Chapitre 6 : La cité d'Avalon

Le petit groupe passa la nuit au clair de lune, pour récupérer leur force. Pas une seule fois, Artoria ne parvint à trouver le sommeil. Une question la hantait. Caliburn, cette épée faisait le roi, sans elle pouvait-elle encore prétendre à la couronne ? Comment réagiraient ses chevaliers à Camelot, ses alliés et aussi ses ennemis ? De toute évidence Merlin, sous le ciel couvert partageait son inquiétude et son insomnie.

Au lever du soleil, Merlin prit une profonde inspiration, puis s'installa à un mètre en face du roi. Il lui déclara avec résignation :

«- Nous n'avons plus le choix, il est grand temps que je vous présente une vielle... amie.»

Merlin semblait tendu et hésitant ce qui ne lui ressemblait guère. Artoria surprise ne s'attendait pas à cette déclaration, l'interrogea.

« - Qui ? Et pour quelles raisons ?

-Une femme … exceptionnelle qui connaît tous les secrets de Caliburn, d'ailleurs c'est elle qui me l'avait confiée pour vous votre majesté...

-Vraiment, vous n'avez jamais voulu me raconter l'histoire de cette épée.

-C'est compliqué, j'aurais préféré éviter de lui demander un service...

Artoria n'avait jamais vu son magicien aussi angoissé, comme s'il redoutait cette femme qu'il présentait pourtant comme son amie.

« -Je lui demanderais dans ce cas...

-Ce serait plus prudent, en effet, répondit le mage pensif en rongeant ses ongles.

-Qui est votre mystérieuse amie ? s'inquiéta le roi.

-Dame Viviane.. mais peut être la connaissait vous mieux sous le nom de la Dame du Lac.

-La Dame du Lac dont vous me parliez si souvent lorsque j'étais enfant, s'enthousiasma Artoria.

-En personne.

-Elle existe vraiment ? Vous m'avez raconté tant d'histoires à son sujet...

-La plupart des légendes sont basées sur des faits et personnes réelles. Je vous confirme Dame Viviane est une fée on ne peut plus réelle. »

Artoria décida d'aller à la rencontre de l'amie de Merlin sans même passer par son château. Elle ordonna à ses deux chevaliers, de regagner son fief, panser leurs blessures et se reposer. Ils devaient rassurer leurs camarades mais aussi garder secret pour le moment la perte de Caliburn. Ce fut à contre cœur que les deux chevaliers obéir. Refusant de laisser leur roi sans épée, Sir Gawain lui offrit la sienne pour le voyage.

Artoria accompagnée de Merlin prit la route vers un lac mystique où résidait selon l'enchanteur la Dame du Lac. Artoria essaya de questionner d'avantage Merlin sur son amie, mais il éluda ses questions. Il ne faisait aucun doute que son mage appréhendait de revoir cette fée. Artoria essaya même de le rassurer, lui rappelant l'affabilité et la puissance de la Dame de Lac dans les histoires qu'il lui comptaient jadis. Les efforts d'Artoria n'eurent pas l'effet escompté, Merlin pâlit davantage.

Artoria sentit l'appréhension de son mage la contaminer. Qui pouvait autant ébranler son flegmatique conseiller ? Le roi n'avait encore jamais rencontré de fée ou d'elfe, elle questionna donc Merlin sur leurs us et coutumes, sans obtenir de réponses très détaillées. Il lui précisa juste que les fées et les elfes vivaient d'ordinaire à l'écart dans leur propre royaume. Ils ne se mêlaient pas des histoires des hommes. Il précisa qu'il existait plusieurs niveaux de magie dans leur société et que les pouvoirs de la Dame du Lac sont légendaires, proches de ceux du roi des fées en personne.

Ce lac mystérieux se situait pas très loin de Camelot. Artoria fut étonnée de découvrir qu'à cet instant seulement la présence de cette réserve d'eau si près de son fief. Le mage lui confia que le lac et ses terres alentours étaient protégés, seules les personnes en ayant connaissance de ce lieu pouvait y accéder. Merlin lui précisa également avec malice que c'était justement pour sa proximité avec ce point d'eau, qu'il avait demandé au père d'Artoria de bâtir son château à Camelot.

Ils leur fallut deux petites journées à cheval pour arriver sur place. Ils laissèrent leurs chevaux à l'orée de la forêt. Merlin, crispé sur son bâton pénétra en premier dans le bosquet. Artoria le suivit, l'étrange comportement du mage ne la rassurait pas. Ils marchèrent près de vingt minutes à un bon rythme avant que Merlin ne s'immobilisât. Ils n'avaient nul assaillant dans cette forêt bercé d'une douce lumière. Au contraire, pour Artoria il se dégageait de ces lieux une pureté, une bienveillance inégalée.

Merlin prit une profonde inspiration, lui lança un regard puis il murmura :

« -Quoi qu'il puisse m'arriver, ne dégainez pas votre épée.

-Mais..

-Pas de mais, pas de question, promettez-le-moi simplement, ordonna avec aplomb le magicien à son roi.

Il était rare que Merlin se montre si autoritaire avec Artoria. Le roi acquiesça, non sans lui jeter un regard noir. Ils reprirent la route en silence. Moins de cinq minutes plus tard, Artoria découvrit l'étendue d'eau la plus pure, la plus limpide qu'elle n'avait jamais vue. La beauté du lieu n'intéressait guère son camarade. Merlin aux aguets, scrutait l'étendue d'eau. Il sursauta lorsqu'un poisson fit onduler la surface de cette dernière. Ils avancèrent près des bords du lac. Cette attente dura presque dix minutes. Lorsque le roi voulut questionner son mage, ce dernier lui fit signe de se taire. Moins de trois minutes après cette tentative, en quelques secondes, deux courants d'eaux se formèrent et jaillirent à près de cinq mètres au-dessus du lac puis se précipitèrent sur eux, enfin sur Merlin. Artoria esquiva facilement l'attaque, mais elle s'était éloignée du mage. De multiples courants à nouveau se formèrent et se précipitèrent sur Merlin, qui esquivait de son mieux.

« -Comment oses tu revenir ici ? gronda une voix féminine.

-Si tu veux bien m'accorder quelques minutes.. Je..suis..sûr... que.. bredouilla Merlin qui prit dans un tourbillon d'eau ne parvint pas à finir sa phrase.

Artoria voulut l'aider, elle s'apprêta à dégainer mais se rappela sa promesse. D'ailleurs elle ne voyait, ni ne ressentait la présence de l'ennemi. De plus, si Merlin se sentait réellement en danger, il aurait réagi, au moins contre attaqué. D'ailleurs le tourbillon d'eau ne cherchait pas à noyer le magicien, il le jetait au sol sans la moindre délicatesse. Le mage trempé se releva et fit une nouvelle tentative :

«-Viviane, je ne serai pas venu, si ... »

Cette seconde tentative finit comme la première. Merlin à terre, reçut un nouveau jet d'eau.

