Les perles de la délivrance
Le mardi suivant, j'arrivais de nouveau à me tenir droite sur mes jambes en faisant fi de cette douleur désagréable qui remontait de mon genou à ma cuisse. Il ne s'agissait que de quelques bobos, rien de bien méchant au vu des nombreuses cicatrices que je portais déjà. Je n'avais pas eu de nouvelles d'Edelgard depuis le passage aux urgences. Je n'avais surtout pas osé en prendre. Chaque fois que j'attrapai mon téléphone pour faire apparaitre son nom : je me débinais. Pour sûr, l'accident avait son rôle dans ma lâcheté, mais il y avait également ce qu'il s'était passé avant. Ce dernier point, je n'étais pas certaine d'avoir envie de l'aborder par conversations interposées. Entre embarra et culpabilité je ne savais plus trop sur quel pied danser si mes genoux me l'avaient permis.
Finalement, ce fut à pieds que je me rendis chez elle.
J'avais ouvert avec le badge la première fois, mais l'on m'avait également communiqué le code que je tapai. J'arrivai boitillant comme un canard – ceux qui n'avaient pas besoin de palmes – jusqu'au pallier, devant sa porte. Après une seconde d'hésitation, je frappai.
Les yeux parme s'agrandirent lorsqu'elle me découvrit là, et les miens firent le contraire en plissant sur le petit pansement collé sur sa joue. J'avais beau demeurer silencieuse, mon regard était plutôt éloquent et lui soufflait que j'avais seulement besoin de voir comment elle allait. Plus que cela, je voulais m'assurer qu'elle aille bien.
Elle me fit entrer et me servit une tasse de thé. Un pétale de pensée s'envola jusqu'à Fódlan.
—Vous n'auriez pas dû venir jusqu'ici, l'entendis-je souffler tandis qu'elle revenait de la cuisine pour s'asseoir sur les coussins à côtés.
Nous étions installées dans son salon. Les rideaux étaient tirés mais le soleil était couché déjà. Seule la lumière tamisée de la lampe posée là nous éclairait elle et moi. Ainsi que son regard, lui, il était bien plus intense que les rayons de soleil ou de lune.
—Du moins, pas à pieds.
J'eus un léger sourire. Un soupçon, pour le dire ainsi. Pendant une seconde, j'avais pensé que peut-être, l'ancienne souveraine ne désirait me voir. Cela aurait été le coup de grâce.
—Je suis également venue pour demander pardon. Pour l'accident, précisai-je avant qu'elle ne se méprenne quant à mes sentiments.
—Il n'était pas de votre fait, répondit-elle simplement.
—Alors vous ne m'en voulez pas ? Vous n'aurez donc pas peur de remonter, souris-je avec plus de malice déjà.
—J'ai été torturée des années et j'ai connu la guerre. Un léger incident ne va pas me faire peur.
Léger. J'en remerciai encore les Saints. Pour son passé, je leur en voulais néanmoins.
—Concernant l'autre point, vous êtes morte de mes mains, alors je ne vais pas vous en vouloir pour si peu et surtout quelque chose dont vous n'êtes responsable.
C'était la première fois qu'Edelgard reparlait de ma mort, celle qu'elle avait causé, avec autant de détachement mais aussi de légèreté. Cela me conforta dans le fait qu'il était possible pour elle d'avancer et de prendre un nouveau départ. Le genre de départ qui ne commençait pas par une catastrophe de type accident de la route, néanmoins.
—Cet accident traduit cependant que nous ne sommes vraiment pas faites pour être ensembles.
Elle venait de prononcer cela comme si de rien était. Je ne savais si elle le disait sérieusement ou bien si elle plaisantait alors. Je n'avais de toute manière pas le temps d'examiner ses mots pour en comprendre le sens caché si sens caché il y avait. Son ton était néanmoins différent de d'habitude, il se rapprochait plus de celui sur lequel elle avait commencé à me piquer ci-et-là, comme avec les pizzas brulées, par exemple. Elle n'avait pas rejeté mon baiser mais s'était tout de même mise en colère. Comment l'interpréter ? Ses dons de clairvoyance si ce n'était de divination s'exprimèrent de nouveau. Si cela n'était pas dû à ma façon de la regarder, insistante, intense, avide de réponses qu'elle ne m'avait pas encore livrée.
—Mis bout à bout, j'ai passée près d'une décennie toute entière à vous attendre. Je crains qu'il ne soit trop tard pour nous aujourd'hui.
J'imaginais que cinq années déjà, puis quatre supplémentaires, plaçaient forcément une certaine distance entre elle et moi, ainsi que de la peur et au moins autant de douleur. Cependant, ce n'était pas ce qui m'interloquait le plus, mais bien ce « nous » qu'elle employait pour la toute première fois.
—Je ne suis pas d'accord, rétorquai-je la voix sûre.
Mon regard sembla la vriller soudain.
—Je pense même le contraire. Vous m'avez attendue : ce sont vos mots.
C'étaient ses maux.
Ils résonnaient encore. Sentiments jusqu'à lors inavoués.
Son expression peinée était plus douloureuses que toutes les blessures que j'avais reçues jusqu'ici et que j'avais eu à panser. Moins qu'avoir imaginé la perdre, toutefois. Cela m'était impensable.
—Edelgard.
Ses yeux se dérobèrent.
