Chapitre 9 : La ruse de Morgane

Le mariage du roi avait réjouis son peuple enfin rassuré que la lignée royale perdure. Artoria avait trouvé en Guenièvre une alliée et une amie de premier ordre. Grace à la reine à qui elle pouvait confier la gestion de Camelot en son absence, Artoria pouvait se concentrer sur ces campagnes guerrières. Elle passait d'ailleurs bien plus de temps sur les routes qu'à son château. Artoria se concentrait sur son ennemi principal, Vortigern.

La reine malgré ses efforts constatait chaque jour que le fardeau de son roi s'intensifiait. A plusieurs reprises, on tenta de l'assassiner. Rome effrayé par le roi des chevaliers, soutenait dans l'ombre les Saxons. La reine prit l'habitude de coiffer chaque matin son roi, devenant leur moment d'échanges de prédilection. En public, Guenièvre jouait parfaitement son rôle, en privée elle tentait de briser la solitude de son amie, de la distraire des problèmes de son royaume. Même si elles étaient mariées, Artoria continuait à passer ses nuits seule. Nul devait soupçonner ces instants de fragilité qui se manifestaient parfois dans la solitude affligeante de ses nuits, pas même sa reine. Artoria était hantée par les cris des vies qu'elle avait prises, et les trop nombreuses scènes de guerres auxquelles elle avait participées. Dans ces moments, elles prenait de profondes inspirations pour calmer ces vagues d'amertumes qui ébranlaient son cœur. Elle savait qu'elle devait faire taire ses sentiments, pas une fois elle n'évoqua sa détresse à la reine, où même à l'un de ces chevaliers. Uniquement Viviane et parfois Merlin semblaient parfois la deviner.

Le premier soir où sa reine s'invita dans la chambre de son roi correspondait à la veille d'une importante campagne militaire. Inquiète pour son roi, elle ne voulait pas le laisser seul. Artoria touchait par sa sollicitude n'eut pas le cœur de la chasser de ses appartements. La reine s'installa à ses côtés dans son lit. Cette proximité inédite propice aux confessions leur permis une discussion à cœur ouvert. Guenièvre se faisait du souci pour son roi, qui toujours affrontait et endurait seul bien trop d'épreuves à son goût. La reine lui demanda, si depuis toutes ces années elle n'avait jamais ressenti une attirance pour l'un de ces nobles chevaliers avec qui elle avait affronté maints dangers. Guenièvre lui murmura que peut être l'un d'entre eux pourrait briser la solitude du roi. Elle prit l'exemple de Bédivère, il fallait être aveugle pour ne pas remarquer que le doux chevalier s'était épris de son roi en dépit de son sexe. La reine pensait que si le roi révélait sa vraie nature, bien d'autres chevaliers succomberaient à ses charmes. Artoria avait réfuté cette hypothèse sans ambigüité. Elle lui précisa qu'elle n'était guère intéressée par les romances. Elle y avait renoncé avant même d'avoir l'âge de tomber amoureuse, et pour être entièrement honnête ne comprenait pas vraiment cette proportion débordante des hommes à chercher l'amour, Merlin en était l'exemple parfait. Artoria précisa à sa reine que en tant que roi, jamais elle ne pourrait aimer l'un de ses chevaliers, d'ailleurs elle lui rappela qu'un véritable roi ne pouvait simplement pas se permettre d'aimer. Elle voulut dissiper tout potentiel malentendu : l'amour que Bédivère lui portait n'était que platonique, jamais il n'avait eu un comportement déplacé envers son roi. Le roi souhaitait sincèrement que son fidèle chevalier trouvât l'amour, elle le soutiendrait quelque serait l'heureux ou heureuse élu(e). Guenièvre s'endormit rapidement, rassurée par la présence du roi. Au cours de la nuit, en confiance la reine se blottit instinctivement dans les bras d'Artoria. Cette dernière peu habituée à cette proximité fit de son mieux pour ne pas réveiller sa reine. Toutefois au matin, prisonnier de l'étreinte de sa compagne, il n'eut d'autre choix de la réveiller délicatement. Guenièvre n'était de toute évidence pas du matin, ce qui amusa le roi, qui autorisa sa reine à occuper son lit aussi longtemps qu'elle le voulait.

