- Salut Steve. Vas-y. Entre.

Cindy s'effaça de la porte et Steve entra dans la maison.

- Tu voulais me voir ? demanda-t-il.

- Oui, effectivement, confirma Cindy. Tu veux boire quelque chose.

Elle traversa le salon et s'arrêta sur le seuil de la cuisine.

- Non, pas la peine, refusa poliment Steve. Le Gouverneur organise une collecte de fonds ce soir, pour les services d'intervention de l'Etat, et je dois m'y rendre. Comme au téléphone ça avait l'air plutôt urgent, je suis juste passé en coup de vent.

- Urgent oui. Mais rien de grave, rassura Cindy. J'aurais un petit service à te demander.

- Pourquoi as-tu besoin de moi ?

Cindy désigna la valise à côté du canapé.

- Tu pars ? s'enquit Steve.

Cindy hocha la tête.

- Combien de temps ?

- Une semaine, au minimum. J'ai quelques… affaires familiales, disons, à régler.

- Tu pars quand ?

- Demain. Ça vient de se faire.

- Et Melany part avec toi ?

- Non. C'est pour ça que j'ai besoin de toi. Pour héberger Melany pendant ce temps là. Si c'est possible, bien sûr.

- Euh…

- J'ai bien conscience que la semaine prochaine, c'est Thanksgiving et que je demande au dernier moment. Alors si tu ne peux pas, ou même que tu ne veux pas, ce n'est pas un problème. Je m'arrangerais autrement dans ce cas.

La jeune femme ne voulait en rien s'imposer. Mais son ton indiquait qu'elle n'avait pas d'autre solution.

- Oui. Pas de problème. Bien sûr, accepta Steve.

- Tu es sûr que ça ne te dérange pas ?

- Au contraire. Ça me ferait extrêmement plaisir.

- Et ta petite amie, Catherine ? Ça ne la dérangera pas, elle ?

- Pas le moins du monde.

Cindy sourit, soulagée.

- Merci.

- Aucun problème. Tu me l'amènes quand ?

- Demain matin ? Avant que je décolle ?

- Parfait, ça me va. Melany est au courant.

- Non.

Mais elle ne tarderait pas à l'être puisque Melany déboulait en trombe dans la maison.

- Salut Maman !

- Melany ? Tu es déjà là ? s'étonna sa mère.

- Oui, la mère de Mandy m'a ramenée, expliqua l'adolescente en retirant ses baskets

Elle les jeta dans un coin de l'entrée puis traversa le salon pour rejoindre la cuisine.

- Vous savez Commandant, heureusement que vous avez une petite copine, lança-t-elle en guise de salutations une fois arrivée à destination. Dans le cas contraire, je penserais que vous voudriez épouser ma mère.

L'adolescente ouvrit le frigidaire, attrapa la bouteille de jus d'orange pour en boire quelques gorgées directement au goulot avant de la reposer à sa place. Puis elle referma le frigidaire pour ouvrir le congélateur. Elle avait passé son bras dans la jugulaire de son casque.

- Melany ? Pourquoi as-tu ramené ta bombe ? demanda Cindy.

- Pour me faire penser à emmener mon casque de cross demain.

- Vous faites un entraînement de cross demain ?

Au même moment, Melany refermait le congélateur et se tournait vers sa mère, tenant une poche de froid contre sa joue droite. Cindy se précipita alors vers sa fille qui retira la poche de froid pour dévoiler une pommette rouge et gonflée.

- Tu t'es encore battue ? reprocha Cindy.

- Oui.

Melany n'éprouvait pas la moindre once de honte.

- Contre un chandelier.

Cindy soupira de soulagement.

- Et il a gagné, ajouta l'adolescente. Mais c'est trois fois rien, je t'assure. Ça ne fait même pas mal.

Ce ne fut pas ce qu'indiqua la grimace qui lui échappa lorsque sa mère tâta sa joue meurtrie. Elle remit la poche de glace sur son visage.

- Que s'est-il passé ? voulut savoir Cindy sans vraiment être sûre de vouloir savoir finalement.

