Chapitre 4 : Les prémisses d'un règne légendaire

La première tâche du roi fut de se rendre à Camelot, pour y être couronnée. Dès le lendemain du jour de la sélection, avec Sir Kay et Merlin, le groupe prit la route de la capitale. Les autres chevaliers voulurent que le cortège royal fusse accompagné de gardes et de quelques chevaliers supplémentaires, mais Artoria refusa. Elle était apte à se défendre et à se rendre en son fief sans une armée pour assurer sa protection. Elle demanda que chaque seigneur regagna ses terres et transmît à son peuple l'avènement du nouveau roi.

Artoria, Merlin et Kay s'arrêtaient à chaque village sur la route, présentant ainsi le nouveau roi à son peuple. Les regards ne la quittaient pas, elle sentait sur elle le poids de leur espoir mais aussi des souffrances. Ils ne voyaient en elle non plus l'individu mais uniquement sa fonction. Voyager aux cotés de Merlin n'était jamais ennuyeux ou reposant, tant le mage aimait surprendre et divertir. Pour présenter son roi à une petite bourgade, Merlin jugea pertinent d'illuminer le ciel avec une immense couronnes de lucioles étincelantes. Effrayés les paysans paniquèrent et libèrent par mégarde un troupeau de bœufs affolés sur la place publique. Évidement Merlin niait toute responsabilité dans cet incident. Sir Kay dut gérer la situation et convaincre que le sort du mage ne constituait pas un présage de désolation. Artoria profita du trajet pour exposer à Merlin ses plans. Sa priorité était de sécuriser les côtes du sud, afin d'éviter une guerre sur plusieurs fronts avec les Saxons. Merlin acquiesça, lui conseilla quelques chevaliers issus de la région pour organiser son armée. Artoria lui fit aussi part de sa volonté de moderniser la chevalerie. Pour elle, le courage n'était pas l'apanage de la noblesse et des hommes. Merlin et Sir Kay lui firent comprendre que bouleverser le système dans des temps aussi troublés nuirait à la stabilité du pays. Artoria n'en démordrait pas, la véritable chevalerie s'était égarée au fil des guerres. Elle aspirait à s'entourer de vaillants chevaliers, peu importait leur origine, ce groupe formerait un bouclier pour protéger et guider l'Angleterre. Merlin semblait apprécier l'idée qu'elle ne gouvernât pas seule, même si à terme Artoria serait tenue pour unique responsable. Le trône ne convenait qu'à seul individu.

Quand ce n'était pas le mage qui provoquait le chaos, Sir Kay devait gérer la témérité de son jeune roi. Artoria pour son couronnement choisit délibérément le chemin le plus malfamé pour rejoindre son château. Le petit groupe traversa une foret réputée dangereuse et fut arrêté par un groupe de malandrins aspirant visiblement à les dépouiller. En effet, de prime abord Merlin n'impressionnait guère par sa stature. Beaucoup le prenait pour un saltimbanque, et d'une certaine manière il y avait du vrai dans cette méprise. Seul Sir Kay avait la carrure d'un chevalier traditionnel. Grand, bien bâti, sa peau sombre effrayait les inconnus, en particulier ceux qui n'avait jamais voyagé. La famille de Kay était issue du sud de l'ancien empire romain. Jadis, centurion, leur ancêtre avait fini sa carrière en Angleterre et avait décider d'y demeurer. Sir Kay était bien meilleur orateur que combattant. Il entama la discussion et commença par présenter le nouveau roi. De toute évidence, ils ne s'attendaient pas à une telle rencontre. Lorsqu'Artoria s'avança et lança un large regard semi circulaire sur la troupe qui l'assaillait, la moitié d'entre eux recula instinctivement d'un pas. Après avoir croisé son regard, nul ne doutait du fait qu'ils faisaient face à leur nouveau souverain. L'hésitation, la peur était palpable. Artoria descendit de son cheval fétiche Eto avec une facilité déconcertante malgré son armure. Elle fit signe à Merlin et Kay de ne pas intervenir. Les trois quarts des hommes reculèrent d'un bon mètre. Une main sur le manche de son épée, elle prit la parole :

« -Un nouveau règne débute, vous avez le choix, une sorte de seconde chance, regagner votre honneur en vivant une vie digne, ou m'affronter pour me dépouiller dès à présent. C'est à vous de choisir.

