Le silence s'abattit dans le bureau de Steve comme un marteau s'abattait sur son enclume.
- Mon nom ? répéta Steve, hébété, incertain d'avoir bien entendu.
- Oui, ton nom Steve, confirma Duke.
C'était indéniable. C'était effectivement son nom, Steve McGarrett, qui était inscrit noir sur blanc sur cette feuille.
- Tu… Tu veux dire que la personne à qui appartient ce sang, cette adolescente, pourrait être…
Steve s'interrompit. C'était complètement dénué de sens.
- … ma fille ? parvint-il finalement à articuler.
- C'est ta fille, corrigea Duke. Et elle a des problèmes.
Steve referma brusquement le dossier et le rendit avec empressement à Duke, comme si se débarrasser de la preuve démentirait la chose. Il se laissa tomber sur le fauteuil derrière lui, enfouissant son visage dans ses mains
- Une idée de…
Steve secoua la tête avant que Duke n'atteigne le bout de sa question. Il apprenait seulement l'existence de cette enfant, son enfant. Comment aurait-il pu connaître son identité ? À moins que…
Il se redressa vivement. Bondissant sur ses pieds, Steve s'avança jusqu'à la cloison qui séparait son bureau de l'open space. Steve soupira. C'était tellement évident.
- Melany Ortiz.
- Comment ?
Steve se retourna vers Duke, confus. Il eut besoin de quelques secondes pour comprendre qu'il avait pensé à voix haute. Mais sa voix n'avait pas suffisamment porté pour que Duke comprenne ce qu'il avait dit.
- Elle s'appelle Melany Ortiz, répéta Steve.
Duke fronça les sourcils.
- Melany Ortiz tu dis ?
- Oui.
- Steve McGarrett, le père de Melany Ortiz. Eh ben… Ça explique beaucoup de choses…
- Tu la connais ?
- Bien sûr que je la connais. Toute la HPD la connaît, s'exclama Duke. Mes hommes et moi avons ramassé Melany dans la rue et l'avons ramenée chez elle couverte de bleus et d'égratignures plus d'une fois parce qu'elle a voulu défendre la veuve et l'orphelin. Elle traîne avec elle quelques bagages, mais c'est une chouette gamine.
Le silence revint dans le bureau. Steve observait son équipe regroupée autour de l'ordinateur, de l'autre côté de la cloison, discutant, débattant, attirant l'attention des autres sur un détail a priori significatif. Steve soupira et baissa la tête. Ils n'avaient pas la moindre idée de la dimension que venait de prendre l'enquête.
- Comme toute cette situation semble plutôt…
Duke prit le temps de chercher le mot adéquat.
- Sensible, je suppose que tu veux reprendre l'enquête. Histoire de contrôler l'information.
Instinctivement, le regard de Steve se posa sur Catherine.
- Je t'en serai reconnaissant.
Duke rendit le dossier à Steve. Aussitôt, Steve retira la dernière page et la glissa dans un tiroir de son bureau. Les deux hommes sortirent de la pièce. Duke remarqua alors la photo de Melany sur les écrans de l'open-space.
- Vous enquêtez déjà sur Melany ? s'étonna le sergent.
- Oui. Sa mère est venue nous trouver ce matin parce qu'elle n'a pas de nouvelles de Melany depuis hier matin, expliqua Steve.
Les policiers échangèrent les formalités de fin de rencontre. Puis Duke quitta le QG.
- Là-dedans,commença Steve en posant le dossier fourni par le sergent. Vous trouverez toutes les informations sur un cas d'effraction à Kalihi qui pourrait être lié à la disparition de Melany.
Steve rapporta alors la conversation qu'il avait eue avec Duke quelques minutes plus tôt. Il garda pour lui la dernière partie.
- On est sûr que c'est Melany ? demanda Kono.
La question était légitime.
- Non, on n'en est pas sûr.
Steve n'avait peut-être pas tort. Après tout, il ne s'était basé que sur une supposition. Cette adolescente enlevée, sa fille, pouvait très bien être quelqu'un d'autre que Melany Ortiz. Mais c'était fort peu probable.