«- J'ai été claire, tu n'es plus le bienvenu ici... trouve une autre cruche pour te sauver la mise. »

Le mage, comme la Dame du Lac semblaient ignorer la présence du roi. Artoria gênée, observa leur querelle, se demandant ce qu'avait bien pu faire Merlin pour la fâcher à ce point. Connaissant son magicien, elle était persuadée que le tort venait de son côté. Merlin tenta une nouvelle fois de plaider sa cause. En vain, Viviane qu'Artoria ne parvenait toujours pas à localiser, l'envoya valser au cœur de la forêt sans management. De nouveaux tourbillons jaillirent, menaçant cette fois le roi.

Artoria fit face sans trembler, prête à esquiver ou à encaisser les flots ennemis. Aucun flux d'eau ne l'attaqua. A vrai dire, seul Merlin était visé à la première attaque. Artoria s'avança vers le lac s'immergeant jusqu'aux genoux. Merlin essoufflé fit de nouveau son apparition sur les bords du lac. La réaction de Viviane ne se fit pas attendre, elle envoya une trombe d'eau sur le mage.

Artoria s'inclina, posa alors un genou au sol, et déclara avec solennité :

«-Je suis le roi Arthur Pendragon, je sollicite humblement votre aide. »

L'attaque sur Merlin s'arrêta instantanément. L'eau s'écarta autour du roi agenouillé. Artoria vit une forme apparaître devant elle, d'abord translucide comme de l'eau puis humaine en fin féerique à n'en pas douter. Dire qu'elle était belle, était un affront, elle était bien plus que cela. Lorsque Viviane croisa son regard, Artoria se sentit presque paralysée, nue comme si la fée lisait son âme. Il émanait de cette femme une élégance, une prestance, une grâce qu'elle n'avait encore jamais rencontrée. Nul regard ne lui avait jamais fait autant d'effet. A cet instant, Artoria se savait à sa merci.

Le regard de la fée toujours plongé dans le sien, la main de Viviane l'approcha et replaça l'une de ses mèches, avant de caresser son visage. Il y avait quelque chose de maternel dans ses gestes délicats. Elle passa sa main sous son menton, et la fit se relever.

Merlin, les rejoignit et voulut prendre la parole, il reçut cette fois ci juste une légère éclaboussure comme avertissement. Viviane pendant un instant reporta son intérêt sur le magicien et lui ordonna :

«-Toi misérable, je ne veux pas t'entendre... »

Merlin recula d'un pas en silence. Le regard de la fée conservait le même effet, elle ne pensait pas que celui-ci le déstabiliserait autant. Viviane fit le tour du roi, en l'examinant avec intérêt, avant de foudroyer le magicien du regard. Ce dernier recula instinctivement d'un nouveau pas.

«-Cet enfant est blessé... reprocha la Dame du Lac à Merlin. »

La réflexion de la fée piqua l'orgueil du roi qui répliqua :

«-Je ne suis pas un enfant, je suis le roi de.. »

Artoria n'eut pas l'occasion de finir sa phrase. La fée venait de poser son index sur ses lèvres pour la faire taire. La prestance de Viviane la troublait, Artoria avait obtempéré sans la moindre résistance. La Dame du Lac sans un mot lui prit la main, et défit ses bandages avec délicatesse. Lorsqu'elle posa ses doigts sur sa brûlure, Artoria sentit un fin filet d'eau enveloppait ses blessures et l'apaisait. Le roi recula d'un demi pas, puis précisa :

« -Je suis Arthur Pendragon.

-Non, mon jeune roi, les noms comme chaque mot ont leur importance. »

Artoria comprit immédiatement où la fée voulait en venir et sans hésitation elle se présenta sans artifice :

« -Je suis Artoria Pendragon.

-C'est mieux, ce prénom vous sied à merveille, il est inutile de vous cacher derrière un autre, ajouta Viviane avec un sourire qui fit légèrement rougir le roi. »

« -Disons, que l'étroitesse d'esprit des hommes à forcer Artoria à ce subterfuge, précisa Merlin.

-Je croyais t'avoir dit de te taire. C'était ton idée je suppose...

-C'était la meilleure solution.

-Non, c'était ta solution, si les hommes ne reconnaissent pas en une âme aussi pure et puissante leur roi légitime sous le prétexte ridicule de son genre, c'est qu'ils ne le méritent pas, corrigea Viviane d'un ton sévère. »

Ces mots lui allèrent droit au cœur, tant cette manière de pensée s'avérait singulière dans le monde des hommes. Toutefois Artoria alla à la rescousse de Merlin.

-Je vous remercie Dame Viviane, qu'importe mon sexe mon unique objectif consiste à d'être un bon roi, à remplir mes devoirs et guider mon peuple vers un avenir radieux.

Viviane à l'écouter semblait emprise de nostalgie. Elle déclara alors :

« -C'est un lourd fardeau que vos jeunes épaules portent, surtout accompagné d'un pareil charlatan.

-J'ai conscience de l'ampleur de la tâche, répondit posément le roi.

-C'est bien ce qui m'inquiète, votre voie périlleuse ne vous apportera que peine et ruine. Cela fait bien des âges que j'observe les hommes, au final ils risquent de vous décevoir, de ne pas être à la hauteur de vos efforts et vos sacrifices.

-L'humanité mérite que je prenne ce risque, s'emporta Artoria.

-Puisse l'avenir vous donner raison, cher roi chevalier. Même si votre visite m'enchante Artoria, je doute que vous soyez venue par simple courtoisie. »

Pour toute explication, Artoria dépitée sortit de son sac les fragments de Caliburn et lui expliqua les circonstances de cette déboire. Viviane s'emporta une nouvelle fois contre Merlin, il aurait du fermer lui-même ce portail. Elle lui fit porter toute la responsabilité de la perte de Caliburn et des blessures du roi. Son regard si doux sur Artoria devenait effrayant, intimidant lorsqu'elle sermonnait le mage. Artoria éleva à son tour le ton pour défendre son magicien. Elle était l'unique responsable de cette épée. Si, Dame Viviane devait désigner un coupable, la faute ne pouvait que lui revenir. La fée se montra bien plus conciliante avec le roi. Lorsqu'Artoria lui demanda si elle pouvait la reforger, Dame Viviane examina en détails les fragments de Caliburn avant de répondre négativement.

«- Merlin tu savais fort bien que jamais cette épée ne pourrait renaître, je sais pertinnement pourquoi tu es venu me voir.

-Aussi perspicace que dans mes souvenirs Viviane, c'est presque effrayant le temps n'a pas de prise sur toi, ajouta avec malice le mage, faisant presque sourire la fée.