C'est facile pour un noble de nous faire la morale... répliqua un homme roux plus vigoureux que la moyenne.

-En effet il est plus facile de tuer que de protéger. Le premier pas pour une vie meilleur c'est à vous de le faire. Si certains d'entre vous, cherche du travail, et qui ont le courage de se battre pour leur pays, qu'ils rejoignent la capitale dans les deux semaines à venir.

La majorité des hommes, et même des enfants présents avait déposé les armes. A vrai dire, il ne restait qu'un groupe d'indéfectibles.

-Il suffit qu'un noble grotesque vous fasses miroiter quelques pièces pour de lâches besognes pour que vous vous soumettiez au premier poltron venu.

-Je ne saurais tolérer pareil affront envers mon roi, rétorqua Sir Kay l'épée à la main.

-Il suffit Sir Kay, je vous enjoins de rester à l'écart.

-Mon seigneur pense pouvoir nous vaincre à un contre sept. Nous assisterons bientôt au règne le plus court de l'Angleterre, se gaussa le meneur présumé.

-Un contre six visiblement, corrigea Artoria alors qu'un ennemi déposait les armes sous le regard ulcéré du bandit.

Le rouquin se précipita sur le roi sans préavis avec une hache mal aiguisée. Artoria ne dégaina pas. Elle esquiva habilement chaque assaut sous le regard noir de Sir Kay qui brûlait d'envie de mettre à mort le criminel. Il ne reçut de l'aide d'aucun de ses amis. Lorsqu'Artoria leur lança un regard, ils comprirent l'avertissement et déposèrent leurs armes. Il ne fallut que six assauts supplémentaires pour que leur leader essoufflé tomba aux pieds du roi. Artoria fit un pas vers son assaillant et déclara :

-Déposez vos armes, et rendez-vous à présent...

L'homme ne répondit pas, il raffermit sa prise sur sa hache et se jeta une nouvelle fois sur le roi. Leur regard se croisèrent. Il ne sentit pas la lame du roi lui arrachait la moitié des poumons et du foie. Comme hypnotisé par le regard sans faille du souverain, il ne comprit qu'une fois au sol qu'il ne se relèverait plus jamais. Nul ne vint à son aide, au contraire ceux qui n'avaient pas fui s'étaient agenouillés devant leur roi.

D'un geste rapide, Artoria nettoya sa lame du sang ennemi. Pas une fois, elle n'avait tremblé lors de cet affrontement. Sir Kay était surpris de la voir si impassible, en effet elle n'était plus la jeune fille idéaliste qui le suivait partout mais bel et bien son roi. Artoria ne pensait pas faire usage de son épée si rapidement et encore moins sur l'un de ses sujets. Si le premier devoir d'un roi consistait de protéger son peuple des agresseurs extérieurs, le second était de rendre justice sans discrimination, sans parti pris. Sous son règne, l'homme qui voulait prendre sans raison une vie devait payer de la sienne sa félonie.

Sir Kay descendit de son cheval, examina Artoria du regard, il ne vit nul blessure, nulle trace de sang sur elle. Artoria posa une main sur le bras de son chevalier, lui murmura qu'elle allait bien, qu'il ne devait pas s'inquiéter. Sir Kay, lui rétorqua que c'était son devoir de grand frère comme de chevalier de veiller sur son roi. Elle lui fit signe de remonter à cheval, alors qu'elle s'apprêtait à se hisser sur sa propre monture, la main de son chevalier se présentait pour l'aider à monter. Elle accepta l'aide pour le plus grand plaisir de son chevalier, un roi devait savoir faire des concessions...

