Chapitre 14 : L'ultime bataille de Camlann
Comme prédit par Merlin, Artoria revint victorieuse de sa guerre avec Rome. Après d'âpres négociations et démonstrations de force, elle avait obtenu de Lucius une trêve entre leurs peuples. Sur le retour, elle apprit la trahison de Mordred, qui avait rassemblé bon nombre de seigneurs et de chevaliers sous sa coupe. Tous étaient prêts à se battre pour mettre fin au règne d'Artoria jugée inapte à guider l'humanité. Son peuple était divisé, une guerre civile embrasa toute la Bretagne. Sir Gawain et Sir Kay résistaient du mieux qu'ils pouvaient. Lancelot, le chevalier excommunié se manifesta pour prêter main forte au roi et arrêter la folie de Mordred. La haine que lui vouait Gawain le contraignit à n'être que le spectateur de ce conflit absurde. Gawain demeurait inflexible : jamais, il ne laisserait celui qui avait déshonoré son roi se battre de nouveau à ses côtés. Mordred, avait réunis ses troupes pour affronter son roi, dès qu'il mettrait un pied sur l'île.
Ce fut uniquement grâce au réseau d'espionnage de Sir Kay, que le roi suivait les aberrations de Mordred qui sans gêne éliminait aux vassaux d'Artoria. Avec la complicité de son frère de cœur, elle parvint à accoster discrètement sur les berges de son île, évitant l'embuscade mortelle que lui tendait Mordred. Sur place, la situation était bien plus désastreuse, que ce qui était annoncé par les rapports : Camelot, son château était tombé aux mains de Mordred. Dévoré par la haine contre son père, il se proclamait roi légitime d'Angleterre. Perdre Camelot revenait à perdre Avalon son fourreau, qu'elle avait laissé à son château afin d'en assurer la protection et la prospérité de ses terres. Sans Avalon, son invincibilité légendaire s'effritait. Merlin comme Viviane lui manquaient cruellement. Elle n'avait pas revu son mage depuis son départ pour Rome, elle s'inquiétait pour lui, quant à Viviane, elle n'était malheureusement pas en mesure de se rendre au lac sacré. Elle espérait, priait, pour que Mordred n'eut pas la sottise de s'en prendre à sa fée.
Artoria, la gardienne des îles britanniques captivait par son pouvoir resplendissant. Si son peuple l'admirait passionnément, certains ne supportaient pas de rester à proximité d'une lumière si aveuglante, si parfaite. Déçue de leur trahison après tous les sacrifices accomplis, le roi ne pouvait pourtant pas blâmer son peuple. Elle leur pardonnait sachant pertinemment que leur haine envers elle n'était qu'un égarement de cœurs emplis de doutes et de souffrances. Elle avait trop exigé de son peuple, tant de guerres, de catastrophes climatiques, de pénuries, bien plus qu'il ne pouvait supporter. Elle avait sous-estimé leur détresse, leur capacité à endurer, il avait simplement cédé à la facilité. Le roi portait la responsabilité de cette rébellion. Ces manquements avaient généré ce conflit stérile. La bataille à venir n'était que la manifestation de son échec à gouverner son royaume.
Bédivère, Kay, Gawain ne pouvaient consoler son cœur, juste défendre sa vie, sa réputation et honorer les efforts qu'elle avaient consentis. Artoria n'était plus que l'ombre d'elle-même, la bataille annoncée de la colline de Camlann, cette lutte fratricide, la répugnait. Pour son plus grand malheur, la bataille s'éternisa et dura plus d'une semaine abreuvant sa terre du son sang qu'elle avait juré de protéger. Leur affrontement n'avait de guerre que le nom, qui dissimulait un massacre inutile sans vainqueur.
Au terme du septième jour de sang et de larmes, seulement deux chevaliers continuaient le combat. Mordred se présenta face à son père, lui hurlant que peu importe le vainqueur, Artoria avait perdu, qu'il lui avait tout pris, tout détruit : Camelot, ses chevaliers, la dévotion de son peuple, son prestige, sa légende.
Artoria impassible après tant de morts inutiles garda le silence ce qui ne fit qu'excéder un peu plus Mordred. Devant son exaltation, Artoria se remémorait les cruelles paroles de Sir Tristan :
"Le Roi ne comprends pas les sentiments des autres."
Son chevalier avait vu juste, elle ne comprenait pas Mordred et la rage qui consumait son fils. A présent, tout ce qu'elle pouvait faire pour lui, était de brandir une ultime fois son épée sacré qui teinté de sang avait perdu son éclat. Mordred s'élança sur elle, le duel dura plusieurs heures. A maintes reprises, Mordred somma, supplia son roi de lui expliquer pourquoi elle n'était pas digne de lui succéder, pourquoi ne l'avait-il pas reconnu comme fils légitime. Pas une fois, Artoria ne lui répondit. Le chevalier désabusé parvint à pourfendre son roi en un point vital, mais son attaque lui couta la vie. La lame d'Artoria brisa ce qu'il restait du cœur de Mordred.
Avec la chute du chef des rebelles, la bataille prit fin. Artoria, épuisée jeta un large regard circulaire autour d'elle. Le roi ni vit que mort et désolation. Ennemis ou amis, elle ne voyait que les cadavres de son peuple, celui qu'elle avait juré de protéger. Elle était la seule survivante de ce carnage.
La jeune femme bouleversée fut prise de nausée. Sa blessure lui brulait ses entrailles mais c'était la vision des morts qui l'entouraient, qui fit flancher le roi pour la première fois de son règne. Artoria à genoux, avec Excalibur pour seul soutien pleurait pour la première fois de sa vie. Le front collé à son épée, elle ne pouvait plus réprimer ses sanglots. Elle hurlait sa douleur, s'asphyxiait de chagrin, cherchant en vain Merlin :
« -J'ai participé à d'innombrables guerres, prit tant de vie. Il est légitime que ma mort soit la plus misérable possible. Merlin, j'étais prête à mourir haïe de tous, car tel était le prix à payer pour régner, pour le salut de l'île mais…je devais être la seule à périr. »
Elle sanglotait de colère, de rage, de désespoir, parvenant à peine à se maintenir contre son épée sacrée.
« -Seul leur roi insensé, devait connaitre pareille déchéance !... Ce n'était pas censé se finir ainsi ! Je ne me suis pas démenée toutes ces années pour ce résultat… Je pensais réellement que si le royaume devait tomber, sa chute serait plus paisible. C'est injuste ! »
Artoria ivre de regrets, faillit maudire le monde dans son intégralité. Elle renonça finalement à cette rage dévorante. Qu'importe son sort, elle devait protéger son royaume. Elle passa un contrat avec le monde. Elle deviendrait un esprit héroïque, une arme condamnée perpétuellement à se battre et à protéger à jamais l'humanité, si on lui offrait la possibilité de chercher le Saint Graal et de sauver son royaume. Nul salut, nulle rédemption ne l'attendaient au terme de ce chemin, mais la décision d'Artoria avait été prise à l'instant où elle avait sortit sa première épée du rocher. Ce que craignait par-dessus tout Merlin et Viviane survint : pour son royaume, le roi était prêt à se renier.