-Tu devrais avoir honte de lui faire porter un si lourd fardeau rétorqua Viviane en caressant machinalement la chevelure du roi.

-Elle en aura besoin pour faire face à ce qui l'attend, c'est sa destinée même si elle n'en a pas encore conscience.

-Non, ceux sont tes manigances. Il n'y a ni destin, ni élu. Tu vas la faire tuer.

Nul n'osait se comportait si familièrement avec elle et pourtant pas une seule fois Artoria n'eut l'audace ou la force de saisir le poignet de cette fée pour mettre fin à ses caresses maternelles. Cette tendresse presque offensante l'apaisait Elle avait l'impression d'être un enfant assistant à une dispute à son sujet entre ses deux parents, un enfant qui ne comprenait pas quel était sa faute, ni même la raison de leur désaccord. Elle leur demanda :

-Pourriez-vous préciser votre pensée ? Pourquoi sommes-nous venus ici Merlin ?

Nulle réponse, Merlin et Viviane se défiaient du regard. Elle se tourna vers Viviane et arrêta son poignet.

« -S'il vous plaît, votre sollicitude me touche, mais j'ai nul besoin d'être protégée, que me cachez-vous ? »

Viviane plongea son regard pénétrant dans celui du roi, pour répliquer avec une pointe d'impertinence :

« -Je protège qui je veux, dois-je vous rappeler que je ne suis pas votre sujet, je n'ai donc aucune autorisation à vous demander pour veiller sur vous. »

Cette fée et ses pupilles azures avaient un don pour la déstabiliser. Face à un tel regard, elle n'avait pas l'audace de lui refuser quoi que ce soit. Viviane repassa délicatement sa main dans les cheveux du roi, puis ajouta pour répondre à sa curiosité.

« -Disons que votre... ami, souhaite que je vous confie une autre épée.

-Une autre épée comme Caliburn ?

-Non, Caliburn était unique, celle qui ose évoquer est un trésor féerique l'épée sainte par excellente.

-En effet, c'est précisément à cette épée que je pensais, confirma Merlin avant d'ajouter que nulle personne n'est plus digne, plus légitime qu'Artoria pour la brandir. Tu l'as constaté par toi-même.»

La Dame du Lac reporta son attention sur le roi. Plongée dans ses réflexions, la fée garda le silence. Artoria demanda plus de détail sur cette épée. Viviane lui expliqua brièvement qu'elle était une arme ultime, presque divine, une épée légendaire synonyme éternel de victoire.

L'épée, symbole suprême de sa royauté, de la chevalerie, son épée était sa fierté. Était-elle digne de brandir cette arme hors norme, Excalibur ? Ce nom lui plaisait, elle se sentait prête à la recevoir non par orgueil mais par uniquement par conviction. En ces mains, cette épée œuvrerait pour le bien et équilibrerait un peu ce monde insensé. Toutefois, Viviane demeurait réticente à lui confier tant de pouvoir au travers de cette épée suprême conçue pour éradiquer le mal. Lui conférer cette épée sacrée revenait à l'entraîner sur des champs de bataille toujours plus sanglant et cruel. Artoria lui en fit la demande solennelle, lui jurant d'user de cette épée que pour de nobles causes. Avec ou sans son aide, elle poursuivrait son rêve et honorerait ses devoirs de roi.

D'un non catégorique, Artoria obtenu un peut être, Viviane voulait s'accorder le temps de la réflexion. De toute manière vu l'état actuel du roi, il était hors de question de lui confier cette épée. Sa priorité était de l'amener à Avalon, pour la soigner. Ce n'était pas une demande mais un prérequis indispensable à l'hypothétique remise de l'arme. Elle prit la main d'Artoria qui se sentit soulever par un miroir d'eau jusqu'au milieu du lac. Artoria lui fit signe qu'elle laissait Merlin sur la plage. Viviane lui demanda si elle était sûre de vouloir l'amener. Artoria acquiesça, ne voyant pas le roi changer d'avis, un autre miroir d'eau se forma sous Merlin, qui les rejoignit rapidement. Toutefois Viviane était bien moins précautionneuse envers le magicien.

« -Veilliez restez près de moi à présent, précisa Viviane en posant une main protectrice sur l'épaule du roi. »

Elle ajouta ensuite à Merlin :

« -Si tu veux te perdre, je n'y vois aucun souci.

-Je vous manquerais Mesdames, autant que tu m'as manqué Viviane, rétorqua Merlin avec un sourire taquin.

-L'espoir fait vivre... »

Sans prévenir les miroirs d'eau s'enfoncèrent dans le lac, engloutissant leurs passagers. Cependant nul eau ne vint frôler sa majesté, une sorte de film protecteur la protégeait. Elle parvenait à respirer aisément, elle observa immobile l'environnement aquatique d'une beauté incroyable. Malgré la profondeur l'eau semblait toujours baignée de lumière. Étrangement la bulle de Merlin ne couvrait que sa tête, il grelottait à mesure que le groupe s'enfonçait vers les fonds du lac. D'ailleurs, jamais Artoria n'aurait imaginé qu'il fut si abyssal. Leur descente s'accéléra brusquement, Viviane veillait à l'équilibre du roi tandis que Merlin à présent à genoux attendait impatient la fin du voyage. Avant d'atteindre le fond, la Dame du Lac se décala un peu et entreprit d'étranges mouvements de mains accompagnés de murmures d'une langue inconnue. Un puissant maelstrom se forma et les emporta. Une lumière se fit intense. Viviane resserra son emprise sur l'épaule valide du roi pour la rassurer. Artoria sentit comme une vague de chaleur la traverser à l'instant dont où la lumière les touchait. Elle ferma instinctivement les yeux.

Lorsqu'elle ouvrit les paupières, elle était blottie contre la fée. Elle se dégagea lentement clignant plusieurs fois des yeux pour s'adapter à la lumière environnante. L'air différait de celui de ses terres. A la fois plus pure et plus rare, il ressemblait à celui des montagnes. Elle fut surprise de découvrir, qu'ils avaient abouti sur un récif près d'une île ensoleillée inconnue. Si sa traversée avec Viviane s'était déroulée sans problème, celle de Merlin semblait avoir été plus tourmentée. Il confirma une fois arrivé qu'il détestait toujours autant ce passage. Viviane répliqua que nul ne l'avait forcé à venir. Elle présenta ensuite à Artoria la cité-royaume d'Avalon. La Dame du lac joua les guides touristiques, toujours sur leur miroir d'eau elle leur fit faire le tour de l'île aux monuments imposants. Une architecture moderne, inconnue coexistait avec la flore. Nulle cité n'égalait Avalon en prestance. Le jour où elle construirait son château, Artoria s'inspirerait de ce qu'elle avait vu ici. Ils croisèrent un groupe de trois fées sur un radeau volant au dessus de la mer. Ces hommes s'inclinèrent dès qu'ils virent Viviane. Cette dernière les salua et refusa l'aide qu'ils lui proposait. Leurs regards s'étaient attardés sur Artoria, comme si elle était une curiosité. Viviane lui précisa, que peu d'humain avait foulé la terre d'Avalon.

