Chapitre 12 : Le dilemme du roi
La situation de Camelot s'était nettement améliorée, pour la première fois de mémoire d'homme le royaume unifié par Artoria gouttait à la paix et ce depuis neuf ans. Les rares batailles n'étaient plus menées sur leur île. Seules quelques créatures magiques pouvaient parfois représenter une menace. Le pouvoir d'Excalibur bien qu'extraordinaire dans les mains d'Artoria ne suffisait pas pour fédérer son peuple, l'épée protégeait le roi, le roi protégeait le royaume, mais en aucun cas l'épée sacrée n'aider à gouverner les cœurs de ses sujets. Le royaume gagna en stabilité uniquement grâce aux efforts quotidiens d'Artoria. Le roi rendait justice sans parti pris, sans accorder de passe-droit aux puissants, condamnant des centaines de criminels à mort, bannissant des dizaines de clans de son royaume. Incorruptible, nul arrangement, nul pot de vin pouvait influencer la décision du monarque.
Malgré la paix, l'Angleterre restait une terre pauvre soumise aux affres de la famine et d'évènements climatiques extrêmes. Ses terres n'avaient toujours pas cicatrisé de sa bataille contre Vortigern. Si les habitants de Camelot souriaient au passage de leur roi, plus loin dans les terres le ressentiment contre sa majesté persistait. Artoria malgré son charisme naturel, ne parvenait pas à créer ce lien indéfectible avec ses sujets. Lorsqu'elle fut de retour à Camelot, après une expédition contre des nomades voulant piller ses terres, elle constata en personne une fois de plus la différence de bonheur entre les citoyens de sa capitale et ceux qui peinaient à se nourrir dans les campagnes reculées. Elle avait amené des vivres en plus de son tribut de guerre pour son peuple. En dépit de ses efforts, une défiance envers le roi s'était installée dans les terres les plus lointaines de son territoire. L'idée que ce roi idéal, inhumain ne comprenait pas la faiblesse de la condition des simples mortelles se répandait. On lui reprochait sa noblesse d'âme, car plus le roi était parfait, plus il s'éloignait du peuple qui chérissait tant. Artoria endura sans broncher ce ressentiment.
Elle n'avait pas prévu ce qui se passa à son retour à Camelot. Elle découvrit sa reine enfermée au cachot accusée d'avoir trahi son roi. Elle comprit rapidement qu'Agravain était à l'origine de ce scandale sans précédent. Son chevalier jadis si loyal avait découvert son secret, lui qui exécrait tant les femmes ne pouvait tolérer pareille trahison de son roi. Il avait menacé Guenièvre, qui avait trouvé réconfort auprès de Lancelot. Le plan d'Agravain pour prouver la trahison de Lancelot et la reine ne comportait aucune faille. Plusieurs chevaliers, découvrir Guenièvre le lendemain matin dans le lit de Lancelot, jurant sur leur honneur être témoin de l'infidélité de la reine. L'amant de la reine était parti aux aurores, à la suite d'une alerte d'attaque magique contre Camelot. Morgane de toute évidence œuvrait de concert avec Agravain.
Artoria avait interprété le lien qui unissait Lancelot et Guenièvre, comme une tendre et profonde amitié, elle ne soupçonnait pas l'idylle qui unissait le chevalier veuf et sa reine esseulée. En soit, elle ne se serait pas opposée à leur amour, en particulier s'il avait été tenu secret. Agravain l'avait exposé au grand jour, toute la table ronde apprit la trahison du bras droit du roi. Lancelot le traitre profitant de l'absence du roi, avait volé la femme de son seigneur. Sir Gawain ne crut pas un mot des dires d'Agravain, tant il faisait confiance en Lancelot, mais les preuves s'avéraient incontestables. Plus offensé encore que le roi, il se jura de faire payer de sa vie son insulte envers la couronne. Artoria essaya de le calmer, mais le chevalier ne pouvait plus respecter Lancelot, tant il était déçu par l'éthique de son meilleur et plus proche compagnon d'arme.
Artoria libéra sa reine des cachots dès son arrivée, lui ordonna de rester cloitrer dans ses appartements jusqu'à nouvel ordre. Les larmes de repentir sincères de Guenièvre ne firent que plomber un peu plus le cœur du roi. Bien que le mariage n'eût toujours été que politique, dans cette mascarade leur amitié n'en demeurait pas moins véridique. Guenièvre, lui avait juré fidélité en connaissance de cause, en plus de décevoir le roi, elle le mettait en mauvaise posture. La loi punissait de mort, toute femme n'honorant pas son serment de fidélité. Officiellement, elle ne pouvait se permette de ne pas punir son amie après un pareil affront.
