Réveillon, canapés et pizzas épargnées

On avait récolté assez de fric pour ouvrir un second Pavillon Blanc. Ou du moins une annexe. Quoiqu'il en fut, les dons furent ce soir là, assez généreux pour permettre de gros travaux de rénovation et certainement commencer ainsi que terminer ceux des bâtiments principaux du refuge Galatea. Ce petit coup de pouce allait servir de tremplin, quant à la suite, elle ne dépendait plus que de nous, et surtout d'eux.

L'appartement sentait bon la cannelle, sans doute dû aux petites bougies de type chauffe plat que nous avions allumées ci-et-là de façon à rendre l'atmosphère chaleureuse. Si ni Ingrid ni moi ne faisions dans la finesse, du temps de l'académie, pour cette occasion particulière nous sortions les petits plats dans les grands. C'était la première fois, pour moi. Pour elles. Pour eux. Pour tout le monde ou presque en fait. Pour tous ceux qui seraient présents ce soir.

Finalement, Corrin resterait avec ses fratries Hoshidiennes et Nohriennes ce soir, Azura suivrait. Sharena et Reginn avait décidé de passer le réveillon avec les frères de cette dernière et leurs familles. Fafnir – le grand méchant de son monde – avait retrouvé ses esprits ainsi que sa femme et sa fille, dans la mort. L'on disait de celle-ci que c'était quelque chose de triste, mais pour certains, c'était presque un miracle. Alors, oui, les gens que nous laissions derrière nous devaient faire leur deuil, mais nous, retrouvions alors des personnes autrefois perdues. Et nous savions un jour tous nous retrouver. J'avais compris ici que la mort nous permettrait à tous d'être à nouveau ensembles, un jour où l'autre. Concernant Dimitri, le lion avait prétexté avoir vu assez de monde pour au moins les deux prochains mois – peu encore habitué à la présence d'autrui – et préférait seulement rester chez lui. Je l'avais alors poussé à nous promettre d'être là, l'an prochain. Sans doute que nous lui rendrions une petite visite le lendemain. Noël était avant tout une période, bien plus qu'une seule journée.

De fait, nous serions quatre ce soir. Car Edelgard avait répondu présent.

Je terminai de remplir quatre coupes, donc, d'une sorte de vin pétillant qui portait le nom d'une région d'un pays qui avait fait découvrir au monde le fromage. Nous en avions à Fódlan, mais j'étais la première à avouer que ceux d'ici étaient particulièrement délicieux. Il en existait de toutes sortes, de très… particuliers, également. Néanmoins, certains resteraient à l'écart de mes lèvres. Très à l'écart même. Ingrid apporta des petits canapés tout justes sortis du four tandis que je disposai correctement les coupes dont les petites bulles chantaient subtilement contre les parois de verre.

Puis nous entendîmes toquer.

J'allai ouvrir, pressée mais tout autant nerveuse. Je savais néanmoins que tout ce passerait bien. J'avais pu discuter avec la lionne, avant cela. Force était de constater qu'elle avait laissé sa colère de côté. Passer les portes du Pavillon Blanc était aussi l'occasion de savoir pardonner.

—Dorothea, fis-je en prenant son manteau. Edelgard.

Je pris également ses plumes et allai poser le tout dans ma chambre. Hresvelg dormait profondément sur mon oreiller. J'eus un tendre sourire.

Les trois femmes étaient réunies sur les deux banquettes de part et d'autre de la table basse mais je me dirigeai derrière le bar américain de notre cuisine. J'avais mes mini pizzas à finir. Ca ne faisait peut-être pas très réveillon de Noël ni buffet digne du Bal de la Lune des étoiles mais je n'étais guère capable de faire plus si ce n'était surveiller la cuisson de tout ce qu'Ingrid avait préparé aujourd'hui. Je voulais absolument participer à ce repas, moi aussi.

—Byleth ? m'appela soudain la lionne en levant ses yeux amande dans ma direction pour mieux porter sa voix. Tu viens ? Nous aimerions trinquer.

—Ha, j'arrive.

Je posai le torchon que j'avais utilisé pour sortir une grille recouverte de feuilletés – me brûlant l'index au passage – puis rejoignis les autres. Je ne pris le temps de m'asseoir et attrapai le verre aussitôt celui-ci tendu par ma colocataire. Les quatre réceptacles se rencontrèrent dans un tintement aigu. Le chant du renouveau, m'amusai-je à penser un instant. Même Edelgard s'autorisait ce soir à boire : miracle de Noël.