- Un simple désaccord de distance entre Vivaldi et moi. Que le chandelier a réglé. À l'abord du double, j'ai poussé. Puis j'ai tiré. Et j'ai poussé à nouveau. Pour finalement tout lâcher. Alors Vi' a sauté comme ça ! Il a pédalé dans la semoule au planer. Il a essayé tout ce qu'il a pu. Mais il n'a pas eu le choix que de retomber sur le deuxième plan de l'oxer. En voulant se dépêtrer de la barre, il a trébuché et s'est retrouvé le nez dans le sable. Et Melany a fait un vol plané interrompu par l'un des chandeliers de la sortie.

Tout en décrivant la scène avec des mots, elle mimait également les faits avec de grands gestes passionnés, sous les regards à la fois amusés mais aussi inquiets de ses deux parents.

- Vivaldi n'a rien, précisa la cavalière. Mais, résultat des courses, il me faut une nouvelle bombe.

Pour appuyer sa requête, elle posa son casque plein de sable sur la table. Il était effectivement hors d'usage. La coque était fendue et la visière brisée. Cindy grimaça à l'idée de devoir payer un nouveau casque à sa fille. Et aussi pour le sable que Melany parsema sur la table. Mais dans un même temps, Cindy fut ravie, reconnaissante aussi, que le casque eut été là pour protéger la tête de sa fille.

- Je vais à la douche, informa Melany.

Elle remit à sa place la poche de glace, qui n'avait finalement pas touché longtemps la joue de l'adolescente en proportion du temps qu'elle avait passé en dehors du congélateur, puis prit la direction de sa chambre. Elle arrêta sa course en remarquant la valise à côté du canapé.

- À qui est cette valise ? demanda Melany, suspicieuse.

- À moi, répondit sa mère.

- Tu t'en vas ? Quand ? Pourquoi ? Combien de temps ?

- Demain. Une petite semaine. Peut-être un peu plus.

- Tu te souviens que Keala et ses parents partent pour Thanksgiving ? s'assura Melany.

- Oui.

- Alors je vais dormir où pendant que tu n'es pas là ?

- Chez Steve.

Melany se tourna vers Steve, comme si elle se souvenait seulement de sa présence.

- Chez le Commandant ? Ah. Ok.

Elle sembla réfléchir quelques instants.

- Et sans vouloir être indiscrète, reprit-elle finalement. Tu vas où pour m'abandonner au moment de Thanksgiving ? Et pour faire quoi ?

- Je vais à Chicago.

- Chicago ? Et je ne peux pas venir avec toi ? Je pourrais découvrir d'où tu viens comme ça. Et d'où je viens par la même occasion.

- Non, répondit sèchement Cindy.

- Et pourquoi pas ?

Le ton commençait à monter entre la mère et la fille.

- Parce que je l'ai décidé. Alors je ne veux pas entrer dans le débat.

- De toute manière, tu ne veux jamais rentrer dans le débat quand la conversation touche à ton passé, maugréa Melany. Ou à mon père.

- Melany !

- Non, laisse tomber. Ça ne sert à rien de discuter avec toi.

Puis l'adolescente partit s'enfermer dans sa chambre.

- Désolée que tu aies vu ça, s'excusa Cindy.

C'était la première fois que Steve les voyait se disputer.

- Qu'est-ce qu'il y a ? demanda Cindy face au silence de Steve.

- Rien du tout, prétexta-t-il.

- Si, il y a quelque chose, Steve. Je le vois bien dans ton regard.

Steve soupira.

- Je n'ai jamais été d'accord avec toi sur ce point. Je ne comprends pas pourquoi tu ne veux rien lui dire. Melany veut savoir qui est son père. Et je veux qu'elle le sache.

- Steve, on ne va pas recommencer ce débat ?

Steve ne perçut pas l'habituelle irritation dans la voix de Cindy. Cette fois, ça ressemblait plutôt à de la lassitude. Il s'apprêtait justement à poursuivre le débat lorsque qu'il entendit la porte de la chambre de Melany s'ouvrir et que l'adolescente réapparut dans le vestibule, ayant troqué son pantalon d'équitation pour un legging de sport, écouteurs vissés dans les oreilles. Elle enfila une paire de basket, en bien meilleur état que les godillots qu'elle traînait à ses pieds pour aller aux écuries, et sortit de la maison.