Lancelot devait être de retour à Camelot avant le coucher du soleil. Jamais rendre la justice ne lui parut si difficile. Seule sur son trône, elle avait beau se dire qu'un roi n'avait pas à avoir de sentiment, son cœur meurtris ne cessait de basculer entre colère, déception et tristesse. À tout moment lors de l'audience contre Lancelot et Guenièvre son secret risquait d'être exposé, faisant l'office d'une véritable bombe politique. Elle reconnaissait bien là le génie des manigances de Sir Agravain. Malgré tout, elle ne pouvait décemment pas en vouloir à son secrétaire à qui elle avait menti depuis le début, il ne faisait qu'appliquer les lois du royaume. Qui était-elle pour interdire à sa reine et Lancelot un amour véritable ?
Au retour de Lancelot, le chevalier se présenta immédiatement au roi et réclama le pardon pour la reine. A genou, méprisé par ses pairs, il prenait tous les torts à sa charge. Pas une fois, malgré le contexte il ne fit référence au secret d'Artoria. Jusqu'à bout il demeurait fidèle à son roi autant qu'il aimait sa reine. Elle n'avait pas la force d'ordonner la mise à mort de Guenièvre, mais elle ne pouvait guère ignorer l'affront. Lorsqu'elle croisa le regard de Lancelot, elle perçut son désarroi et l'inquiétude pour la reine. Les yeux bleus de ce chevalier si fier le suppliait d'épargner, non pas sa vie, mais celle de Guenièvre.
Artoria ne rendit pas son jugement, préférant s'accorder le temps de la réflexion. Quelle que serait sa décision, la perte de Lancelot, son plus puissant vassal tant sur un champ de bataille qu'en politique saperait la renommée de Camelot. Impassible, elle quitta la salle du trône pour s'isoler dans ses appartements, jamais ils ne lui parurent si vide. Dans la soirée, Merlin vint tambouriner à sa porte et l'ouvrit sans même attendre une réponse. Lui seul à présent avait ce privilège maintenant que sa reine était déchue.
Il l'informa que ses chevaliers se battaient dans la salle du trône. Sir Agravain se gaussait de la mort à venir de la reine, et invectiver Lancelot des pires injures. Il franchit la limite en annonçant qu'il trancherait lui-même la tête de leur catin de reine, pour l'honneur du royaume. Ce furent les derniers mots de Sir Agravain, Lancelot en rage, le tua en un coup et ainsi débuta un carnage parmi les chevaliers de la table ronde.
Le roi descendit à toute vitesse les arrêter. A son arrivé, sa salle de trône ne ressemblait plus qu'à des ruines, deux autres jeunes chevaliers de la table ronde Gareth et Garheris jonchaient au sol pour s'être interposés entre Lancelot et Gawain. La déces des frères de Gawain envenima un peu plus la situation. Les deux chevaliers se battaient à mort, Lancelot pour sauver sa reine bien aimée, Gawain pour venger sa famille et l'honneur du roi. Artoria leur ordonna de poser immédiatement les armes. Pris dans leur combat, ils ne l'entendirent pas et se jetèrent l'un contre l'autre avec férocité. Le roi muni d'Excalibur fit tampon entre les deux attaques dévastatrices, encaissant sans faillir les dommages. Surpris par l'apparition de leur souverain, ils reculèrent d'un même mouvement. Artoria remarqua la plaie béante sur le flanc de Gawain. Elle y reconnaissait l'œuvre de l'arme sacrée de Lancelot. Gawain, bien que gravement blessé voulut s'avancer mais d'un geste de main Artoria lui refusa le combat. Lancelot essoufflé croisa le regard du roi. Plus aucun retour en arrière n'était désormais possible. Les deux chevaliers remarquèrent presque en même temps les goutes du sang qui coulaient du bras d'Artoria, leurs attaques l'avait atteinte plus qu'elle ne voulait bien le montrer. Lancelot pris alors la parole :
« -Mon roi, mon roi si resplendissant, je ne suis plus digne de rester à vos côtés, d'être appelé encore chevalier. Si ma lame est définitivement vôtre, mon cœur égoïste appartient à la Reine. Je ne puis permettre qu'il lui soit fait le moindre mal. »
Sur ces mots, Lancelot abaissa son arme et recula d'un pas en s'inclinant. En combat singulier, en dépit de sa technique plus affutée que celle du souverain, la puissance d'Excalibur le terrasserait. Le roi ne répondit pas, son silence éloquent était la seule échappatoire que pouvait accorder Artoria à son ami. Lancelot lança un regard à Merlin spectateur de la scène, qui respectait la décision du roi. L'ancien chevalier comprit et disparut sans attendre. En le voyant partir, Artoria savait pertinemment qu'elle perdait un ami fidèle, un chevalier inégalé, et un allié de poids en plus de sa précieuse reine. Gawain hors de lui, ne comprenait pas la clémence du roi :
«- Sir Lancelot, ce chevalier félon, a non seulement tué mes frères, mais aussi trahi son roi, il vous a dépouillé de votre femme. Comment pouvez-vous pardonner pareille trahison ? »
Artoria se tourna vers Gawain, le força à s'assoir pour limiter l'hémorragie et lui confia dans un murmure :
«- Je suis l'unique coupable de ce désastre. »
Gawain ne comprenait pas la clémence de son roi. Il voulut une nouvelle fois objecter mais Merlin intervint. Sans prendre la peine de demander sa permission au patient, il lui apporta les premiers soins tandis que le regard du roi se perdait dans l'horizon, comme si elle cherchait désespérément l'ombre du chevalier et de son épouse.