Un nouveau chevalier Agravain fit une entrée remarquée à la table ronde. Il ne faisait pas l'unanimité, en particulier auprès de Sir Lancelot et Gawain. Condescendant, il ne cherchait à plaire ni aux autres chevaliers, ni même au roi. Insensible aux charmes tapageurs de Morgane, comme de toutes femmes, il effrayait volontairement les courtisanes de la cour royale, seul comptait pour le chevalier la réalisation de l'utopie de son roi. Il exécrait Merlin et sa quête constante de séduction, presqu'autant que la naïve bonté de Bédivère. Bien souvent il faisait la morale au mage. Avec de tel pouvoirs, il avait bien mieux à faire que de conter fleurette. A la grande déception d'Artoria, les querelles entre eux quasi hebdomadaires n'avaient eu aucun impact sur la conduite du magicien qui depuis toujours ne suivait que ses propres règles.

Le réseau d'espionnage d'Agravain, son sens de la guerre, ses manigances déplaisaient aux chevaliers plus traditionnels. Le roi avait longuement hésité avant de lui proposer ce siège. Lui même fit attendre sa réponse plusieur jour lorsqu'il recut l'invitation d'Artoria. Émettre des avis différents, comparer les stratégies, débattre sur les moyens pour protéger le royaume, tel était la raison d'être de la table ronde. En ce sens Agravain, avait sa place, il ne manquait ni de convictions, ni de courage. Artoria bien que consciente de la part d'ombre du chevalier, reconnaissait aussi sa loyauté, sa dévotion envers son roi, et ses projets. Plus sombre, plus retord, que les autres chevaliers Agravain se révélait être avant tout un chevalier pragmatique, lui proposant systématiquement un large panel d'options permettant de concrétiser la vision du roi.

Environ un an après son mariage, avant de pouvoir affronter Vortigern, le roi mit tous ses effectifs en jeu pour l'affaiblir et l'isoler. La bataille qu'elle mit plusieurs mois à organiser dura plus de quatre jours. Pour la première fois, Artoria rencontra sur le champ de bataille son ennemi juré. Ce dernier semblait particulièrement bien renseigné sur les positions des troupes du roi des chevaliers. Son attaque avait pris le roi par surprise. Artoria dut se lancer à corps perdu dans la bataille aux cotés de Merlin et Gawain, pour sauver Sir Kay et Tristan pris en étau par l'ennemi. La bataille s'était enlisée, sans les armes que Viviane avait conférées aux plus fidèles et vertueux chevaliers du roi, le résultat aurait été incertain.

Sur le chemin du retour, en aparté Artoria se rapprocha de son mage pour lui soumettre un projet que lui seul pouvait réaliser. Le roi avait longuement réfléchi avant de prendre une telle décision et de la partager avec son conseiller :

« Merlin, je dois préparer mon royaume au cas où je viendrais à disparaitre.

-Ce ton défaitiste ne vous sied guère Artoria, s'offensa le mage avec un regard sceptique.

-Je prends juste mes précautions au cas où je faillirais.

-Qu'avez-vous en tête ? s'inquiéta Merlin.

-Un héritier… aidez-moi comme vous l'avez fait avec mon père pour ma conception, procurez-moi un héritier.

-Vous voulez un enfant… mais votre maternité sera difficile à dissimuler, bredouilla le magicien pris au dépourvu par cette demande.

-Non, je veux un héritier, pas être enceinte, je suis un roi je ne peux emprunter cette voix.

- Vous me demander l'impossible, comment voulez-vous avoir un héritier sans enfanter ?

