Chapitre 13: Ce qui ne devait être qu'un au-revoir
La désertion de Lancelot ébranla le pouvoir de Camelot et de son roi. Artoria avait perdu son meilleur chevalier en même temps que sa reine. Cette déconvenue incita Rome à reprendre les hostilités contre le roi des chevaliers.
Le roi avait quitté son château, confiée au soin de ses plus puissants chevaliers Sir Gawain, Sir Mordred et Sir Kay, depuis près d'une demi-année, pour aller mener une dixième guerre en dehors de ces terres. Au moins son peuple serait épargné. Bédivère, inquiet pour elle avait tenu à l'accompagner. Merlin veillait au mieux sur son roi plus isolé que jamais. Le mage aux fleurs semblait préoccupé, il disparaissait régulièrement mais à chaque bataille importante, il apportait son soutien inconditionnel au roi. Même si jamais Artoria ne l'avait formulé à haute voix, sa présence la rassurait.
Malgré la différence d'effectifs entre l'empire romain de Lucius et ses troupes de chevaliers, jamais l'empereur ne parvint à percer les lignes de défense du roi de Bretagne. Chaque jour se ressemblait entre les combats toujours trop sanglants, ces longues nuits à élaborer les tactiques du lendemain. Le roi ne dormait presque pas, car quand bien même elle se trouvait sur un champ de bataille. Comblant l'absente de sa reine, elle continuait à administrer ses terres, à régler avec une discipline draconienne toute la paperasserie que son royaume nécessitait. Une nuit d'accalmie, Artoria prit le temps de rédiger une lettre bien plus personnelle, une missive pour deux amis dont le départ l'avait sincèrement peiné. Juste quelques mots pour Lancelot et Guenièvre, preuve s'il en avait besoin de l'humanité et de la bonté du roi. Elle prit le temps d'écrire ces quelques mots éminemment sincères pour soulager la peine de celle qui fut sa reine, et celui qui fut son premier chevalier :
Mon ami, ma fierté, mon chevalier idéal. Si vous avez jugé convenable de commettre de tel actes, ils devaient avoir une bonne cause. A jamais, ma confiance vous est acquise.
Elle n'avait aucun ressentiment envers Lancelot et Guenièvre, car après tout, elle ne voulait que le bonheur de ses amis. Artoria avait considéré comme acquis le sacrifice de Guenièvre, elle n'avait pas remarqué à quel point sa reine était malheureuse, piégée dans cette imposture de mariage qui n'avait que trop longtemps duré. Même si le roi ne connaissait rien à l'amour, au travers de cette lettre elle offrait sa bénédiction, et son pardon au couple. Jamais, elle ne reçut de réponse, elle ne pouvait qu'espérer qu'ils ne doutent pas de la véracité de son intention.
Rome la forçait de nouveau à se battre pour son peuple, face à un ennemi aux ressources inouïes, seules ses convictions sans faille la guidaient. De tous les chevaliers, elle était celui qui avait participé au plus de batailles, mais malgré ses efforts elle ne pouvait être à deux endroits à la fois. La position du roi demeurait secrète afin de maintenir un maximum de pression sur l'ennemi, tant affronter en personne le roi des chevaliers les terrifiait. Ici, Artoria était littéralement haïe, décrite comme l'infâme dragon rouge piétinant tout son passage, dévorant avidement le précieux empire romain. Artoria déclina les propositions bien souvent malhonnêtes, que certains généraux ennemis osaient lui soumettre. Incorruptible, insoumis, le fier roi des chevaliers se révélait être un obstacle de taille à la volonté expansionniste de Lucius.
De retour à Camelot, en coulisse, Artoria manœuvrait pour établir une trêve entre son royaume et celui de Lucius. Depuis plusieurs semaines, elle préparait son expédition pour Rome. Face à de tel enjeux, Artoria ne laissait rien au hasard. Merlin lui rappela, que c'était avant tout sa renommée, et ses faits de guerres qui assuraient la protection du royaume. Le roi avait conscience que le traité de paix serait caduc à la seconde où il périrait. Elle rassura son magicien, elle ne comptait pas faire ce plaisir à Lucius. En prémisse des négociations, Artoria avait prévu une nouvelle fois de prendre les armes, et faire une démonstration de sa puissance afin de négocier en position de force.
