Le Bal de la Lune des Etoiles

Les crocs de la Lune des Etoiles furent mordant et je vis l'Aigle enfouir sa tête dans son manteau vermeil lorsque je l'invitai à avancer avant de refermer derrière nous. Elle fit quelque pas sur la terrasse du sommet de l'immeuble, sous l'accueil de la lune ainsi que de ses nombreuses étoiles. En théorie, nous n'avions pas le droit d'être ici, mais je savais crocheter les serrures et j'avais tenue à la conduire dans cet endroit que je trouvais aussi calme qu'il était magnifique. Ici, j'avais l'impression de tout oublier même si les souvenirs y étaient plus intenses. Nous étions bien loin de dominer la ville de sa hauteur mais les buildings du double de celle de ce bâtiment étaient si loin que les petites fenêtres éclairées sur les immenses murs donnait l'impression que les étoiles se déversaient sur la ville et au-delà encore. Personnellement, je trouvai le tableau incroyable, une toile sombre faites de lumières dorées scintillant sans jamais s'arrêter puisque lorsque la ville dormait, le ciel continuait de l'éclairer. Comme s'il veillait sur elle, à sa manière.

—Nous sommes loin de la vue que nous offrait le sommet de la Tour de la Déesse, cependant…

—C'est magnifique, répondit-elle à ma place le regard plongé dans l'horizon.

J'approchai un peu plus puisque le second paysage magnifique était bien celui que son regard parme aux reflets tantôt dorés tantôt argentés m'offrait. Il n'y avait pas à réfléchir, s'il me fallait en choisir un, ce serait bien le sien. Avec elle, à mes côtés, même de sombres souterrains semblaient éclairés d'un millier d'étoiles au moins.

—Edelgard, fis-je en tendant ma main dans sa direction, la seconde rangée dans mon dos. Accepteriez-vous de m'offrir une danse ?

L'aigle fut étonné et je vis sa main se lever. Elle hésitait. Cependant, ce premier reflexe qu'elle eut faisait déjà remonter en moi une multitude de frissons qui s'échouaient par vagues.

—Comment voulez-vous danser ? Il n'y a nulle musique ou chanson.

C'était plus qu'inutile puisque, pour seule musique j'avais uniquement besoin de fermer les yeux et d'écouter les battements de mon cœur me donner le rythme. Devant mon silence mais aussi mon sourire, devant mon regard émerveillé, ses doigts glissèrent dans ma main.

Et puis, je la guidais. Et nous dansâmes comme autrefois nous avions dansé bien que cette fois-ci il n'y avait point de lames. J'avais toujours regretté de ne pas l'avoir invité à le faire lorsque nous nous étions retrouvées, en haut de cette tour, en son sommet. Devant Fódlan et son immensité. Il ne s'agissait que de quelques pas, de certains plus maladroits, mais ils me suffisaient. Faisaient taire déjà un regret.

—Edelgard… soufflai-je à son oreille en la rapprochant un peu plus de moi.

—Non, ne dîtes rien…

Cette danse mettait toutes mes émotions en exergue. Puis je la serrai dans mes bras.

J'avais besoin de ce contact, de cette chaleur. De la sentir, si près de moi. Je ne voulais plus la voir s'envoler, plus une seule fois.

Mais elle se recula.

Je me demandai, pourquoi. Pourquoi une part d'Edelgard continuait, d'une certaine façon, à me rejeter alors que devant nous se présentait une toute nouvelle chance. Jamais, elle n'avait tenté de masquer cet intérêt qu'elle me portait. J'eus l'impression que cet oiseau avait le don de lire dans mes pensées puisqu'elle répondit à une question que dont mes lèvres se n'étaient pas encore parée.

—Trop d'années se sont écoulées, murmura-t-elle d'un regard peiné. Je ne suis plus celle que vous avez connue par le passé.

—Pourtant, vous êtes bien là, devant moi.

Mes yeux luisirent sur elle d'une intensité telle que, leur reflet apparurent dans les siens, incertains.

—Vous n'êtes plus prisonnière, Edelgard. La guerre est terminée, noblesse et emblèmes ne sont plus. Pourquoi refuser de marcher sur ce nouveau chemin qui se présente à vous ?

L'expression dont elle s'arma soudain me fit plus de mal que ce coup porté à la capitale.

—Vous avez peut-être raison, mais je crains hélas que les souvenirs d'autrefois ne représentent finalement que les barreaux d'une nouvelle cage. Et… reprit-elle plus péniblement. Cette culpabilité, des chaines encore plus lourdes qui de nouveau m'entravent.

Mon cœur s'arrêta un moment ce qui me rappela le temps où il ne battait pas auparavant.

—Cet endroit est fait pour laisser les regrets et la culpabilité de côté, claquai-je. Croyez-moi, je sais parfaitement de quoi je parle et la difficulté nécessaire pour ce faire. Je le sais parfaitement, répétai-je.

Car je m'étais dérobée, comme me l'avait rappelée la Divine Ancêtre.

—Je ne me suis jamais pardonné.

Et les souvenirs m'emportèrent.

—Il y a une vie que j'ai prise de mes mains, dont je supporte encore bien trop le poids.

—Hubert… précisa-t-elle à ma place.

—En effet. Hubert est la seule âme que je n'ai su guider lorsqu'il est arrivé. Je ne me fais pas d'idées, je suis certaine qu'il est là, quelque part, sûrement bien moins loin qu'on ne le croit, à veiller sur vous comme il l'a toujours fait. Je n'ai cependant pu lui apporter mon aide et sans doute qu'il ne la souhaitait pas, mais tout comme vous avec moi, j'ai également des souvenirs à porter. Certains sont bien plus lourds que d'autres.