-Si la tâche était aisée, je ne me serais pas adressé à vous, trouvez un moyen, ordonna le roi à son conseiller avant de s'éloigner. »

Elle n'avait pas laissé le choix à Merlin, elle savait qu'il trouverait un moyen si elle lui laissait le temps nécessaire. Le mage prit au sérieux la demande de son roi, mais il fallut près de trois mois pour lui proposer une méthode viable qui n'enchanta guère le roi. Merlin lui proposa de la transformer momentanément en homme, ou enfin en pseudo homme dont le sperme pourrait féconder la reine. Leur enfant aurait ainsi le patrimoine génétique du roi, et ses capacités hors normes. Artoria lui demanda de trouver un autre moyen de concevoir son héritier à partir de son sang par exemple, mais le mage était catégorique il n'avait pas d'autre solution à lui proposer :

- Soit Artoria portait elle-même cet enfant, il lui faudrait alors choisir un partenaire, avec un haut patrimoine génétique, l'un de ses chevaliers par exemple. Furieuse qu'il osa lui proposer pareille méthode, elle refusa avant même que le mage puisse finir son explication.

- Soit elle devait devenir le père de son héritier. Guenièvre, soutient actif du roi acceptait de porter son enfant, enfin leur enfant si le roi approuvait la proposition du mage. Elle semblait même heureuse à l'idée de la maternité et d'élever un enfant.

Dans un premier temps Artoria refusa, exigeant de son mage qu'il continuât ses recherches pour trouver un autre plan, mais Merlin n'accomplit pas de miracle. A contre cœur et avec appréhension, elle but la potion que le mage lui avait confectionnée. Merlin ne pouvait définir avec exactitude la durée de l'effet de sa décoction il l'estimait à quatre jours plus moins quelques heures. Merlin l'avait cependant prévenue que modifier ainsi sa structure interne risquait de l'affaiblir, ou à minima de la fatiguer. Artoria avait prévu de s'enfermer dans son château le temps nécessaire.

La potion mit quelques heures à agir, Artoria se sentit envahie d'une fatigue inconnue et sombra dans un sommeil profond sous la vigilance de son mage et de Guenièvre. Lorsqu'elle se réveilla, elle se sentit malade, nauséeuse, fiévreuse mais elle devait reconnaitre l'efficacité de la fameuse potion. Elle n'avait pas la force de se relever et encore moins de passer à la phase suivante du plan du magicien. Il lui fallut une journée pour se stabiliser à s'habituer à ses modifications corporelles. Il était hors de question qu'elle fécondât naturellement la reine contrairement à ce que pensait Merlin lorsqu'il lui proposa le plan. La mage se rabattit donc sur l'option de secours optant pour une insémination. Malgré ses efforts, Artoria ne parvenait pas à fournir à son mage la semence nécessaire pour la suite des opérations. Jamais elle ne sentit aussi ridicule, ni elle, ni son mage n'avaient anticipé ce type de difficulté. Merlin ne quittait pas son laboratoire, pas même pour séduire la jeune servante qui avait rejoint le personnel de Camelot ou même Morgane, qui régnait toujours sur son cœur. Mal à l'aise, elle délégua à Lancelot la présidence de la table ronde. Elle ne put toutefois pas refuser une audience à un seigneur allié qui était venu en personne demander son assistance. Artoria prit sur elle et s'installa sur son trône. Elle ordonna à Sir Gawain et Bédivère d'escorter leur allié et de lui prêter assistance sur place. Les deux chevaliers s'exécutèrent sans remarquer l'état maladif du roi. Alors qu'il allait retourner dans ses appartements, Artoria croisa Morgane qui semblait intriguée par la soudaine retraite de Merlin dans son antre. Elle semblait s'inquiéter pour la santé du mage. Le roi la rassura. Morgane planta son regard dans le sien, Artoria crut un moment être scrutée par Viviane. Elle revint à la réalité lorsque Morgane posa sa main froide sur le front du roi. Elle le sermonna, vu son état, le roi devait être au lit et non debout à écouter les doléances du peuple. Le roi voulut protester, mais Morgan la menaça, si comme de toute évidence le roi voulait éviter que son état ne s'ébruitât, il devait immédiatement retourner au lit. Sans attendre, avec autorité, elle ramena Artoria dans ses appartements. C'était la première fois, que Morgane entrait dans ses quartiers. Elle servit un verre de jus d'orange à son roi que ce dernier accepta. Elle se rapprocha une nouvelle fois, posa une main sur le cou de sa majesté comme pour prendre son pouls, elle dégagea les mèches du visage du malade, et planta avec sollicitude son regard dans celui du roi. Cette femme était l'incarnation du charme à l'état brute. D'ordinaire, jamais Artoria n'aurait fait entrer Morgane dans ses quartiers. A présent, elle n'arrivait plus à quitter ses pupilles, qui avait le même effet que celles de Viviane sur elle. Le roi pouvait si aisément se perdre dans le bleu lumineux de ses yeux, comme si elle l'apaisait, combler le vide qui la consumait.