- Mais c'est fort probable, ajouta Steve. Il faudra le confirmer avec une analyse.
Pendant le briefing, Chin s'était connecté au serveur du 9-1-1 pour récupérer l'enregistrement de l'appel. Ils l'écoutèrent, pour la contextualisation. La lutte s'entendait parfaitement à travers le combiné. Mais Duke avait raison. Rien d'autre n'était perceptible.
Une fois l'écoute terminée, Steve se tourna vers Chin et Kono. Il éprouva quelques remords en leur attribuant cette mission, encore. Mais ce travail de fouine, aussi harassant et fastidieux qu'il était, apportait souvent les réponses à toutes les questions.
- Chin, Kono, je vous laisse reprendre le visionnage des vidéos de surveillance, mais cette fois dans le secteur du commerce.
Chin et Kono acceptèrent leur mission. Si l'un d'eux avait rechigné, Steve aurait compris. Mais ça n'aurait rien changé à leur sort. Alors ils se mirent au travail immédiatement.
- Catherine, Danny. Allez faire un tour là-bas, justement. Les hommes de Duke ont fait un travail remarquable mais un détail a pu leur échapper à cause de l'anonymat de la victime.
Catherine acquiesça.
- Et toi tu vas où ? demanda Danny alors que Steve s'éloignait déjà.
- Chercher des réponses, lança-t-il alors qu'il franchissait déjà les portes du QG.
Steve frappa vigoureusement à la porte. Malheureusement, celle-ci ne s'ouvrit pas dans les quelques secondes qui suivirent. Alors Steve recommença, avec davantage d'énergie.
La porte s'ouvrit enfin.
- Steve ? Qu'est-ce que…
Cindy n'eut pas le temps de finir sa question que déjà Steve se ruait à l'intérieur.
- Il y a du nouveau ? Pour Melany ? Vous avez retrouvé ma fille ? demanda la jeune femme pleine d'espoir.
- Tu le savais, n'est-ce pas ?
Cindy, qui n'attendait certainement pas une question en réponse à sa question, adressa à Steve un regard perplexe.
- Je… euh… Savoir quoi ?
- Que Melany est ma fille !
La stupéfaction chassa alors la confusion sur le visage de Cindy.
- Co… Comment tu l'as su ?
- Donc tu le savais !
Cindy baissa la tête.
- Oui…
Sa réponse fut à peine audible.
- Et dis-moi. Juste par simple curiosité. Tu comptais me le dire ? Ou tu es juste venue réclamer mon aide en espérant que je ne découvre pas ton petit secret et ainsi pouvoir reprendre ta vie comme si de rien n'était après avoir retrouvé ta fille Melany, ma fille ?!
- Je… ne sais pas, admit Cindy.
- Evidemment.
Steve ne savait pas. Il ne savait pas comment il devait réagir à tout ça. Il était en colère. Il le sentait bien. Il bouillonnait à l'intérieur. Mais la sidération et l'incompréhension empêchaient la tempête d'éclater.
- Est-ce que tu as une idée de toute la peine que j'ai ressenti en rentrant de déploiement ce jour-là et de ne pas t'avoir vu dans le terminal de l'aéroport ? De toute l'inquiétude que j'ai éprouvée en trouvant l'appartement vide et froid, envahi par la poussière ? J'ai retourné tout le pays, de Chicago à New York, pendant des semaines, des mois ! Tu sais combien de temps il m'a fallu pour accepter cette réalité ? Accepter le fait que tu sois partie sans une explication, sans un mot ?
Cindy agita la tête en pinçant les lèvres. Elle avait bien une petite idée. Mais rien de ce qu'elle pourrait dire ne pourrait soigner les blessures de Steve, ni même les siennes.
- Explique-moi ce qu'il s'est passé ? supplia Steve.
- Il n'y a pas grand chose à comprendre. J'ai appris que j'étais enceinte quelques jours après ton départ. J'ai paniqué, je suis partie à mon tour.
- Tu le savais déjà quand tu es partie ?!
- Oui.
