Chapitre Cinquième
Le Yuuw
Les jours qui suivirent ne donnèrent en rien raison à l'Elfe Mystique mais je préférais rester prudent. Alors que je marchais, perdu dans mes pensées, dans la Palais je réalisais que 30 des 40 jours séparant traditionnellement les fiançailles du mariage étaient déjà passés. D'où la nouvelle effervescence qui avait pris tout le royaume cette fois. Atem était visiblement très aimé du peuple et Astarté suscitait une curiosité grandissante. Le Pharaon ne cachait pas son contentement face à l'approche des épousailles alors que les deux fiancés persistaient à se voir le moins possible. Enfin c'était surtout le Prince qui évitait la Princesse qui, de son côté, ne faisait rien pour qu'il en soit autrement. Toujours était-il que la relation des futurs époux se caractérisait par une absence totale de relation. Malgré les efforts de Joesis ou de la vieille nourrice, Atem n'acceptait pas d'accorder un peu de temps à l'irsharienne. Quand aux deux prêtresses compagnes d'Astarté elles étaient introuvables, ou plutôt elles restaient invisibles. Ce qui, bien entendu, alimentait de nombreuses rumeurs. En fait, j'avais remarqué que dès qu'on ne comprenait pas quelque chose dans ce château, on créait une rumeur. Finalement, ça avait un bon coté : ça m'avait permit de me payer de bonne rigolade.
Tout en réfléchissant j'arrivais dans la cour du Palais. Et à cet instant je réalisais être entouré par une soudaine agitation. Un char (1) venait d'entrer en trombe dans ladite cour. Et selon les apparences il avait du galopé longtemps sans s'arrêter. Son cheval risquait de mourir de fatigue d'une minute à l'autre d'après un palefrenier qui s'approchait pour tenter d'aider la pauvre bête. Quand à l'homme, il n'était pas dans un état très enviable. Il était sans aucun doute épuisé mais il semblait également blessé.
Le Pharaon, le Prince Atem et la Princesse Astarté arrivèrent immédiatement dans la cour. L'homme se prosterna profondément.
-Relève toi, messager, déclara le Pharaon, nous t'écoutons.
-Ô Pharaon, je viens d'une des garnisons de la Frontière Sud. La frontière est attaquée, Hemef (2). Par des Démons. Nous n'arrivons pas à les repousser. Tous mes compagnons sont morts pour me laisser le temps de venir vous prévenir. Mais soudain, les Démons ont disparus. Mais j'ai préféré venir vous prévenir…
-Tu as bien fait, nous allons envoyer des hommes au Sud…
Le Pharaon se tut. Devant lui, le soldat tremblait comme une feuille. Je compris vite ce qu'il avait. Mais j'étais du XXIème siècle et, même sans avoir de qualifications médicale je pouvais comprendre que cet homme, en temps normal, n'aurait jamais pu arriver aussi vite au Palais. Mais l'urgence de son message lui avait donné des ailes. Mais à présent que ses nerfs relâchaient, son corps demandait des comptes. Mais pour les égyptiens ceci était beaucoup moins logique que pour moi. Si bien que beaucoup le crurent possédé par un mauvais esprit et s'écartèrent. A ses cotés était apparu un Clown Mystique complètement sonné.
Sans un mot, Astarté se rendit au côté du pauvre homme. Je me rendis alors compte qu'elle avait une fiole dans les mains. Elle ne l'avait pourtant pas lorsqu'elle était arrivée dans la cour. Avait-elle envoyé un esclave la chercher ou avait-elle usé de la magie que les rumeurs lui prêtait ? Je ne savais pas. Mais toujours fit-il qu'elle s'agenouilla auprès du malheureux qui entre temps était lourdement tombait sur le sol et lui releva légèrement la tête. Ce ne devait pas être l'attitude que devait adopté une reine, songeais-je en voyant l'air choqué de plusieurs nobles, mais elle n'en tint aucun compte. Elle versa lentement le contenu de la petite fiole dans la bouche du soldat qui cessa aussitôt de trembler. Puis elle se releva et se tourna vers des soldats qui arboraient les couleurs traditionnelles de la Reine d'Egypte.
-Amenez cet homme au temple d'Isis et dites aux prêtresses de s'occuper de lui, il est dans un état de fatigue très avancé.
-Bien, Princesse.
Les hommes avaient répondu d'une seule voix à l'ordre de leur future souveraine. Celle-ci retourna à la gauche du Pharaon qui avait un petit sourire sur les lèvres. Atem semblait déstabilisé devant la réaction de sa fiancée. Quand à moi, je m'auto-congratulai. J'avais décidément bien cerné cette fille. Malgré les difficultés (extrèmement nombreuses)que j'avais rencontré.