Lorsque Morgane, recula d'un pas pour tendre une chaise à son roi, Artoria sans savoir pourquoi la retint par la manche. A cet instant, elle voulait replonger dans ces pupilles hypnotisantes. Son geste surpris Morgan l'espace d'un instant, elle pivota vers son roi, reportant toute son attention sur ce dernier. Sans raison, elle passa une main contre la joue du roi jouant avec une mèche rebelle. Artoria la laissa faire, Morgane la gratifia d'un sourire qui ébranla le cœur du roi. Pourquoi ressemblait elle à ce point à Viviane ? Pour la première fois de sa vie, elle fit un geste qu'elle s'était toujours interdit. Sans réfléchir, Artoria se pencha et captura les lèvres de la jeune femme qui dans un premier temps la laissa faire avant de répondre à son baiser et d'en prendre le contrôle. A cet instant, Artoria complétement sous le charme, se trouvait à sa merci. Le roi se sentit fébrile, sans que la raison ne soit la potion du mage. Morgane s'appropria une nouvelle fois complétement les lèvres de son roi qui se montrait particulièrement docile et réceptif. Elle laissait les mains de la magicienne la caressait à sa guise. Ce ne fut que lorsque Morgan poussa son roi contre son lit que ce dernier prit conscience de ce qu'il était en train de faire. Confus entre ses désirs et sa raison, elle freina l'approche de Morgane sur elle. Artoria s'écarta de la séduisante sorcière, présenta ses excuses pour son comportement déplacé. Elle était l'unique responsable de cet écart, c'était elle qui avait embrassé la jeune femme sans aucune invitation. Elle n'osait plus la regarder tant par honte pour sa conduite que pour éviter de changer d'avis et d'attirer la jeune femme dans ses draps. Artoria sentait que quelque chose n'allait pas en elle. Le roi demanda à son invitée de se retirer. Morgane voulut s'avancer vers le roi pour le rassurer mais Artoria recula et lui répéta son ordre d'un ton bien plus sec qu'elle ne le voulait. Morgane fâchée abandonna le roi plus seul que jamais dans sa chambre.

Que s'était-il passé ? Qu'avait elle fait ? Était-ce l'œuvre de la potion de Merlin ou peut être celle de Morgane ? Il fallut plusieurs minutes à Artoria pour retrouver son calme et constaté qu'au moins cet épisode avait permis au roi de produire la semence nécessaire pour la suite du plan de Merlin. Ce dernier allait devoir mettre fin aux effets de cette potion immédiatement. Hors de question de rester un jour de plus dans cet état. Artoria se changea rapidement, lorsqu'elle voulut voir Merlin celui-ci était en pleine discussion avec Morgane. Contrariée, Artoria rebroussa chemin en esquivant habillement Guenièvre sur le chemin. Plus elle réfléchissait à ce qui s'était passé dans ses appartements, plus elle arrivait à la conclusion que quelque chose clochait en elle, comme si elle n'était plus elle-même. Elle ignorait seulement si son état était dû à Merlin ou à Morgane. Elle ne pouvait accuser Morgane sans preuve, surtout auprès de Merlin, la première victime du charme de la sorcière. Artoria avait besoin d'un avis externe, il lui restait une seule personne auprès de qui se confier : Viviane.

