Sous la lumière des projecteurs

Tapis dans l'ombre du comptoir du Pavillon Blanc, je remplissais des verres qui se vidaient les uns derrières les autres pour se remplir de nouveau. Je du revoir un peu mes plans, et accepter de ranger de côté les grains de café pour un soir afin de les remplacer par divers alcools colorés. Si l'on m'avait dit un jour, que moi, Byleth Eisner, aurait tout du parfait tavernier. J'aurais alors bien ri. Seulement voila, mon tablier préféré avait été remplacé par un gilet noir sans manches aux boutons argentés, porté par-dessus une chemise blanche. Et la cravate était bien-sûr de mise.

Depuis que la soirée avait commencé, j'avais fini par m'habituer cette obscurité ambiante puisqu'il n'y avait que la scène qui était éclairée. Ainsi que quelques tables avec de petites lumières dispersées ci-et-là parmi les verres. Je m'étais entraînée avec mes camarades à servir dans un noir quasi-total, loin de moi l'envie de renverser un ou deux verres sur notre public plutôt chic ce soir. Cela avait valu quelques tasses cassées et des nappes à changer mais j'avais fini par m'en sortir. Il m'était souvent arrivé de combattre les yeux presque fermés, ou bien dans des endroits très sombres, de fait, je n'étais pas particulièrement mal à l'aise. Celle qui se trouvait le plus dans son élément ce soit c'était indéniablement Corrin qui avait conservé une incroyable acuité malgré le fait d'avoir laissé ses écailles à Valla.

Avec le nombre de spectateurs, j'avais évidemment du faire quelques arrangements. Pour éviter des accidents fortuits mais surtout fort contraignants, les étagères contenant les livres ainsi que les banquettes et canapés avaient été déménagés dans la réserve. Les livres mis sous clef. Ce coffre fort avait bien plus d'un avantage que le seul fait de contenir du café. J'avais également du réorganiser mon équipe et pour l'occasion, avais réquisitionné Sharena pour nous filer un coup de main puisque Dorothea était sur scène. Il aurait été difficile de chanter et de servir petits-fours et cocktails. La blonde se débrouillait très bien et avec l'aisance de l'argentée, tout se passait à merveille. Reginn, notre cuisinière n'avait le temps de souffler puisque les amuse-gueules uniquement que nous servions ce soir partaient à vitesse grand V. Quant à moi, je restais derrière le comptoir et m'était donc improvisée barmaid et, je m'en sortais plutôt bien. De quoi me réorienter si un jour le Pavillon Blanc venait à fermer bien que, cela n'arriverait sans doute jamais et un jour surement, quelqu'un prendrait même ma relève.

—Attrape ça, fis-je en lançant une bouteille d'eau pleine à la silhouette qui s'approcha dans l'ombre.

Celle-ci eu ce parfait reflexe de chopper le contenant en vol qu'elle dévissa aussitôt pour en déverser le contenu entre ses lèvres. Lorsqu'elle s'approcha un peu plus, je ne pus m'empêcher de remarquer sa poitrine qui se gonflait fortement, les rougeurs sur ses joues ainsi que quelques mèches qui rebiquaient aléatoirement sur sa chevelure qu'elle avait pour l'occasion bouclée. Se tenir sur scène paraissait fort éprouvant.

—Comment tu te sens, tu penses pouvoir continuer ? demandai-je, juste au cas où.

—Bien sûr ! J'ai chanté des opéras qui durèrent de longues heures lorsque je me représentais à Enbarr !

—Ouais ouais, je sais. Mais n'en fait pas trop quand même.

Les lumières se tamisèrent un peu plus qu'elles ne l'étaient déjà sur la scène, puis deux illuminèrent soudain bien plus franchement son centre. Le sourire de Manuela était à en faire rougir les enfers et son rouge à lèvre cramoisi attirait sans doute autant l'attention que le dessus de sa poitrine qui en suggérait suffisamment pour qu'aucun regard ne décroche. Ce ne fut cependant ni les lèvres, ni la poitrine de Manuela, qui à moi retinrent l'attention, mais bien l'intensité de sa voix. Lorsque ses lèvres s'ouvrirent, ce fut pléthore de notes aussi belles qu'elles étaient justes qui me mirent une claque. Je réalisai ne jamais avoir entendue l'ancienne chanteuse de la compagnie d'Opéra Mittelfranck jusqu'à lors. Concernant Dorothea, les choses étaient bien sûr différentes puisque la brune passait son temps à chantonner partout où elle allait, même lorsque c'était pour se rendre aux toilettes. Toutefois, lorsqu'elle était sur scène, il y avait bien plus de puissance dans sa voix. Dorothea cessait d'être Dorothea, elle reprenait son rôle de Chanteuse Mystique dont on l'avait affublé à Fódlan, tout comme Manuela prenait ce soir celui de Chanteuse Divine.