- Et tu es quand même partie ?
- À vrai dire, je suis partie parce que j'étais enceinte, avoua Cindy.
- Pourquoi ? Tu pensais que je n'étais pas le père ?
- Je ne t'ai pas trompé si c'est ce que tu insinues.
- Alors pourquoi partir ?!
- J'ai paniqué, je t'ai dit ! J'avais à peine vingt ans. Pas de diplôme. Un tout petit boulot qui ne payait pas les factures. Pas de famille sur qui compter. J'ai cédé à la pression.
- Tu avais moi ? s'indigna Steve.
- C'est facile à dire, treize ans après.
La remarque cinglante de Cindy eut l'effet d'un coup de poing dans l'estomac pour Steve. Un goût de bile envahit aussitôt sa bouche. C'était son honneur et son intégrité qu'elle remettait là en cause !
- De toute manière, je n'ai pas eu le choix.
- On a toujours le choix, Cindy.
- C'est plus compliqué qu'il n'y paraît.
- Ça m'aurait étonné du contraire. C'est toujours plus compliqué qu'il n'y paraît avec toi, lâcha Steve avec mépris.
- JE TE DEMANDE PARDON ! s'emporta Cindy. Tu débarques chez moi et tu te permets de porter de tels jugements ! Partir il y a treize ans n'a pas été la décision la plus facile que j'ai eu à prendre. Crois-moi, je suis la première à souhaiter que les choses se soient passées différemment. Je le souhaite surtout pour Melany. Mais je devais partir. Alors je suis partie. Et te fâcher n'y changera rien ! Dois-je te rappeler que ma fille a disparu ? Donc si tu n'es pas venu pour me donner des nouvelles, je vais te demander de sortir de chez moi !
Cindy, dont les larmes menaçaient, fit volte-face et disparut dans le couloir.
Steve resta là, abasourdi et interdit, gêné aussi. Il n'avait aucune idée de ce qu'il était venu chercher en venant confronter Cindy. La vérité ? Il la connaissait déjà. Des explications ? Il n'avait pas vraiment laissé l'opportunité à la jeune femme de le faire. Passer ses nerfs ? Ce devait probablement être ça, malheureusement. Quel parfait imbécile il avait été.
Il ne savait plus quoi faire désormais. Partir ? Cindy le lui avait demandé. Il retourna dans l'entrée, pour s'en aller. Mais il se ravisa juste avant que sa main n'atteigne la poignée de la porte. Finalement, il emprunta le même chemin que Cindy quelques minutes plus tôt.
Il retrouva la jeune femme dans ce qu'il devina être la chambre de Melany, assise sur le lit. Elle ne semblait pas avoir remarqué la présence de Steve. Du moins, elle ne fit rien pour indiquer qu'elle l'avait vu.
La chambre n'était pas très grande mais elle dégageait confort et vie. Il y avait un livre de mathématiques et un cahier rempli de calculs ouverts sur le bureau. Melany avait dû abandonner les exercices à faire pour le cours de jeudi matin en cours de route en pensant les reprendre en revenant de son footing. En regardant de plus près les calculs, Steve douta que ces exercices aient été réalisés dans le cadre de l'école. Des équations du second degré ? Légèrement trop compliquées pour un élève de Septième année. Ou alors le niveau moyen des élèves avait augmenté en mathématiques ? Un sweat bleu marine trônait sur le dossier de la chaise. Steve avait déjà vu le motif, un énorme arbre blanc, une couronne et sept étoiles, floqué sur le vêtement, mais il ne parvenait pas à le remettre dans son contexte. Une paire de chaussons avait été abandonnée au pied du lit toujours défait. Un doudou, un lapin aux traits humanisés, au corps rouge et à la tête blanche mais dont les couleurs étaient un peu passées, l'usure témoignant du vécu de ce lapin, gisait sur l'oreiller dans une position plutôt acrobatique et même inconfortable pour une personne réelle. Tout semblait être resté tel que Melany l'avait laissé en partant courir.
