Chapitre 7 : La solitude du roi
Lorsqu'Artoria et Merlin revinrent de leur visite d'Avalon avec Excalibur, les chevaliers ne regardaient plus le roi de la même façon. Obtenir ainsi la confiance des légendaires Dame du Lac et roi des fées tenait pour eux du miracle que seul un roi hors norme pouvait accomplir. Sa priorité était de compléter sa table ronde de chevaliers d'exceptions. Artoria prit le temps de maîtriser sa nouvelle épée. Lancelot revenu spécialement de France pour l'occasion et Gawain lui servirent de partenaires d'entraînement, mais même à deux jamais ils ne purent désarmer le roi. Artoria se devait de manier à la perfection son arme en vue du combat redoutable qui l'attendait dans les années à venir. Sir Lancelot fut ravi qu'Artoria lui proposât un siège à sa table, bien qu'il fusse étranger. Artoria lui rétorqua qu'à sa table seule la pureté des convictions et le courage de les défendre comptaient et que aussi Français fusse-t-il, il disposait sans contexte de ses deux qualités.
Artoria discernait un pouvoir latent, et une marge de progression énorme chez le jeune chevalier Bédivère. Elle le prit sous son aile et l'entraîna personnellement. Elle en fit ensuite un chevalier sacré, bien qu'il soit moins puissant que Lancelot. Bédivère infiniment reconnaissant envers son roi était sans nulle doute celui qui s'inquiétait le plus pour son souverain. Son roi était son phare, son guide, sa lumière, son premier amour. Il se jura non pas comme Gawain de veiller sur la vie du roi, mais sur son sourire.
Lancelot, Bédivère et le roi accompagné chacun d'une vingtaine de gardes partirent ensemble en Écosse, mais le groupe arriva trop tard pour sauver la bourgade du chaos. Le seigneur local, et toute sa famille avait été massacré par les Pictes qui régnaient à présent sur ce territoire. Malgré la victoire sur l'ennemi, ils rentrèrent avec l'amère sensation de la défaite.
De retour à son château, Artoria dut composer avec un Merlin visiblement en pleine débâcle sentimentale : une femme lui résistait. Artoria mi exaspérée mi amusée, lui conseilla une énième fois d'éviter de nouvelles mésaventures avec la gent féminine mais Merlin refusa. Le roi fit rapidement la rencontre de l'impudente qui se jouait du cœur du mage. Il s'agissait d'une sorcière d'une grand beauté prénommée Morgane de Fray. A leur première rencontre, Artoria se figea, elle crut voir une version humaine de Viviane. Elle avait le même regard d'un bleu azuré, la même prestance quasi royale. La ressemblance était telle qu'elle se demandait si ce n'était pas là un tour de la fée pour se moquer du mage. Merlin avait introduit la jeune femme à la cour, celle-ci par sa simple présence captivait tous, hommes et les femmes confondus. Artoria l'observait se jouer des malheureux qui essayaient de la séduire. Elle usait de ses charmes sans sourciller. Sa tenue évasée, exposait un corps aux proportions parfaites qui réjouissait même le plus fidèle des maris. Morgane jouait de sa beauté, de sa féminité comme d'une arme divine. Les chevaliers du roi bien trop sensibles à ses charmes se battaient parfois pour elle. En tant que magicienne, elle rivalisait tant au niveau puissance qu'en connaissance avec Merlin. Artoria savait Morgane dangereuse, mais pas une fois la sorcière n'avait tenté une approche auprès du roi. Au contraire, elle défendait les intérêts d'Artoria à sa manière. Par son charme, ses talents de négociation, elle évita au roi des chevaliers d'entrer en guerre avec Rome. Elle était tout ce qu'Artoria n'était pas : libre, libre de se vêtir comme elle l'entendait, libre de séduire, de s'amuser, de crier, de chanter, d'hurler, de ressentir, d'aimer. Artoria d'une certaine façon l'admirait, cette femme était sans doute l'être le plus libre qu'elle n'ait jamais rencontré.
Elle fut la première femme à obtenir une danse du roi. Un soir, alors qu'Artoria observait seul les étoiles plongées dans ses pensées. Morgan l'approcha :
«-Mon roi me semble bien soucieux ce soir...
-Je vous sais gré de votre sollicitude mais je vais bien. »
Morgane claqua des doigts et les notes de musiques s'enchaînèrent. Artoria ne reconnut pas l'air, il y avait une sorte de folie résolument moderne dans la mélodie. Morgane lui prit la main, forçant le roi à se tourner vers elle. Elle commença à bouger au rythme imprévisible de la mélodie, il n'y avait que de la séduction dans ses gestes, juste une envie de s'amuser. Artoria soupira et s'apprêta à mettre un terme à cette tentative de distraction de la sorcière, lorsque s'en prévenir elle commença à fredonner, leva le bras et fit tourner le roi. Sa danse ne suivait aucun code. Artoria se laissa entraîner et conduire par Morgane qui chantait de plus en plus fort et parfois faux. Il y avait quelque chose de surréaliste, à se dandiner ainsi sans raison, une légèreté qui avait disparu depuis fort longtemps du quotidien du roi. Morgane accéléra le rythme, Artoria jouait un jeu dont elle ignorait les règles, mais le sourire de Morgane, lui rappelait tant celui de Viviane, pendant un bref instant, elle mit ses soucis de cotés et fit tournoyer la sorcière. Essoufflée mais ravie, Morgane mit fin à cette danse impromptue, la musique disparut. Elle plongea son regard dans celui du souverain et déclara avec son aplomb habituel :
«-Vous êtes un roi, et pourtant ici c'est vous qui êtes le plus accablé. On ne vit qu'une fois, vous comme moi n'avons pas le temps pour les regrets, alors si danser sous les étoiles nous plaît, si chanter à en perdre haleine, nous soulage, pourquoi s'en priver. Même un roi a le droit de s'amuser de temps en temps. »
Morgane ne laissa pas le roi répondre. Sans un mot elle lui fit une révérence, accompagnée d'un clin d'œil irrévérencieux puis disparu du balcon aussi inopinément qu'elle était apparue, laissant Artoria avec sa solitude habituelle. Elle comprenait aisément pourquoi son mage d'ordinaire si volage s'était épris de la magicienne.
