Réponse aux reviews : Lilirara : Juste deux mots : "la voilà" lol J'espère que ça te plaira :)

Mû- chevalier d'or du Bélier : Je vais essayer de ne pas endormir tout le monde, mon écriture a un défaut, c'est s'étendre lol Bonne lecture et merci. Le but de la fic ( but honteux certes ), c'est de faire pleurer pour Aphro, ou en tout cas, de le faire aimer… Pour moi, il est pas devenu aussi détestable que dans la série, tout seul ;P

Vivi : C'est fait exprès d'être méchante, surtout avec le Poissons ;P

Misaoshi : Merci beaucoup, ça fait plaisir.


Genre : Drame psychologique, death-fic, biographie ( ou connerie suprême gagatisante, c'est au choix ), angst, un peu de yaoi. Un genre de conte cruel.

Persos : De malheureuses victimes livrées corps et âmes aux folies de l'imagination Isaticienne nyark nyark

Précaution : Violence psychologique, physique, verbale peut-être ? Mais pas de quoi se relever la nuit…

Disclaimer : Malgré mes incessantes prières et autres rituels vaudous, tous les persos et l'univers de cette fanfic issus de StS appartiennent encore à Masami Kurumada, je n'ai donc aucun droit dessus. Pour les quelques créations qui se perdront dans cette histoire, elles sont tatouées et fichées chez Isatis, donc merci de ne pas les ré-employer sans accord.


UN OISEAU BLEU


Chapitre 2 : Sustine et Abstine ( Supporte et Abstiens-toi )

Partie 2 : Le Rouge-Gorge

Le reste de la journée fut monotone, partagé entre entraînement et pauses. Lucas l'avait entraîné aux arènes, se rapprochant des autres apprentis de quelques mètres par rapport à la veille. Aphrodite n'avait rien fait remarquer. De toute façon, il n'avait rien à dire sur ce que faisait son maître. Le plus fort fait sa loi. Je dois suivre. Le gamin aux courts cheveux bruns qui discutait avec Shaka le matin était là, de même que le gardien des Gémeaux, dans son armure d'or luisante. Même s'il sentait les regards qu'ils lançaient tous deux dans sa direction par instants, ils n'avaient pas fait de pas cers lui, ce dont il les remercia en son for intérieur. Devoir supporter la présence de nombreux inconnus près de lui était déjà difficile sans qu'ils tentent en plus de s'approcher davantage. Lors de moments plus calmes, ou lorsqu'il concentrait toute son attention avant une attaque de Lucas, il avait de nouveau perçu la musique cristalline, mais moins forte que la première fois, peut-être parce qu'il s'était éloigné de son origine. Elle l'avait apaisé.

A présent, la nuit était déjà bien avancée et Lucas l'avait envoyé se coucher.

Après un regard à la lune et au Sanctuaire paisible, il s'approcha du lit et s'y enfouit, puis tendit la main vers le rosier pour le caresser. C'était ainsi qu'il lui souhaitait le bonsoir, en profitant pour lui transmettre de son cosmos, comme il avait appris à le faire. Cela le rendait plus fort, plus beau. Il avait atteint en peu de temps une taille respectable pour une plante en pot, et sa floraison était des plus riches et éclatantes.

Ma belle amie, veille sur moi…

Il allait fermer les yeux quand il la remarqua. Une petite tâche sur le sol, près du rosier. Il lâcha sa prise et se redressa doucement, cherchant à habituer ses yeux à la lumière lunaire. Il y avait quelque chose près du pot, qui ne bougeait pas et faisait comme une bosse au sol. Aphrodite se glissa hors du lit pour y observer de plus près. Il n'avait pas de lampe de chevet et la seule lumière provenait de la lune, haute et claire dans le ciel de la Grèce. Il parvint à distinguer de petites pattes, un corps ramassé et une queue étroite. Il hésita un instant puis poussa du bout du doigt le petit corps. Il était froid et presque dur. Quelque chose d'un peu pâteux semblait s'échapper du flanc. L'enfant renifla son doigt et reconnut immédiatement cette odeur fade et piquante à la fois. Du sang. Quelque chose avait dû attaquer cette petite souris… Un chat qui se serait introduit dans la maisonnette de Lucas pendant qu'ils étaient dehors… Pourtant, il n'en avait remarqué aucun au Sanctuaire. Le seul animal qu'il y avait jamais vu autre que des oiseaux était ce chien errant que les apprentis nourrissaient au réfectoire.

Il reporta son attention sur le cadavre du rongeur et remarqua que le sang avait formé une fine ligne qui prenait naissance au niveau du pot du rosier. Il approcha son visage tout près de la source du problème, recherchant des traces luisantes qu'il ne mit pas longtemps à trouver. Sur quelques épines à la base du pied, là où elles étaient les plus fortes et les plus acérées, à l'endroit où il refermait sa main depuis qu'il le possédait. La souris s'était visiblement écorchée avec la plante… Mais à moins qu'elle n'ait eu l'envie soudaine de se jeter dessus pour s'empaler, ça n'aurait pas dû la tuer. Comment s'était-elle débrouillée pour y rester ?