Elle enterra en silence ces trois chevaliers décédés. Cet épisode isola encore un peu plus le roi au grand dam de Bédivère. Mordred crut le moment opportun pour revendiquer ce qu'il pensait lui revenir de droit. Il demanda audience à son roi et révéla les secrets de sa conception, faisant de lui l'héritier légitime d'Artoria. La déception du jeune chevalier fut à la hauteur de l'amour qu'il portait au roi. Hier, Artoria perdait sa femme, le voici, père du jour au lendemain, sans en comprendre la raison. Merlin confirma que produire un homonculus du roi était tout à fait dans le domaine du possible pour Morgane. Cette femme l'excédait, jusqu'où irait-elle pour lui nuire ?
Mordred, les yeux pétillants d'espoirs contemplait son père. Toutefois, Artoria n'était pas disposée à le reconnaitre comme héritier. Si elle louait sa puissance et son courage, jamais, elle ne pourrait confier son royaume à cet enfant immature et violent. Parmi ces chevaliers actuels, seul Gawain avait les épaules suffisamment solides pour prendre sa suite si nécessaire. Un roi ne sert que son royaume, sans le moindre affect. Elle savait pertinemment que sa réponse piétinerait la fierté de son chevalier. Impassible, elle lui annonça sa décision. Elle ne le reconnaissait ni comme fils, ni comme héritier. Mordred lui reprocha de la juger aux vues des crimes de sa mère. Artoria lui répliqua avec autorité :
«-Ce n'est pas Morgane qui me fait face, juste l'un de mes précieux chevaliers. Le sang, l'affiliation ne suffisent pas à faire un héritier. »
Mordred se décomposa sous le regard de son roi. Déconcerté, ses jambes se dérobèrent sous l'émotion tandis qu'Artoria se tenait debout sans trembler. Le roi magnanime ne lui fit pas l'offense de lui demander de sortir. Accompagnée de Merlin, Artoria laissa son chevalier seul et sanglotant assimiler sa décision. Elle ne vit pas le regard noir enflammé, que son fils illégitime lui lançait alors qu'elle quittait la pièce.
Merlin ne lui fit aucun commentaire jusqu'à qu'ils se retrouvèrent seuls dans les appartements du roi. Malgré ses conquêtes il n'avait jamais eu d'enfant naturel. Il lui murmura :
« -Mordred cherchait votre reconnaissance, celle d'un père et d'un roi. Je ne sais pas trop ce qu'est un père, ou une famille. Votre honnêteté lui a brisé le cœur.
-Lui mentir aurait été pire. Le sang ne suffit pas faire un héritier ou une famille. Pour preuve vous êtes ma famille, celle que je ressens, rétorqua le roi en observant le paysage à travers ses fenêtres.
-Mordred pourrait en faire parti si vous lui donnez une chance.
-Je ne peux le reconnaitre comme héritier, vous savez pertinemment qu'il n'est pas apte à gouverner le royaume. Il risque de me haïr pour mes mots mais je ne pouvais faire autrement. Il comprendra peut-être ma position avec le temps. »
Jamais plus Merlin n'aborda le sujet avec sa protégée, qui bien trop souvent avait été trahie par ceux qui avait sa confiance. Trahi par son ami, abandonné par sa reine, sans véritable héritier, incompris par ces chevaliers, son règne s'annonçait plus solitaire que jamais. Rassemblant son cœur en miettes, seule avec son épée, Artoria continuait à se battre pour le salut de île. Bien que Merlin chérissait le monde des hommes, aujourd'hui les hommes le répugnaient, comme jadis avec Viviane l'humanité se relevait ingrate envers son sauveur. L'enchanteur s'inquiétait, combien de temps pourrait-il encore demeurer à ses cotés pour la soutenir ? L'acte final de sa prophétie l'effrayait.
