Epilogue

Rêve de demain

Je suis morte le vingt-neuf de la Lune des Chapelets de l'année mille-cent-quatre-vingt-six, à Enbarr, capitale de l'Empire d'Adrestia. J'avais seulement vingt-six ans. Alors, comment puis-je être capable de raconter cela, direz-vous. C'est simple : la mort n'est pas une fin en soit. Ce jour avait marqué ma dernière heure – je l'ai su à peine entrée dans le palais. J'étais certainement trop jeune et le suis même encore aujourd'hui. Il me restait cependant une éternité toute entière pour fleurir – ça, par contre, je ne l'ai su qu'après.

C'était environ six mois après la période de Noël, festival de l'envoyé de l'hiver, Bal de la Lune des Etoiles. Les flocons de l'hiver avaient donc fondu depuis un moment déjà pour laisser place aux pétales du printemps qui s'envolaient depuis la veille sur les premiers rayons d'été.

Je me suis levée des feux d'artifice plein la tête – les mêmes que ceux avec lesquelles je m'étais couchée très tôt le même matin. Nous avions fait la fête, pas une grosse fête, mais une fête avec champagne et liqueur de Kraken et j'avais embarqué sur le pont – avant que le navire fasse naufrage. Ce genre de gueule de bois durait souvent longtemps mais elle passerait vite cette fois-là. Je me suis étirée dans mon lit trop étroit et j'ai aussitôt entendu de faibles et agréables gémissements.

—Réveille-toi, El, j'ai soufflé près de l'oreille de celle qui prenait de la place dans mon lit mais aussi dans ma vie. La patronne va être furieuse si on se met en retard.

—C'est toi, ma patronne, j'ai entendu geindre.

—Ha, c'est vrai. Je me demande comment tu vas pouvoir te faire pardonner si tu n'es pas à l'heure.

La jeune femme dont les mèches céruses recouvraient sa peau claire et marquée s'est retournée vers moi avant d'approcher tendrement. J'ai senti ses lèvres effleurer les miennes et m'apporter un doux frisson – frisson que je ressens encore aujourd'hui.

—Bon, d'accord. Ca ira pour cette fois.

Je l'ai embrassée à nouveau avant de la prendre dans mes bras. De quoi nous mettre un peu plus en retard de toute évidence.

Edelgard von Hresvelg est morte le vingt de la Lune de l'Arc de l'année mille-cent-quatre-vingt-dix, soit plus de quatre ans après moi, dans la capitale de l'empire où j'ai moi-même perdue la vie. Elle avait vingt-huit ans. Hier, nous avons fêté son vingt-neuvième anniversaire. Une bougie de plus s'est alors mise entre elle et moi.

Ingrid préparait déjà du café dans la cuisine lorsque je me suis levée la première, la crinière ravagée – les feux d'artifices de la veille certainement. Elle m'a tendue une tasse que j'ai aussitôt portée à mes lèvres pour faire du rangement dans le désordre envahissant ma tête. Une boite d'aspirine a aussi glissé devant moi : j'ai pris un air coupable. Si le café faisait le ménage, la pilule passerait la serpillère après.

—Où est Dorothea ? j'ai demandé puisqu'elle aussi, trop éméchée, avait dormi ici.

—Elle dort encore, puisque tu l'as encouragé à boire.

C'est faux. Dorothea avait embarqué avec moi de son plein gré pour aller affronter le terrible géant des mers. Moi, j'ai triomphé. Quant à la chanteuse, la coque a certainement pris l'eau – pas assez habituée. La liqueur de Kraken reste aujourd'hui encore mon alcool préféré.

—Bonjour, Ingrid.

Edelgard s'est levée peu de temps après moi. Traîner au lit ce n'était pas sont truc – parce que je n'y étais plus surtout. La blonde a alors déposé une tasse devant ses yeux lorsque la blanche s'est assise sur une chaise devant le bar. Du thé y a coulé.

—Je vous remercie.

Le revers de la main de la lionne est allé rejoindre sa hanche puis je l'ai entendu soupirer. Elle a légèrement secoué la tête aussi.

—Je t'ai déjà dit que tu n'avais plus besoin de me vouvoyer.

—Je sais, mais j'ai encore du mal à me faire à certaines habitudes, a répondu l'aigle avant d'imbiber ses lèvres du liquide chaud.