Sans attendre, ni prévenir personne, Artoria prit la direction du lac. Elle chevaucha sans s'arrêter. Avant le coucher du soleil, elle arriva à la forêt enchantée, le territoire de la Dame du Lac. Lorsqu'elle alla à sa rencontre, Viviane comprit en un regard le tourment du roi. Ces pupilles parvenaient à lire en elle comme dans un livre ouvert. Contrairement à Morgane, elle ne sentait nulle malice chez la fée, sa simple présence la rassurait. La fée l'inspecta avec inquiétude, même si elle n'avait aucune blessure physique. Devant le trouble d'Artoria, Viviane la prit dans ses bras, cette dernière s'effondra aussitôt. Viviane essaya de savoir ce qui s'était passé. Artoria, entre deux sanglots, lui murmura qu'elle avait bu une potion pour la transformer momentanément en homme en vue de créer un héritier. Depuis elle ne se sentait pas bien, elle perdait le contrôle. Quand la fée lui demanda ce qu'en pensait Merlin, Artoria lui confia qu'elle n'avait pas pu lui parler car il était avec Morgane.

Viviane plongea son regard sans faille dans celui fragilisé du roi qui repensa immédiatement à son baiser avec Morgane.

«- Je sens des traces de magies en vous, mais ce n'est pas que celles de Merlin. Elle est plus raffinée, plus subtile, je perçois les traces d'un sortilège puissant, un charme à priori.

-Les philtres d'amour, ou autres sortilèges de ce type n'ont jamais eu d'effet sur moi, se défendit Artoria.

-Peut être en temps normal, mais la magie de Merlin vous a fragilisée, rendue vulnérable. Je suis tout de même étonnée qu'un tel sort ait pu fonctionner sur vous. Est-ce que par hasard, avez-vous été approché par un ennemi depuis que votre changement.

-Non, je n'ai pas quitté mon château. »

Artoria rougit en repensant à l'épisode de Morgane, bien qu'elle ne soit pas une ennemie. Elle était gênée de raconter pareil évènement à la fée. Morgane l'avait-elle ensorcelée, ou était-ce justement parce qu'elle était ensorcelée qu'elle avait succombé au charme de la jeune femme ? Elle confia un bref résumé des évènements de la journée à Vivianne, gardant sous silence la ressemblance physique entre Morgane et la Dame du Lac. La fée semblait surprise, pour elle cette magie n'était pas du niveau d'un humain.

Viviane questionna le roi sur Morgane, cela faisait à présent plus de deux ans qu'elle avait intégré Camelot sous la recommandation de Merlin.

«- Permettez-moi de sonder vos souvenirs ? Si cette impudente à oser un tel sortilège contre vous, je lui règlerais moi-même son cas. »

Artoria autorisa Viviane à se plonger dans ses souvenirs malgré sa gêne. Si Morgane avait osé l'abuser, elle devait réagir. Viviane posa son front contre celui d'Artoria et ferma les yeux. Le roi sentit une douce énergie l'envahir. Lorsqu'elle eut finie, Viviane posa une main sur le menton du roi pour la forcer à la regarder malgré son embarras Il n'y avait pas de colère ou de déception dans son regard, enfin pas envers le roi. Viviane lui murmura :

« Je crois qu'il est temps de vous débarrasser de toute cette magie qui vous accable. »

Artoria acquiesça en silence. Viviane lui sourit, s'approcha et déposa un baiser sur le font de la jeune femme. Elle ne devait pas être dans son état normal, car pendant un instant elle eut l'envie irrépressible que sa fée ne l'embrassât pas sur son front mais sur ces lèvres. Le roi sentit ses forces l'abandonner.

A son réveil, Artoria flottait allongée à la surface de l'eau du lac ; la tête sur les genoux de la fée. Elle se releva d'un mouvement brusque sous le regard de Viviane. Il lui fallut une minute pour réaliser qu'elle était assise sur l'eau sans qu'elle ne coulat. Paniquée, le roi recula mais une nouvelle fois sans s'enfoncer dans l'eau.

Viviane s'amusait de son affolement avant de lui expliquer, que désormais elle pourrait se mouvoir, sur l'eau comme sur la terre. Elle tendit sa main à Artoria, le roi se releva et fit quelques pas sur l'eau. Artoria se retourna vers la fée et lui demanda :

«- Vous m'avez soignée une nouvelle fois… merci.

-J'ai juste ôté toutes ces magies toxiques qui vous polluaient. Comment vous sentez vous ?