Elle emmena ensuite Artoria dans un bâtiment proche des rivages. Merlin et le roi restèrent dans le hall, alors que Viviane discutait avec la fée à l'accueil. Artoria en profita pour prendre des nouvelles de son mage qui le rassura. Si Viviane voulait vraiment le blesser ou le tuer, elle en avait les moyens. Le mage aux fleurs se contenta de préciser que qui aimait bien châtiait bien sans convaincre son roi. Merlin d'un ton un peu plus sérieux lui précisa :

« -J'étais sûr que vous lui plairez, peut-être d'avantage que je ne l'imaginais ou même espérais, sinon jamais elle nous aurait ouvert le passage vers Avalon.

-Je n'ai pourtant rien fait pour lui plaire, se défendit le roi.

-Tout artifice aurait été inutile et même contreproductif. Elle exècre l'hypocrisie, et je peux vous assurer que ses colères pourraient noyer un continent. Viviane a seulement sondé votre âme et a grandement apprécié ce qu'elle y a découvert. Vous connaissant, il ne pouvait en être autrement. Ce n'est pas anodin ce que vous avez fait. Son aide est le fruit de vos efforts et de votre droiture. Seul un cœur sincère pouvait la toucher de la sorte. »

Artoria se sentit un peu gênée de recevoir subitement tant de compliments. Merlin poursuivit ses explications :

« -C'est bien que vous l'ayez rencontrée, vous lui redonnez un peu espoir en l'humanité. Cela fait plusieurs siècles qu'elle protège les humains et essaye de les guider, mais à chaque fois, l'humanité n'a pas été à la hauteur et lui a brisé le cœur. Si elle se montre si protectrice envers vous, c'est qu'elle veut vous éviter les mêmes déconvenues. »

-Que s'est-il passé entre vous ?

-Vous savez Artoria, même les cactus ont une fleur. Au milieu des pics acérés se cache un cœur des plus sensibles.

Devant le scepticisme du roi à sa réponse, il ajouta en observant Viviane :

-Elle vous l'expliquera sans doute mieux que moi. »

Artoria n'eut pas le temps d'assouvir d'avantage sa curiosité. Viviane était revenue, elle avait obtenu une audience demain chez Obéron, le roi des fées. En attendant, Artoria était son invitée. La première étape de sa journée nécessitait un passage urgent à la clinique. Le roi obtempéra, son mage l'abandonna à la Dame du Lac en cours de route. Ils se donnèrent rendez-vous dans ses appartements. Artoria n'osa pas demander comment Merlin les connaissaient.

Pour la première fois, elle se retrouva seule en compagnie de la fée. Sur le chemin les menant à la clinique, elle incita Artoria à faire un rapide détour. Elle découvrit un arbre immense aux couleurs improbables. Ses feuilles ambrées, ses branches presque roses tombantes comme un saule pleureur occupaient toute la place. Viviane s'approcha de l'arbre, lorsqu'elle tendit la main, une branche s'inclina et offrit une sorte de pomme mauve. La Dame du lac la remit au roi et l'observa. Ce fruit sentait délicieusement bon.

« -Allez y sans crainte, vous ne le regretterez pas, assura la fée en se cueillant son propre fruit. »

Artoria goutta cet étrange fruit à la fois doux et sucrée. Il n'y avait nul noyau ni pépin en son centre. Sa texture se ressemblait à celle d'une pêche, en tout cas, il était délicieux.

« -Enfin un sourire, j'ai bien cru je vous effrayais, taquina la fée en lui tendant son propre fruit. »

Artoria rougit légèrement, accepta et remercia son hôte. Cette dernière lui fit signe de la suivre. Le roi s'exécuta découvrant à chaque nouvelle rue, d'étranges statues ou plantes extraordinaires. Elles entrèrent dans un bâtiment cylindrique avec en son cœur un jardin luxuriant bien plus grand et lumineux que la moyenne. Dès leur arrivée, des fées se précipitèrent pour les accueillir :

«-Dame Viviane, nous sommes à votre service, nous avons préparé la salle selon vos consignes.

-Bien Messieurs, je vous en remercie. Je ne souhaite pas être dérangée, si un étrange homme aux longs cheveux blancs se présente, faite le attendre.

-A vos ordres Madame. »

Elle croisa le regard de ces deux fées, mais ils n'avaient pas la même profondeur que celui de son guide. Viviane se dirigea vers une pièce à droite de l'entrée. Artoria crut avoir une hallucination, la pièce paressait plus grande à l'intérieur qu'à l'extérieur.

« -Ne vous fiez jamais aux apparences ici, un placard peut s'avérait être une salle de réception. Je vous prie d'ôter votre armure, elle vous sera remise à votre départ, dans un bien meilleur état qu'elle ne l'est aujourd'hui.»

Artoria hésita, elle venait déjà de perdre son épée sacrée, sans son armure, elle se sentait nue, fragile, impuissante. Viviane l'observa et ajouta :

«-Je vous en donne ma parole, vos biens vous seront rendus, comment voulez-vous que je vous soigne ainsi emmurée d'acier. »

Artoria ôta les cuirasses qui protégeaient ses flancs et les gantelets de ses avant-bras. Elle peina vu ses blessures à détacher le plastron dorsal. Viviane s'approcha et attendit qu'Artoria d'un regard l'autorisa à l'aider pour ôter le reste de ses protections d'aciers. Elle évitait de croiser son regard. A chaque fois elle avait l'impression, que Viviane lisait en elle. A présent, Artoria se sentait aussi ridicule que vulnérable, elle n'avait plus rien d'un chevalier et encore moins d'un roi. Pieds nus, elle s'interrogeait : que pouvait bien penser cette puissance fée d'elle ainsi dévêtue ? Viviane lui demanda de s'allonger sur une table au centre de la pièce. A sa grande surprise dès qu'Artoria la toucha celle-ci s'illumina, mais Viviane lui fit signe de monter sur la table. La jeune femme sceptique se coucha sur cette dernière comme lui indiquait la fée. La table changeait de couleurs au rythme des mots inconnus que prononçait la fée.

Elle s'interrompit au bout de quelques minutes. Elle posa une main sur celle d'Artoria pour calmer cette dernière mais Artoria sursauta à ce contact impromptu. Viviane visiblement déçue recula d'un pas.