Merlin bien plus soucieux que d'ordinaire observait en silence son roi exposer ses plans. L'inquiétude dans son regard, ce mutisme n'avaient rien de rassurant. Il lui conseilla de rester à Camelot et d'envoyer un chevalier comme représentant. En vain, le roi fidèle à ses convictions menait en personne ses batailles et lui fit le serment de revenir vainqueur. Merlin ne doutait pas du succès d'Artoria à Rome, il s'inquiétait pour son retour en Bretagne. Comment pouvait-il lui dire que bientôt, Camelot se serait plus un refuge fiable ? La clairvoyance de Merlin l'informait de la future traitrise de Mordred envers son roi. Cet homonculus de chevalier, avait transformé son admiration sans borne du roi en haine farouche lorsque ce dernier l'avait rejeté comme héritier. Une nouvelle déception attendait Artoria, une déconvenue qu'il aurait voulue lui éviter. Merlin s'inquiétait autant que sa nature d'hybride lui permettait pour la vie et le cœur de son roi. Artoria allait devoir mettre à mort son chevalier pour protéger sa vie et son royaume. Elle combattrait bientôt son propre peuple, comment réagirait-elle devant cette hérésie ? Merlin avait beau savoir depuis le début le destin et la fin tragique qui attendait sa protégée, il n'était pas prêt à la voir mourir. Jamais il n'avait autant apprécié une jeune femme. Artoria avait accompli sa destinée, en vainquant Vortigern, mais elle continuait à protéger son royaume, endurant toujours plus de souffrance. Merlin espérait sincèrement que son roi se repose enfin et profite de sa vie. Il lui demanda soudainement :
«-Que ferais tu Artoria si je te disais que tôt ou tard l'Angleterre est destinée à tomber, qu'elle se désagrège en ce moment même ? »
Artoria surprise par ce tutoiement et par l'énormité de l'absurdité qu'avait osé formuler Merlin s'emporta. N'appréciant pas l'humour de son ami, elle le foudroya du regard et le corrigea avec véhémence :
« -L'Angleterre ne tombera pas, jamais. Je ne le permettrais pas même si je dois tout perdre, ou être haï de tous. J'en fais le serment. Ce n'est un sujet à plaisanterie. »
Merlin garda le silence, car malheureusement, il ne plaisantait pas. Ces prophéties s'étaient toujours réalisées. Artoria était devenue le plus grand roi que l'Île où même le monde n'avait connu. Le mage avait compris trop tard, que bien qu'elle incarnât le roi idéal de sa prophétie, Artoria n'avait aucune fierté en tant que monarque. Son seul intérêt était celui de son peuple, pour lui en silence, elle endurait perpétuellement leur haine, leur frustration, leur colère. Elle s'était naturellement sacrifiée pour ses sujets et non pour la couronne. A maintes reprises, Merlin avait essayé de rectifier cette tendance chez sa protégée. Dans sa quête du roi idéal, Merlin honteux s'était largement fourvoyé dans l'apprentissage d'Artoria. Il aurait dû mieux la protéger. Son roi n'avait pas à endurer toutes les souffrances du monde. Dans sa vision, l'Angleterre tombait, seule la désolation et la souffrance attendaient sa protégée. Il priait pour s'être trompé. Il doutait que les efforts du roi, plus que louables puissent contre-carrer la force du destin. Il rétorqua alors à Artoria :
«- Je ne plaisante jamais à propos de l'humanité, je pense que nous avons encore le temps, je l'espère de tout coeur. Avec Uther, nous avons enfreint les interdits pour élever le Roi idéal, capable de vaincre le dragon blanc... Depuis longtemps, je cherchais ce roi idéal, alors que toi, depuis toujours, tu aspires seulement au bonheur de tes sujets. Nous ne voyons pas les choses de la même façon, j'aurais dû le remarquer bien plus tôt. »
Artoria l'avait écouté attentivement sans parvenir à saisir son message :
« Je ne suis pas sûre de comprendre, un roi idéal a pour unique préoccupation son peuple, s'inquiéta la jeune femme. »
Merlin demeura énigmatique, il lui répondit juste avant de partir :
«-Ce n'est pas grave Artoria, n'aie crainte. Tout se passera bien à Rome »
Le jour du départ, Merlin prit le roi en aparté sur le pont de son navire. Confus, il présenta ses excuses à sa protégée, il ne pourrait pas l'accompagner. Artoria l'interrogea du regard, Merlin avoua qu'il avait commis une malencontreuse erreur, et qu'il devait se faire discret quelques temps pour régler le problème. Artoria connaissant trop bien son mage savait pertinemment qu'une femme était à l'origine de cette nouvelle mésaventure. Pour qu'il en arrive à de telle extrémité, il était fort probable, que Merlin ait fâchée une magicienne de haut rang ou peut être son mari. Le roi avait toujours eu de l'instinct, ce dernier lui murmurait que son mage s'absenterait plus longtemps que prévu. Déçue, elle lui fit naturellement une nouvelle fois la morale :
«- Ce n'est pas faute de vous avoir supplié d'éviter les ennuis avec les femmes.