Elle ordonna au reste des bandits de la forêt d'enterrer leur ami, car nul homme pas même ennemi ne méritait de vivre sans sépulture décente. Le groupe reprit ensuite la route. Artoria se mit à la hauteur de Merlin et lui déclara :

« -Je vous écoute, vous mourrez d'envie de prendre la parole.

-Je suis fier de ma petite Artoria, elle en fait du chemin depuis la dernière fois qu'elle est venue au château... Vous devez avoir hâte d'y retourner.

-Pas réellement, je n'ai jamais aimé ce château... c'est celui de mon père, pas le mien.

-Vous avez donc prévu de vous en construire un autre.

Ils échangèrent un long regard, la proposition de l'enchanteur ne lui déplaisait pas. Avec un sourire taquin, elle lui répondit en ces termes :

-Ce n'est pas un château que je souhaite bâtir, mais un pays, une utopie.

-C'est bien ce que je disais, vous en avez fait du chemin...

-La route reste encore longue et périlleuse.

-Nous serons là pour aider, mon roi, rétorqua le mage avant de lancer son cheval au galop vers la capitale.»

Sur place, Artoria fut accueillie en héros, tous les habitants l'attendaient. Elle défila donc en ville, salua la foule escortée par les gardes de la cité. Une cérémonie avait été organisée dans le château de son père, enfin son château à présent. Toute la noblesse de la ville et des environs était réunie. Dans la cour du palais, une nouvelle estrade l'attendait. Les gardes formaient un corridor vivant afin qu'elle puisse se présenter officiellement à la foule assemblée. Pour la dernière fois de sa vie, elle posa un genou au sol tandis que Merlin ravi lui déposa la couronne sur la tête. Elle fut couronnée devant le peuple par l'enchanteur. La couronne se révéla plus lourde que prévue. Se relever en armure sans la faire tomber demandait un équilibre certain. Cette dernière glissa légèrement, mais par enchantement elle retrouva sa place originelle. Merlin lui lança un sourire complice tandis qu'elle saluait son peuple.

La réputation de Merlin après que tous apprirent qu'il avait caché l'héritier d'Uther ne changea pas d'un iota tant on le savait malicieux et stratège. Elle découvrit une nouvelle facette de l'ensorceleur. De toute évidence s'il n'aimait pas la vie de courtisans, en revanche il appréciait la musique autant les femmes avec qui il dansait volontiers. Ce soir, pas une ne lui refusa quelques pas. Artoria comme Kay n'étaient pas coutumier de ce faste, à ces regards constants sur eux. De nombreuses maisons se présentèrent au roi. Bien des pères vantaient au passage le mérite de leurs filles à marier. En moins d'une heure, huit femmes lui firent des œillades, trois osèrent lui demander une danse et une ne la lâcha pas malgré son refus. Si bien, que le roi désabusé jeta son fidèle chevalier dans la cage aux lions pour le plaisir de ces dames. Elle n'accorda aucune danse, ne fit aucune promesse, et encore moins de demande en fiançailles ou de mariage. Elle observait la cour, la lutte intestine qui y régnait. Merlin l'avait bien avertie mais constater la mesquinerie dans ce haut lieu de pouvoir l'éreintait. A trois reprises, elle remit à leur place des courtisans outrepassant leur droit se faisant d'office des ennemis dans son propre château. L'un d'entre eux passablement éméché eut la mauvaise idée de vouloir humilier son chevalier remettant en cause son statut à cause de l'origine de sa famille. La joute verbale dura moins d'une minute, devant l'excellence de Sir Kay à ce jeu. Artoria n'attendit pas et ordonna qu'on le ramenât séance tenante à la porte du château.