L'adolescente devait être une grande lectrice à en juger la quantité faramineuse de livres qui occupait la large bibliothèque. Seul le rayon le plus haut ne servait pas à des livres. Mais il racontait quand même une histoire : celle de Melany la cavalière, Melany la championne en devenir. Il y avait là, ingénieusement disposés, quelques coupes, trophées, cocardes et autres récompenses équestres. Les murs prenaient le relais pour raconter ce récit avec des photos et des posters affichés partout.
Sur la table de chevet, à côté de Mort Brûlante de Richard Castle, dont le marque-page dépassant au sommet indiquait que Melany commençait tout juste, se trouvait une photo encadrée. Melany devait avoir six ou sept ans. Elle était en train d'apprendre à faire du vélo sans les petites roues dans un parc verdoyant, riant aux éclats. Il y avait un homme avec elle. Blond, vêtu d'un costume trois pièces gris. Il arborait un large sourire dévoilant une dentition d'une blancheur parfaite. La photo respirait le bonheur, la complicité et l'innocence.
- Je te présente P'tit Vi'.
Steve, absorbé dans la contemplation du sanctuaire de Melany, sursauta avant de se tourner vers Cindy. La jeune femme désignait la peluche qu'elle triturait. C'était une peluche aux gros yeux globuleux de la célèbre marque qui fabriquait ces peluches à l'effigie d'un petit poney brun. Ce n'était pas difficile de deviner après qui Melany l'avait nommé.
- Melany l'a gagné avec Vivaldi. C'était leur première victoire ensemble. Cette peluche m'a toujours fait flipper. Avec ses énormes yeux. Mais Melany l'adore.
Steve s'assit à côté de Cindy.
- Eh… On va la retrouver. Je vais te ramener ta fille. Je te le promets.
- Danny ! interpella Catherine en venant à la rencontre du lieutenant qui passait les portes du QG. Est-ce que Steve t'a dit quelque chose ?
- À vrai dire, je ne l'ai pas revu depuis qu'il nous a envoyé, toi et moi, sur la scène de crime hier, répondit Danny.
Après son départ précipité, Steve n'avait pas remis les pieds au QG. Il avait fini par envoyer un message à son équipe en leur disant de rentrer chez eux si personne n'avait rien trouvé de plus et de dormir.
- Pourquoi ? s'enquit Danny.
- Je ne sais pas. Quelque chose ne va pas. Hier, il a passé sa soirée à nager. C'est à peine s'il m'a adressé la parole. Ce matin, le lit était déjà froid quand je me suis réveillée. Il avait déjà filé. Et il n'a pas bougé de son bureau depuis que je suis arrivée.
Catherine s'arrêta, bientôt imitée par Danny, et désigna alors le bureau de son petit ami.
- Je sais qu'une disparition d'enfant le touche toujours énormément. Mais là, j'ai le sentiment que c'est différent, qu'il y a autre chose. J'espérais que tu en saches un peu plus que moi.
- Non, rien. Steve ne m'a rien dit.
Catherine ne cacha pas sa déception.
- Je suis sûr que ce n'est rien de grave. Mais si ça peut te rassurer, j'irai lui parler.
- Merci Danny, souffla Catherine avec un sourire timide.
Danny lui rendit son sourire puis entra dans son bureau. Il se laissa tomber sur son fauteuil et soupira. Ce n'était pas comme ça qu'il avait imaginé son samedi. Rachel ne manquerait pas de lui rappeler. Mais c'était comme ça. Il avait voulu être policier. Il laissa sa conscience vagabonder dans le QG le temps que son ordinateur démarre. Son regard s'attarda sur Steve dans le bureau voisin. Catherine avait raison. Son meilleur ami semblait effectivement préoccupé. Intrigué, Danny se leva, sortit de son bureau et traversa le couloir qui le séparait de celui de Steve.
- Steve McGarrett, une peluche dans les mains ! s'exclama-t-il, entrant sans prendre le temps de frapper. Il faut absolument que j'immortalise ce moment.
Alors que Danny s'exécutait, Steve baissa les yeux sur la peluche. La confusion se lisait sur son visage. Il ne s'était pas rendu compte qu'il jouait avec. Il ne savait même pas comment la peluche avait atterri dans son bureau.