«- Je ne vous ferez aucun mal, vous pouvez vous détendre. »

Artoria s'en voulut immédiatement, elle n'avait pas l'attention de repousser la fée, elle savait, sentait qu'elle ne lui ferait nul mal. Elle n'avait juste pas l'habitude de se sentir si fragile. Elle aurait voulu lui offrir une autre image d'elle.

«-Je vous fais confiance, c'est juste que tout cela est nouveau pour moi, murmura Artoria. »

Viviane lui sourit et détailla la suite. Un fluide allait bientôt recouvrir le corps de la jeune femme. Elle ne devait pas s'inquiéter, l'opération était indolore, au pire quelques picotements. Artoria fit signe à Vilaine de reprendre le processus de soin.

Elle sentit alors un liquide bien plus visqueux que de l'eau la recouvrir. Viviane posa ses mains au-dessus d'elle. Une douce lumière émanait de ses paumes. Elle sentit une chaleur l'envahir et l'apaiser comme plus tôt sur les rives du lac. Artoria ferma les yeux, cette énergie qui la traversait provenait de Viviane. Elle laissa cette énergie l'envahir alors qu'elle sombrait dans un sommeil réparateur.

A son réveil, elle se sentait soulagée. Plus aucune douleur la tiraillait. Cela faisait des lustres qu'elle n'avait pas aussi bien dormi. La première chose qu'elle discerna à son réveil fut une voix, en fait un chant ancestral. Elle devina ensuite les caresses d'une main dans ses mèches blondes détachées. Elle ne se souvenait pas avoir délier ses cheveux. A cet instant pour rien au monde, elle n'aurait voulu interrompre ce moment. Les paupières closes, elle écouta en silence l'hymne qui la berçait.

Une fois la chanson fini, elle entendit cette douce voix l'appelait, et s'enquérir de son état. Artoria ouvrit les paupières pour tomber dans le regard d'un bleu hypnotique de sa fée. Elle voulut se relever, mais d'une légère pression Viviane sans un mot l'incita à rester ainsi allongée la tête sur ses genoux. De toute évidence, elles n'étaient plus dans la même pièce. Viviane passa sa main contre le cou du roi, ce qui fit frissonner ce dernier. Elle prenait son pouls puis elle examina le bras auparavant brûlé du roi sans pour autant arrêter ses caresses sur ses tempes. Artoria n'en revenait pas, Viviane avait réussi là où Merlin n'avait pas pu entièrement la guérir. En tant que blessure magique, cette brûlure reçue en fermant le portail, ne pouvait être soigner que par un sort de très haut niveau. A présent il n'y avait plus aucune trace de la blessure.

« Vos lésions étaient graves, Artoria, vous avez abusé de vos forces, j'ai stabilisé votre mana, du mieux que j'ai pu, mais évitez les gros efforts pour les semaines à venir. Reposez-vous pour le moment.

-Merci... souffla le roi reconnaissant.

-Je suppose que vous avez des questions, Merlin n'est pas souvent loquace sur ce qui est le plus essentiel.

-Si je puis me permettre que s'est-il passé entre vous et Merlin ?

Viviane resta quelques minutes perdue dans ses souvenirs, elle posa se main sur les cheveux d'Artoria puis répondit simplement avec un demi-sourire :

«-Il y a bien longtemps, bien avant votre naissance, j'ai commis une erreur.»

Artoria demeura silencieuse, attendant d'avantage d'explication. Viviane jouant délicatement avec les cheveux du roi, avoua à demi-mot :

«-Disons, que je suis tombée amoureuse d'un imbécile. »

Artoria sut immédiatement qui était ce dit imbécile. Malgré la curiosité de son regard la Dame du lac ne lui confia pas plus de détails. Elle se contenta de changer de sujet en lui faisant la morale :

-Je ne veux plus vous revoir dans un pareil état, sachez que j'ai horreur des martyrs.»

Son ton autoritaire cachait une réelle inquiétude. Sa majesté n'avait jamais accordé aussi rapidement sa confiance à quiconque.A sa décharge, elle n'avait jamais rencontrée une personne aussi charismatique et bienveillante qu'elle. Artoria n'identifiait pas ce qui la rassurait, l'apaisait autant chez cette fée. A ses côtés, elle sentait plus légère. Peut-être cela venait-il du fait qu'elle n'était pas l'un de ses sujets, ainsi elle n'avait cette pression de se conduire en roi, mais juste en amie. Simplement sous son charme, la jeune femme aurait aimé prolonger le plus longtemps possible ce moment et préserver le sourire énigmatique de son hôte.

«-J'en prends note, je n'ai nulle envie d'assombrir votre regard, répondit Artoria avec une légère désinvolture qui fit rire la fée.

«- Si je vous confie cette épée, vous irez au-devant de dangers que vous n'imaginez guère, répondit Viviane d'un ton plus sérieux.

-Avec ou sans elle, je ferai mon devoir, rétorqua le roi qui soutenait sans faillir le regard de la fée.

-C'est bien ce qui m'effraie...le dragon blanc sera ennemi redoutable.

-Le dragon blanc ? questionna Artoria qui n'était pas sûre d'avoir bien compris.

-Comment ? Merlin, ne vous a en donc jamais parlé ? s'énerva la Dame du Lac.

-Non, quelle est cette créature ? s'inquiéta le roi en se relevant des genoux de la fée.

-Vous a-t-il au moins parler du dragon rouge ?

-Non, est-ce un autre ennemi ?

Viviane serra le poing marmonnant qu'elle allait tuer cet imbécile fleuri. Plongée dans ses pensées, la fée ignora la question d'Artoria. Cette dernière força Viviane à croiser son regard pour la ramener à la réalité.

-Il devait avoir ses raisons de vous tenir à l'écart... mais comment peut-il me demandait Excalibur sans même vous mettre au courant de sa maudite prophétie. C'est typiquement ce genre de manigances qui m'insupportent. Vous devriez avoir une sérieuse discussion avec lui. »

A bien des reprises, Artoria avait essayé de percer les secrets du mage, mais ce dernier se défilait à chaque fois.

« -S'il vous plaît, parlez-moi de cette prophétie et de ses dragons.

-Cela risque de ne pas vous plaire, avertit la fée en soupirant.

-S'il vous plaît, murmura le roi.

-Très bien, vous avez le droit de savoir. Il y a bien longtemps, avant l'âge des hommes, à l'âge mythique vivaient deux dragons aux sangs purs. Nulle créature hier comme aujourd'hui n'égalait la puissance de ces deux dragons mythiques. Le dragon rouge et le dragon blanc en lutte perpétuelle maintenaient l'équilibre du monde. Le dragon blanc s'est réincarné, en la personne de Vortigern.

-Vortigern, celui qui a trahi mon père et à rallier les Saxons ?