-Bien mieux, grâce à vous. Dois-je comprendre que je subissais donc les effets de plus d'une magie ?

- La magie de métamorphose de Merlin vous a affaibli, et disons que cette femme tentait depuis bien longtemps de vous ensorceler, seulement votre sang dragonique vous protégeait. Aujourd'hui, vous étiez vulnérable en particulier à sa magie.

-Je ne pensais pas être si faible.

-Vous ne l'étiez point, un sort d'une autre n'aurait sans doute pas fonctionné malgré votre état. Ce sortilège bien pernicieux ne rentre pas dans le domaine de la magie noire qui corrompt les sentiments. Il n'envoute pas sa cible pour qu'il s'éprenne d'un individu. Son sortilège libère sa cible de ses entraves, l'incitant passionnément à assouvir ses désirs.

-Je ne suis pas certaine de vous suivre… répondit le roi pensif. »

Artoria comprenait mieux ce qui c'était passé. Elle qui réprimait en permanence ses émotions, avait été submergée par ses sentiments, comme une vague engloutissant tout sur son passage. Le roi savait pertinemment que la ressemblance de Morgane avec Viviane avait joué contre elle. C'était la principale raison pouvant justifier son trouble. Elle s'en voulait de ne pas avoir résisté à son sort. Comme le disait si bien Merlin un cœur sensible à la beauté des fleurs est le premier blessé par ses épines. Elle savait Morgane dangereuse, redoutable, mais de toute évidence elle l'avait sous-estimée. De retour au château, elle devrait la mettre aux arrêts sur le champ, son sort constituait un acte de haute trahison envers le roi, un crime suffisamment grave pour lui valoir la peine de mort.

« -Même affaibli, un sort de véritable magie noire n'aurait pas pu vous atteindre, de plus ce type de magie dans l'enceinte de Camelot aurait alerté votre incapable de magicien. Morgane en avait conscience, elle n'a jamais sous-estimé la puissance du sang de dragon qui coule dans vos veines. Je suis même persuadée, qu'elle use de ce même genre d'enchantement sur Merlin, vu son penchant pour les femmes, elle a trouvé le sort parfait pour l'amadouer. »

Malgré leur mésentente, Viviane à sa manière veillait toujours sur le magicien. Son inquiétude pour lui à cet instant n'avait d'égal que sa colère qu'il se soit fait si facilement piéger. Artoria partageait sa colère, mais le roi s'en voulait de ne pas avoir remarqué que Merlin avait été envouté, elle prenait son attirance et sa folle passion pour Morgane pour la nouvelle lubie de son ami.

Artoria n'avait jamais affronté d'ennemi comme elle, comment devait-elle la combattre ? Elle savait s'y prendre avec les guerriers, mais les mages disposaient de capacités bien spécifiques. Le roi se fixa comme priorité de libérer Merlin de son emprise. Viviane lui apporta son aide sans condition quand bien même ce fut pour sauver son ancien amant. La fée confia une fiole d'eau de ses soins que le roi devait faire boire à Merlin. Viviane lui garantit qu'à son retour à Camelot, grâce à la bénédiction de la fée le sort de Morgane ne ferait plus effet sur elle. Artoria la questionna sur un point qui l'intriguait depuis sa rencontre avec Morgane : l'étrange ressemblance entre les deux femmes. Malheureusement, la fée n'avait pas de réponse à lui apporter sur le sujet.

Artoria retourna à son château délivrer son mage de l'emprise de Morgane. Elle croisa Guenièvre et Lancelot qui s'inquiétaient de ne pas trouver leur roi. Artoria demanda à son chevalier d'assurer la sécurité de la reine jusqu'à nouvel ordre. Elle leur ordonna de se cloitrer dans les appartements de la reine et de ne laisser entrer personne. Pour une raison qu'elle ignorait Lancelot ne semblait pas sensible au sortilège de Morgane. Il partageait avec Agravain une défiance inconditionnelle pour la sorcière. Avec prudence, elle se rendit dans le laboratoire du mage. A son arrivée, Merlin se précipita sur elle, lui demandant de s'expliquer sur les raisons de sa disparition alors qu'il était convenu qu'elle resterait confiner le temps nécessaire pour mener leur plan. Artoria répliqua que le plan n'était plus d'actualité. Le roi se questionnait sur la méthode à employer ne sachant pas à quel point Merlin subissait l'influence de Morgane.

