Bonjour à tous,
Juste avant Noël, je vous offre ce chapitre.
Juste avant de le lire, je vous conseille vivement de relire le chapitre 8 : Ne pas se fier aux apparences.
Le nain dont fait allusion Azru est le même que celui qui est dans ce chapitre. D'ailleurs j'ai écrit de son point de vue.
Pour éviter de dévoiler rapidement son identité, j'ai volontairement caché son nom et égrainé quelque indice.
J'espère que l'identité du nain ne vous choquera pas. Je développerai sa relation avec Azru dans les prochains chapitres.
Bonne lecture.
Merci à Julindy et SchottishBloodyMary pour leur review. Juste deux reviews, j'ai été déçue...
Merci également à La plume d'Elena pour sa correction et son avis. Ça rassure d'avoir une bêta qui repasse derrière soit.
Plongée dans un sommeil profond, l'oracle n'entendit pas la lourde porte de sa chambre s'ouvrir. Elle ne remarqua pas non plus la présence menaçante au-dessus d'elle.
Celle d'un sombre regard…
A la lumière vacillante de la flamme de la lampe à huile, il observait celle qu'il haïssait depuis si longtemps. Elle avait brisé un à un tous ses rêves et ses espérances. La savoir de retour, après le tourment qu'il avait vécu, lui avait tourné la tête.
Il n'avait jamais osé lui parler seul à seul, mais cette fois il n'avait pas l'intention de la laisser partir sans lui avoir rendu tous les torts qu'elle lui avait causés. Plusieurs pintes de bière avaient été nécessaires pour lui donner le courage de l'affronter les yeux dans les yeux.
Elle était là, allongée et profondément endormie car à aucun moment elle n'avait réagi. Elle était à sa portée, à sa merci, ignorant sa présence. L'alcool qu'il avait consommé ne lui avait pas seulement embrumé l'esprit. Il avait également rendu sa démarche plus hésitante et chancelante. Il en était conscient, alors ce fut avec le plus de précaution possible qu'il s'avança près du lit.
Il prit le temps de la détailler. Son visage fin et délicat qui contrastait avec celui des femmes qui vivaient dans la cité. Sa peau à la douce couleur dorée était parsemée de tâches de rousseur. Ses cheveux, même si ils n'étaient pas entretenus, donnaient envie d'être caressés.
Il recula vivement en constant que la contradiction venait en lui. Il avait toujours ressenti cela en sa présence. Un mélange d'émotions opposées.
Émerveillé par cette femme de grande taille à l'allure souple et légère, tellement différente des naines de son peuple, il avait grandi avec l'espoir qu'un jour elle lui accorderait un geste tendre ou un regard affectueux. Mais ses visites étaient toujours très brèves et rares. Les années passèrent et il était devenu un nain respectable et honorable qui, au vu de son rang, était voué à de grandes choses. Il avait presque fini par oublier celle qu'on appelait l'oracle. Presque… car au fond de lui, il avait toujours espéré son retour.
Elle était revenue peu de temps avant son mariage arrangé avec une jeune naine de bonne famille. A ce moment, elle avait réussi à lui faire maudire sa condition, à détester être né Nain. Maintes fois il avait imaginé être un Homme et pouvoir être à ses côtés, ne plus être invisible à ses yeux. Car c'était bien cela qui l'avait blessé le plus durement : elle ne le voyait pas. Il n'était que le fils de son père, caché dans son ombre. Les seules fois où elle lui avait adressé la parole, il n'avait pas pu faire autrement que de jouer le nain acariâtre et rustre. Une habitude stupide qui était resté et qui n'avait fait que transformer ses sentiments en haine.
Il savait qu'il ne devait s'en prendre qu'à lui-même et qu'il était normal que le peu de fois où elle le fixait c'était avec un regard courroucé. C'était de sa faute si elle ne l'appréciait pas, car il donnait également cette même image. Pourquoi serait-elle aimable avec lui qui était si désagréable avec elle ? Imbu de lui-même, il n'avait jamais pu revenir en arrière et faire en sorte que leur relation s'arrange.
Et puis maintenant qu'elle était de retour, elle ne lui avait pas donné l'impression d'avoir changé, que ce soit physiquement ou dans sa façon de le voir. Il avait bien vu sa méfiance envers lui. Mais ce qui allait encore plus lui faire de mal, c'était d'être une fois de plus dans l'ombre, non pas d'un mais de deux nains. Il était certain que sa venue était pour son fils.
Son fils.
Il aurait tant préféré avoir une fille, car il n'aurait pas eu à être jaloux de son propre enfant. Son fils lui avait volé son avenir. Il l'aimait malgré tout de tout son cœur, mais sans aucune perspective sa vie était devenue fade et morne. Lui, qui avait été un nain estimé et séduisant, était devenu ce même nain qu'il avait montré à l'oracle. Irascible, coléreux et négligé. Beaucoup mirent ce changement sur le dos de la mort de son épouse. La pauvre naine n'avait pas survécu à la naissance de leur prestigieux fils.