Je prendrai soin de toi…

Qu'est-ce qu'il y a, Ama ?

Je te protègerai…

Il lui semblait se rappeler quelque chose de lointain… sur les épines de sa rose…

Rien… Je me suis griffée avec les épines.

Repose-toi, je veille sur toi…

Lucas, surtout fais attention à ne pas te blesser lorsque tu te saisiras de la rose.

Pourquoi cela, Votre Altesse ?

Alors, laisse-moi te bercer…

Il y avait quelque chose avec la plante qui n'allait pas. Il surprenait souvent les regards inquiets qu'y jetait Lucas. Il augmenta très légèrement son cosmos.

Je veille sur toi, n'aie pas peur

– Je n'ai pas peur, murmura-t-il doucement. Je crois que je commence à comprendre.

Je veillerai toujours sur toi

Il rappela son énergie avant que Lucas ne se réveille et vienne voir pourquoi il l'avait sollicitée. Il fallait qu'il vérifie son intuition. Et il savait comment faire.

Il y était parvenu sans trop de mal. Le Sanctuaire nocturne était un peu effrayant, mais heureusement, c'était soir de pleine lune et il régnait une relative clarté permettant de se repérer sans trop de mal. Il avait peu de temps. Si Lucas s'apercevait de son absence, il aurait à en pâtir, et il ne pouvait remettre son entreprise au lendemain. Cela lui semblerait n'avoir été qu'une intuition dans un rêve. Normalement, il dormait sur place, il l'avait déjà vu deux ou trois fois, roulé en boule sous l'une des tables extérieures, lorsqu'il y avait encore peu de monde au réfectoire. Enfin, il l'aperçut. Il était bien là.

En attendant les pieds nus frotter sur la terre battue, le bâtard dressa une oreille, ouvrant ses yeux brillants, attentif. Une silhouette s'approchait de lui à pas comptés, se faufilant dans la nuit. C'était de petite taille, pas très épais et avait une odeur qu'il connaissait : celle des bipèdes vivant ici. Peut-être était-il l'un de ceux qui lui donnaient un bout de viande ou de gâteau sec à la fin de leur repas. Il avait l'air de tenir quelque chose à la main et de le tendre vers lui. L'ombre s'agenouilla tout près de lui.

Après un instant d'observation prudente, le chien se leva pesamment et s'approcha de cette main offerte.

– Allez, viens, approche-toi… murmura doucement Aphrodite. Viens, j'ai un cadeau pour toi… ajouta-t-il en ouvrant bien la main qui tenait une rose fraîchement coupée.

L'animal s'approcha et tendit une truffe curieuse vers la fleur, reniflant jusqu'au cœur le curieux présent. Il releva le museau vers le visage du bipède. Visiblement, ça ne se mangeait pas. Une odeur piquante se dégageait de la chose, mais ce n'était pas celle de quelque chose de comestible. Il y avait certainement autre chose.

Aphrodite observa le chien. Il avait respiré la rose mais ne semblait pas ressentir quelque chose d'anormal… Ça ne venait peut-être pas du parfum donc… C'était les épines… Toujours accroupi, il s'approcha du chien qui n'avait pas l'air disposé à le faire de lui-même.

– Sois gentil, ne bouge pas, hein ? Tu es beau… Tu es très gentil…

Le chien dressa les oreilles, bougeant un peu la tête pour essayer de comprendre ce que faisait l'humain. Il le vit dresser un bras doucement et l'approcher de son cou, puis affermir la prise pour le serrer doucement contre lui.

Le bâtard ne se dégageait pas, c'était bien. Il plaça son bras de manière à bloquer les épaules de l'animal.

– Brave toutou…

Aphrodite eut un sourire carnassier et plaqua soudain sa seconde main – et la rose qu'elle portait – contre le museau du chien. En sentant les piqûres, le bâtard se débattit mais Aphrodite le maintint solidement contre lui, se servant de ses genoux et de ses pieds comme appuis pour contenir les sursauts nerveux du chien, de plus en plus violents.

– …Il ne faut jamais se fier aux gens trop gentils !

Le chien couina. Ses mouvements perdaient de leur coordination rapidement, et le Suédois sentait la bave chaude couler dans sa main abondamment, se mêlant à son sang. A force de se débattre, le cerbère parvint à se dégager de l'étreinte d'Aphrodite, mais vif comme une panthère, le gamin enroula son bras autour de la tête du fauve et le plaqua violemment au sol, l'obligeant à se coucher et à fermer la gueule. L'animal s'agita de frissons avant de s'immobiliser dans une succession de gémissements longs et plaintifs

Aphrodite ne le lâcha que lorsqu'il sentit les muscles du bâtard blanc se relâcher pour de bon. Il tâta un peu en aveugle le poitrail de la bête et ne trouva aucun pouls. Il garda son sourire alors que ses yeux brillants se plissaient pour se poser sur les débris de la rose. Il les ramassa précautionneusement, ne prêtant pas garde aux écorchures que portait sa paume.

C'était donc ça dont se méfiait son maître.

C'était donc ça qui l'avait libéré de sa mère.