- Tu veux que j'aille lui parler ? proposa Steve.

La porte de la maison se rouvrit, ou plutôt s'entrouvrit. Une main apparut et approcha à tâtons la corbeille de fruits posée sur le meuble à l'entrée pour y attraper une granny-smith. Une fois le butin collecté, la main disparut et la porte se referma.

- Non, ce n'est pas la peine, déclina Cindy tout en appréciant l'offre de Steve. Elle va courir une heure ou deux et reviendra quand ça ira mieux.

- Ok, comme tu veux.

Steve eut un mouvement vers la sortie puis se tourna à nouveau vers Cindy.

- En tout cas, elle n'a pas l'air ravie que tu l'abandonne pour Thanksgiving, souligna-t-il.

- Ne t'en fais pas. Elle s'en remettra.

Puis Steve prit congé de la jeune femme.


- Et voilà ta chambre, annonça Steve en invitant Melany à y entrer.

L'adolescente s'exécuta, timidement. Avec une certaine retenue, elle tourna sur elle-même pour analyser les lieux.

- Tu as vu où était la cuisine. La salle de bain se trouve juste à côté, informa Steve. Tu fais ici comme chez toi.

Melany hocha la tête. Elle s'approcha du lit, y posa son sac et attrapa la peluche posée sur l'oreiller. Elle l'observa un petit moment avant de se tourner vers Steve.

- Qu'est-ce que P'tit Vi' fait ici ? demanda-t-elle.

- Il était au 5-0.

Steve ne précisa pas dans son bureau à côté de la photo encadrée prise par Danny lors de leur intervention pour la libérer.

- Je l'ai ramené ici. Pour que tu te sentes ici comme chez toi.

Après la collecte de fonds, qui s'était éternisée jusqu'à tard dans la nuit, Steve avait fait un détour par le QG avec pour unique intention de récupérer le petit poney.

- C'est gentil à vous, remercia Melany. Je pensais l'avoir égaré pour toujours.

L'adolescente serra la peluche contre son cœur comme s'il s'agissait de son bien le plus précieux sous le regard attendri de son père et de sa mère. Catherine était là aussi, se tenant en retrait à l'entrée de la chambre.

La houle se fit entendre, dans un son étouffé. Melany jeta un coup d'œil par la fenêtre. L'émerveillement inonda son visage.

- Trop génial ! Vous avez une plage privée ! s'exclama-t-elle en jetant P'tit Vi' qui retomba face la première sur le lit.

Le petit poney n'avait pas fini sa chute que Melany était déjà sortie de la chambre et dévalait les escaliers. Naviguant dans la maison comme si elle y avait toujours vécu, elle se rua dans le jardin par la porte de derrière, suivie par les trois adultes qui avaient adopté une cadence plus mesurée. Lorsqu'ils atteignirent à leur tour la terrasse, Melany avait déjà retiré ses chaussures et ses chaussettes et retroussait le bas de son pantalon. Après ça, elle aurait bien voulu filer directement vers l'océan mais elle se ravisa d'elle-même. Au lieu de ça, l'adolescente s'approcha de sa mère.

- J'écoute le Commandant. Je finis mon assiette à chaque repas. Je me brosse les dents matin et soir. Je ferai mon lit tous les matins.

Sur ce dernier point, Melany leva les yeux au ciel. Puis elle continua son énumération de consignes, coupant ainsi l'herbe sous le pied de Cindy.

- Et toi de ton côté, tu m'appelles quand tu atterris à Chicago, d'accord ?

Elle déposa un bisou sur la joue de sa mère.

- Bisou Maman, je t'aime, lança-t-elle en prenant enfin la direction de la plage.

- Finalement, elle ne semble pas trop perturbée à l'idée de ne passer pas Thanksgiving avec toi, commenta Steve, amusé, alors que l'adolescente avait déjà les pieds dans l'eau.

Elle avait déjà oublié sa mère.

