Les pages de la révélation
J'avais littéralement retourné toute ma chambre à la recherche du bouquin. Bouquin dont les pages étaient restées vierges, jusqu'à lors.
J'écarquillai les yeux en ouvrant une énième fois cette histoire. L'encre y traduisait désormais des émotions semblables à toutes celles que je ressentais et qui m'éprouvaient jusqu'à me priver du seul fait de penser. Quatre années de souffrance et une solitude gravées devant mon regard déconfit. Tout était là. Une vie maintenue par un sens du devoir mais par autant de souvenirs qui l'éprouvaient aussi.
« Peinée mais ayant accomplie tout ce qu'elle s'était jurée de faire, l'impératrice s'autorisa enfin à rejoindre les siens. »
Les pages furent noyées, car des larmes dont je pensais avoir fait le deuil se mirent à couler. La mort de celle que j'aimais était de mon fait.
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Il me fallait revenir sur une chose : la Divine Ancêtre. Comment pouvait-elle se trouver devant moi ?
Durant ma précédente vie, afin de me sauver, Sothis, la Déesse priée en Fódlan, avait alors fusionné avec moi. Elle disparut à la façon d'un licenciement abusif. Avec ma mort, nos esprits se séparèrent de nouveau puis il y eu nouvelle embauche de personnel.
—Tu es vraiment une idiote de ne pas avoir compris plus tôt !
Mais comment l'aurais-je pu ?
—C'était devant ton nez, devant tes yeux ! Il te suffisait seulement de les ouvrir un peu !
Certainement que je n'étais finalement pas plus futée que ce fameux caillou auquel elle me comparait et qui roulait sans cesse. Je laissai alors, pour cette fois seulement, la Déesse me mépriser et me toiser. Je lui laissai le faire pendant des heures, des jours même si c'était ce que celle-ci souhaitait. Cependant, me flageller de la sorte n'aurait rien apporté. Elle me laissa seulement partir. Pourquoi les pages étaient-elles vierges ? m'étais-je maintes fois demandée. Une partie de la réponse était simple : car nos histoires étaient étroitement liées. Bien-sûr, j'y avais déjà pensé. Seulement, toutes nos histoires étaient liées, et d'aucunes ne m'avaient privé de la fin. Il y avait des choses, sans doute, que je n'avais réalisées sur l'instant.
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Le livre, cette fois terminé, glissa sur l'étagère pour rejoindre ses camarades. Je le plaçai tout près du mien, puisque, c'était bien là qu'il aurait toujours du se trouver. Telle était sa place. Je laissai avec lui mon envie de le lire à nouveau. Les quelques dernière lignes, éprouvantes, m'avaient été révélées. Les mots furent aussi pénibles à supporter que ses maux, lorsqu'elle m'avait tout avoué. J'avais séché ses larmes, mais je m'étais surtout juré de ne plus jamais les faire ainsi couler. Sur mon honneur et ma vie.
La cloche du Pavillon Blanc tinta alors et je me redressai. Nous étions exceptionnellement fermés. J'avais eu besoin de venir et de me trouver seule ici. De faire le deuil de souffrances passées et pour autant, toujours vives aujourd'hui. Des blessures refermées, d'autres qui ne faisaient que commencer à cicatriser. Les ténèbres d'autrefois laissaient cependant enfin percer les rayons de demain.
—Ha, Edelgard, interpelai-je la nouvelle venue. Approchez.
Je lui montrai alors tous ces livres, entreposés, puis pointai un doigt finalement satisfait d'avoir pu ranger ce dernier, sur sa pièce de titre.
E.v.H
C'était la première fois que ses yeux pouvaient se poser dessus. Et, l'impératrice en fût certainement surprise.
—C'est… commença-t-elle avant de s'arrêter.
—En effet. C'est le votre.
Laisser ce livre derrière moi, derrière nous, me donnait l'impression de pouvoir avancer sur un chemin désormais plus tranquille. J'ignorai pourquoi, Edelgard restait Edelgard, une jeune femme dont l'arrogance et l'impertinence la rendaient, parfois, tout aussi agaçante. Mais Edelgard restait la femme que j'aimais. Que j'avais toujours aimé. Dans cette vie, ou dans une autre.
—Dois-je en conclure que vous l'avez terminé ?
Bien-sûr, pour le moment, elle se passa de me demander par quel étrange processus les pages s'étaient noircies lorsque j'opinai. Peut-être même qu'une part d'elle pensait que c'était moi-même, qui, au court d'une très sombre nuit, les avaient écrites. J'aimais également cette idée et je n'étais certainement pas étrangère à l'encre qui avait coulé bien que, cela ne fut pas de ma main. Si j'étais l'encrier, Edelgard représentait la plume.
Je me retournai vers elle et la pris seulement dans mes bras.
—C'est… murmura-t-elle. Très soudain.
Mais j'en avais besoin et la serrait de mon seul bras valide dans cet accord tacite qu'elle et moi avions silencieusement passé. J'ignorai ce que nous étions alors mais cela m'était égal, j'avais seulement besoin de la savoir à mes côtés. Je savais déjà mes sentiments pour elle partagés, et ce, depuis longtemps. Le temps qui s'était insinué entre nous avait laissé derrière lui une culpabilité qu'il fallait aujourd'hui ranger également. Si l'un n'avait aucune emprise, la seconde avait pour cause des faits qui ne se trouvaient plus ici. Finalement, le temps nous laissait aujourd'hui autant de temps qu'il ne nous en avait privé et d'autant plus encore. Ce temps, synonyme de regrets.
Reflet l'un de l'autre, elle avait été mon seul et unique regret quand moi-même avait été à le sien à jamais. Voila pourquoi les pages n'avaient pas été marquées. Sa mort et la mienne ne faisait qu'une, étroitement liées. Je n'avais pu en découvrir les circonstances avant de comprendre que j'en avais été la clef. Deux histoires entremêlées, mais par-dessus tout, inachevées.
Une danse qui durerait, je l'espérais, toute une éternité encore.
—Vais-je maintenant enfin pouvoir lire la votre ?
Ha, l'oiseau ne perdait pas le nord mais cela lui ressemblait bien. Indomptable, j'aimais ce caractère qui m'avait séduite au premier regard lorsque j'eus rencontrée Edelgard.
Je ne répondis point puisque les gestes parlaient davantage que les mots. Mots qu'elle souhaitait toutefois découvrir alors je me contentai de sourire. Je tirai ensuite ce livre, celui portant mon nom, laissant une place chaude à côté du sien où il retournerait bientôt. Nombre de choses nous attendaient encore, ainsi que des responsabilités, des tâches inachevées quand d'autres n'allaient qu'à peine commencer. Mais pour l'heure, nous nous installâmes pour un très long moment sur le canapé du Pavillon Blanc, désert pour l'occasion. Mon histoire, prête à être enfin racontée. Elle : son apanage et ultime regret. Je n'avais plus aucune raison de l'en préserver désormais.
C'était une histoire vraie.
L'histoire d'une femme dont la vie avait un jour basculé lorsqu'elle fit la rencontre d'un certain Aigle de Jais.
Ces pages, étaient les graines du lendemain d'autrefois.