Progressivement, son esprit en était venu à la conclusion que la cause de tous ses malheurs était l'oracle.
C'était elle qui, par sa présence, avait manipulé son cœur.
C'était elle qui, par ses absences, avait obscurcit son âme.
C'était elle qui, par sa prédiction, avait volé sa vie.
Sans elle, son existence aurait été bien meilleure. Il n'en doutait plus et était bien résolu à lui faire part de son point de vue.
Il se rapprocha d'elle, cette fois bien déterminé. Il avança sa main crispée vers son cou. Il était tendu malgré l'alcool qu'il avait ingurgité. Sans la toucher, il perçut la chaleur de sa peau et alors sa main s'arrêta. Encore une fois ce sentiment de contradiction l'envahit. Doucement il remonta vers sa bouche, d'où entre ses lèvres entrouvertes, il put sentir son souffle chaud aller et venir au rythme de sa respiration. Cette sensation lui fit perdre la tête et il se radoucit.
Oubliant ce qu'il avait l'intention de faire, il joua avec ses soupirs, essayant de se saisir de chacune de ses expirations. Puis il dessina ses lèvres de son doigt sans jamais toucher à sa peau si tentante. Il dévia sur la courbe de son menton, ses joues, son nez, puis les boucles de ses cheveux. Il s'imposait volontairement une torture qu'à nouveau ses doigts se resserrèrent jusqu'à en fermer son poing puis ses yeux pour ne plus la voir. Mais son visage restait présent.
- Tu as fait de ma vie un enfer, murmura-t-il en serrant la mâchoire.
Il se tut un instant, puis en entendant la respiration de l'oracle devenir légèrement plus rapide et moins profonde, il rouvrit les yeux. Elle dormait encore mais paraissait moins sereine.
- Si seulement je ne t'avais pas connu. J'ai espéré tant de choses de toi, mais tu ne m'as jamais donné que de la peine, continua-t-il à marmonner.
Sa voix devint tremblante car il retenait la vague d'émotions qui le prenait à la gorge.
- J'aurais été prêt à t'offrir toutes les richesses de mon peuple pour avoir un sourire de ta part. Mais jamais tu m'en as laissé l'occasion !
Il dit cette dernière phrase dans un crescendo qui réveilla en sursaut la jeune femme. En l'espace d'un instant, il vit le regard de l'oracle passer de la surprise à la méfiance. Ce même regard qu'elle avait toujours eu pour lui.
Alors dans un geste de folie, il lui attrapa la gorge d'une main et serra fermement.
C'était la première fois qu'il la touchait, qu'il sentait sa peau sous ses doigts. Il aurait tant voulu que ce soit dans d'autres circonstances, mais l'ivresse lui faisait penser dur comme fer qu'elle ne lui avait pas laissé le choix.
Il la regarda droit dans les yeux tout du long. Il vit l'effarement, l'effroi puis la panique la saisir. Elle remua beaucoup, tentant de se dégager de son étau. Il n'aurait jamais pensé qu'elle puisse être aussi vive et forte, alors il dut s'aider de son autre main pour presser autour de son cou. Elle s'agrippa à ses bras pour le faire lâcher, enfonça même ses ongles dans sa chair pour le blesser, mais ce n'était pas ces petites piques qui allaient le faire abandonner.
Assez rapidement, il sentit qu'elle perdait en puissance et que ses coups devenaient moins forts. A ce moment précis son regard changea. Cela ressembla à de la peine, voire de la pitié. Il y vit une demande de pardon. Pouvait-il encore revenir sur ses pas et arrêter son geste ? Ne serait-ce pas une preuve de faiblesse ? A moins que cela soit un acte de bonté ?
Il hésita et elle le vit.
Il ressentit un violent coup dans son estomac, ce qui le fit immédiatement lâcher prise. Et alors qu'il se laissait tomber sur le lit de sa victime, un autre coup vint le frapper au niveau de la mâchoire et l'envoya chuter à même le sol.
Il ne savait pas s'il était sonné par la violence des coups, par la brutalité qu'avait fait preuve l'humaine ou par l'absurdité de son acte. Sans doute les trois à la fois.
Toujours allongé à terre, il entendit une longue série de quintes de toux. Il voulut se relever mais il était comme désorienté et avait perdu ses repères. Toute la pièce semblait tourner autour de lui. Il ressaya plusieurs fois jusqu'à réussir à se tenir à genoux en appui sur le rebord du lit.