- Je t'avais bien dit qu'elle s'en remettrait, souligna Cindy.

- C'est vrai, reconnut Steve.

- En tout cas, merci encore de l'accueillir. Tu me retires une sacrée épine du pied.

- Nous prendrons soin de ta fille, assura Steve.

- Je n'en doute pas, sourit Cindy.

Elle se tourna vers Catherine.

- Et merci à vous aussi, Catherine. Je sais qu'on est pas vraiment partie du bon pied vous et moi.

Catherine hocha la tête. Elle accompagna son geste d'un sourire signifiant qu'elle ne lui reprochait pas du tout l'échange légèrement accroché qu'elles avaient eu à l'hôpital quelques semaines plus tôt. Les deux jeunes femmes n'avaient pas eu, depuis, l'occasion de rediscuter ensemble.

- Je trouve ça remarquable ce que vous faites, enchaîna Cindy.

- Quoi donc ?

- Accueillir comme ça, au pied levé, la fille illégitime de votre petit ami.

- Je ne vois pas ce qu'il y a de remarquable dans ce geste, rétorqua gentiment Catherine. Melany sera toujours la bienvenue ici, justement parce qu'elle est la fille de Steve.

- Steve, ne la laisse pas s'enfuir celle-là, avertit Cindy sur le ton de la plaisanterie. Tu as trouvé là une véritable perle rare.

- Je n'y compte pas.

Appuyant ses dires, Steve enroula un bras autour de la taille de Catherine, l'attirant contre lui, et déposa un baiser sur le sommet de sa tête. Cindy sourit.

Alors qu'un silence inconfortable commençait à s'installer, Cindy regarda sa montre.

- Oh, je ferais mieux d'y aller, s'exclama-t-elle. Si je ne veux pas louper mon vol.

Catherine et Cindy échangèrent les banalités de départ et Steve raccompagna la seconde jusqu'à sa voiture.

- Bon voyage, dit-il en refermant la portière derrière elle et en s'accoudant à la fenêtre. Et bon courage avec ta famille. Si je me souviens bien ça n'a pas toujours été facile avec ta mère.

- Jamais, tu veux dire ? rétorqua Cindy dans un rire forcé. Et du côté de ma sœur et de mes frères, ce n'est pas la joie non plus. Mais bon, il faut que j'y aille.

Steve sentait la jeune femme tendue, stressée, angoissée même.

- Ça va le faire, l'encouragea-t-il.

- On verra.

- Allez, file, ordonna-t-il en se redressant. Ne te mets pas en retard.

Et Cindy démarra.


- Mary. Doris, salua Steve en ouvrant la porte.

Il enlaça tour à tour les nouvelles arrivantes.

- Coucou Joan, ajouta-t-il chatouillant affectueusement la joue du bébé dans les bras de Mary.

- Dis-moi Steve, quand est-ce que tu arrêteras d'appeler notre mère Doris ? voulut savoir la jeune femme alors que son frère les invitait à entrer chez lui.

Steve aurait voulu répondre qu'il le ferait quand leur mère se comporterait comme une mère justement, mais Doris lui épargna cette peine.

- Bonjour Catherine.

La jeune femme venait d'apparaître dans la salle à manger, de l'autre côté du salon, les bras chargés de vaisselles. Elle déposa sa cargaison sur la table et vint saluer la mère et la sœur de son petit ami.

- Vous avez fait bon voyage ? demanda-t-elle.

Toutes trois continuèrent sur ces banalités d'usage, Mary accoudée sur le meuble de l'entrée où trônait une corbeille de fruits remplie de granny-smith au vert éclatant. Steve leur proposa quelque chose à boire.

- Volontiers Frangin.

Ils prirent donc tous le chemin de la cuisine. Alors qu'ils étaient regroupés autour de la table, chacun assis derrière une tasse de thé, une tasse de café ou un biberon, prenant des nouvelles des uns des autres, ils entendirent la porte de la maison s'ouvrir et se refermer.

- Danny passe donc toujours autant de temps chez toi ? demanda Doris, avec une touche de moquerie dans la voix.