-Oui, même si au départ Vortigren n'était qu'un homme voulant comme vous protéger son peuple. Dans sa quête de pourvoir, il s'est fourvoyé. Il a tué ton père, son propre frère. Uther et lui avaient reçu la bénédiction de l'île elle-même qui en avait fait ses protecteurs, un homme au-dessus des hommes. Si Vortigren possédait un grand pouvoir, Uther Pendragon était sans contexte le plus puissant des seigneurs de l'île. Toutefois il fut balayé par Vortigern.

Viviane le regard assombri fit une pause, laissant à Artoria le temps d'assimiler les informations.

-Par ton sang Artoria, tu as hérité du pouvoir de ton père, le pouvoir même de l'île. Merlin alors qu'il était encore très jeune avait prédit la réincarnation des deux dragons. Lorsqu'il rencontra ton père, il sut immédiatement que son héritier serait le dragon rouge ayant pour tâche de mettre fin au règne de terreur du dragon blanc.

Viviane fit une nouvelle pause, mais sous le regard insistant d'Artoria, elle lui confia le secret de sa naissance.

-Lors de ta conception, avec l'accord de ton père, Merlin a mêlé à ton sang celui de l'ancestral dragon rouge, faisant de toi la réincarnation de cet être fantasmagorique, un dragon à forme humaine, capable de sauver le monde. Ton cœur cache la puissance d'un véritable dragon, c'est d'ailleurs la raison pour laquelle tu as pu fermer ce portail.

Le roi aurait préféré que la fée lui mentit, mais elle savait que ses mots ne révélaient qu'une vérité avec laquelle, Artoria devait désormais composer. Sa puissance avait toujours dépassé l'entendement, nul homme ne pouvait l'égaler tout simplement parce qu'elle n'était pas humaine, elle ne l'avait jamais été. Si elle n'était pas humaine, qu'était elle ? Une expérience ratée de Merlin et de son père ? Un monstre sanguinaire ?

Sans un mot, Viviane sentit le désarroi de la jeune Artoria et la prit dans ces bras. Le roi résista, avant qu'il ne s'emportât, Viviane posa son front contre le sien et murmura :

« Hier, comme aujourd'hui, vous êtes Artoria Pendragon, roi des chevaliers...

-Je..

-Juste Artoria, une magnifique jeune femme, un roi comme cette île n'en a jamais mérité.

-Si je suis cette … créature, quel droit ai-je d'être le roi des hommes, moi qui suis un monstre, marmonna Artoria partageant ainsi sa pensée à haute voix.

Viviane la força à la regarder.

«-Tu n'es pas un monstre, et je le répéterais autant de fois qu'il le faudra pour chasser cette idée saugrenue de ton esprit. Tu es une femme, avec une volonté de fer, un cœur aussi pur que puissant. Comme tout être humain, ceux seront tes choix qui écriront ton histoire, et non les prédictions d'un vieux fou. Si je t'ai raconté cette histoire, c'est pour que tu comprennes le danger que représente Vortigern, le dragon blanc et le combat qui t'attend si tu poursuis dans cette voie. »

Artoria demeura silencieuse quelques minutes. Son ennemi s'avérait encore plus redoutable que ce qu'elle avait imaginé, et son royaume bien plus en péril que prévu. Elle n'avait pas de temps à perdre à s'apitoyer sur son sort ou les secrets de sa naissance. Humaine, dragon, ou autres créatures, son devoir de roi demeurait le même. Elle aurait préféré entendre cette histoire de Merlin, mais elle savait que son magicien avait toujours tendance à la surprotéger. Elle lui passerait tout de même un savon dès leur retour à Camelot. Il aurait pu lui faire un peu plus confiance, croyait-il qu'elle allait s'enfuir devant les enjeux, ou perdre la raison et le dévorer ?

Artoria remercia Viviane de lui confier ce secret. Aux vues de ces informations, Excalibur, cette épée sainte lui paraissait sa meilleure option. Elle comprenait pourquoi Merlin l'avait fait venir ici pour la récupérer. Elle n'avait guère le choix de convaincre Obéron de lui confier cette épée. Elle reporta son attention sur Viviane qui lui proposa de se restaurer. En effet, les deux fruits dégustés à Avalon lui paraissaient lointains. Elle lui demanda comment bien de temps elle s'était assoupie. Artoria fut surprise d'entendre qu'elle avait dormi près de 13 heures. Ils étaient attendus dans 2 heures à la cour d'Obéron. Elle découvrit qu'elle n'était plus à la clinique mais dans les appartements de Viviane. Elle lui apprit aussi que Merlin était passé la voir pendant qu'elle dormait. Il était ensuite reparti vaquer à ses affaires, ou plus vraisemblablement selon la Dame du Lac séduire une fée un peu trop naïve. Artoria connaissait la réputation de séducteur de Merlin, mais d'ordinaire, ses conquêtes ne restaient guère aussi longtemps fâché contre lui. Artoria ne releva pas, Viviane avait sûrement raison.

Son hôte lui avait fait préparer un véritable festin, qu'Artoria honora, d'un coup de fourchette des plus assurés. Le roi ne connaissait pas la plupart des plats et essayait d'en reconnaître les ingrédients sans grand succès, ce qui au moins amusa la fée. Viviane lui raconta quelques anecdotes sur Obéron et sur Merlin. Apparemment ils étaient tous les deux des amis d'enfance de la Dame du Lac. Si la rancœur de Viviane en vers Merlin était palpable, elle semblait mieux s'entendre avec Obéron.

Une fois le repas fini, Artoria était prête à plaider sa cause au près du roi des fées. Viviane la retint et lui indiqua une boite sur une table. Artoria l'ouvrit et y découvrit une tenue d'un blanc immaculé. Il s'agissait d'une robe, ce qui ne l'enchanta guère. Viviane devant son hésitation lui rappela le mauvais état de sa tenue actuelle. De plus, venir en armure ou armée à la cour risquait de causer bien des soucis. Elle lui garantissait sa sécurité et même celle de l'hurluberlu qui l'accompagnait.

Artoria à moitié convaincue essaya la robe cintrée sans manche et ses collants tout aussi blanc. Elle ne se reconnut pas. Toutefois, elle pouvait facilement se mouvoir malgré les chaussures à talon. Viviane passa un ruban noir dans ses cheveux pour dégager son visage. Artoria se laissa coiffer, se forçant à se répéter que ce n'était qu'une robe de bal juste un plus décolletée que ces tenues habituelles. Devant la gêne d'Artoria, Viviane qui pourtant lui avait assuré que cette robe lui allait à ravir, ajouta des manches et des gants toujours blancs à cette habit d'apparat. Elle lui précisa même que cette tenue était un cadeau, et que son armure si chère à son cœur s'adapterait à cette robe si elle voulait. Cet argument fit mouche, cette tenue lui sembla instantanément plus confortable et légitime même si jamais elle ne pourrait la porter en son fief.