Devant lui, la jeune femme était debout mais elle était adossée contre le mur. Elle toussait encore et avait des difficultés à respirer.
Il resta un moment ainsi en se tenant la mâchoire, encore choqué par la poigne de la jeune femme.
- Peut-on savoir ce qui vous a pris ? dit une voix faible, éraillée et apparemment en colère.
Il n'osa pas la regarder dans les yeux. Un sentiment de honte l'envahit et l'envie de quitter la chambre devint très tentante.
Par Mahal, il ne pouvait encore fuir devant elle. Il était un nain et c'était inconcevable qu'il ait crainte d'une femme, d'une fille d'Homme. Non, il devait assumer son acte et faire ce qu'il avait prévu. Alors avec le reste de noblesse et de fierté qu'il lui restait, il se releva entièrement et marcha vers elle.
Sa démarche devait être menaçante car il entendit le bruit caractéristique d'une lame qu'on sortait de son fourreau. A quelques pas de lui, l'oracle avait effectivement une courte dague elfique en main. Il se souvint qu'on lui avait confisqué son épée mais personne n'avait osé la fouiller pour trouver d'autre arme. Après tout, elle n'était pas une ennemie de son peuple. Il n'y avait que lui qui la considérait comme une menace… pour lui-même.
Il ne s'arrêta pas pour autant. Il avait déjà perdu son honneur, alors il n'avait plus rien à perdre.
- N'avancez plus ! ordonna-t-elle.
Mais elle ne pointa pas sa lame vers lui et préféra se décaler pour maintenir une distance raisonnable entre elle et lui. Qu'elle était sage d'agir ainsi. Elle se doutait bien que si elle le blessait ou le tuait, elle aurait de graves problèmes et ne sortirait pas de la cité vivante.
Il s'immobilisa. Cela ne servait à rien de vouloir l'approcher car elle ne le laisserait jamais faire.
Seuls ses toussotements se faisaient entendre. Ils restèrent ainsi pendant quelque instant, sans que l'un des deux ne parle. Même si il ne la regardait pas, il pouvait sentir tout le dégout qu'elle devait avoir à son sujet. Alors il assuma et releva la tête fièrement. Lorsqu'il croisa son regard, il fut troublé. Il n'y avait pas une once d'aversion. Au contraire, il y avait en elle un mélange d'incompréhension et de crainte. Elle se tenait la gorge et était sur ses gardes.
- Pourquoi ? Qu'ai-je bien pu faire pour mériter votre haine si violente ? dit-elle dépitée.
- Pourquoi…, marmonna-t-il.
Il y avait bien des raisons à cela mais était-il prêt à toutes les avouer ?
- Vous m'avez volé mon avenir, réussit-il à dire.
- Votre avenir ? Je n'ai pourtant pas jamais eu l'occasion de vous faire du tort.
- Vous n'avez jamais agi de façon directe, mais le résultat est pourtant bien présent.
Elle pencha légèrement la tête, intriguée, et ôta sa main de son cou. Une large trace rouge lui barrait la gorge. Il regretta mais il ignorait s'il regrettait d'avoir échoué ou d'avoir agi. Il était en constante oscillation et cela commençait vraiment à l'agacer.
- La seule chose qui a pu vous contrarier ce fut le jour où je vous ai annoncé que jamais vous ne régnerez, continua-t-elle après avoir réfléchi. Mais cela ne peut avoir été le déclenchement de votre inimitié, car d'aussi loin que je m'en souvienne vous avez toujours été revêche avec moi.
Il eut un semblant de rire.
- Vous m'avez volé mon avenir, répéta-t-il.
- Je ne vous ai rien volé, dit-elle énervée. Car vous n'aviez PAS d'avenir.
Sa phrase eut l'effet d'un coup de poignard. Il se sentit vaciller. Jamais il n'aurait pensé qu'elle puisse être aussi cru dans ses propos, elle qui avait fait preuve de tact dans chacun de ses discours.
- Notre avenir ne nous appartient pas. Nous n'avons qu'un faible libre arbitre. Le bonheur n'est pas acquis à tous, alors satisfaisez vous de ce que vous avez.
Chacune de ses paroles lui brisait un peu plus le peu de vigueur qui lui restait.
- Qu'ai-je bien plus vous prendre pour que vous me détestiez ainsi ? finit-elle sur un ton plus doux. Si j'ai commis un acte qui vous a contrarié, cela était sans préméditation et sans volonté de vous causer du tort.
- Pourtant vous auriez pu tout changer, dit-il à demi-mot.
Il se laissa glisser jusqu'au sol, perdant toute la dignité qu'il lui restait.
- Que vous est-il arrivé ? Expliquez-moi, demanda-t-elle en voyant l'état misérable de son agresseur.
- En quoi le fait de vous raconter pourrait changer quoi que ce soit ?