—Ho ? Tu n'as jamais eu de mal à le faire avec moi !

Je me suis retournée pour voir sortir Dorothea de la chambre d'Ingrid qui a encore secoué la tête – elle allait finir par tomber.

—C'est différent, nous sommes amies de longue date, et tu es…

—Charismatique ? Intelligente ? Talentueuse ?

Le silence a prit la parole quelques secondes.

—Tu allais bien dire cela, non ?

J'aurais plutôt dit envahissante, intenable, bruyante. L'ancienne déléguée des Aigles de Jais n'a pas répondu devant l'index levé de la chanteuse. En réalité, c'était seulement parce que Dorothea l'avait immédiatement mise en confiance et que son titre importait peu avec elle.

—C'est tout de même un peu vexant, est de nouveau intervenue la blonde. Je suis la seule à qui tu t'adresses encore ainsi.

Sous ce toit, ai-je précisé silencieusement. Ingrid a pris une moue boudeuse, loin du regard empli d'amertume et de rancœur quand était arrivé mon oiseau.

—Quoiqu'il en soit…

Elle a encore secoué la tête – je me demande si elle en garde des séquelles aux cervicales aujourd'hui.

—Dépêchez-vous de finir de vous préparer, j'aimerais ne pas partir trop tard.

—En fait, je préfère prendre ma bécane, si ça ne t'ennuie pas.

—Non, du tout.

Pourquoi ça l'aurait ennuyé ? Je posais parfois des questions un peu bêtes. J'avais réparé la machine depuis notre accident, et je redoublais de vigilance sur la route. Quelque chose que je fais chaque fois que je sors la bête, et chaque fois que je la sortirai.

—J'ai envie de sentir l'air frais, j'ai quand même ajouté. Tu montes avec moi, El ?

—Quelle question.

Elle y avait prit goût. Comme je m'en étais douté la première fois qu'elle était montée derrière moi.

Nous avons terminé nos tasses et on s'est préparée pour sortir. Le couple est parti avant nous. J'ai attrapé ma veste de moto et celle que j'avais offerte à Edelgard quelques semaines auparavant. J'ai enfilé mes bottes, elle en a fait autant. Puis je lui ai filé son casque après avoir gratouillé Hresvelg qui dormait sur mon lit et nous interrogeait de ses petites billes rondes. Il me faisait presque culpabiliser de le laisser tout seul pour la journée.

—Allez, en selle Lara Croft.

Croft ? ma petite amie à répété.

Moi, j'avais dit ça uniquement parce que nos vestes étaient en cuir et qu'on allait prendre la moto.

—Il faut vraiment qu'on fasse ta culture cinématographique.

J'ai fermé la porte derrière nous, et on est partie aussi.

Nous avons filé jusqu'à la sortie de la ville. Avec ses cheveux dans le vent, l'hiver n'est jamais très loin, peu importe la saison. Le temps avait passé emportant avec lui toute forme d'appréhension. Ne vous méprenez pas, j'apprécie cette étreinte tout autant aujourd'hui. Cependant Edelgard se permettait parfois de me lâcher, ses mains agrippant tout de même les poignées. L'étreinte se poursuivait de toute manière à la maison. Même quand elle n'est pas là, j'arrive à sentir sa présence avec moi.

Nous sommes arrivées au refuge Galatea une quinzaine de minutes plus tard que nos amis. La remorque était déjà là.

Les choses s'étaient poursuivies pour cet ancien haras. Elles se poursuivent encore maintenant. La rénovation des bâtiments principaux avait été achevée et Ingrid agrandissait maintenant le parc. Le plan que Dorothea et Edelgard avaient mis en place fonctionnait à merveille

—Pas trop triste ? j'ai demandé à la propriétaire des lieux lorsque nous les avons rejointes, elle et le reste du personnel.

La lionne avait aussi pu embaucher entre temps. Juste une personne de plus à ce moment là. Aujourd'hui une personne supplémentaire travaille avec eux.

—Un peu, elle avoua. Mais je suis aussi soulagée.

—Je prendrai soin de lui, ne vous en faîtes pas.

