Sous une cloche de verre

J'avais été l'une des dernières à mourir, mais l'une des premières à arriver. Dans ce monde-ci, le temps n'avait aucune logique et encore moins d'emprise. Il s'écoulait différemment et indépendamment d'ailleurs. Il pouvait se passer trois jours ici que trois années pouvaient s'égrener en Fódlan. Le temps du voyage, lui aussi, étais variable et incertain puisque l'on pouvait partir avant quelqu'un mais franchir cette porte après son arrivée. Quelques secondes dans la brume pouvaient même sembler durer des heures, et des heures, une seconde à peine. Ce monde était sous cloche, il avait ses propres règles et sa propre temporalité. Personne ne savait « quand » il arrivait alors au Pavillon Blanc.

Ce moment aussi, était dénué de sens et de logique. Il me semblait suspendu à lui-même, décroché de son cours. J'ignorai si une seconde s'écoulait ou bien une heure entière à chaque battement de cœur, mais si une chose était sûre est que j'y serais volontiers restée des années, ainsi, enlacée dans ses bras. J'y aurais passé ma seconde vie toute entière à défaut de n'avoir pu le faire durant la première.

—J'avais bien l'impression que vos cheveux avaient poussé de quelques centimètres, fis-en attrapant l'une des deux mèches albâtre.

Mes doigts glissèrent sur la longueur faîte d'un amas de neige et de coton. Elle avait la teinte de l'un et la douceur de l'autre, la même grâce et délicatesse. Je n'avais pas besoin de voir les flocons tomber, il me suffisait d'observer ses mèches se soulever.

Puis, je souris… Je souris bêtement sur une pensée tout aussi bête…

—Cela signifie donc que vous êtes désormais plus âgée que moi, Edelgard.

Celle-ci garda le silence, emprisonnée dans mes bras. Peu importait son âge, elle resterait toujours mon aigle, et la jeune femme que je voulais protéger autrefois… et encore plus aujourd'hui. Dans cette étreinte, mon corps était tel un rempart.

Le silence nous enveloppa après cela, à peine perturbé par le bruit des habits froissés sous mes doigts alors que je me tenais à califourchon sur elle. Cela aurait pu paraitre gênant, mais ça m'était égal. Je ne voulais pas la lâcher. Toutefois, cet instant, éphémère, comme tout moment, suspendu à lui-même ainsi qu'au reste du temps, du reprendre son cours.

Je me redressai légèrement afin d'apercevoir son visage que je ramenai vers moi. Son regard me marquait, et ce reflet de peine et de colère mêlées le rendait encore plus beau encore. Colère que j'acceptais tandis que sa peine était écho de la mienne. Cette nuit était sombre et froide, autant que son silence était lourd, et dans ses yeux parme je disparaissais, m'évanouissais. Ils faisaient taire mon nom.

—Edelgard… soupirai-je lourdement.

Mon souffle dévoilait mes émotions ainsi que des sentiments, gardés sous clefs, depuis bien trop longtemps, hélas. Mes doigts caressèrent son visage, changèrent aussitôt cette expression désolée en une nouvelle, embarrassée. Je n'avais nul besoin de courage, seulement de me laisser aller. Alors, lentement, j'approchai…

Le Pavillon Blanc n'étais ni paradis, ni purgatoire. Cette conception était un choix, non une fatalité mais pour ma part, j'étais convaincue qu'avant d'être un endroit, c'était déjà une chance. Une chance de se retrouver afin de dire mais aussi de faire ce tout ce dont la vie nous avait privés.

—Ne faîtes pas cela, Professeure…

Son index se posa sur mes lèvres. Une caresse mais aussi une frontière, frontière que l'Aigle ne s'autorisait ou n'avait envie de franchir.

Je soupirais, non contrariée, ni même blessée. Du moins, pas par ce geste, mais par la tendance qu'avait Edelgard à continuer d'ainsi, se flageller. Pour qui savait garder les yeux ouverts, il était d'une évidence que ce qui me liait à cet aigle était également partagé.

Alors, dans un accord tacite, je me relevai. Loin de moi l'envie d'infliger à l'aigle plus de blessures que je ne l'avais jusqu'ici déjà fait.