- Alors ? À qui appartient ce petit poney ? demanda Danny, en s'asseyant après avoir rangé son téléphone.
Steve soupira, rabattit l'écran de son ordinateur sur lequel tournait une vidéo de Melany et Vivaldi et posa la peluche sur l'appareil.
- P'tit Vi', présenta-t-il. Et il appartient à ma fille.
Danny ne put contenir son rire.
- Ah ah, bonne blague, reconnut Danny.
Encore secoué par son fou-rire, il chassa les quelques larmes qui perlaient au coin de ses yeux. Il remarqua alors que Steve ne riait pas. Au contraire.
- Attends ! Ce n'est pas une blague ?! s'étrangla Danny en se redressant.
Steve secoua la tête. Danny ouvrit de grands yeux.
- Ça alors…
C'était la seule chose que Danny trouva à répondre. La machine à paroles était momentanément hors de service. Pour sûr, il tenait là le scoop du siècle. Steve McGarrett papa… Cela semblait tellement irréel.
- Dis-m'en plus ! ordonna Danny après quelques minutes de silence.
- Hein ?
- Tu ne peux pas lâcher pareille bombe et ensuite te murer dans le silence. C'est interdit ! protesta Danny. Alors dis-m'en plus.
Steve soupira. Il savait qu'il n'avait pas le choix. S'il ne voulait pas entendre son meilleur ami jaqueter jusqu'à lui percer les tympans, Steve avait intérêt à nourrir sa curiosité.
- Hier, commença Steve. Tu as, à juste titre et avec une grande délicatesse, deviné que Cindy a été ma petite-amie.
Danny hocha la tête, se rappelant parfaitement la conversation qu'ils avaient eue, le monologue qu'il avait tenu pour être plus juste, la veille dans la voiture. Danny voyait parfaitement où Steve voulait en venir. Mais il voulait l'entendre le dire. Le lieutenant n'eut pas longtemps à attendre pour que son vœu soit exaucé.
- Eh ben, Melany est ma fille.
- Je le savais ! s'exclama Danny.
Mais son triomphe fut de courte durée étant donné le regard assassin que lui lança Steve.
- Désolé… s'excusa Danny.
- Je ne savais pas que cette enfant existait, dit Steve, dépassé. Je n'aurais même pas imaginé que Cindy était enceinte quand elle a disparu ! Et encore moins qu'elle a fui parce qu'elle était enceinte.
- Comment tu l'as découvert ?
- Hier, quand Duke est venu.
Steve ressortit de son tiroir la feuille de résultats et la tendit à Danny.
- Le nouveau technicien, Barry, a eu l'idée de chercher un parent pour le sang retrouvé sur la scène de crime.
Le labo avait déjà confirmé que le sang utilisé pour écrire le message était celui de Melany.
- Et comme tu peux le constater, c'est…
- C'est ton nom qui est ressorti.
Steve hocha la tête. Danny rendit la feuille de résultat à Steve qui s'empressa de la remettre à sa place dans le tiroir.
- Tu as confronté Cindy ?
- Oui.
- Qu'a-t-elle dit ?
- Elle n'a pas nié.
- Elle t'a donné une explication à tout ça ?
- Non, pas vraiment. Rien de très clair. En même temps, je ne lui ai pas vraiment laissé l'opportunité de s'expliquer. Je n'ai pas fait preuve de la plus grande diplomatie.
Danny imaginait très bien la scène : Steve tambourinant à porte puis tombant, verbalement, mais violemment quand même, sur la pauvre Cindy. Enfin, pauvre Cindy, ce n'était pas si sûr. Du peu qu'il avait côtoyé la jeune femme, Danny avait pu constater qu'elle n'était pas en reste pour ce qui était du caractère bien trempé. Le ton avait probablement dû monter entre ces deux-là.
- Tu vas faire quoi ?
- Comment ça ?
- Pour Melany.
- Ah… oui. Je ne sais pas.
- Tu comptes le dire à Catherine ?