Lorsqu'Artoria erra dans le château en cherchant sa chambre, elle tomba nez à nez avec une statue de son père. Seul l'étiquette dorée sous le buste lui permit de reconnaître l'ancien roi. En effet elle n'avait aucun souvenir de cet homme, ni même de sa mère. Pour elle, Sir Hector se rapprochait le plus d'une figure paternelle. Dans cette famille reconstituée Sir Kay avait pris la place de son frère de cœur. Elle ne définissait pas encore le rôle de Merlin, mais nul lien n'était plus fort que celui qui le connectait au magicien. Pour elle, il était et sera toujours à ses côtés pour la guider.

On lui avait préparé les appartements du roi, et une toute nouvelle garde-robe. De toute évidence, à la vue du mur végétal luxuriant qui tapissait l'un de ses murs, Merlin avait dû intervenir. Elle ne reconnaissait pas la chambre de son père. A vrai dire, elle avait peu de souvenir du château hormis la tour où elle vivait autrefois. Sur la table une coupe de fruits frais et un pichet de vin l'attendaient. Lorsque les portes se refermèrent, elle se sentit soulagée, plus de regard la scrutant, la moindre de ses paroles n'était plus analysée. Elle pouvait enfin respirer fière de sa première journée au palais qui n'avait donné lieu à nulle catastrophe. Elle sourit en voyant le grand lit, qui à n'en pas douter l'amènerait directement dans les bras de Morphée. A deux reprises, on toqua à sa porte. La première fois pour lui proposer un bain. Elle ouvrit la porte et deux servantes, préparèrent son bain. Elles ravivèrent la cheminée, mirent en place l'huile, et de multiples fleurs étranges dans l'eau. Artoria devait reconnaître que leur parfum était exquis. Une troisième servante se présenta et voulut l'aider à ôter son armure. Artoria refusa fermement et demanda qu'on la laisse seule une fois le bain prêt. D'abord surprise, les servantes pensèrent qu'elles avaient commis une faute. Artoria leur précisa qu'elle préférait simplement profiter du bain seule prétextant une envie de tranquillité. Une fois seule, elle ôta péniblement son armure et s'enfonça un verre à la main dans l'eau à la parfaite température. Elle devrait rapidement instaurer de nouvelles règles afin que son secret ne soit pas mis en danger. Elle s'en occuperait dès le lendemain. Pour le moment, elle profitait de ces instants hors du temps, un court répit avant l'immense tâche qui l'attendait. Son épée posée sur la table basse non loin du feu flamboyait, les flammes de ce dernier faisaient scintiller les pierres incrustées dans le fourreau de l'arme. Les lumières diffuses offraient un agréable spectacle, presque hypnotisant. Artoria sentit ses muscles se détendre, la pression accumulée depuis le jour de la sélection semblait se noyer dans les flots. Elle se surprit à s'endormir dans cette tiédeur. Depuis, leur arrivée au camp de la sélection, elle n'avait pas su trouver le sommeil.

La vie au château lui nécessita un temps d'adaptation. Elle devait garder ces distances avec le personnel et les courtisans. Les couturières comprirent rapidement que leur nouveau roi n'était pas friand de tenue d'apparat, de longs essayages au grand désarroi de ses domestiques. Le roi s'habillait et dormait seul, refusait toutes frivolités des jeunes femmes qui le convoiter pourtant ardemment. Il acceptait juste d'être coiffé, et encore sans extravagance. Artoria reçut plusieurs seigneurs se plaignant tous de l'invasion des Saxons dans l'Est. Elle plaidait ardement pour l'union des peuples contre les Saxons. Elle invita quelques seigneurs moins réputés du Sud pour organiser la protection de son territoire. Il ne s'agissait pas de vassaux mais de seigneurs alliés. L'un de ces seigneurs était accompagné d'un nouvel allier vivant outre-manche le seigneur Lancelot du Lac. Le jeune homme attira immédiatement l'attention du roi, il se dégageait de lui une aura, une dignité devenue trop rare parmi ces chevaliers. Il incarnait l'idée même de la chevalerie.