Mais ce n'était pas Danny. C'était Melany. L'adolescente, le visage rougi par son footing matinal, venait de faire irruption dans la cuisine. Elle se figea lorsqu'elle y découvrit ces visages étrangers.

- Bonjour, dit-elle timidement.

Elle sourit aussi discrètement et s'avança avec une attitude plus timorée. Elle atteignit le réfrigérateur et l'ouvrit pour en sortir la bouteille de jus d'orange. Elle s'apprêtait à boire quelques gorgées directement au goulot mais se ravisa et récupéra un verre dans le placard à côté du réfrigérateur. Il semblait préférable de ne pas montrer ses habitudes à la politesse douteuse.

- Euh… Steve ? Qui est-ce ? demanda Mary.

- Hein ? Oh. Oui. Bien sûr.

Il attendit que Melany eut terminé de se servir et remit la bouteille à sa place.

- Mary, Maman.

Il lança un regard éloquent à Mary avant de poursuivre les présentations.

- Je vous présente Melany Ortiz. Sa mère a dû s'absenter. Alors nous l'hébergeons, expliqua Steve. Ça va faire cinq jours qu'elle est ici.

- Abandonnée par sa mère pour Thanksgiving. C'est moche, non ? rit Melany.

- Melany, je te présente ma mère, Doris, et ma soeur, Mary-Ann. Et Joan, ma nièce.

- Enchantée.

Melany tendit une main. Mary accepta immédiatement la poignée de main. L'adolescente salua d'un geste de la main le nourrisson dans les bras de Mary avant de se tourner vers Doris.

- Melany Ortiz ?

Le ton de Doris fit relever un sourcil à Steve.

- Oui Madame, confirma Melany en tendant sa main.

Doris se tourna vers Steve, le doigt pointé sur Melany. Le cœur de Steve se mit à battre plus fort.

- C'est ton e…

- Mon invitée ! s'exclama-t-il avant que Doris n'ait eu le temps d'aller plus loin. Notre invitée, à Catherine et moi.

Du regard, Steve somma sa mère de ne pas en dire plus et pria pour qu'elle n'en ait déjà pas dit trop. La confusion s'exprima sur le visage de Doris qui jeta un coup d'œil à Catherine. Comme son fils, la jeune femme était tendue et suppliante. Mary était complètement déboussolée. Et Joan dormait dorénavant. Melany fronça les sourcils. Ce n'était pas la première fois qu'elle assistait à une scène de non-dits depuis qu'elle était ici. Elle finit par hausser les épaules, ne voulant pas se préoccuper davantage des affaires d'adultes.

- Bienvenue à toi, invitée de Catherine et Steve, accueillit Doris.

Elle accepta finalement la poignée de main de l'adolescente. Melany se recula ensuite jusqu'à s'appuyer contre le couloir de la cuisine et commença à siroter son jus de fruit. Doris reporta son attention sur son fils. Ils échangèrent un dialogue silencieux.

- Melany ? interpella Steve.

L'adolescente, le nez alors plongé dans son verre, releva la tête.

- Oui ?

- Tu veux bien monter les valises de ma mère et de ma soeur dans leur chambre ?

- C'est comme si c'était fait Commandant.

Elle avala la dernière gorgée de sa boisson, posa son verre sur le comptoir puis se dirigea vers la sortie. Mais elle s'arrêta avant de franchir la porte et se tourna vers Steve.

- Mary et Joan sont dans la chambre en face de la tienne. Et ma mère est dans celle du fond, à côté de la nôtre, précisa-t-il en se désignant, Catherine et lui.

Melany le remercia d'un signe de tête puis disparut remplir sa mission. Le bruit de roulettes s'arrêta, une porte se ferma à l'étage et de la musique fut lancée.

- Quelqu'un peut m'expliquer ce qu'il vient de se passer ? demanda Mary.

Mais sa requête fut balayée.

- Tu es au courant ?

- Mon chéri, tu es sûr de vouloir avoir cette conversation devant Catherine ? s'inquiéta Doris.

- Je suis au courant, informa Catherine.

Doris ouvrit de grands yeux.