Celle qui avait adopté le cheval s'est approchée de nous après avoir ouvert la porte arrière de la remorque. Je ne nourrissais aucun doute quant à sa capacité à s'occuper de la bête puisque c'est elle qu'Ingrid avait recruté deux mois auparavant. Je l'ai regardé sourire à sa patronne et je me suis attardée sur son œil gauche qui dénotait du droit – j'ai appris plus tard qu'il s'agissait de la marque de Naga au cours d'une conversation avec Ingrid, un truc héréditaire, quelque chose comme ça. Aujourd'hui, je sais que la plupart des descendants de la Sainte Lignée d'Ylisse en porte une. Pour Lucina – elle se nomme ainsi – il s'agit de son œil. Pour son père : son épaule. Sa tante le porte sur le front – pas très discret.

Dimitri est arrivé peu de temps après avec la bête à la robe bai foncé. Il l'a chargé dans le véhicule. Ingrid a dit au revoir, et j'en ai profité pour tapoté gentiment sur son épaule pour la réconforter. Dorothea l'avait dit : un animal de plus, c'est une place supplémentaire pour en accueillir un nouveau – le nouveau est arrivé la semaine suivante mais ça on l'ignorait au moment où il a quitté le refuge.

Nous avions organisé une sorte de gouter pour l'occasion, c'était surtout plus celle de tous se retrouver afin de fêter l'évènement. Les autres étaient sans doute déjà à l'intérieur à nous attendre. Finalement, mes amies y eurent droit, à ce « fameux gouter » que j'avais refusé à l'arrivée de l'Aigle.

L'animal bien au chaud, Lucina a suivi Ingrid jusqu'aux portes de l'entrée du bâtiment principal où se tenait la rencontre. J'ai entendu Dorothea chantonner à l'intérieur à peine la porte ouverte mais je me suis retournée quand j'ai sentie comme un frisson courir le long de ma colonne vertébrale. Edelgard est restée avec moi, nos autres amis étaient déjà entrés.

—Vous êtes en retard, j'ai lâché.

—Un magicien n'est jamais en retard, ni en avance d'ailleurs. Il arrive précisément à l'heure prévue.

—Eh bien, vous avez révisé vos classiques.

—En effet, mais je ne comprends toujours pas pourquoi les mages sont toujours obligés d'utiliser des bâtons, dans ces classiques. Pour ma part, je trouve cela particulièrement encombrant.

—Cela faisait longtemps, Hubert.

J'ai tendu ma main à l'homme aux cheveux ébènes qui l'a serré la seconde suivante. Cela ne faisait pas si longtemps, quelques semaines tout au plus. Avec Edelgard, nous avions été en quête de l'homme peu de temps après le Bal de la Lune des Etoiles.

—N'êtes vous pas d'accord avec moi, votre Altesse ?

Son attention s'est posés sur l'ancienne impératrice de l'empire qui a presque immédiatement revêtit sa couronne fièrement. J'ai presque pu en voir scintiller les joyaux rouges entre ses deux yeux parme.

—Je crains hélas ne pas savoir de quoi vous parlez, Hubert.

—Cela fait partie de la culture cinématographique qu'il te manque, El. Nous allons y remédier dès ce soir !

Elle risquait de s'endormir devant la très longue trilogie dont moi, était particulièrement fan. Ces films font toujours partis de ceux dont je ne me lasse pas de regarder aujourd'hui.

L'homme a simplement sourit. Les traits tirés de son visage n'y étaient pas habitués, j'ai presque cru que son expression figée allait tomber en petite poussière comme lorsqu'on gratte de l'argile sèche. Il est ensuite entré à la suite de nos autres camarades et j'en ai profité pour me pencher près de l'oreille d'Edelgard afin de lui chuchoter quelques mots.

—Tu devrais peut-être lui dire d'arrêter de te nommer ainsi dans ce monde.

—Je le ferai, laisse-moi néanmoins en profiter encore quelques instants.

—Ca fait déjà des mois !

Elle a croisé ses bras sur sa poitrine et a lourdement soupiré. Une attitude dont je ne me lassais pas – aujourd'hui non plus. J'aimais la voir prendre cet air un peu supérieur lorsque l'impératrice n'était jamais très loin. Sa fierté composait son charme.

J'ai déposé un baiser sur sa joue puis j'ai pris sa main dans la mienne. Et nous avons rejoint les autres qui nous attendaient très joyeusement.

C'était notre autre vie. Celle d'aujourd'hui.

Et demain survivra une éternité à hier.