C'était donc elle qui l'aimait. Depuis toujours.

Maman, pourquoi ta main est bandée ?

Toujours… Je te protègerai du Mal…

Le rosier était empoisonné. Et il l'aimait.

C'était les deux seules choses qui comptaient en cette nuit.


Car la Miséricorde possède un cœur humain,

La Pitié, un visage humain,

Et l'Amour, la forme humaine du Divin,

Et la Paix, le vêtement humain.

La Cruauté possède un Cœur Humain,

Et la Jalousie, un Visage Humain,

La Terreur, la Forme Humaine du Divin,

Et le Secret, le Vêtement Humain.

Le Vêtement Humain est un Métal forgé,

La Forme Humaine, une Forge embrasée,

Le Visage Humain, une Fournaise scellée,

Le Cœur Humain, sa Gorge affamée.

William Blake – L'Image Divine / Une Image Divine

Chants d'Expérience

Ce sceptre si brillant… Pourquoi m'appelle-t-il ?

Dans la Maison des Gémeaux, Saga tremblait, recroquevillé contre son frère. Kânon ne dormait pas. Ses yeux bleus posés sur son jumeau, il guettait son réveil. Il faisait toujours ça. Il attendait le moment où le rêve serait le plus insoutenable pour l'appeler et le secouer jusqu'à ce qu'il reprenne conscience. Mais cette fois, il était un peu désemparé. C'était la première fois que Saga, petit animal entre ses bras, cauchemardait alors qu'il était avec lui…

Ce sceptre si brillant… Pourquoi les appelle-t-il ?

Le Pope veillait le sommeil agité de son apprenti dans la demeure du Bélier, soucieux. Mû murmurait dans son sommeil. Il parlait à quelqu'un, ou quelque chose.

Il chante à mon oreille… Qui est cette femme devant lui ? Pourquoi pleure-t-elle ? Pour qui ?

Kânon hésitait. Devait-il tirer son frère de ce songe qui le faisait de plus en plus trembler ? Ou serait-il mieux de le laisser essayer d'arriver à son terme pour qu'il ne revienne plus ? A chaque fois qu'il sentait son jumeau se tendre dans son sommeil, le Grec venait le rejoindre et le cauchemar s'interrompait. C'était peut-être ce qui provoquait son retour. Et puis… Qui était cette femme à qui il parlait dans son rêve ?

Elle se tient devant les armures… De quoi les protège-t-elle ? Ne pleure plus… S'il te plaît…

Sion tâchait de rassembler tous les indices en sa possession et de les relier aux bribes de paroles que son apprenti laissait échapper. Cette femme, jusqu'à présent, n'était jamais apparue. Elle protégeait les armures d'or en se tenant devant elle d'après ce qu'il comprenait… Mais pourquoi ces larmes ? Et avait-elle un rapport ave le sceptre doré ?

– Mû, je t'en prie… Essaie d'en voir plus…

Il est si doux à toucher… Si chaud… Pourquoi… Pourquoi cela devient-il si brûlant dans ma main ? Elle ne souffrait pas de le tenir avant…

Les frissons qui agitaient Saga se renforcèrent. C'était la limite. Peu importe si ce rêve devait revenir le lendemain, il ne pouvait plus supporter de voir le visage de son frère dans cet état de peur. Il commença à lui secouer les épaules doucement.

– Saga… Saga, réveille-toi… Je t'en prie…

Les armures pleurent… depuis qu'il a touché le sceptre… Elles pleurent pour lui ? Pourquoi ce son fait-il si mal…? Ne souffrez pas… Je ne veux pas qu'elles souffrent…

Sion sortit de ses réflexions lorsqu'il remarqua que Mû s'agitait davantage. Comme toujours depuis quelques jours. Le rêve de Mû avait pris une forme quelque peu différente récemment, commençant et finissant brutalement… et ses souvenirs en étaient plus fragmentés, comme s'il n'en voyait ou vivait qu'une partie, des flashes suffisamment rapprochés pour qu'il puisse les relier entre eux, mais assez distants pour lui rendre obscure la compréhension de certains points. Le jeune Tibétain naviguait dans un état qui n'était pas le sommeil, mais une forme d'hypnose ou de syntonisation incontrôlable, pareille à celle que parviennent à atteindre les yogis les plus expérimentés, les chamans, les prêtres vaudous. Le petit possédait des pouvoirs latents qui le prédisposaient à ce genre de phénomènes… Sion n'aurait pourtant pas cru qu'ils se manifesteraient si tôt. Il se trompait peut-être, mais s'il avait vu juste, alors Mû ne faisait pas seulement un rêve prémonitoire complexe et embrouillé…

Il s'invitait en fait dans le rêve de quelqu'un d'autre. Sans doute cet homme aux cheveux argent qui en voulait au sceptre doré.

Non… Faites taire ce son… Ça fait si mal, si mal ! Les armures… souffrent tant !

– Saga ! Réveille-toi, imbécile, ce n'est que le rêve !

Non… Faites taire ce son… Par pitié, les armures, ne les laisse pas mourir !

– Mû !