Merlin l'observa avec attention et remarqua que sa potion ne faisait plus effet sans en comprendre la raison. Pour toute explication, le roi planta son regard dans celui de Merlin et lui demanda :

«- Me faites-vous confiance ?

-Evidemment Artoria.

-Me confierez-vous votre vie ?

-Assurément, vous êtes sans nulle doute l'être le plus digne de confiance sur cette planète. Vous m'inquiétez, que se passe-t-il ?

-Dans ce cas, buvez cette fiole sans me poser de question. »

C'était la première fois que le roi faisait appel à la confiance qui les unissait. Il n'hésita pas une fraction de seconde face à la résolution de sa protégée, il saisit la fiole et examina le contenu.

«- Je reconnais l'œuvre de Viviane, elle est intervenue et vous a fait retrouver votre état originel.

-En effet, buvez s'il vous plait.

-Artoria, vous savez que Viviane et moi partageons un certain passif, ce n'est peut-être pas une bonne idée.

-Buvez, je puis vous assurer que mes attentions sont nobles. Jamais je ne vous ferais de mal ou laisserais quiconque s'en prendre à vous. Vous m'êtes bien trop précieux. »

A ses mots, pour toute réponse Merlin but l'intégralité de la fiole. Il se sentit un temps nauséeux, et s'assit avec l'aide du roi.

« -Pourrais-je avoir un peu plus d'explication à présent ?

-Morgane, elle vous a ensorcelé, déclara le roi sans ambages.

-J'en doute je puis vous assurer, que Morgane n'aurait jamais fait ce genre de chose, elle nous est loyale, et l'a mainte fois prouvé.

-Elle a tenté aujourd'hui de m'ensorceler.

-Je l'aurais remarquée si elle avait utilisé de tel sorts.

-Ce n'était pas de la magie noire, son sort plus sournois exploite la faiblesse du cœur.

Artoria passa la nuit au chevet de Merlin, peu à peu le magicien semblait retrouver ses esprits et finit par admettre qu'il avait été dupé par cette magnifique sorcière. Son sort était redoutable, il interrogea Artoria surprit qu'elle soit également faite piéger par Morgane. Le roi lui rappela qu'il n'était pas dans son état normal du fait de la potion de métamorphose et admit à demi-mot, qu'une partie d'elle était attirée par Morgane, car sinon le sort n'aurait pas fonctionné. Merlin ne s'en offusqua pas, comprenant parfaitement l'attrait que pouvait représenter une telle fleur aussi dangereuse qu'elle fut. Jamais son ami n'avait ressenti pareille colère contre une femme. Il s'inquiétait du 'traitement' que Morgane avait fait subir au roi, jurant qu'il anéantirait quiconque aurait une conduite inconvenante envers sa protégée. Artoria le rassurait du mieux qu'elle put. En résumé, Morgan lui avait juste volé quelques baisers sans importance. Elle passa délibérément sous silence qu'elle lui avait dérobé son tout premier baiser, tout comme elle s'était octroyée la première danse de sa vie. Artoria lui demanda son aide pour la mettre aux arrêts. Merlin l'en dissuada, Morgane n'était pas le genre de femme à accepter docilement la captivité. De plus, son influence à Camelot ne devait pas être sous-estimée.

La situation devint encore plus délicate, lorsqu'elle lui apprit que Morgane n'était qu'un écho de Viviane d'où leur ressemblance, on ne pouvait en tuer une sans perdre l'autre. Si Viviane venait à disparaitre, les flots se déchaineraient sur le monde, et le noierait en représailles. Artoria ne comprenait pas cette histoire d'écho. Merlin mélancolique lui confia un secret que Viviane avait oublié :