—Regardez-moi, El…
Mon insistance laissa place à cette part d'innocence. Mes doigts rejoignirent son visage pour lentement glisser sur sa peau. Je caressai ce masque, effrité, brisé… Il ne tarda pas à tomber lorsqu'elle releva sur moi les yeux. J'y avais vu brûler tant de flammes, mais retenir autant de larmes…
—Et cessez-donc de vous punir ainsi…
Si elle n'était capable de fendre sa cage, alors, c'est moi qui en serais la clef. Présomptueuse ? Non, c'était seulement parce qu'Edelgard était celle que j'aimais. Des lettres et des mots que je m'autorisais pour la toute première fois à prononcer même si ce n'était qu'en pensées.
Elle n'émit – de nouveau – aucun signe de protestation lorsque je m'approchai de ses lèvres. Quand bien même elle pouvait se mettre en colère : elle ne disait pas non. Et son corps, frémissant, à l'approche du mien, traduisait même le contraire. Le précédant échec ne me faisait pas peur bien que nourrissait toutefois une légère appréhension. Appréhension qui n'allait pas m'arrêter, elle seule aurait pu le faire mais je savais déjà qu'elle ne me rejetterait pas. Pas cette fois. Les choses étaient les mêmes mais d'autres avaient néanmoins changé. Etait-ce d'avoir frôlé la mort qui lui avait fait prendre conscience de la force de mes sentiments ? A ne pas en douter, mais il n'y avait pas que cela. Quoiqu'il en fût, je fermai alors les yeux : tout disparut. Tout, tout sauf elle, bien entendu.
Son souffle caressa le mien. Mes lèvres se posèrent.
La douceur de ce baiser était comparable à celle du précédent marqué par l'hiver, bien que toutefois différente puisque celui-ci ne se termina pas la seconde suivante. Mes doits caressaient toujours sa joue mais s'égarèrent sur ses longueurs blanches : elle ne les avait pas attachées. Ma respiration devint brûlante lorsque je pris une légère inspiration avant de l'embrasser à nouveau. Nos souffles murmuraient des peurs et des craintes que nos lèvres taisaient. Son corps entier tremblait.
Pléthore de frissons naquirent pour remonter et consumer chacune de mes pensées. Sa bouche s'entrouvrit à peine lorsque j'y dardai ma langue afin de l'embrasser plus franchement. Les frissons se changèrent en déluge d'émotions. Là, furent créés les nouveaux pas d'une danse, endiablée. Les nouvelles notes d'une chanson, enflammée. La timidité laissa très vite sa place à la passion qui me dévorait. Lorsque ses doigts trouvèrent le chemin de ma joue j'y plaquai aussitôt ma main avant de faire glisser ce gant de Jais. J'avais besoin de sentir sa chaleur directement contre ma peau et non au travers du voile masquant de pénibles maux.
Je fis fi de la douleur qui se diffusa depuis mon épaule lorsque je me penchai un peu plus sur elle sur des battements de cœur à le faire rompre dans ma poitrine. Il battait si fort que j'avais oublié la sensation d'en posséder un muet. Aujourd'hui il hurlait entre deux refrains, deux couplets. L'amour que je ressentais était le poème contant mes vies. Une histoire, mon passé, mais surtout l'avenir dont je rêvais.
L'étreinte se resserra lorsqu'elle ferma son bras sur moi afin de m'enlacer. J'en fis autant et mes doigts s'aventurèrent de nouveau dans sa chevelure d'hiver dans laquelle je me perdais. J'étais déjà ailleurs, dans des pensées disloquées entre deux battements de cœur. Toutefois, entre deux souffles plus éloquents que nous ne l'avions jamais été, ses lèvres, humides, prirent soudain une subtile saveur salée…
J'y pressai une énième fois les miennes tout en essuyant ses larmes de mes doigts. Puis, je la serrai fort dans mes bras comme si j'étais possédée par la peur qu'elle ne s'efface soudain. Ces perles de sentiments exacerbés étaient trop difficiles à supporter. Voir ainsi l'impératrice pleurer et éprouver la souffrance que jusque là, elle conservait, était plus douloureux que l'idée de mourir encore.
Le masque n'était plus. Mon Aigle mis à nu.
Je l'observai un instant, elle et son regard fuyant, mais j'y plongeai quand même. Ce que je vis, alors, fut tout aussi troublant que pénible. Ils m'étaient encore inaccessibles, mais je savais…
—Vous vous souvenez…
Le sourire peiné qui étira ses lèvres fut une énième blessure à supporter. Par tous les Saints, chacune de ses expressions sombres me torturait.
—Cela fait quelques jours… En effet. Depuis que vous m'avez embrassée.
Un geste peu anodin s'il lui avait permis de se souvenir. Je me demandai pourquoi elle ne m'en avait pas parlé plus tôt, y réfléchis un instant. Mais je fus incapable d'entrevoir un semblant de réponse ou de compréhension. Mon désir de savoir se reflétait sans doute dans mon regard puisque, là encore, je n'eus à poser la bien amère question.
—Ce sont mes deux emblèmes. Ils ont fini par me tuer.
Voila tout ? Une réponse plus que simple. Mais je tiquai, pire encore, tout se bouscula dans ma tête, m'ébranla, et mes quelques pensées en furent totalement fracassées.
—Hanneman… Il nous a révéler avoir pourtant trouvé un moyen de les ôter…
Ses orbes parme, toujours perlés, me fuirent. Je réalisai, mon cœur en fut alors anéanti. Parce que je comprenais enfin. L'aigle avait refusé de le faire, désirant s'envoler. Quatre ans d'absence, synonyme de souffrances.
De par la mort elle avait trouvé sa délivrance.
