Le leader
J'ai lu le rapport. Une fois, deux fois, trente fois … je crois que mes yeux vont exploser à force de se concentrer sur l'écran. J'ai lu mais je n'ai rien vu. Mon esprit semble s'accrocher aux mots mais aucune phrase cohérente ne se forment. Des mots terribles pour décrire une situation terrible. Je soupire et ferme les yeux, mais les mots sont toujours là, ils me poursuivent, leur signification trop horrible pour être ignorée très longtemps.
J'ai compté. Il a utilisé le mot près de 42 fois. Le rapport en est saturé, comme le Jumper … saturé de sang. 42 fois. Peut-être que si je lisais le rapport 42 fois, je parviendrais à exorciser ma peur, mon dégoût, ma colère …
Neuf jeunes hommes et femmes sont morts, trois ne passerons sans doute pas la nuit.
Rodney ne passera peut-être pas … Non. Ridicule. Rodney est … Il est immortel, ce serait comme de dire qu'Atlantis va sombrer dans l'océan. D'une certaine manière, Rodney est Atlantis, il a mis tant de sueur et de s-… Oh, mon Dieu, qu'allais dire, qu'allais-je … je me précipite dans la petite salle de bain qui jouxte mon bureau et vomis (1). Je tombe à genoux, mes cheveux trempés, en pleurs.
Le sang, tant de sang. Ils en étaient tous recouverts, comme s'ils s'étaient roulés dedans. Une boucherie. Un massacre. Bienvenue sur P54-DRT, bienvenue en enfer … et c'est moi qui les y ai envoyés, moi …
Je me lève, me passe de l'eau sur le visage plusieurs fois.
42 fois …
Les mots continuent de se bousculer, encore et encore et puis, quelque chose de froid se pose sur mon front. Je lève les yeux. Le Colonel est là, il a les cheveux mouillés, il doit sortir de sa douche.
« Hey … »
« Hey … »
Il m'aide à me relever, me verse un verre d'eau que j'avale d'une traite. Le silence s'installe. Il l'interrompt.
« Ce n'était pas votre faute, personne ne pouvait savoir … »
Je hoche la tête, fixant le fond de mon verre vide. Je l'entends se lever.
« Vous avez lu mon … »
Je l'interromps.
« Oui. »
Il hoche la tête à son tour et se tourne vers la salle de commande en dessous de nous et se met à raconter …
… treize minutes plus tard, je me surprends à sourire. Je fronce les sourcils comment peut-on sourire en écoutant le récit de ce qui doit être la pire mission que nous ayons menée depuis celle où le Colonel Summer a trouvé la mort ? Je porte la main à mon visage, je sens les larmes encore tièdes, et je sens aussi les petites rides autour de mes yeux, signe que mon sourire est toujours là.
C'est que le récit est à la fois ce que je redoutais et ce à quoi je ne croyais plus, une histoire de mort, mais aussi de bravoure, de sacrifice et d'amour. Et je souris, qui pleurerais lorsqu'on lui parle d'amour ?
Sheppard continue son rapport. Il pleure ... Il pleure de rage pour ceux qui sont morts, mais il pleure aussi de joie parce que Rodney est vivant. Je le sais car son visage est différent lorsqu'il parle de ce que Rodney a fait, lorsqu'il évoque son nom, il y a du respect dans ses yeux et dans sa voix.
Qui aurait pu croire que ces deux là deviendraient amis ? Les contraires s'attirent … le vieux dicton m'est venu immédiatement à l'esprit mais aujourd'hui, près de deux ans après notre arrivée sur Atlantis, je sais que ce n'est pas ça. Parce que le Colonel Sheppard et le Docteur McKay ne sont pas différents et c'est cela qui fait qu'ils se sont trouvés, qu'ils ont connecté.
Que diit le poème ? On les voit tous les deux partout coude à coude. Ces deux hommes riment ensemble (2) Oui, c'est exactement ce qui se passe ici. L'un avec l'autre, ils forment autre chose, quelque chose d'harmonieux, quelque chose de fort, quelque chose d'indestructible.
Et je suis fière d'être ici pour en être le témoin.
TBC (suite et fin demain!)
(1) Bonjour ma jolie VLU, un p'tit cadeau pour toi, LOL
(2) Victor Hugo, 1802-1885, Romancier, poète, homme politique français, in Océan (dont je vous recommande vivement la lecture).