—Ha, ça va être à nous, fit-elle remarquer en regardant la scène tandis que les notes s'élevaient. Bon, j'y retourne, à plus tard Byleth !

Je levai la main rapidement pour lui répondre et reprenait le remplissage de verres. La partie qui allait suivre allait certainement être la plus intense puisque les deux perles chantaient donc en duo.

Tout se passe bien pour toi ? entendis-je grésiller à mon oreille.

—Ouaip, nickel, je pense qu'on a vu juste.

Par là, j'entendais ces trois tonnes et demie – façon de parler – d'alcool commandé pour ce soir. J'avais eu peur de ne pas en avoir assez mais aussi tout autant qu'il nous en reste sur les bras après cela. J'avais la descente un peu facile. Finalement, j'avais prévu assez pour ne pas en manquer et tout juste pour ne pas avoir les bras chargé si ce n'était de deux ou trois bouteilles puisque les fonds seraient jetés. Je n'avais pas dans l'intention de me reconvertir.

—Et vous ? finis-je par demander après avoir envoyé trois verres orangés vifs et un dont les glaçons tintaient.

Ca va, entendis-je simplement. Le matériel fonctionne.

—Et côté Dimitri ?

Rien à signaler, répondit le susnommé.

Nous n'étions pas très loin les uns des autres mais puisque l'on ne pouvait guère se déplacer nous avions investi dans ce petit dispositif de communication : de simples oreillettes. Edelgard et Ingrid étaient chargées de la partie son et éclairage. Les deux formaient une étrange paire désormais, cela était… fascinant. Et Dimitri, je ne lui avais pas vraiment laissé le choix lorsque je j'avais débarqué chez lui pour lui apporter un costume de vigil. Avec tant de monde, il nous fallait un responsable de la sécurité bien que j'étais également prête à en découdre si la situation se présentait. Tout se passait donc comme sur des roulettes. Les deux filles étaient installées dans un renfoncement derrière la scène, activant désactivant les lumières, et le lion était bien droit, corps tout tendu devant l'entrée. Mais tous avions les yeux rivés sur scène dés qu'une seconde nous le permettait.

Ha… Ca commençait. L'aigle au regard malachite fit de nouveau son entrée sous les lumières et quelques sifflements qui la firent sourire même si je savais qu'au fond d'elle, elle aurait aimé en faire taire. Les hommes étaient bien tous les mêmes. Quoiqu'il en fut, la seconde suivant tout bruit cessa, puis le voile de silence, à peine leurs lèvres ouvertes, se brisa.

J'eus des frissons dans tout le corps dont certains remontaient le long de ma colonne vertébral encore jusqu'à électrifier ma tête, hérissant un à un chaque poil. Dés que les deux se mirent à chanter, leurs voix se firent écho comme si elles étaient le reflet l'une de l'autre. Je n'arrivais même plus à les discerner tant elles se rejoignaient pour fusionner et ne former qu'une seule alors, une seule portée de dièses et de bémols. La puissance qui se dégagea de cette alliance me donna l'impression qu'un orage éclatait. Pas le genre devant lequel on se cache mais bien celui qu'on admire, fenêtre ouverte durant la nuit devant la pluie qui tombe. Je passai ces longues mais tout aussi courtes minutes à essuyer un verre, les yeux fermés tant je voulais apprécier. Je m'imprégnais de la force que leur unique voix renvoyait. La chanson galvanisa la pièce pour nous atteindre un à un, comme si l'objectif était de tous nous faire tomber. La foudre frappa, le tonnerre gronda, et le public applaudit lorsqu'enfin le dernier éclair dans un effet de lumière transcenda la salle toute entière.

Ce fut le grand final. Nous n'avons pas ouvert, le lendemain.