Chapitre 15: La déchéance du roi des chevaliers

La légende du roi des chevaliers était bâtie sur des combats grandioses, des victoires éclatantes, une gloire inégalée mais aussi sur un mensonge insoupçonné. Artoria, être de chair et de sang pas même humain ne se limitait pas à sa légende. Elle était faite de peines et d'espoirs, d'amitiés et de trahisons, de fêtes et de défaites. Pour le meilleur comme pour le pire, elle servait son royaume.

Bédivère désemparé, unique chevalier survivant, découvrit son roi semi conscient perdu au milieu d'un champs de cadavres. Il repensa à ce que disait souvent Merlin dans les heures sombres : la vie comme les fleurs nécessitaient du soleil et de la pluie, celle de son roi n'avait été qu'une éternelle tempête. Avec délicatesse, il transporta son monarque blessé le plus loin qu'il put de la zone de guerre. Sur le chemin Artoria vit le corps sans vie de Gawain, ses joues encore humide de larmes. Bédivère accéléra le rythme suppliant son roi de tenir bon juste un peu plus longtemps. Il la déposa contre un arbre dans une forêt à l'abri du champ de bataille. Sa blessure l'empêchait de se mouvoir, sans Avalon le fourreau d'Excalibur, ses plaies ne se refermaient pas. Le silence pesant, contrastait avec le tumulte de la dernière bataille. Ses ennemis étaient morts, mais finalement nul vainqueur n'émergeait dans cette guerre insensée. L'Angleterre en sortait plus meurtrie que jamais.

Artoria submergée par un océan de regrets, faisait le bilan de son règne sous le regard perdu de Bédivère : Aujourd'hui il ne restait plus rien, de ce qu'elle avait bâti. Camelot était tombé, la moitié de ses chevaliers l'avait soit trahie, soit abandonnée, l'autre moitié était morte en la défendant. Sans Lancelot, à ses côtés, elle avait appréhendé à juste titre la bataille de Calmann. La prophétie de Merlin s'avérait exacte. Elle n'en avait jamais douté. Elle pensait juste avoir encore un peu plus de temps pour mettre son île sur la bonne voie.

A quel moment s'était-elle fourvoyée ? Elle avait beau y réfléchir, elle ne parvenait pas à déterminer sa faute. Le cœur lourd elle arriva à la conclusion, que ce n'était pas l'une seule de ses actions ou décisions qui avait détruit son royaume, c'était son règne en lui-même…

Elle avait accepté depuis fort longtemps la mort qui l'attendait, elle qui avait pris tant de vie sur le champ de bataille, expiait le sang qu'elle avait versé. Son mage lui manquait, où était-il, pourquoi avait il coupé toutes communications ? Elle avait toujours imaginé qu'à sa fin il serait à ses côtés pour l'accompagner. Il était temps pour elle de mourir seule, sans Merlin.

Artoria peinait à rester consciente. A son chevalier qui l'aimait tant, qui s'était battu uniquement pour elle et non pour le royaume, elle fit une ultime requête, celle de remettre son épée à la Dame du lac. Elle honora au moins ainsi la promesse faites aux fées : Excalibur ne tomberait pas en de mauvaises mains.

Bédivère mit à l'épreuve la patience du roi, tant ce qu'elle lui demandait lui paraissait impossible. Sans Excalibur, le roi s'éteindrait, un roi qu'il n'était pas prêt à perdre. La première fois qu'il s'éclipsa, il revint en pleurs annonçant qu'il avait remis l'épée. Artoria n'était pas dupe, elle lui répéta avec douceur de suivre son dernier commandement. Malgré lui, son chevalier reniait la mort de son roi. Ce ne fut qu'à la troisième tentative que Artoria sentit le pouvoir de l'épée disparaitre en elle. Bédivère avait remis l'arme à Viviane.

Lorsqu'il revint plus blême que jamais, elle le remercia, puis ferma les paupières prête à mourir. Elle sentit quelqu'un la soulever, ce n'était pas son chevalier. Nul besoin d'ouvrir les yeux pour reconnaitre cette aura apaisante. Viviane qui jamais n'avait quitté son domaine, était venue vers elle sans qu'elle ne sache comment. La fée la serrait précautionneusement contre elle. Instantanément la douleur de sa blessure disparut. Artoria se sentit la force de lui murmurer :

« - Je suis désolée, j'ai lamentablement échouée à protéger …

- Tu n'as pas échoué, tu as accompli bien plus que ta destinée, corrigea la fée en caressant la joue du roi.

-Finalement, je n'ai pas su être le roi dont ils rêvaient, avoua Artoria dans un sanglot.

-En effet, tu n'es pas le roi qu'ils avaient rêvé, mais celui dont l'île avait besoin. Tu ne l'as simplement pas encore compris.

-Ils méritaient mieux que moi, l'humanité méritait mieux qu'un dragon sans cœur pour la guider, se plaignit le roi en pleurs. »

Artoria, entrouvrit timidement les paupières, la vue brouillait par ses larmes. Elle était toujours dans ce même bois, mais le temps semblait comme suspendu. Artoria se refusait de contempler une dernière fois le regard si transperçant de sa fée. Elle refusait qu'elle soit le témoin de sa déchéance, pas elle, pas Viviane… La Dame du Lac resserra son étreinte, déposa un baiser sur son front et lui déclara avec une douce autorité :

« - Tu n'as jamais été dépourvu de cœur, c'est même l'inverse, car sinon, à cet instant tu ne souffrirais pas autant. Ne maudis pas ton cœur, c'est ce que j'ai vu de plus beau dans l'humanité. »

Comme pour prouver ses dires, Viviane força Artoria à croiser son regard. Pourquoi fallait-il qu'elle fut si sensible à ses pupilles azurées ? Lentement la fée se pencha et captura ses lèvres bleutées. Son baiser endigua en un instant le flot de larmes que le roi ne pouvait jusqu'alors retenir. Artoria, apaisée ferma les paupières, se laissant griser par les lèvres de la fée approfondissant tendrement son baiser. Le roi sentit une larme tomber sur sa joue, une larme qui ne lui appartenait pas. Instinctivement Artoria referma sa main sur celle de la fée. A peine les lèvres de Viviane s'écartèrent, que le roi sentit un profond sommeil l'envahir. Elle ne tint pas plus longtemps et s'endormit bercée par la voix de Viviane :

« -Tu mérites de te reposer à présent. »

Le roi des chevaliers n'entendit pas sa fée lui murmurer :

« -J'attendrais que ton cœur comprenne la noblesse que fut ton règne. »