Tout le monde se rendit dans la Grande Salle. Le Pharaon s'assit sur son trône. Atem se mit, debout, à sa droite. Et Astarté s'assit sur des coussins de soie placés à la gauche du monarque à son attention. A leurs pieds se trouvaient tous les conseillers royaux. Prêtes, généraux, intendants, vizirset sans doutes d'autres dont je ne connaissais pas les fonctions.
Pendant des heures, les Prêtres affirmèrent que le soldat du Sud était possédé et qu'on ne pouvait se fier à ses dires. Les Généraux affirmèrent que si ces Démons existaient leurs armés n'en feraient qu'une bouchée. Les intendants se lamentaient qu'une guerre ne pouvait pas commencer maintenant, le mariage était trop proche. Et tout ce beau monde caquetait en cœur créant un brouhaha assourdissant. Astarté semblait légèrement agacée. Atem ne portait aucune attention aux dires décousus de ses conseillers. Quand au Pharaon il écoutait calmement.
-Mon fils, dit soudain le souverain abandonnant l'idée d'écouter les conseillers qui se disputaient à présent comme s'ils étaient sur une place de marché, que penses-tu de tout ça ?
-Je pense, Père, que nous devrions envoyer des éclaireurs au Sud pour voir ce qu'il en est.
-Et vous, mon enfant ? interrogea Pharaon en se tournant vers Astarté.
Elle mit quelques instants à répondre. Entre temps, les conseillers s'étaient souvenus d'où ils étaient et s'étaient soudain tus.
-Je ne sais pas ce qui se passe au Sud, commença la Princesse d'une voix posée et charismatique. Mais je sais ce qui se passe ici. Je sais qu'un homme est arrivé ici. Je sais qu'il était dans un état de fatigue que j'ai rarement – voire jamais – vu. J'en conclus donc, qu'il a vu quelque chose. Quelque chose qui a rendu pour lui légitime de voyager à perdre haleine, au détriment de son corps et de sa santé, pour venir nous prévenir. Il est venu nous apporter la nouvelle d'une attaque sans tenir compte de ce que ça pourrait lui coûter. Alors je pense que cette attaque était pour lui terrifiante. Et puis, il y a ces Démons…
-Fables ! s'exclama un général, coupant la Princesse. Ces Démons ne sont que fables.
-Silence ! rugit le Pharaon. Votre future Reine parle.
Le général sembla vouloir disparaître alors qu'Astarté reprenait comme si rien n'était.
-Je pense pouvoir dire, au vu des blessures qu'avait cet homme, qu'il a bel et bien rencontré des êtres magiques. Les prêtresses d'Isis nous le confirmeront. Mais j'ai sentis de la magie dans les blessures de ce soldat. Ces coups et coupures ne venaient pas d'armes conventionnelles…
-Des Servants qui se rebelleraient ? proposa un intendant avec une grimace de dégoût.
Il ne semblait avoir aucune sympathie pour les monstres.
-Non, affirma la Princesse.
Elle se tut, hésitant visiblement à poursuivre. Elle reprit toutefois la parole.
-La magie qui est la cause de ces blessures est plus noire que celle des Servants. Même les plus ténébreux d'entre eux n'ont pas une telle… je ne sais pas comment dire… noirceur. Cette magie n'est pas une Magie des Ténèbres.
-Alors qu'est-ce ? demanda un peu brutalement un prêtre.
-En Irshary, nous avons une croyance qui veut qu'au-delà du Monde des Servants, au-delà du Royaume des Ténèbres, il existe une étendue. Un autre Monde… Un monde de « Yuuw ».
-Yuuw ? releva le Pharaon.
-Oui, il n'y a pas d'équivalent dans votre langue. Je pense que le meilleur que l'on puisse donner, bien qu'il soit un peut faible, est Chaos.
-Alors, selon vous, il existerait un Monde du Chaos.
-Oui. En fait, selon la croyance, c'est pour cela qu'existerait le Royaume des Ombres. Il aurait pour fonction de dissuader les Hommes et les Servants d'entrer dans le Monde du Chaos. Ce serait en quelque sorte un garde-fou qui séparerait nos Mondes avec celui du Yuuw.
-Quel rapport avec notre problème ? grinça un général.