-Vous me connaissez trop bien, je suis tel que je suis, pour le meilleur comme pour le pire.
-Vous prenez bien trop de risques pour vos conquêtes.
-Que vaut la vie sans fleurs ? rétorqua le mage avec malice.
Sa répartie lui octroya un sourire sincère d'Artoria qui lui fit pincement au cœur, car à présent il avait compris : le roi n'avait jamais souri pour lui-même, seul le bonheur des autres le faisait rayonner de tout son éclat. Contre toute attente, Artoria toujours ébranlée d'avoir perdu Lancelot et Guenièvre se confia au mage, comme jamais elle ne l'avait fait. Elle avait perdu suffisamment d'amis, sans leur avoir exprimé ouvertement ses sentiments. Sans prévenir, elle planta son regard émeraude sans faille dans celui de son mage et déclara :
«-Merci Merlin, merci à toi, je te serais à jamais reconnaissante. Tu as été un grand mentor, je te dois énormément, bien plus que ma gratitude ne saurait l'exprimer... Je n'ai pas ton expérience en matière de romance, je n'ai jamais connu d'homme dans ma vie. Je n'arrive pas à définir clairement ce que je ressens, à mettre les mots sur mes sentiments : Je t'apprécie, toi qui tu as toujours été à mes côtés… Il se pourrait bien que pendant tout ce temps j'ai été amoureuse de toi. »
Merlin observa son roi, qui n'avait pas rougi d'un iota en lui faisant pareille déclaration. Elle restait fidèle à elle-même, inébranlable, sincère, simplement authentique. Artoria réprimait en public toutes émotions, enfouissant au plus profond de son cœur ses sentiments, ses peurs, ses doutes. Un roi n'avait pas le droit d'aimer. Merlin, était l'une des rares personnes avec qui elle pouvait s'exprimer ouvertement. Comme Viviane, elle ne l'avait jamais considéré comme son sujet, mais son ami. Elle n'avait aucune honte à exprimer honnêtement ses pensées avec lui.
Merlin, bien que sincèrement touché par son aveu, savait que ce qu'elle ressentait ne pouvait pas être de l'amour, à proprement parler. Non, c'était impossible... Elle ne cherchait pas à le séduire, ce n'était pas une invitation à une relation amoureuse, juste un exposé factuel des pensées du roi. Il connaissait suffisamment Artoria, pour comprendre qu'elle cherchait simplement à lui exprimer sa reconnaissance. Il était sans nul doute l'homme qui avait le plus compté dans la vie de la jeune femme, elle lui conférait donc la première place dans son cœur. Artoria à priori ne semblait pas attendre de réponse mais Merlin ne pouvait rester silencieux à une telle déclaration. Il lui fallut plusieurs minutes pour répondre à son roi tant sa confession l'avait troublé. Il décida de faire preuve d'autant d'honnêteté que sa majesté.
«-Je suis touché Artoria, sachez que pour rien au monde j'échangerai ces années passés à vos côtés. »
Sur ces mots, il descendit du navire avec cette sensation étrange que ce qui ne devait être qu'un simple au revoir serait un adieu. Sa main tremblait alors que seul il regardait la flotte de son roi s'éloignait au loin sous un soleil doré, comme si les dieux en personnes ouvraient la voie au roi des chevaliers.
La déclaration de la jeune femme le hantait, décidément il ne comprenait rien à l'amour des humains, un amour qu'Artoria n'avait malheureusement jamais expérimenté. Leur échange lui paraissait toujours aussi surréaliste. Comment eux, des hybrides essayant de toutes leurs âmes d'imiter des humains pouvaient ils parler d'amour ? Entre eux, l'amour était simplement impossible, un rêve, une chimère. Pourtant le temps de la déclaration d'Artoria, il s'était mis à espérer, à y croire fermement. Peut-être était-il fait pour elle, pour cette jeune femme qui lorsqu'elle pliait sous le vent jamais ne renonçait. Elle avait fait de lui un diable rebelle, un presque croyant. Lui qui n'avait que l'apparence d'un homme, incapable de ressentir les émotions humaines, pour la première fois s'était épris de la plus belle âme qui avait vu le jour sur le royaume. Par ces mots, l'espace d'un instant Artoria avait changer son cœur de roc en un océan sucré. Décidément, son roi avait finalement plus d'influence sur lui qu'il en avait sur elle.