Saga et Mû ouvrirent les yeux dans le même cri au moment où la douzième armure devenait aussi noire que les ténèbres. Des bras protecteurs les accueillirent pour les calmer. Tremblant comme des feuilles, ils étaient pâles et en sueur.

– Eh… Saga… Saga… Du calme, je suis là, rien ne t'arrivera… Shhh…

– Kânon… Kânon… J'en peux plus, j'en peux plus, je veux plus faire ce rêve, je ne veux plus…

– Je sais… Ça passera, j'en suis sûr.

Pour la première fois, les caresses de son frère ne parvenaient pas à apaiser son esprit encore agité. Il sentait encore le goût du sang qui avait envahi sa bouche lorsque sa main s'était refermée sur le sceptre brillant. Saga ferma les yeux et se recroquevilla davantage.

– Non, ça ne fera qu'empirer. Ça ne partira jamais.

– Maître… Maître, ça se rapproche, ça se rapproche…

– Mû, calme-toi… C'est fini…

– Mais Maître, les armures…

– Je sais, je t'ai entendu pendant que tu rêvais… Cet homme veut le sceptre… mais aussi les armures, mais comme il représente le Mal, elles ne veulent pas se laisser dominer.

– Elles… luttent alors ?

– On peut dire cela ainsi…

Sion ne voulait pas lui avouer que si les armures hurlaient tant et souffraient, ce n'était pas seulement à cause de leur résistance vaine… Elles pouvaient lutter contre beaucoup de choses et résister à maintes catastrophes, mais leurs maîtres, eux… Armures et maîtres étaient liées par un si fort lien psychique, que lorsque l'âme de l'un souffrait… L'armure également.

– Maître…

Il baissa les yeux vers le petit.

– Oui ?

– La… la femme… Celle qui a les longs cheveux… comme les miens… Qui c'était ?

– … Je ne sais pas. Je doute de son identité.

Mû regarda un instant encore le masque impersonnel, guettant une réponse plus claire, mais elle ne vint pas. Le Pope ne souhaitait rien rajouter, et il n'était pas en droit de réclamer des précisions. Son maître était intelligent et doué d'une grande intuition. Le Tibétain savait que Sion en connaissait plus qu'il ne voulait le dire, mais s'il gardait le silence, c'était pour une bonne raison. Il ne devait pas douter de lui. Il se laissa docilement recoucher par le Pope et le regarda sortir de la pièce avant de fermer les yeux, le cœur encore battant.

Le maître du Sanctuaire ressortit du Temple du Bélier et resta sur le porche. Il commençait à remettre en ordre certains éléments du puzzle, à trouver les pièces aux encoches concordantes. Un homme, un sceptre doré, une femme, les armures, la souffrance, le mal. L'homme désirait le sceptre et tentait une domination sur les protections sacrées, par la force. Mais le bâton de pouvoir appartenait à la femme à la longue chevelure. Qu'elle s'y soit opposée ou non, elle était dépossédée de son bien… Et c'était à ce moment-là que les armures souffraient. Répercutant la douleur de leurs Saints. Ce serait à confirmer et cette théorie semblait trop imaginative et basée sur trop peu de preuves pour être crédible… Mais si elle était vraie… Si ce sceptre apportait le pouvoir à qui le détenait… Il possédait une caractéristique commune et non négligeable avec Niké, Déesse de la Victoire, être guidant vers la victoire et compagne indissociable de…

Il leva les yeux vers les constellations brillantes.

– Athéna… Athéna va bientôt revenir… murmura-t-il.


Le temps passait rapidement et Aphrodite ne l'avait pas vu filer. Son entraînement devenait sans cesse plus dur et exigeant, ses capacités physiques étaient mises à rude épreuve, mais il se forçait à réussir tout ce que pouvait lui demander Lucas. Il n'aurait pas la joie de le voir craquer, si telle était sa volonté… et cette énergie sans borne semblait ravir son maître. Il avait noté un changement perceptible dans le comportement du Suédois depuis environ deux semaines. Il paraissait moins sur ses gardes, un peu plus ouvert ou du moins confiant en lui, et surtout, il se passait désormais d'apporter une rose avec lui. Désormais, il se contentait d'en amener une lorsqu'il voulait essayer de développer ses propres techniques d'attaque. L'initiative était séduisante, même si cela inquiétait Lucas : il était rare qu'un apprenti se soucie de ce genre de questions avec un entraînement d'un an derrière lui, selon les dires des autres maîtres. Les prétendants aux armures attendaient généralement la fin de celui-ci, lorsqu'ils maîtrisaient complètement leur cosmos et que leur corps pouvait le supporter, pour développer des techniques propres, qui s'ajoutaient à celles qui leur étaient apprises.