Elle retrouva Merlin sur le chemin de la cour d'Obéron, qui l'examina en détail.

« - Votre majesté, vous êtes divine, à vous deux la cour va succomber en quelques instants. Viviane, tu t'es surpassée, elle n'a plus aucune marque, c'est ton œuvre je présume.

- J'aurais préféré que tu me la ramènes dans un meilleur état. »

Viviane insensible à toutes flatteries du magicien, lui concéda toutefois que la jeune Artoria était sublime en cette tenue. La principale intéressée qui déjà attirait l'attention du fait d'être humaine dans cette cité de fées accéléra le pas, pendant que ses compagnons se chamaillaient.

Elle fut conduite à la cour royale d'Obéron qui l'attendait sur son trône avec comme seul escorte deux gardes en armure légère. Comme toujours avec les fées, elle ne parvenait pas à définir un âge au roi. Il était toutefois bien différent de l'image qu'elle en avait. Jeune, frêle, de longs cheveux noirs encadraient son visage rendu d'autant plus pâle par la blancheur immaculée de sa fine chemise. Ses épaules recouvertes supportait une lourde cape d'un noir aussi profond que celui de ses yeux. A bien l'observer, on pouvait distinguer dans ces pupilles par intermittence un reflet bleuté métallique. Une épaisse fourrure ornait son imposante cape et lui caressait un cou sans bijoux. Il portait seulement une couronne du même bleu que celui qui se reflétait parfois dans son regard. Cette fine couronne flottait au-dessus lui. Artoria fut intriguée par ses gants noirs qui allongeaient ses doigts, leur donnant presque la forme de griffes. Il en allait de même pour ses chaussures ébènes qui métamorphosaient ses pieds, en une sorte de pâte animale acérée. Si Obéron dégageait le même type d'aura que celle de Viviane un mélange de puissance et de bienveillance, il y avait quelque chose de dangereux dans sa beauté. Le roi des fées les observaient avec un sourire amusé :

« -Viviane, je ne pensais pas un jour te voir avec un humain à ma cour et encore moins accompagnée de Merlin. J'avoue que tu m'intrigues au plus haut point. »

« -Merlin n'a que peu d'importance comme bien souvent, si je suis venue, c'est pour vous présenter, Artoria Pendragon, roi des chevaliers. »

Obéron sourit au dénigrement de Merlin qui demeurait toujours aussi flegmatique devant les remarques de la fée. Le roi Obéron reporta son attention de Viviane à Artoria. Comme avec la Dame du lac, le roi sentit son regard le transpercer. Elle le soutint sans faillir. Il le déstabilisait bien moins que celui de la fée sans qu'elle n'en sache la raison.

« -Intéressant... Que me vaut le plaisir de votre visite, roi des chevaliers ? »

Artoria s'avança d'un pas, puis prit la parole :

« -C'est avec humilité que je suis venue vous demander votre assistance. À la suite d'une mésaventure, mon épée, Caliburn a été brisée. Au départ, j'étais venue dans l'espoir que vous pussiez la réparer. Toutefois Dame Viviane après un examen des débris a indubitablement écarté cette possibilité. J'ai pris connaissance que vous conserviez une épée d'exception, Excalibur. Je souhaiterai que vous m'en confiez la garde pour affronter les périls qui nous menacent. Je puis si vous m'accordez cet immense honneur vous prêter séant serment que cette épée en mes mains ne servirait que le bien. »

Le sourire d'Obéron s'effaça :

« -Si je comprends bien, après avoir brisé Caliburn, une sainte arme féerique, un précieux artefact d'Avalon, osez-vous me demander de vous confier Excalibur, l'épée divine, le plus grand trésor de mon royaume ?

- En effet, tel est ma requête, Seigneur Obéron. J'ai conscience de l'immense responsabilité qu'elle implique, et c'est seulement après une longue réflexion, que je sollicite votre aide.

-Viviane, penses-tu vraiment que je vais confier à un humain notre trésor, répliqua le roi des fées avec froideur, surpris que son amie cautionna une telle ineptie.

-Pas à un humain, mais à Artoria, votre Majesté. Je comprends votre scepticisme, mais j'ai observé l'âme de cette jeune femme. Je puis assurer que jamais je n'ai rencontré pareille pureté dans l'humanité. Aussi étrange que cela puisse paraître, Merlin semble avoir fait du bon travail en guidant ce jeune roi.

-Je confirme Artoria a toute ma confiance et c'est en connaissance de cause que nous sommes venus solliciter votre concours pour assurer un avenir à l'humanité, ajouta Merlin.

-Je risque de vous décevoir connaissant votre attachement commun à ce peuple Viviane et Merlin, mais l'humanité ne constitue pas ma priorité. Je dois garantir avant tout la protection d'Avalon. Même si vos intentions sont nobles, roi des chevaliers, qu'est ce qui me garantit qu'Excalibur ne tomberait pas en de mauvaises mains, et se retournerait contre mon royaume ? Je ne puis prendre un tel risque.

Viviane avança d'un pas visiblement contrariée. Elle apostropha son roi :

« Depuis quand, Obéron, es-tu si craintif ? Tu sais parfaitement, que cette épée attend son propriétaire légitime. Comme moi tu as sondé son âme, tu sais pertinemment qui elle est, cette épée lui est destinée.

-Notre tâche est de préserver l'équilibre Viviane, pas de protéger les hommes. Confier Excalibur revient à prendre parti, à choisir un camp dans les affaires humaines, ce qui est contraire à l'éthique féerique.

-Ce n'est que ton point de vue, la prochaine ère sera celle des hommes, c'est notre devoir de leur confier un monde dont nous pussions être fiers.

Artoria fut surprise du ton de Viviane envers son roi, on sentait le lien profond qui les unissait. Elle avait la même liberté d'expression que Merlin avec elle.

-Vous savez pertinemment que Vortigern a rompu cet équilibre que vous revendiquez, renchérit Merlin, pour appuyer les mots de la fée. »

Après un bref silence, il ajouta :

« -Vous avez le choix, mon Seigneur entre le laisser poursuivre ses exactions, ou nous offrir une possibilité de nous y opposer. Excalibur n'a pas pour vocation de protéger votre cité. Vous comme moi savait qu'elle est imprenable. Cette arme divine a été conçue pour protéger le monde dans sa globalité. Elle incarne l'espoir dans ces temps troubles, une étincelle de lumière face aux ténèbres.

Le roi des chevaliers reconnaissait dans ce discours la verve traditionnelle de son mentor. Les arguments de Merlin et Viviane semblaient émousser la position du roi des fées.