- Il est vrai que cela n'aura pas d'impact sur le passé. Mais je vous donne l'occasion de soulager votre esprit de ce qui le ronge, car je vois bien que vous avez changé depuis ma dernière venue. Vous n'êtes plus le nain que j'ai connu.
La tonalité de sa voix était devenue bienveillante mais ses yeux trahissaient une rancune du fait qu'il ait essayé de l'étrangler. Il avait enfin l'occasion de lui parler librement, chose que jamais avant il n'avait pu. Allait-il saisir cette opportunité ? Non, cela ne servirait à rien de lui dire car il savait d'avance que jamais son vœu le plus cher se réaliserait. Ce n'était qu'un rêve, une chimère, un mensonge qui l'avait rongé et le rongeait encore.
Résigné, il raconta.
- Oui, bien des choses ont changé. Votre annonce a eu l'effet escompté. Personne ne s'attendait à une réincarnation. Tout le monde était si heureux et enthousiaste par cette nouvelle que cet excès de joie m'a blasé. Mon père a pris tous les honneurs tandis que mon épouse et moi n'étions que des figurants.
- Votre père est un Roi expressif et débordant d'énergie. Je comprends que vivre à ses côtés puisse être étouffant.
- Je sais rester à la place qui est la mienne, là n'est pas le problème, haussa-t-il le ton. Mais savoir que je ne jouirai jamais de cette renommée m'a frustré.
- Auriez-vous souhaité que je ne vous le dise pas ? Que je vous laisse dans l'ignorance et dans l'espoir de ce que vous n'aurez jamais ?
- Oui, peut être… marmonna-t-il.
Elle ne répondit rien et alla s'asseoir sur son lit.
- Vous devriez partir, dit-elle en changeant de sujet. Vous n'avez pas les idées claires. Vous me l'avez prouvé.
Devant l'insinuation, il soupira.
- Nous pourrons continuer cette conversation lorsque vous serez en état. Je pense que l'on doit vous attendre.
- M'attendre ? reprit-il en redressant la tête. Qui m'attendrait croyez-vous?
Il la vit froncer les sourcils.
- Pour une oracle, vous n'avez pas l'air d'être au courant de tout, grogna-t-il.
- Pardon, mais je ne cherche pas à tout savoir non plus. Ce serait triste de n'avoir aucune surprise.
- Et bien sachez que personne ne m'attend, répondit-il d'un ton dédaigneux. Mon fils doit encore être avec son grand-père, et mon épouse est… elle n'a pas survécu à l'accouchement.
Il tourna la tête pour éviter de croiser son regard. Il n'avait pas envie de la voir avoir pitié de lui.
- Je suis navrée de l'apprendre.
Il renifla bruyamment et fini par se relever en prenant appui contre le mur. Sans un mot il se dirigea vers la porte.
- Je…
- Ne dites plus rien ! dit-il fermement. Vos paroles ne m'ont jamais porté chance.
Il changea de direction pour aller vers elle.
- Vous avez eu raison de m'ignorer jusqu'à maintenant. Après tout je ne suis qu'un Prince qui ne sera rien de plus. Je ne suis pas mon père. Je ne suis pas mon fils. Je ne suis rien !
Il lui hurlait littéralement dessus mais elle n'avait pas peur. Elle l'écoutait attentivement.
- Vous m'avez pris mon avenir. Tu m'as volé mon…
Il avait frappé sa poitrine en disant sa seconde phrase, mais il n'avait pu l'achever. Il avait failli le dire. Il avait failli lui avouer.
Allait-elle deviné ?
Elle avait deviné.
Ses yeux s'étaient agrandis. Sa respiration avait changé. Son visage s'était décomposé.
Oui elle avait compris pourquoi il la haïssait tellement.
Il ne pourrait plus lui cacher désormais. Que faire ? Assumé ? Prié pour que cela reste secret ? Fuir ?
Non il ne pouvait quitter la cité, mais il pouvait sortir de cette chambre, d'où il n'aurait jamais dû entrer. C'est ce qu'il fit sans plus attendre car il s'attendait à la voir se moquer de lui. Lui, le nain épris d'une humaine. Quelle ineptie !
Il quitta la pièce dans la précipitation, claqua la porte mais qui ne se referma pas d'elle-même.
Amarthêl, embarrassée par cet aveu, se leva pour fermer correctement le battant. Elle constata en même temps qu'aucun garde ne la surveillait.
Mais avant de clore la porte, elle observa celui qui venait de partir. Même s'il était devenu que l'ombre de lui-même, il restait un nain au charisme indéniable.
- Oh Prince Thalin, pardonnez-moi. J'ignorais tout cela, murmura-t-elle, troublée.
une review?
Je vous souhaite un joyeux noël
Biz
Sacrok