Mais Aphrodite devançait cela. Certes, il réagissait bien aux exercices imposés, se renforçait, avec cœur même, mais qu'il se soucie si tôt de créer ses attaques personnelles n'était pas pour rassurer Lucas. Surtout lorsque celles-ci se baisaient sur les roses empoissonnées. Le gamin savait transférer son cosmos dans une plante, mais visiblement, il voulait à présent parvenir à dédoubler ce support, comme s'il fragmentait son cosmos en dizaines d'entités propres qu'il serait capable de diriger. Il n'y parvenait pourtant pas encore, malgré des efforts louables. Cela le fatiguait et il n'avait jamais réussi à multiplier une seule fleur, mais il s'acharnait. Pour qu'il ne se distraie pas de l'entraînement, Lucas lui avait interdit de le faire pendant qu'ils étaient ensemble et d'y réserver à ses temps de pause s'il le souhaitait, au risque de se fatiguer encore plus. La consigne avait été acceptée silencieusement, comme d'habitude. Presque avec indifférence. Le Chevalier de Cassiopée observait depuis Aphrodite s'asseoir dans un coin isolé, une rose dans une main, et tâcher de trouver le moyen de la dédoubler avec son cosmos. Même s'il l'aurait voulu de toute manière, Lucas n'aurait pu l'aider : il ignorait comment faire un tel prodige, et à vrai dire, il doutait que cela soit réalisable. Garder sous contrôle une grande quantité de bribes de cosmos, même de faible ampleur chacune, requérait un entraînement mental et une maîtrise que peu de gens pouvaient posséder. Et dont le jeune Suédois était encore dépourvu. Mais son obstination finirait par payer sans doute… Soit il échouerait pour de bon et devrait trouver un autre usage de sa capacité de transfert… Ou soit il réussissait… et dans ce cas…

Le jeune homme frémit à cette pensée et releva les yeux vers le gamin assis face à la mer, sur un rocher en bordure des arènes. Le soleil dansait sur ses cheveux.

S'il réussissait, alors il posséderait une arme redoutable. Une pluie de roses empoisonnées comme les siennes pourrait paraître facile à esquiver, mais si elles étaient trop nombreuses, quelques-unes atteindraient forcément leur cible. Ou cela pourrait constituer les bases d'une technique de combat plus indirecte… Aphrodite en serait capable. Tuer son adversaire sans avoir à s'en approcher. Surtout que la lueur étrange dans les yeux d'Aphrodite revenait en ce moment, dès qu'il tâchait de se concentrer pour dédoubler ses fleurs ou lors de leurs entraînements quotidiens. D'ailleurs… Aphrodite l'avait surpris ce matin, en attaquant avec une rose. Heureuses loi de la gravité et maladresse du petit, le concentré de poison n'avait pas eu du tout la trajectoire escomptée et s'était écrasée au sol à peine à un mètre de l'apprenti, qui avait affiché une mine déconfite. Utiliser une rose, il ne l'avait encore jamais fait. Et cela lui avait permis de nommer la lueur mystérieuse. Il ne pourrait jamais oublier cette… cette joie malsaine, prédatrice, au fond du regard d'Aphrodite lorsqu'il avait eu la rose à la main, juste avant de la lancer. Il savait parfaitement ce qu'une éraflure de celle-ci lui aurait causé comme dommages. Et c'était la raison pour laquelle il souhaitait certainement multiplier ses fleurs…

Jusqu'à présent, il avait ignoré ce fait… Mais d'une manière ou d'une autre, l'apprenti des Poissons avait maintenant compris… C'était dangereux. Il n'avait que 7 ans. Réalisait-il toutes les conséquences ? Autant lui mettre les points sur les " i " immédiatement et ne pas attendre que quelqu'un soit blessé.

Il s'approcha de l'enfant et s'assit à ses côtés.

– Aphrodite, j'aimerais te parler de quelque chose.

– Oui, quoi ?

Le gamin n'avait pas levé les yeux de sa rose carmine. Il s'était assis en tailleur et ses coudes reposaient sur ses cuisses, mains ouvertes paumes vers le ciel. Lucas avait déjà vu cette pose. Shaka avait dû l'apprendre à son confrère, un jour que celui-ci avait dû le trouver en train de méditer… Les deux garçons n'étaient pas spécialement proches et dire qu'ils étaient amis était s'avancer prématurément, mais le fait était qu'ils se voyaient de temps à autres, l'un venant chercher l'autre, généralement le soir, ou au repas de midi. Ils partaient tous les deux et l'ensemble était étrange. Aphrodite restait tête basse, l'air indifférent ; Shaka allait les yeux obstinément fermés ; tous deux ne parlaient que très peu à ce qu'on lui avait dit. On les voyait s'asseoir sur les marches du Temple de la Vierge ou sur des rochers surplombant les arènes, et leurs échanges verbaux semblaient courts. Shaka n'aimait parler que pour dire l'essentiel, et Aphrodite avait été programmé pour parler sur commande. Cette habitude lui était restée. Il n'aimait pas parler. Parler équivalait sûrement à une arme ou un piège pour lui. Mais le fait qu'il soit aux côtés d'au moins une personne au Sanctuaire n'était pas pour lui déplaire, bien au contraire. Et Shaka était de bonne compagnie, bien que très jeune.

– De tes roses, reprit-il.

Cette fois, il vit les opales d'Aphrodite se tourner vers lui. Il ne dit rien, attendant la suite.

– Quand as-tu compris qu'elles étaient empoisonnées, Aphrodite ?