- Au courant de quoi ? tenta Mary.

- Tu veux dire que c'est Melany qui ne sait pas ?

- Qu'est-ce que Melany ne sait pas ? insista Mary, toujours sans résultat.

- Et si elle pouvait continuer à ne pas savoir, exhorta Steve. Sa mère ne veut pas qu'elle sache.

- STOP !

Mary fit de grands gestes avec les bras pour attirer l'attention de tout le monde.

- Qu'est-ce que Melany ne sait pas et ne doit pas savoir, exigea-t-elle.

- Que je suis son père, répondit finalement Steve.

Ce fut au tour de Mary d'ouvrir de grands yeux puis d'exploser de rire.

- C'est ta fille ? reformula-t-elle en montrant le plafond du doigt, entre deux éclats.

Steve acquiesça.

- Bah je l'avais pas vu venir, celle-là. Mon grand frère est papa. C'est la meilleure de l'année, c'est sûr.

Mary fronça les sourcils comme si elle avait eu une révélation.

- Mais attends ! Ortiz ? Comme Cindy Ortiz ? La fille avec qui tu sortais à Chicago ?

- Oui.

- Quand tu étais à l'académie des SEALs ?

- Oui.

- Celle qui t'a abandonné comme ça sans raison ?

- Oui, soupira Steve.

Il agrémenta sa réponse d'un regard qui voulait dire "C'est bon ? Tu as fini ?". Mary dut prendre sur elle pour ne pas repartir en fou-rire. L'effort fut tellement intense qu'elle se transforma en petit hamster. Steve se détourna de sa sœur pour revenir vers sa mère.

- Comment ça se fait que tu sois au courant ?

- Joe me l'a dit.

- Parce que Joe est au courant aussi ?!

- Oui.

À son ton, Steve comprit qu'elle ne voyait pas en quoi c'était si dramatique.

- Et Cindy sait que vous êtes au courant ?

Steve n'était pas vraiment sûr de vouloir connaître la réponse mais la question était sortie toute seule. En revanche, il ne s'attendait pas à cette réponse.

- Pour John, c'est sûr.

- Parce que Papa savait aussi ?! s'étrangla Steve.

- Bien sûr. Il a même pu rencontrer Melany. Quand elle devait avoir, je ne sais plus, deux ou trois ans.

- ET VOUS N'AVEZ JAMAIS JUGÉ BON DE ME LE DIRE ?! explosa Steve en se levant. PENDANT TOUT CE TEMPS VOUS M'AVEZ CACHÉ QUE J'AVAIS UNE…

- Steve, le coupa Catherine en posant une main sur son bras.

- Quoi ? aboya-t-il.

- Elle pourrait t'entendre.

Catherine fit un signe de tête vers l'étage.

- Hein ? Ah. Oui, bafouilla-t-il.

Prenant conscience de la gaffe qu'il avait manqué de faire, il sentit la tension chuter aussi vite qu'elle avait grimpé. Troublé, il reprit place sur sa chaise.

- Pourquoi vous ne m'avez rien dit ? demanda-t-il plus calmement mais la voix tout de même enrouée par l'émotion.

- L'occasion ne s'est jamais présentée, se justifia Doris.

- C'est ça ton excuse ? Une enfant a été privé de son père toute sa vie et c'est ça ton excuse ?

- Quelle importance ça a ? Elle a l'air de bien s'en sortir, non ?

- Mais ça a toute son importance ! C'est très difficile de grandir sans l'un de ses parents.

Mary hocha la tête. Elle ne pouvait qu'être d'accord avec son grand frère.

- Mais je ne peux pas te demander de comprendre puisque tu as toi-même privé tes enfants de leur mère et au passage de leur père en simulant ta propre mort.

- Steve ! intervint Catherine.

- Je ne m'excuserai pas. Son passé d'espionne nous a pourri la vie à Mary et moi. Et il semblerait qu'il ait aussi pourri la vie de Melany.

Catherine soupira. Il ne servait à rien d'insister. Le débat était stérile.

- Joyeux Thanksgiving, murmura alors Mary en prenant une gorgée de son thé.