L'ami
Son front est pâle et froid. Je le sais parce que je l'ai touché tout à l'heure. Juste effleuré en fait. J'ai du retirer ma main presque immédiatement, comme brûlé. Il est froid et j'ai l'impression d'avoir été brûlé en le touchant, ridicule, non ? Heightmeyer aurait certainement un orgasme si je lui racontais ça. Quelle superbe étude en vue … et une bien jolie camisole en prime pour moi, je suppose. Cette femme rêve de me mettre hors du coup depuis l'affaire des Génii lors de notre version apocalyptique de la tempête du siècle. Elle me prend pour un Serial Killer et attend que je craque. Elle peut toujours attendre …
Là, un bruit, peut-être un gémissement … je me penche vers lui. Et je ne rencontre que le silence. Le silence et le froid. Je suis à quelques centimètres de son visage et je peux sentir le froid émaner de sa peau.
« Il va bien. Il va bien. Il va bien … »
Alors là c'est sûr, si Kate m'entend … Seulement, il faut que je le dise, le dire c'est y croire complètement, c'est comme énoncer la vérité, c'est la réaliser un peu.
Il va bien, il a failli se vider de tout son sang sur le sol du Jumper puis dans la salle d'op, mais il va bien, il est sous transfusion mais il va bien, son sang coule là où il faut, à savoir dans ses veines, il circule, alimente son cœur, son cerveau. Il-va-bien.
Et moi je ne me suis jamais senti aussi mal.
« Idiot de canadien … »
Se jeter comme ça devant moi, juste au moment où … je ferme les yeux et je laisse la scène se rejouer dans ma tête.
Celbior, le chef d'une obscure faction rebelle Génii et grannnnnd ami de feu le commandeur Cowen nous est tombé dessus par surprise. Un admirateur zélé, ravi de pouvoir venger le grand homme. Pas de chantage, pas de demande de technologie, non, il voulait juste sa livre de chair et il était plus gourmand que Shylock. Il exigeait aussi du sang, beaucoup de sang (3).
L'attaque fut brève et nous avons perdu le premier Jumper en quelques minutes. Les cris, eux, ont duré beaucoup plus longtemps.
La fuite, puis la traque, et enfin notre retour vers la Porte, tout cela reste flou dans ma mémoire, comme si j'avais traversé un rêve tout éveillé. Je revois la Porte, notre arrivée près du Jumper et un éclair, juste un flash, à la périphérie de ma vision, un cri, mon prénom, puis un choc et plusieurs coups de feu. Rodney est sur moi, le poids de son corps m'étouffe. Je me rappelle m'être promis de lui dire ce que je pensais de sa diète et puis c'est là que je l'ai senti, chaud, coulant dans mon cou.
Du sang.
Ronon et moi avons fini Celbior et ses petits camarades, ça je me le rappelle très bien. Aussi nettement que la mort des genii dans les couloirs d'Atlantis lors de la tempête ou l'impact des corps contre le bouclier. Ca ne va pas améliorer mon image auprès d'Heightmeyer. Leur sang s'est mêlé à celui de Rodney sur ma veste et mon treillis.
Son sang …
Curieux, le sang ne m'a jamais rien fait. Ni écoeuré, ni stoppé. Mais là … c'était celui de Rodney. Celui de mon … je souris, frère de sang ? Oui, Rodney est ma famille à bien des égards. Il est le petit frère, le confident, celui avec qui on fait les quatre cent coups, celui que l'on taquine, celui que l'on aime malgré tout, malgré les conneries, les égarements, celui auquel on pardonne. Il est ma famille et plus encore même si je ne sais pas ce que cela veut dire exactement.
Je ne cherche pas à comprendre pourquoi je l'aime, je le vis tout simplement. Et oui,je l'aime, de l'amour, c'est ce que je ressens, une extraordinaire bouffée d'amour, celui que vous vivez au quotidien, celui qui se confond avec la loyauté, la confiance, le respect, celui que l'on appelle amitié.
Et j'y pense, c'est cet amour qui m'a sauvé sur P54-DRT : Rodney m'y a appelé par mon prénom. Une première en deux ans. J'ai été si surpris que je me suis retourné. Et c'est Rodney qui a pris le coup qui m'était destiné. M'appeler par mon prénom, si ce n'est pas de l'amour ça !
Il va bien et je vais aller bien aussi.
Nous reparlerons de tout ça sur l'un des balcons, une tasse de café fumant à la main, je l'écouterais pester contre le staff de l'infirmerie et les pratiques vaudou de Carson, et de mon côté, je l'engueulerais pour avoir mis sa vie en danger alors que c'est mon rôle. Nous discuterons de tout, de rien, comme deux amis, comme deux frères, comme deux personnes qui s'aiment.
Je pose à nouveau ma main sur la sienne mais cette fois, je ne la retire pas. Au bout de quelques minutes, je sens la chaleur de mon corps se diffuser au sien. Je souris. Oui, nous allons bien tous les deux.
Fini ! Avec par ordre d'apparition Radek Zelenka, Carson Beckett, Elisabeth Weir et John Sheppard mais vous aviez certainement deviné tout cela. Biz à toutes, et oui Marichka, je vais finir mes autres fics … lorsque l'inspiration reviendra !
(3) In le Marchand de Venise de William Shakespeare. Amoureux de Portia, belle et riche héritière, Bassanio, gentilhomme désargenté, s'efforce d'obtenir sa main. Pour l'aider, son ami Antonio marchand chrétien, emprunte une somme de 3000 ducats à l'usurier juif Shylock qui lui demande, en cas de non remboursement de la dette, une livre de sa chair. Le jour de l'échéance, la dette n'étant pas réglée, Shylock exige l'exécution de la clause. Portia, la propre fille de Shylock, déguisée en homme parvient à faire échouer sa requête, en effet le contrat ne stipule pas qu'il a le droit de se payer en sang, juste en chair, il doit donc couper sans faire couler la moindre goutte de sang de son débiteur, tâche bien entendu impossible.