Je vis à l'expression de l'ancienne impératrice qu'elle était plongée dans ses pensées à la mention de son vassal. Là encore une tâche que je n'avais pas terminée et encore moins commencée. Je savais que de nombreuses m'attendaient. La première était déjà d'accepter. Accepter d'avoir fait du mal afin de pouvoir aider. Après tout, la Pavillon Blanc n'était-il pas là afin de se faire pardonner ?

—Vous savez, pour certaines personnes ce monde est tel un purgatoire, pour d'autres, un paradis. La raison des deux reste toutefois là même : il s'agit d'un moyen de se retrouver. Certains sont heureux d'être là quand d'autres auraient préféré être ailleurs. Pour ma part, je pense qu'il s'agit seulement d'un choix.

J'approchai de nouveau et mes doigts glissèrent sur l'une des deux longueurs albâtre tandis qu'Edelgard, intensément, me regardait. Je savais pertinemment que ma seule présence ébréchait toutes les défenses qu'elle avait érigées. Je la fragilisais, et c'était certainement cela, ce qui lui était le plus insupportable. Le reflet de sa faiblesse : elle était bien la mienne.

—Cette cage de laquelle vous pensez être prisonnière, il ne tient qu'à vous de la fendre.

Et, nul doute qu'elle savait ce que mes pensées dissimulaient tout comme ce que je m'apprêtais à faire. Je lisais déjà dans son regard la bêtise que j'allais commettre, mon ultime faux-pas. Pourtant, elle me laissa effleurer ses lèvres, furtivement… Pour y déposer un tout premier baiser. Et peut-être aussi un dernier. Le monde entier se tût : tout disparût. Seule sa respiration soufflée à même ma peau me permettait de comprendre que j'existais encore, ainsi que ces frissons reflets de maux gravés comme l'avaient été ses mots. Marcher à mes côtés.

—Vous n'auriez jamais du faire cela…

La déception ou bien colère qu'elle murmurait était teintée de tout autant de peine, cela provoqué par ce pénible mais agréable geste. Puis elle se déroba à moi. Et la porte grinça. Regretter ? Certainement pas cette fois.

Edelgard était retourné dans mon appartement pour saluer Dorothea et Ingrid qui en furent seulement surprises. Elle avait décidée de partir.

—Je suis désolée, l'entendis-je en franchissant à mon tour la porte de longues minutes plus tard. Il se fait tard.

Un prétexte qui ne convainquait personne et au vu de l'expression sur mon visage, mes deux amies comprirent que j'avais merdé quelque part.

—Edelgard, attendez, tentai-je de la retenir. Laissez-moi au moins vous raccompagner.

—Je vous remercie, mais cela sera inutile.

Je la suivis lorsqu'elle descendit les marches de l'immeuble jusqu'au hall avant d'en franchir les portes. Cela pouvait paraitre désespéré mais je refusais de la laisser ainsi partir. Pas de cette façon du moins. Cependant mes piètres tentatives n'eurent pour effet que de l'énerver un peu plus. Je le constatai quand une fois dehors, enfin, j'arrivai à l'attraper. Elle se retourna alors sur l'étreinte que j'exerçais sur son bras, qu'aussitôt je lâchais. Son regard était furieux.

—Pourquoi ?! claqua-t-elle. Pourquoi avoir fait ça ?

—Laissez-moi vous raccompagner, s'il vous plait.

Je fis fi de ses questions puisque très peu d'humeur à y répondre au vu de sa réaction.

—Vous l'avez dit vous-même. Il est tard.

Elle prit une profonde inspiration. Perdre ainsi ses moyens, laissé tomber son masque, était certainement quelque chose qu'elle ne supportait ou ne désirait pas. Cela ne seyait, après tout, pas à la grande Impératrice de l'Empire qu'elle tentait toujours de feindre.

—Bien, abdiqua-t-elle. Vous me raccompagner, rien de plus.

Que s'imaginait-elle ? Que j'allais la suivre jusqu'à son appartement dans lequel j'aurais tenté de m'introduire telle une voleuse, ou pire ? Peu importait et j'ébouriffai ma crinière. Au moins, elle acceptait que je la conduise jusqu'à chez elle.

Elle ne traîna pas et se dirigea vers ma bécane garée quelques mètres plus loin. Ses pas trahirent son impatience, reflets d'un caractère bien trempé. Elle enfila le casque, je démarrai.

Lors de cette course, la fraicheur de la lune qui s'introduisait sous ma visière n'arrivait pas à calmer cette chaleur qui me montait à la tête. Une part de moi était certainement vexée mais également ailleurs. J'avais beau tout faire pour tenter de comprendre mon Aigle de Jais, rien n'y faisait, elle demeurait un mystère tout comme l'étaient maintenant ses trop nombreux rejets. Cette femme était le feu mais également la glace.

Je n'avais pas remarqué cette voiture qui grilla la priorité. Je sentis seulement la gomme de mes pneus, sur la fine couche de verglas, déraper. Tout fut soudainement bien confus. Le bruit, le choc, mon corps qui rencontra violemment le sol et l'engin recouvrant mes jambes jusqu'aux genoux tandis que je glissais sur la route.

Pour la toute première fois, je remarquai qu'il neigeait. Quelques flocons dansèrent, me recouvrèrent, puis mes yeux se fermèrent. La nuit, sombre déjà, s'obscurcit plus encore.