-Viviane et Merlin, vous la considérez donc comme à ce point légitime à porter notre Excalibur ? »

-Nul n'en saurait plus digne qu'elle, sa route sera la mienne, je jure de l'assister dans les batailles à venir et de veiller sur cette épée autant que je veille à la vie de mon roi, affirma Merlin sans aucune hésitation.

Viviane prit une profonde inspiration avant de répondre, sentant sur elle tous les regards de la cour et les espoirs de la jeune femme.

« -Vous savez pertinemment qu'un danger sans précédent s'est réveillé. J'aimerais qu'elle n'ait jamais à utiliser cette épée, mais je crains bien que l'avenir proche l'y contraigne. Je souhaite donc lui confier non seulement Excalibur mais aussi Avalon, après tout il est sous ma garde. Cette option devrait vous plaire, Avalon garantit la sécurité du porteur d'Excalibur, ce qui revient à limiter les risques que l'épée sainte par excellence finisse entre de mauvaises mains. »

Obéron faillit s'étouffer, même Merlin était surpris par la déclaration de la fée. Artoria ne comprenait ni ce qu'était Avalon, ni pourquoi les deux hommes semblaient si surpris. Elle questionna en vain du regard Viviane en quête de réponses. Elle se permit donc d'intervenir pour obtenir quelques éclaircissements. Merlin lui expliqua qu'Avalon était un trésor sacré de la cité, il portait d'ailleurs le même nom que cette dernière. Il ne l'avait jamais vu, il savait juste que celui qui le possédait ne pouvait perdre un combat. Si Excalibur était une arme offensive sans concurrence, Avalon permettait à son porteur de survire à toute attaque. Merlin était stupéfait d'apprendre que Viviane en était la gardienne. Elle lui rétorqua que malgré ce qu'il croyait, il ne connaissait pas tous ses secrets. Elle amenda également son explication : Avalon permettait en réalité une régénération instantanée des blessures, faisant de son porteur un être invulnérable, à priori immortel.

Artoria n'avait jamais rêvé à un tel pouvoir tant il lui paraissait improbable. Elle ne s'attendait pas à ce que Viviane lui face un tel cadeau. De toute évidence, ni Obéron ni même Merlin n'avaient envisagé cette option. Confier à la fois Excalibur, et Avalon à la même personne revenait à lui accorder la plus grande puissance qu'il n'ait jamais existé. Obéron ne s'énerva pas tant il était absorbé dans ses réflexions, plantant tant tôt son regard dans celui d'Artoria ou de Viviane. Un silence étouffant s'installa. Tous attendaient l'avis du roi des fées. Ce dernier soupira :

« -Tu es sur de toi Viviane, confier un tel pouvoir à un enfant..

-Cela suffit, malgré mon apparence, je ne suis plus un enfant, s'offusqua Artoria.

-Je ne voulais point vous vexer roi des chevaliers, pour nous les fées, tous les hommes sont des enfants. La sagesse nécessite de l'expérience que seul le temps peut nous accorder, or les hommes n'ont intrinsèquement pas le temps nécessaire pour suivre cette voie. Cela explique d'ailleurs en partie votre proportion à guerroyer. Vous conférez un tel pouvoir, revient à vous faire porter une responsabilité que moi-même je ne suis pas certain de pouvoir endossé. A ce niveau, ce n'est plus de la confiance, mais une véritable foi. Dites-moi, Artoria Pendragon, puis je avoir foi en vous ?

Pas une seconde, Artoria n'hésita dans sa réponse. Elle s'agenouilla et prêta serment :

«-Je me refuse de vous faire des promesses que je ne saurais tenir. A ce jour, je n'ai pu accomplir tout ce que j'espérais. Tout ce que je peux vous assurez sans ambages est que je remplirai l'intégralité de mes devoirs de roi sans faillir, sans me dérober. Excalibur ainsi qu'Avalon n'œuvreront que dans un noble intérêt, protégeant non seulement la terre, mais aussi s'il s'avérait nécessaire le royaume d'Avalon.

-Relevez-vous roi des chevaliers. Si je consens à vous confier cette épée, Viviane, Merlin je vous enjoins à partager son fardeau.

-Oui, il n'en saurait être autrement Seigneur Obéron, confirma Merlin en s'inclinant.

-Évidement, je m'engage à veiller sur Artoria, approuva Viviane en s'inclinant à son tour.

-Artoria Pendragon, quand bien même vous êtes si bien accompagnées, je n'ose imaginer le poids sur vos épaules à présent que je vous confère Excalibur et Avalon. Sachez qu'en cette cité une aide vous sera toujours apportée. Agissez avec autant de discernement que de conviction. Je prie pour que jamais vous n'ayez à libérer toute la puissance d'Excalibur. »

Artoria remercia le roi des fées. Ce dernier laissait à Viviane le soin de la conduire à ses trésors sacrés. Ils quittèrent donc la cour du roi après avoir salué ce dernier. Sur le chemin vers Excalibur, Artoria remercia chaleureusement Merlin et Viviane. Ces derniers se querellaient au sujet d'Avalon. Le mage semblait déçu que la fée ne l'avait pas mis dans la confidence. Viviane faisait office une nouvelle fois de guide dans le palais d'Obéron qu'elle connaissait parfaitement. Avant d'atteindre la salle aux trésors, elle s'arrêta, précisant au roi qu'elle pouvait toujours changer d'avis, et laisser Excalibur et Avalon dans la cité pour mener une vie sans doute plus heureuse. Sa proposition n'entama pas la résolution du roi des chevaliers. Merlin n'essaya même pas de la dissuader. Sous son regard complice, lorsqu'Artoria saisit Excalibur, elle sentit un flux d'énergie la traverser, alors que l'arme s'illuminait. Le mana du roi se fondait parfaitement dans celui de l'épée sainte, il entrait même en résonance avec l'épée tant il était compatible. Artoria ne résista pas à l'envie d'essayer quelques mouvements basiques avec sa nouvelle compagne de combat. Excalibur légère, parfaitement équilibrée suivait ses mouvements comme le prolongement de son corps.

Viviane les dirigea ensuite vers une autre salle et tendit à Artoria à un fourreau bleu et doré pour ranger son épée. Dès qu'elle le prit en main, Artoria sentit que le fourreau était tout aussi exceptionnel que l'épée. Viviane lui confirma ce que son instinct savait déjà. Elle tenait Avalon et celui-ci s'adaptait à merveille à Excalibur, comme s'il était conçu pour accueillir l'épée sainte.

Excalibur, et son fourreau Avalon lui appartenaient à présent. Obéron avait raison, avec de tel outils entre les mains, la pression sur ses épaules avait décuplé. Si l'épée faisait le roi, avec Excalibur elle n'avait d'autre choix que de devenir un roi aussi parfait que son épée.