Quand bien même elle était devenue roi, Artoria ne négligeait pas son entraînement. Elle devait apprendre à maîtriser sa nouvelle épée. Caliburn ne ressemblait en rien aux épées qu'elle avait testées. Elle sentait une force, une puissance innée dans celle-ci. En un seul coup elle avait réussi à trancher un arbre se tenant à plus quatre mètres d'elle. Elle se levait bien plus tôt qu'aucun seigneur de la ville. Elle aimait s'entraîner sous les premiers rayons de l'aurore. Un jour alors que son entraînement touchait à sa fin, elle reçut la visite du jeune Lancelot. Il lui apportait de l'eau fraîche. Lancelot, n'émit aucune demande mais ses yeux pétillaient comme ceux d'un enfant impatient. Artoria lui proposa alors de croiser le fer. Elle n'eut nul besoin de demander une seconde fois. Lancelot ravi accepta et dégaina son épée. Ils échangèrent quelques coups comme pour tester la défense de chacun. Le seigneur français paraissait surpris, abasourdi qu'un si corps si frêle puisse dégager tant de force.

« - Vous n'avez pas à me faire de cadeau Messire Lancelot, provoqua délibérément Artoria.

-Vous non plus votre majesté. »

Avec un sursaut d'orgueil, les échanges se firent plus virulents, mais aucun des deux bretteurs ne faisaient étalage de toute sa puissance. Lancelot de plus en plus impressionné par les capacités du roi qui n'était guère en adéquation avec sa son apparence dissimulait mal sa surprise. Artoria habituée à être sous-estimée, réussit à provoquer chez Lancelot une profonde remise en cause. Lui qui se considérait à la fois comme le parfait chevalier et seigneur, découvrait dans cet être chétif un tout autre niveau de prestance et puissance, bien supérieurs au sien. A chaque fois, Artoria avait le dessus sans pour autant parvenir à le désarmer. Lancelot soupçonnait le roi de ménager son ego. Ce qui devait être qu'un entraînement, devint un spectacle pour le peuple qui observait pour la première fois le talent de leur roi à l'épée.

L'arrivée de Merlin, mit fin à leur affrontement. S'il n'y avait officiellement pas de perdant, pour tous y compris Lancelot, le Roi Arthur avait gagné. Il observa le jeune roi accompagné du mystérieux magicien. Ils formaient une équipe étrange, tant leur personnalités et apparences divergeaient. Il émanait du roi une prestance, une rigueur, une dignité qui s'équilibrait avec ce que Lancelot qualifié la facétie, l'apparente légèreté et le flegme de Merlin.

Sa première bataille en tant que roi d'Angleterre était planifiée pour la semaine prochaine. Tous allaient juger de sa prestation en tant que chef des armées. Beaucoup espéraient sa mort, afin de choisir un nouveau. Sous peu, elle rejoindrait accompagnée de Merlin et Sir Kay les troupes dirigées par le jeune Lancelot. Elle avait minutieusement préparé cette bataille et fit preuve de patience attendant que toutes les conditions fussent réunies pour lancer l'assaut.

Elle laissa la défense de son château à Sir Hector, qui lui jura qu'elle n'avait pas à s'inquiéter, qu'elle reviendrait triomphante en son domaine. Elle guida son armée vers le sud avec aisance. Le roi partageait le quotidien de ses hommes. Elle dînait chaque soir avec eux. Merlin amusait à chaque fois la galerie avec ses facéties tandis que Sir Kay et ses histoires extravagantes faisaient oublier à ses troupes l'enfer qui les attendait. Sur la route, son effectif grossit, plusieurs seigneurs comme convenu joignaient leurs forces à la sienne. Sur place, elle retrouva Lancelot au camp qu'il avait installé. Elle passa un tiers de sa soirée dans sa tente en compagnie des seigneurs à affiner la stratégie. Ses troupes personnelles avaient la position la plus périlleuse. Les autres seigneurs sauf Lancelot qui commençait à cerner la personnalité du roi Arthur furent estomaqués de découvrir que le jeune roi voulait affronter en première ligne l'ennemi. Artoria leur rappela :

« - Si le roi ne bouge pas, comment voulez-vous que son armée l'emporte ? »

Nul ne lui répondit, sur ces mots le jeune roi quitta la tente pour gagner la sienne sans se retourner.