- QUOI ?! Je ne sais pas. Comment tu penses qu'elle va réagir ?
- Je ne sais pas.
Steve soupira.
- Tu as raison. J'ai vraiment l'impression d'être au milieu d'une mauvaise comédie au scénario stéréotypé, reconnut Steve.
- Catherine est loin d'être un personnage stéréotypé d'une mauvaise comédie, rappela Danny. Tu as toi-même dit que c'est une perle rare.
- Je ne suis pas obligé de lui dire ! s'exclama Steve comme s'il avait trouvé la solution parfaite.
- Hmm… Mauvaise idée. Très mauvaise idée, commenta Danny.
- Et pourquoi pas ? Je n'ai pas l'impression que Cindy voulait me le dire. J'aurais pu ne jamais l'apprendre ! Alors pourquoi on ne pourrait pas retrouver Melany et après continuer chacun sa petite vie de son côté comme si de rien n'était, comme ça a failli être le cas ?
- Parce que dorénavant tu le sais. Et moi aussi. Ce qui me rend complice. Je ne souhaite pas être complice de la garde d'un tel secret. Et Catherine ne mérite absolument pas un tel coup bas.
- Oh Danny… Qu'est-ce que je vais faire ? se lamenta Steve.
- Tu as mis la lumière sur un point.
- Lequel ?
- Commençons par retrouver Melany. Après quoi, tu auras tout le loisir de réfléchir à la question.
- Euh, oui. Tu as raison.
- Eh ! Mon pote. Je suis la voix de la sagesse !
Steve ne réagit pas à la boutade de son meilleur ami. Il était trop absorbé dans la contemplation de P'tit Vi'. Danny ne put réprimer un sourire. Steve le remarqua.
- Quoi ? demanda-t-il abruptement.
- Non, rien, prétexta Danny.
Danny savait. Steve ne s'en était peut-être pas encore rendu compte. Mais Danny avait compris. Steve était déjà amoureux de sa fille.
D'un accord tacite, les deux amis se levèrent et rejoignirent le reste de l'équipe qui s'était déjà remise au travail, trouvant péniblement de l'énergie dans l'ingurgitation de café.
- Du nouveau ? demanda Steve.
- Le porte à porte des patrouilles à Kapahulu et à Kalihi n'a rien donné, informa Danny.
- En discutant avec le propriétaire de la supérette hier soir, on a appris que son système de vidéo surveillance envoie une sauvegarde au siège social de l'entreprise de sécurité tous les jours à minuit, enchaîna Catherine. Par chance, les faits se sont déroulés juste avant minuit. J'ai fait pression sur la boîte ce matin pour qu'ils nous envoient leurs enregistrements. Les fichiers sont en cours de transfert.
- Moi, j'ai une question peut-être anodine, fit Kono. Cindy n'en a pas parlé. Il n'est mentionné nulle part. Mais est-ce que ça vaudrait le coup de creuser du côté du père de Melany ? Peut-être qu'il est impliqué dans sa disparition ?
- Responsable ? Non, garantit Steve.
Impliqué ? Oui… Malgré lui. Danny dut penser comme lui vu le regard qu'il lui adressa.
- Toujours pour continuer avec les histoires de vidéos, intervint Chin. J'ai laissé tourner le logiciel de reconnaissance faciale toute la nuit en étendant les recherches à toute l'île. Et il a repéré Melany. Jeudi matin. Au croisement de South King Street et Ward Avenue.
- C'est loin de chez elle, commenta Danny.
- Et proche d'ici, ajouta Catherine.
- Tu peux nous montrer la vidéo ? demanda Steve.
Chin pianota sur le clavier de l'ordinateur et la vidéo apparut sur l'un des écrans. Chin lança la lecture. La vidéo montrait Melany, en tenue de sport, marchant d'un pas décidé peut-être hâtif. Elle remontait South King Street de l'Est vers l'Ouest.
- Qu'est-ce qu'elle tient à la main ? demanda Danny.