Je retournai bien vite dans la cuisine avant que les pizzas ne se changent en charbon.

—Alors vous disiez vrai, entendis-je d'un ton taquin.

Mes lèvres s'étirèrent avant que je ne réponde à ce petit pique qui n'en était pas vraiment un.

—Bien sûr, vous ai-je déjà une seule fois mentie, Edelgard ?

Elle ne répondit point, se contentant seulement d'approcher pour m'observer faire.

—Cela change des quelques fois où nous avons tenté de cuisiner à Fódlan, toutefois, je crains que cette odeur n'annonce rien de très bon.

J'écarquillai les yeux puisque mon odorat remarqua immédiatement que la petite minute passée à l'observer attaquait déjà cruellement mes réalisations.

—Merde, jurai-je sans m'en rendre compte.

J'ouvrai la porte du four et attrapai la grille avant de jurer à nouveau. Edelgard accaparait tellement mon attention que ma concentration était tel le fromage qui recouvrait les pizzas, fondant à vue d'œil. Mon oiseau eu le formidable réflexe d'attraper mon torchon pour rattraper la grille bancale en équilibre dans le four avant que le tout n'aille rejoindre le sol. Elle ouvrit ensuite le robinet et attrapa mon poignet qu'elle plaça sous le filet d'eau claire. Je ne sus alors ce qui brûlait ma peau, la présence de la grille disparue ou bien celle de ses doigts ? Ils avaient beau être gantés, la chaleur qui se diffusait était plus intense que la précédente, mais également plus agréable.

—Certaines choses ne changent pas, hélas.

Mais les mots avaient quittés mes lèvres et seul le silence répondit, à peine perturber par les voix claires de nos amies un peu plus loin dans le salon. Mes yeux bleuet s'enracinèrent dans le regard parme qui s'agrandit sous l'intensité du mien. Je n'étais plus capable de décrocher.

—Byleth ? fut-elle capable de me nommer du premier coup.

—Je, merci, me contentai-je.

Puis je me dérobai. Le cœur frappant à rompre dans ma poitrine plus chaude que l'intérieur du four à cent-quatre-vingt degrés.

Après cela, nous avons rejoint les deux autres femmes pour partager les canapés, petits-fours, feuilletés ainsi que mes pizzas sauvées de justesse grâce à l'intervention de l'Aigle de Jais. Ingrid proposa de me resservir lorsque ma coupe fut vide mais je plaçai ma main par-dessus en faisant un signe de la tête. Je voulais rester sobre ce soir, au cas où il me faudrait raccompagner l'une d'elles. Nous n'avions pas de chambre d'amis puisque les deux pièces étaient déjà utilisées. Et si Dorothea avait à plus d'une reprise déjà partagé le lit d'Ingrid, je doutais qu'Edelgard accepte d'en faire autant. Je parlais du mien, de lit, elle aurait encore moins accepté de dormir entre le couple.

Finalement, ma concentration et le fromage ne furent pas les seules choses à fondre, c'était également le cas de la sobriété de Dorothea mais surtout des quelques heures passées ensembles. Avant même qu'on ne le réalise, minuit approchait.

Edelgard était dans la cuisine – elle avait proposé de me donner un coup de main tandis que je lavais quelques assiettes pour soulager la vaisselle du lendemain. Lorsqu'elle eut terminé, et que j'eus terminé également, je posai sur elle un regard intéressé.

—Edelgard, il y a un endroit où je souhaiterais vous emmener. Accepteriez-vous de me suivre ? osai-je demander.

—Allez-vous encore me conduire dans un souterrain sombre ?

—Non, pas cette fois, souris-je.

Elle était dubitative mais clairement curieuse, alors elle opina. J'allai chercher nos manteaux puisque la température risquait d'être fraîche, et nous sortîmes de l'appartement une fois que j'eus croisé les regards éloquents des deux autres femmes. Je les avais déjà mises aux faits de mes plans.

Je pris la direction de l'étage, à défaut de descendre et l'expression d'Edelgard me fit comprendre qu'elle s'interrogeait un peu plus. Elle me suivit néanmoins sans dire mots. Les souterrains sombres ne se situaient certainement pas en hauteur. J'étais au cinquième et dernier étage.

La porte du sixième pallier donnait donc sur le toit.