Première réelle bataille, elle savait en posant son épée prés de sa couche que certains de ses hommes n'en reviendraient pas. Sa décision était prise, mais ce n'était pas pour autant qu'elle parvint à trouver le sommeil. Seule, sous sa tente, les heures semblaient s'éterniser, comme si jamais la lumière chasserait les ténèbres de la nuit.

Ce fut un hennissement qui finit par la réveiller. Les préparatifs entamés à leur arrivée étaient sur le point d'aboutir. Il s'agissait d'un affrontement direct. Son armée devait reprendre ce territoire et la ville portuaire afin de limiter les renforts d'ennemis. La première étape consistait à prendre le pont sous haute garde saxonne.

Ils étaient attendus bien évidement, et le pont savamment protégé. Les hommes du roi et de la coalition s'étaient réunis au sommet de la colline pour intimider l'ennemi. Artoria observa le visage de ses hommes, leurs peurs, leurs doutes se percevaient aisément. Le roi Arthur défila à pied devant eux sans la moindre hésitation. Tous les regards se posèrent sur lui, sans doute le plus frêle des soldats ici présents. Elle refusait de combattre à cheval, et d'impliquer ces innocentes créatures qu'elle admirait tant dans le conflit des hommes. Malgré son gabarit, il émanait d'Artoria une aura, une prestance qui balayait la peur de ses hommes. Elle leur rappela avec fermeté qu'il ne se battait pas seulement pour leur vie, pour leur roi, pour leur pays, mais également celle de leur famille car c'était le peuple qui formait un pays. Sans attendre la fin de leur acclamation, Artoria se précipita seule sur l'ennemi. La brume surnaturelle de Merlin l'entourait. Sir Kay et Sir Lancelot furent les premiers à la suivre emmenant chacun des centaines d'hommes derrière eux. Les autres seigneurs se joignirent à l'assaut, stupéfaits par l'audace du jeune roi, qui sans difficulté seul venait percer la première ligne ennemie. Un seul coup d'épée de Caliburn mettait à terre plus de trois hommes. Sa lame acérée rougeoyante de sang saxon effrayait, les troupes ennemies reculaient, devant ce chevalier hors norme. Artoria visait le général ennemi, qu'importe le nombre de gardes en face, elle passait à travers tel l'éclair. Elle reçut tout de même un coup de lance, mais son armure avait encaissé la majorité des dégâts. La cavalerie Saxon chargea contre le roi isolé. En vain, Artoria, d'un unique coup d'épée mis à terre les chevaliers expérimentés. Une fissure, une faille de près de soixante-dix mètres écartait le sol et détourna le cours de la rivière.

Les ennemis comme son armée, stupéfaits se figèrent devant l'exploit du roi et son épée. Sir Kay et Lancelot en profitèrent pour rattraper Artoria et combattre à ses côtés. Le général ennemi fit signe à un homme étrange d'intervenir. De toute évidence, il s'agissait d'un mage. Artoria n'attendit pas, accompagnée de ses deux amis elle se précipita vers lui.

Une foudre noire s'abattit sur elle. Par réflexe Artoria releva son épée, qui aspira l'éclair, puis instinctivement, elle la pointa vers le sorcier, l'épée s'illumina, un éclair blanc en jaillit et fit exploser la zone du sorcier. Deux immenses marguerites avaient poussé au-dessus de Sir Kay et Lancelot, tel des parafoudres elles avaient absorbé la charge électrique ennemie. Si Lancelot parut surpris, Sir Kay reconnu immédiatement le style de Merlin et continua sa charge. Lancelot rejoint par ses hommes réglaient leur compte à la cavalerie restante.