– Il y a deux semaines… ou peut-être un peu plus.

– Et pourquoi n'as-tu rien dit ?

– J'aurais dû le faire ? Tu étais déjà au courant… C'était inutile.

– Je le savais, c'est vrai, mais tu reconnaîtras que c'est quelque chose d'extrêmement grave et important. Tu dois me dire ce genre d'informations parce que je suis ton maître et que cela peut aider ton entraînement. Tu ne vas pas apprécier, mais je ne veux pas que tu utilises tes fleurs durant les entraînements. Ni en dehors.

– Quoi ?

– Tu as très bien compris, Aphrodite.

Le ton était doux mais ferme. Lucas avait plongé son regard argent dans le sien et Aphrodite savait qu'il n'avait rien à redire à ce qu'il lui était ordonné. La Force a parlé. Il connaissait une partie de la force du chevalier. Sa force physique. Et celle d'une part de son cosmos. Il n'avait encore jamais utilisé ses attaques d'énergies, mais il ne faisait aucun doute que cela viendrait bientôt. Lucas pouvait cogner fort. Et avec toute sa vitesse et son cosmos actuels, il était très loin de faire le poids.

– Tu as interdiction formelle de faire usage de ses fleurs. Quel que soit le motif, répéta Lucas en articulant bien.

– Mais… Jusqu'à quand ?

– Jusqu'à ce que tu saches utiliser parfaitement tes pouvoirs et que tu ais obtenu ton armure. C'est à dire, quand je serai que tu as bien compris et assimilé ce qui fait un chevalier et les valeurs que je t'inculque.

– Tu crois que je vais en lancer sur les gens ?

L'accusation sous-entendue le blessait dans son amour propre. Shaka, peut-on être trop gentil ?

– Tu ne me fais pas confiance ?

Il tâchait de contrôler le ton de sa voix. Ne pas provoquer la Force, pas maintenant qu'il effleurait du bout des doigts le moyen de lui faire mettre genou à terre.

– Si, mais face à un pouvoir pareil, personne ne résisterait à l'envie de l'utiliser, même moi. Et je t'avoue que je n'aime pas te voir avec ces fleurs en main. Tu te blesses et ton regard change. Tu ne t'en rends pas compte Aphrodite, mais elles te changent. Et d'une mauvaise façon.

– Si je sais m'en servir, je pourrai encore mieux protéger Athéna quand il y en aura besoin, pourtant.

– Comme tu pourrais blesser. Même involontairement. C'est trop risqué pour l'instant d'en faire usage.

– … De toute façon, je n'ai rien à redire, maugréa Aphrodite.

– Non, tu as raison. C'est un ordre. Ne l'outrepasse pas, Aphrodite.

Il avait nettement identifier le ton de menaces dans ces mots. Le Suédois n'avait jamais connu Lucas avec cette facette-là, et elle ne lui plaisait pas beaucoup. Le ton de Svend savait se faire aussi cassant que celui-ci avant qu'une main ne s'abatte sur son visage pour ensuite le traîner dans un enfer blanc…

– Lucas… hésita-t-il, détournant les yeux. Je ne veux pas faire du mal aux gens avec les roses.

– Le mal et le bien se confondent souvent. Il te faut plus de recul pour juger de ce qui est l'un ou l'autre. Ce qui peut te sembler juste maintenant ne le sera pas forcément plus tard. Crois-moi…

Le regard de Lucas glissa vers l'horizon, se perdant entre les vagues. Aphrodite crut y voir de la mélancolie… ou peut-être de la tristesse.

– Fais simplement ce que je te dis. Et nous en reparlerons quand tu sauras te contrôler entièrement, corps et esprit.

– Mais… Je… je sais me…

Lucas l'arrêta en lui montrant son avant-bras bandé.

– Comme ce matin ?

Aphrodite n'osa plus le regarder.

– Tu as encore des sautes d'humeur… fort douloureuses, Aphrodite. Tant que tu ne les maîtrises pas, pas de roses en tant qu'armes ou défenses.

L'enfant soupira mais n'ajouta rien. Qu'aurait-il pu dire de toute manière ? L'ordre était tombé, il ne lui restait plus qu'à s'y plier. Il caressa doucement la rose alors que Lucas se relevait.

– Au fait… Tu t'es lié d'amitié avec Shaka ?

– On discute un peu.

– C'est une bonne chose.

– C'est ce que tu voulais.

– Tu n'es vraiment ami avec lui que parce que je t'ai dit que te faire des connaissances ici serait nécessaire ?

– … Je ne sais pas.

Lucas sourit.

– Il me semblait aussi… Saga aimerait te connaître mieux… et les autres apprentis pour les armures d'or aussi. Pourquoi t'obstines-tu à les fuir ? Personne ne te fera du mal.

– Le mal et le bien se confondent souvent, hein ?

Le chevalier soupira.

– Bien, je ne t'oblige à rien de ce côté-ci. Mais tu devrais aller voir Shaka. Il part demain et tu ne le reverras pas avant longtemps.

Aphrodite eut un petit frémissement et tourna la tête pour regarder Lucas, se désintéressant de la fleur qu'il tenait.