-Et bien, dans ce Monde errerait les âmes des inconscients n'ayant pas eut la prudence de rebrousser chemin malgré les mises en garde des Ombres. Ces âmes seraient, avec le temps, devenues tellement noires, qu'elles s'apparenteraient aujourd'hui avec les Démons de vos croyances. Mais surtout, elles nourriraient une autre puissance. Et cette puissance serait le Yuuw lui-même. Mais tout cela n'est que légende, moi-même je n'y porte qu'un crédit très limité. Cela dit, peu après ma naissance, je sais qu'un des grands Prophètes de la cour de mon père a prédit que le Yuuw ne se satisfaisait plus des seules âmes égarées dans son monde et qu'il avait dans l'idée de s'en prendre aux deux Mondes-Frères – c'est ainsi qu'il nommait notre Monde et celui des Servants. Personne, malgré son importance, n'a accordait de crédit à ses dires et il est partit vivre en ermite loin d'Irshary. Toutefois, après avoir sentit la magie qui émanait des blessures du soldat du Sud, j'en viens à me demander si toutes ces légendes ne serraient pas la réalité.
Le silence suivit les déclarations de la Princesse, chacun méditant sur ses dires. Et c'est à cet instant qu'une jeune femme, sans doute une Prêtresse d'Isis d'après ses vêtements, accompagnée de son monstre entra. Elle se prosterna devant le Pharaon.
-Pharaon, Prince, Princesse, j'ai le regret de vous dire que le soldat arrivé ce matin à la demande de la Princesse a entamé son voyage pour l'Autre-Monde (3) il y a peu. Il est à présent entre les mains de Nephthys (4). Néanmoins, ce n'est pas pour cette raison que je suis ici, mais au sujet des blessures qu'ils portaient. Notre Grande Prêtresse en est venu à la conclusion qu'elles avaient été infligées par des créatures incroyablement maléfiques. Elle a donc demandé assistance aux autres Grandes Prêtresses. Celles d'Hathor, Maât et Bastet sont venues tout de suite. Et ensemble, elles en sont venues à la conclusion que ces blessures n'avaient pas été infligées par des Hommes, bien entendu, mais pas non plus par des Serviteurs ou même des Dieux. Elles pensent qu'il s'agit là de l'action de l'action d'une créature plus dangereuse encore. Le Yuuw.
Un nouveau silence accueillit les paroles de la jeune femme. Le fait que les trois Grandes Prêtresses confirment les suppositions de la Princesse n'était en rien une bonne nouvelle.
-Que proposent les divines adoratrices ? s'enquit le Pharaon.
-Elles ont dit que la Princesse serait plus à même que moi à vous l'apprendre, Hemef.
Astarté fonça les sourcils et resta silencieuses de longues minutes alors que chacun attendait de l'entendre.
-Certes, elles doivent songer à la Prophétie… mais…
Elle s'interrompit, réfléchissant visiblement à la question.
-Oui. En fait, il existe une Prophétie qui semble – selon nos sages – parler de ce qui est appelait la « Mosatleauw ». On pense que ce mot vient de la contraction de trois autres. Le mot « Mosahy » qui signifie guerre, « Atlea » qui veut dire lumière et Kuuw.
-La Guerre de la Lumière et du Chaos, traduit Atem.
-Ou plutôt la Guerre de la Lumière contre du Chaos. Cette prophétie, comme la plupart, est assez vague mais elle fait état d'une guerre très violente avec de nombreux morts. Elle parle également d'un Elu qui vaincra le Mal. Seulement il y aura un prix élevé. Et ce prix sera la destruction de tout un peuple et la mort de l'être aimé par l'Elu. Quand à cet Elu, on ne sait pas comment il vaincra mais certains pensent qu'il laissera la vie dans ce combat…
La tension dans la Salle du Trône (l'autre nom de la Grande Salle) était à son comble. Je me demandais silencieusement qui pouvait être l'Elu et le peuple détruit. Je savais que tout le monde était dans ce cas. Mais soudain, je me demandais s'il n'y avait pas un rapport entre tout cela et le fait qu'Atem se soit retrouvé enfermé dans le puzzle du Millenium.
Quoiqu'il en soit, tout cela n'annonçait rien de rassurant…
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Fin du Chapitre Cinquième
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Chapitre suivant : ''Mariage'' : Pour le plus grand plaisir de certain et le malheur des autres, le mariage sera maintenu ! Mécontents en perspective.
Précisions sur le texte :
(1) : d'après ce que je sais, dans les égyptiens anciens ne montaient pas les chevaux avant l'invasion perse. Mais comme ils le font dans la série j'avais oublié, rien d'étonnant donc à trouver des cavaliers dans les chapitres précédant. Et il est possible que pour des raisons quelconque j'utilise encore des cavaliers. Je souhaitais juste signaler qu'il ne s'agit pas d'une erreur cette fois mais d'un choix.
(2) : cela signifie majesté en égyptien ancien.
(3) : le monde des morts bien entendu, rien à voir avec les Mondes dont a parlé Astarté plus tôt.
(4) : déesse égyptienne, épouse de Seth. Aide les morts à passer dans l'au-delà.