Une fois arrivée à une vingtaine de mètres du général, Artoria le défia. Ce dernier accepta. De toute évidence la lance du général était aussi enchantée. Il pensait avoir l'avantage grâce à son arme. Après quelques coups, Artoria sentit une flèche se dirigeait vers elle. Elle la dévia avec son épée. L'ennemi profita de cet instant d'inattention pour l'attaquer. La lance percuta les cuirasses de son armure. L'homme ne lui laissa aucun répit. Malgré son armure enchantée, Artoria ressentait toujours le contre coup du choc, tout son flanc gauche semblait immobilisé. Elle prit une profonde inspiration, prête à encaisser le prochain assaut sans trembler. Elle le laissa délibérément s'approcher attendit le dernier moment pour bloquer sa lance. Une fois cette dernière coincée, entre son armure et son bras, Artoria tendit sa lame qui trancha la poitrine de son assaillant. Elle jeta un regard noir aux gardes ennemis qui l'encerclaient. Nul n'osait l'approcher. Elle prit alors la parole d'une voix forte :

« - Rendez-vous, cette bataille est finie. »

Le temps semblait comme suspendu alors que le doute s'empara de l'ennemi. Au loin, les envahisseurs sonnaient le rappel. Ce son de cor réveilla l'orgueil des Saxons qui dans un ultime effort brandirent une nouvelle fois leurs armes. Artoria fut sans pitié aussi bien pour les soldats que leurs chevaux. Très peu parvinrent à s'enfuir, cela faisait bien longtemps que les Saxons n'avaient connu pareille défaite. Le nom de l'artisan de cette dernière le roi Arthur commençait à hanter les champs de bataille.

Artoria avant de se reposer, prit des nouvelles de ses hommes et de ses alliés. Un cinquième de son armée avait été éliminé lors de cette bataille. En revanche il devait rester moins d'un sixième du bastion Saxon. Inutile de préciser que son épée avait occis la majorité des ennemis. Malgré le sang sur ses mains, et celui qui imprégnait son armure, le roi continuait d'avancer sur ce champ de morts, sans hésitation, presque sans émotions gagnant ainsi le surnom de dragon rouge. L'ennemi était parti laissant au vainqueur leurs installations presque intactes ainsi que leurs réserves en vivres et armes. Le roi Arthur fut salué par tous. Le jeune Lancelot l'étonna. Devant son armée, il s'agenouilla face au roi Arthur :

« - Ce que je pressentais à notre rencontre est à présent confirmé. Je suis à votre disposition, que mes terres répondent à vos appels, que mon épée devienne la vôtre et ma vie votre bouclier. »

Il lui prêta allégeance, devenant délibérément son vassal. Artoria touchée par le geste du noble guerrier lui répondit avec l'un de ses rares sourires.

« - J'accepte votre épée, mais restez en vie, je vous veux à mes côtés. »

Artoria, s'approcha de Lancelot et de son épée l'adoubât.

« - Sir Lancelot, mon ami, relevez-vous à présent. »

Deux autres souverains alliés l'imitèrent, reconnaissant en ce jeune roi improbable, le salut de l'Angleterre. Ainsi au terme de sa première bataille, par son épée, le roi Arthur inébranlable gagna non seulement une renommée inouïe mais aussi un puissant chevalier. Elle garda pour elle, le son des râles des mourants agonisants qu'elle avait précipités dans l'autre monde, cette odeur sanglante, étouffante qui ne la quittait pas. Elle passa sous silence, ses muscles crispés de douleurs, son cœur meurtris par tant d'atrocités, pas sa propre violence. Une petite partie d'elle disparaissait à chaque fois qu'elle prenait une vie. Un roi, un véritable roi devait faire des sacrifices pour sauver son peuple. Lorsqu'elle avait retiré cette épée, elle était prête à se sacrifier.