– Il…? Mais il ne m'a rien dit…

– Tu n'as peut-être rien demandé… J'ai parlé avec son maître. Shaka va être envoyé en Inde pour parachever son entraînement. Il ne reviendra pas ici avant d'être prêt pour l'armure d'or de la Vierge.

– Tu as l'air certain qu'il l'aura.

– Shaka est… quelqu'un de particulier, Aphrodite…

– Je pourrai aller le voir ce soir ?

– Tu n'as pas besoin de mon autorisation pour ça. Vos entraînements finissent à peu près à la même heure, vous pourrez vous rejoindre.

Lucas commença à s'en retourner.

– La pause finit dans dix minutes. Ne sois pas en retard, je t'attendrai à l'arène habituelle.

Il gravissait les marches, le regard perdu dans ses pensées. On allait ainsi lui enlever le blondinet aveugle ? Il allait se retrouver de nouveau seul avec Lucas et tous ces gens qu'il ne connaissait pas, et ne voulait pas connaître. Et pourquoi avait-il ce pincement au cœur en y songeant ? Il s'arrêta sur le porche de la Maison de la Vierge et poussa un bref instant son cosmos à l'intérieur. Il sentit celui de Karu de la Vierge lui répondre favorablement, même si ce contact lui était très désagréable. Il attendait toujours que le maître des lieux l'autorise à entrer avant de le faire. Mais il fut inquiet cette fois-ci quand il sentit l'aura de Shaka. Elle était plus froide que d'habitude, plus… plus inquiète. Il ne l'avait jamais ressentie ainsi. Qu'est-ce qui arrivait donc ?

Il entra sur ses gardes et aperçut Karu qui venait à sa rencontre, émergeant d'une pièce près des massives portes décorées d'un lotus qu'Aphrodite avait déjà vues lorsqu'il avait été présenté au Pope. Ces portes closes cachaient quelque chose, mais il n'en avait jamais parlé à Shaka.

– Aphrodite, cela fera plaisir à Shaka de te voir, tu sais… le salua Karu avec un sourire amical.

Le chevalier n'obtint pas la pareille de la part du gamin. Il affichait toujours son indifférence et s'était légèrement tendu à son approche, son cosmos encore froid mais éveillé. Il était vrai qu'il voyait peu le maître de Shaka, et que celui-ci ne le connaissait pratiquement que par les rumeurs et les dires de son apprenti, qui constituaient d'ailleurs deux versions un peu contradictoires.

– Pourquoi il est triste ? murmura doucement Aphrodite.

– Parce que l'un de ses oiseaux est blessé… et qu'il ne peut pas l'emmener avec lui.

La Vierge vit passer un éclat plus intéressé dans les yeux bleus auparavant fixes du petit.

– Va le voir, il est dans sa chambre, invita Karu en désignant la porte dont il avait émergé.

Aphrodite hésita un instant avant de suivre la direction, surveillant du coin de l'œil les gestes de Karu. Il ignorait quel genre d'homme il pouvait être. Shaka n'en parlait jamais, et il n'avait pas la curiosité de demander.

La porte était restée ouverte et il entra timidement dans la chambre de l'apprenti. Celui-ci ne l'avait pas entendu venir. Il était assis sur son lit et semblait tenir quelque chose dans les mains. Aphrodite s'approcha.

– Shaka…?

– Aphro ?

Shaka tourna la tête, ses cheveux blonds caressant ses épaules. Aphrodite remarqua immédiatement les larmes qui coulaient de ses yeux toujours clos.

– Pourquoi tu pleures ? C'est à cause de tes oiseaux ?

– Karu t'a dit ? Mon préféré… il… Il va mourir…

Le Suédois s'approcha et distingua ce que tenait le blond. Il n'avait jamais vu un oiseau pareil. Son corps étroit et allongé se terminait par une très longue queue effilée. Une houppette de plumes couronnait la tête de l'animal. Aphrodite n'avait jamais vu d'oiseaux lui ressemblant. Son plumage doré devenait sang sur sa queue et l'intérieur des ailes. Dans les mains de Shaka, recroquevillé sur lui-même, il paraissait minuscule.

– Ce sont des oiseaux du Paradis que l'on m'a donnés en Inde… expliqua brièvement Shaka devant l'air surpris de son vis-à-vis.

Il lui désigna l'armoire basse près du lit. Deux autres oiseaux s'y reposaient. L'un était identique à celui que tenait précieusement Shaka, mais l'autre se parait d'un bleu outremer magnifique.

– Ils ne s'en vont pas ?

– Ils ont le droit d'aller où ils veulent. Les oiseaux doivent rester libres.

L'apprenti des Poissons se fixa de nouveau sur l'oiseau qui préoccupait Shaka.

– Et lui ?

– Il est blessé… Je ne sais pas pourquoi mais il n'arrive plus à voler et ne mange plus. Alors il ne guérit pas. Et je ne vais pas pouvoir le soigner…

– Tu pars demain, c'est pour ça. Et les autres, qui va les nourrir ?

