Plus de peur que de mal

La catastrophe fut évitée – j'ignorais encore par quel miracle. J'eus tout de même le droit à un test d'alcoolémie. Une procédure banale qui néanmoins me fit hurler silencieusement et portait mon agacement à son paroxysme. Ce test, c'était bien pour le chauffard ivre qui m'avait grillé la priorité qu'ils auraient du le garder. Je m'agitais dans tous les sens malgré mon corps endoloris et un peu plus encore quand les soignants refusaient de me répondre. Seul son nom sortait d'entre mes lèvres.

—Répondez-moi ! criai-je encore.

Ils étaient au moins à trois sur moi pour tenter de me maintenir en place et je savais que si j'y avais mis du mien alors nous aurions tous gagné de précieuses minutes mais ma tête refusait d'obéir. Je n'arrivais plus à penser. L'adrénaline mettait encore ma tête à mal.

J'avais l'épaule démise et cela m'énervait que les toubibs et infirmières prennent des gants alors que j'avais déjà eu de bien plus sévères blessures. Les voir tous remuer autour de moi m'insupportait au moins autant que leurs regards qui se posèrent sur ma cicatrice quand mon sous-pull fut levé. Je n'allais certainement pas leur révéler qu'elle provenait d'un monde qu'ils seraient tous bien incapable d'imaginer. Une quatrième personne arriva, plus baraquée, il enlaça mes épaules de ses très larges bras pour me maintenir contre mon gré. Je sentis l'aiguille s'enfoncer dans ma chaire la seconde suivante. Une substance qui monta immédiatement carboniser mes pensées. Je me changeai presque en pantin désarticulé ensuite. L'image était plutôt causasse mais plutôt vraie. L'on ramena très rapidement mes mains sur mes genoux et l'une des soignants pencha ma tête en arrière. Je sentis une pression – douloureuse – mais rien de plus. Mon épaule était en place. Il n'y avait rien d'autre à faire, si ce n'était plisser les yeux lorsque Dorothea arriva en trombes dans la pièce. Sa silhouette gondolait.

—Comment va-t-elle ? arrivai-je tout de même à articuler.

—Ca va te couter cher en réparation.

—Je parle d'Edelgard, Dorothea !

—Oui, je sais, je voulais juste te taquiner un peu. Ingrid est avec elle.

Ingrid ? L'inverse m'aurait paru plus logique. Je ne trouvai nulle inquiétude dans son regard, pas de sévère en tout cas. Juste ce qu'il fallait maintenant qu'elle avait vu que j'étais encore en vie. Joyeux Noël, par la même occasion.

Je profitai d'un moment où les mains me relâchèrent pour quitter la table sans même attendre que l'on me tende une écharpe ou tout autre choses. Je grimaçai lorsque je remis mon haut en place, puis passai devant Dorothea sans attendre plus longtemps pour sortir de là. C'était la première fois que je me retrouvai de ce côté des urgences. Concernant l'autre je n'y avais jamais non plus mis les pieds.

Mon agacement était palpable tandis que je m'aventurai dans ce couloir aseptisé en théorie interdit. J'entendais les remarques à mon passage mais n'écoutai même pas ce que tous avaient à me dire. Mon regard, contrarié au plus au point, était sans doute semblable à celui d'un loup prêt à se jeter sur sa proie. Si quelqu'un avait osé me chercher, j'aurais certainement fait parler mes poings. Je n'en eu cependant besoin puisque je reconnus un visage familier quand j'entrai dans une petite pièce. Ou plutôt deux. Mon corps se détendit immédiatement lorsque j'eus croisé les yeux parme.

—Mercie ?

—Ha, Byleth, souriait la jeune femme dont les cheveux châtain caressaient les épaules. Mais qu'est-ce que tu fais là ? Et pourquoi son épaule n'est pas immobilisée ? reprit la femme aux orbes mauve à l'attention des quelques infirmières qui m'avaient poursuivie lors de mon échappée.

Mais je jetai un œil agressif aux femmes avant même qu'elles ne répondent – elles se liquéfièrent – avant de reporter mon attention sur la patiente assise sur la table.

—Eldelgard… soufflai-je alors.

Son regard s'agrandit, je fis un pas de plus jusqu'à poser mes mains sur le rebord de la table à défaut de les poser sur elle.

—Je vais bien, fit-elle avec plus douceur que je ne l'aurais imaginé.

Evidemment, ma part de rationalité savait que je n'étais pas responsable de cet accident. Celle qui ne l'était pas, cependant, se flagellait de voir Edelgard assise sur une table aux urgences. Si je n'avais pas été ailleurs, peut-être aurais-je pu l'éviter… Elle lu encore dans mes pensées.

—Ce n'est pas votre faute.

Mon regard se déroba au sien. Pas ma faute, mais je me sentais quand même responsable. Et l'idée que j'aurais de nouveau pu la perdre… m'était insupportable.

—Idiote, entendis-je ensuite.

Je me retournai et aperçu Ingrid. Elle était près de l'entrée, adossée contre le mur. Je ne l'avais pas remarqué jusqu'à lors, elle était néanmoins là depuis le tout début. Elle, par contre, les traits de son visage étaient bien plus tirés que ceux de celui de son amante. Et en parlant du loup, de l'aigle… Apparaissaient les plumes.

—Byleth ! me réprimandait-elle également. Viens ici immédiatement !

Celle aux longueurs boisées tenait dans sa main l'écharpe que je n'avais pas pris le temps de mettre. Elle l'avait surement chipée à une infirmière incapable de me tenir en laisse et son index me fit signe d'approcher, comme si ses paroles étaient insuffisantes.

J'acceptai alors et fit un pas vers elle. Dorothea avait gardé ses compétences d'autrefois. Elle avait soigné nombre de blessés pendant la guerre, et il ne lui fut pas difficile de mettre mon bras en écharpe afin de l'immobiliser.

Je m'apprêtai à lui faire une remarque sur sa délicatesse et ses doigts de fée mais me ravisai. Elle aurait pu être mal interprétée. Et la morphine me faisait débloquer. Tout comme ce pléthore d'émotions qui me traversaient alors. Mon inquiétude s'estompait peu à peu tandis que mon cœur, enfin se calmait. Les battements étaient encore nombreux et rythmés toutefois, et l'angoisse pas loin derrière. Alors j'observai Edelgard. Encore. Je l'observai pendant de longues, très longues minutes, sans décrocher mon regard un instant.

/

Mercedes bossait aux urgences depuis son arrivée ici. Elle aussi, avait péri à Gronder. Elle n'en avait jamais tenu rigueur à quiconque : la guerre faisait des victimes. Et puis, ce monde lui avait a elle également, donné une autre chance. Une chance de retrouver son frère : Emile.

Elle s'était occupée personnellement d'Edelgard qui finalement n'eut que deux trois hématomes. Un miracle, je pensais. Elle avait eu le reflexe de me lâcher lors de la chute. Moi, j'avais l'épaule démise et mon genou était devenu vert en deux jours. Une chance que le protège moteur ainsi que le sélecteur de vitesse aient amortis la chute. Ce dernier s'était plié sur lui-même sous le poids de l'engin.

Me concernant, j'avais écopé d'un arrêt. De travail, bien-sûr. Quant à Edelgard, Ingrid lui laissa la semaine.