« Même parmi les fées, enfant des dieux, Viviane était spéciale, destinée à défendre l'humanité. Pendant plusieurs milliers d'années, elle a œuvré dans l'ombre pour la protéger, la guider en préservant leur libre arbitre. Cependant, comme vous le savez à chaque fois, l'humanité l'a trahie et déçue. Refaire la même chose et espérer un résultat différent c'était soit de l'espoir soit de la folie. Pour moi, c'est un peu des deux. Viviane, vaillante malgré sa souffrance, n'a jamais renoncé à sauver l'humanité. Son ressentiment a progressivement donné naissance à un écho, une version altérée d'elle-même dont elle n'avait pas conscience. Les sentiments sont des choses bien compliqués : déception, chagrin, colère, frustration l'ont emporté sur sa gaieté et son espoir. Dans cette lutte interne, seule la folie sortit vainqueur. Cette seconde personnalité en conflit permanent avec Viviane la consumait chaque jour une peu plus. Cette dichotomie fut d'ailleurs la cause principale de notre séparation.

Le pouvoir de Viviane touche presque au divin. Malheureusement, une fois de trop l'humanité a trahi sa confiance, le cœur brisé de Viviane libéra son écho. Ce dernier prit la forme de ce qu'elle exécrait autant qu'elle aimait : une forme humaine.

Cet écho n'avait d'autre ambition que de faire expier aux hommes leurs torts, et les guider de force sur la voix qu'elle avait choisi. Il avait disparu depuis bien longtemps, je croyais ne jamais le revoir. Quand il a quitté Viviane, ma très chère amie a perdu une partie de sa mémoire. De la même manière, cet écho semble ne plus souvenir du temps où il était une partie de Viviane. Ceux sont deux entités distinctes mais irrémédiablement connectées. Avec Obéron, nous avons juré de protéger Viviane et avons gardé le secret. Un secret que je vous prie de préserver. Cet écho ce n'est pas Viviane, ma Viviane, notre Viviane, vous ne devez pas le lui reprocher, il est juste la matérialisation des trop nombreux péchés de l'humanité. »

Venant d'un autre Artoria aurait remis en doute la véracité de l'histoire de Merlin, mais son mage avait sa confiance. Il lui fallut plusieurs minutes pour appréhender toutes ces nouvelles informations. La conclusion était limpide, il fallait à tout prix stopper Morgane. Ils discutèrent longuement sur la manière à employer. Ils se mirent d'accord pour bannir Morgane, l'enfermer là où elle ne pourrait plus nuire.

Malheureusement leur tentative échoua, Morgane furieuse contre Merlin et le roi s'échappa et s'enfuit. Le magicien dressa une barrière autour de Camelot empêchant la sorcière d'y mettre un pied. La magie d'Obéron protégeait le château de toute attaque extérieure de sa part.

La reine semblait particulièrement effrayée par Morgane et ses potentielles machinations, bien plus que par Vortigern, elle craignait pour la vie de son roi. Pour calmer les inquiétudes de son amie qui l'empêchaient de dormir, Artoria passa la nuit entière à veiller sur le sommeil de sa reine. Elles partageaient peu de nuits ensemble. Guenièvre ne venait s'immiscer dans le lit du roi que lorsqu'elle s'inquiétait au plus haut point pour ce dernier. Non accoutumée à partager sa couche, Artoria n'arrivait jamais à s'endormir mais pas une fois, elle repoussa sa reine, lorsque cette dernière s'endormait dans ses bras. Si elle pouvait ainsi apaiser les craintes de son amie, elle se pliait volontiers aux rares caprices de Guenièvre, aux vues de sacrifices qu'elle avait acceptés pour son roi. Bien que leur union ne soit que politique, Artoria avait épargné à sa reine les détails de sa mésaventure avec Morgane.

Avec sa connaissance de Camelot, ses pouvoirs, et son sens tactique Morgane représentait une réelle menace pour le royaume, un nouvel ennemi d'un calibre presque équivalent à Vortigern, un ennemi qui présentait le visage d'une précieuse amie. Elle suspendit son projet d'héritier jusqu'à nouvel ordre. Artoria ignorait que la sorcière avait récupéré sa semence en vue de confectionner un enfant qui aura le pouvoir de défier son père et même de le tuer.

Se battre, toujours se battre, plus que jamais le roi comptait sur son épée pour protéger son royaume.