Mais personne ne put répondre à la question. Trois visiteurs venaient de faire leur entrée dans le QG, deux adultes et une adolescente. Steve vint à leur rencontre.
- Monsieur et Madame Tel ? présuma-t-il en reconnaissant l'adolescente qui les accompagnait. Keala.
Il serra la main des deux adultes.
- Je suis le Commandant Steve McGarrett. Que puis-je faire pour vous ?
- Keala a visiblement quelque chose à vous dire, répondit Madame Tel. À propos de Melany.
Steve, comme toute son équipe, se tourna vers Keala.
- C'est un détail, insignifiant, commença l'adolescente. Tellement insignifiant que je n'y ai même pas pensé hier quand vous m'avez interrogé. Mais, ce matin ça m'a frappé. Je ne sais pas si c'est important.
- Dans une enquête de police, le moindre détail, même le plus insignifiant, peut s'avérer important, encouragea Steve.
- Melany ne porte plus son anneau.
- Son anneau ? répéta Kono.
- Oui, son collier, confirma Keala. Elle ne s'en sépare jamais. Un fois, en cours de sport, le fermoir de la chaîne a cassé et l'anneau est tombé. Ça a été le drame. Elle a passé l'heure suivante à le chercher. Heureusement avec succès. Début de semaine, j'ai remarqué qu'elle portait souvent sa main à son cou. C'est là que j'ai vu qu'elle n'avait plus son anneau. Quand je lui ai demandé pourquoi, elle m'a simplement répondu qu'elle l'avait égaré sur un ton détaché. Mais j'ai bien senti qu'elle en était contrariée.
- Une idée de quand elle aurait pu le perdre ? demanda Chin.
- Je ne sais pas trop. La semaine dernière, elle le portait encore, c'est sûr.
- À quoi ressemble cet anneau ? demanda Danny.
- C'est un anneau, basique, en or, suspendu par une chaîne en or. L'anneau est gravé. Avec des inscriptions bizarres. C'est tiré d'une histoire que Melany aime beaucoup, il me semble.
- Le Seigneur des Anneaux ? intervint Catherine
- Euh oui, ça doit être ça, confirma Keala, surprise que cette jeune femme ait réussi à deviner avec si peu d'informations.
Le reste de l'équipe ne masqua pas non plus sa surprise et interrogea Catherine du regard.
- En inspectant sa chambre hier, j'ai remarqué qu'elle confère un traitement particulier à l'univers de Tolkien. Étagère dédiée, présentoirs pour livre, nombreux produits dérivés.
Tandis que Catherine expliquait son raisonnement, Steve visualisait le fameux rayon dans la bibliothèque garnie de Melany, celui dont parlait Catherine. Il prit conscience aussi qu'il avait envoyé sa petite-amie, qu'il comptait demander en mariage, inspecter la chambre de la fille de son ex-petite-amie, fille dont il se révélait finalement être le père ! Après coup, cette décision semblait complètement saugrenue.
- Attendez !
Catherine était soudainement éprise d'un sentiment de déjà-vu. Elle releva l'index le temps qu'elle réfléchisse. Puis elle se dirigea vers le fond de l'open-space, vers la table où étaient entreposées les pièces à conviction des affaires en cours. Elle revint vers le groupe après y avoir récupéré un petit sachet pour pièce à conviction.
- J'avais tout de suite reconnu l'Anneau unique en analysant les effets personnels de notre John Doe, mais j'ai cru que ce n'était absolument pas pertinent, se justifia Catherine. Maintenant, je me rends compte que je me suis complètement méprise.
Steve fit la moue. Catherine était bien exigeante avec elle. Faire le rapprochement relevait presque de la fantaisie ! Surtout sans l'information de Keala et encore plus sans l'information de la disparition de Melany.
La jeune femme tendit le sachet à Keala. Il y avait bien un anneau en or suspendu à une chaîne en or dont le fermoir était cassé.
- Est-ce que ça pourrait être cet anneau ?
Il ne fallut qu'une fraction de seconde à Keala pour identifier le bijou.
- Oui, c'est celui-là. C'est la même chaîne. C'est l'anneau de Melany.