– Je n'ai pas droit de les emmener au monastère… On les relâchera demain. Ils savent se débrouiller seuls, mais celui-ci ne pourra pas, il est trop mal au point… Et mon maître ne sait pas comment le soigner.

Aphrodite observa le malade. Il avait les yeux clos et respirait fort, son petit corps se soulevant à chaque souffle. L'une de ses ailes restait tendue, peut-être était-elle cassée. Il ne connaissait pas grand-chose en oiseaux et sur comment s'en occuper, mais il avait déjà dû s'occuper d'un membre de l'espèce en Suède, peu de temps après que Svend n'ait commencé à l'entraîner. Et ça ferait peut-être plaisir à Shaka…

– Moi, je pourrais m'en occuper si tu veux…

– Tu le peux vraiment ?

– Je demanderai de l'aide à Lucas, il sait beaucoup de choses… Il a l'air juste l'air malade, mais pas blessé sérieusement…

– Je crois qu'il a mangé quelque chose de mauvais… Il avait quelque chose dans le bec…

Shaka leva la tête vers un petit meuble de chevet, sur lequel il avait posé ce qui l'intriguait. Aphrodite alla y examiner. C'était minuscule, rouge et doux au toucher.

– Ils vont dehors ?

– Je te l'ai dit, ils sont libres… Ils partent et ils reviennent quand ils veulent. Je crois qu'ils vont souvent vers le réfectoire, Aiolia m'a dit qu'il les avait déjà vus là-bas.

Aphrodite bloqua. Le réfectoire. Là où il s'était rendu compte du pouvoir de ses fleurs…C'était un peu gros à avaler… Mais il avait fait attention pourtant. Il avait pris tous les morceaux de la rose qu'il avait utilisée… Mais un pétale est si volage… et le chien s'était tellement débattu, il aurait pu ne pas remarquer quelques pétales qui auraient volé un peu loin d'eux. Si les oiseaux de Shaka allaient au réfectoire, les apprentis devaient sûrement les nourrir comme le bâtard… Et s'ils avaient trouvé des pétales rouges… Il regarda les deux autres oiseaux. Ils allaient bien. Seul celui de Shaka en avait mangé… Le morceau retrouvé par l'Hindou était tout petit, il n'avait dû en avaler qu'un peu. Si c'était bien ce qui était arrivé… L'oiseau s'était empoisonné, et il ne devait pas rester beaucoup de temps avant que le poison ne le tue. C'était sa faute. A cause de lui, Shaka avait de la peine.

– Shaka, confies-le-moi, je le soignerai pendant que tu es pas là. Je te le rendrai quand tu reviendras… proposa-t-il de nouveau en revenant près de Shaka.

– Tu ferais ça ?…

Aphrodite ne dit rien mais frôla du doigt l'oiseau, timidement. Il était moins chaud qu'il ne l'aurait dû, mais ses plumes restaient soyeuses et brillantes. L'animal ouvrit un œil en se sentant touché et fixa son attention sur l'humain aux cheveux turquoise, tournant légèrement sa tête lourde. Il n'essaya pas de s'éloigner. Shaka parut réfléchir.

– Tu sais, je crois qu'il t'aime bien. C'est le plus sauvage de tous.

– Pourtant c'est ton préféré…

– Il est celui qui aime le plus sa liberté… Aphro, si tu arrives à le guérir, ne me le rends pas. Je te le donne. Mais il faudra que tu en prennes soin, s'il te plaît.

– Me… le donner ? Mais… Mais Lucas ne…

– Je suis sûr qu'il sera d'accord, sourit l'Hindou.

Aphrodite considéra la proposition. Il aimait bien voir le sourire de Shaka. Et l'oiseau était ainsi à cause de lui, peut-être… Shaka… Il avait envie de le revoir sourire. Le pincement au cœur ne l'avait pas quitté. Mais qu'est-ce que c'était ?

– Je le soignerai. Mais si tu veux le récupérer…

– Très bien… Merci, Aphro. Je vais pouvoir partir le cœur un peu plus léger…

– Tu sais quand tu reviendras ?

– Non. Ça peut être dans dix jours ou dans dix ans… Ou peut-être jamais.

– Tu reviendras ! Il…

Shaka le va la tête et le regarda, surpris. Aphrodite n'avait jamais été si vif avec ses sentiments.

– Il… Il faut que tu reviennes, reprit plus doucement le Suédois. Tu m'as dit… qu'on revenait toujours. Tu vas mentir sinon.

– … Alors, on va se faire une promesse.

– Une promesse ?

– Nous reviendrons tous les deux, et nous aurons nos armures. Comme ça, on restera ensemble.

– Rester…? Tu veux dire, tout le temps ?

Shaka acquiesça. Aphrodite sentit le poids sur son cœur s'alléger un peu. Il n'arrivait pas à mettre un nom dessus.

– Ça ne te plairait pas ?

– Si… C'est ça la promesse ?

– Oui. C'est en fait deux promesses, mais…

– C'est promis.

– Promis aussi. Tu sais, je tiens toujours mes promesses. Et quand je reviendrai, tu me montreras l'oiseau, hein ? dit-il en lui mettant délicatement l'animal affaibli dans les mains.

– … Il… