savais. Je l'avais lu, je l'avais vu.

—Je ne souhaitais la mort de personne… Pas même celle de mes ennemis. S'il y avait eu une autre solution, soyez bien sûre que j'aurais fait autrement, mais le monde tel qu'il était autrefois, était seulement corrompu par la présence des emblèmes à l'origine des inégalités qui ont engendrés des conflits, et bien pire encore…

Je repensais alors au soir où Edelgard m'avait avoué avoir passé plusieurs années de sa vie enfermée, torturée par la seule présence de son emblème et de son titre. Les atrocités gravées à même sa peau et expériences qu'elle avait subit, elle, ainsi que tous ses frères et sœurs, avaient ainsi peint sa vision du monde. Un monde ravagé qu'il fallait reconstruire. Une part de moi continuait de croire que j'avais fait le bon choix, ce jour là, dans la tombe sacrée. Je ne voulais pas la sauver du combat, mais de quelque chose de bien plus sombre encore.

—Avancée sur une route pavée de ténèbres fut mon choix.

Un choix que je n'arrivais toujours pas à accepter et qui m'arracha un rictus de colère qui dévoila certainement à peine mes dents. Comment avait-elle pu faire le choix d'ainsi se sacrifier ? Quand bien même avais-je pu faire le même, la voir ainsi disparaitre fût… plus douloureux qu'un millier de coups d'épée.

—Si vous vouliez à ce point me sauver, Professeure, reprit la blanche armée de ressentiments dévoilés. Vous auriez dû me tuer, à Enbarr.

Mon regard braqua sur elle une colère que je ne soupçonnais jusque là. Comment pouvait-elle seulement me regarder et me dire cela ? Je n'étais pas prête à entendre la réponse.

—Vous êtes ici depuis un an, mais j'ai pour ma part passé quatre années à fleurir votre tombe ainsi que celle de mes anciens amis et alliés ! Vous pensiez épargner ma vie en sacrifiant la votre, mais avez-vous seulement réalisé qu'une part de moi était morte avec vous, ce jour là ?!

Je ne sus ce qui me prit, mais j'enjambai la table basse du salon afin de passer de l'autre côté sans pouvoir me contrôler. Et avant même que je ne le réalise, mes bras se refermèrent sur elle. Mon cœur battait douloureusement, une chose dont j'avais fait la découverte ici puisque, silencieux jusque là.

—Pro- Professeure, qu'est-ce que vous faîtes… ?

—Quelque chose que j'aurais dû faire bien avant, Edelgard. Bien avant… répétai-je à voix basse tout près de son oreille.

—Je… Ce geste m'est douloureux…

—A moi aussi, mais cela s'estompera, répondis-je seulement.

Puis je sentis ses mains s'accrocher à moi, autant que moi, m'accrochai désespérément à elle.

—Professeure…

—Cessez donc de m'appeler ainsi. Je ne le suis plus désormais.

—Byleth… reprit alors la jeune femme.

Mon corps vibra à la façon d'une corde de guitare tandis qu'elle prononçait mon nom pour la toute première fois.

—Je ne supporte pas votre excès de bienveillance… Je ne la mérite pas.

—Comme toute autre forme d'attention.

Mon visage enfoui dans le creux de son épaule masquait ce sourire aussi nostalgique qu'il était pénible de porter. Mais je ne pouvais faire autrement. Tout me ramenait à elle, en permanence.

Son nom était toujours resté gravé sur mon cœur. Finalement, Edelgard m'avait un peu délivrée en me donnant la mort puisqu'à ce moment-là, il avait battu pour la toute première fois quand il aurait du cessé de le faire. Ce fut lorsque tout s'assombrit, dans la capitale, que je vis la lumière. Et je sentis les tout premiers battements en m'éveillant ici. C'était il y a un an pour moi. Quatre pour elle.

Quatre années, quatre hivers. Et des souvenirs qu'aucun flocon n'aurait su emporter.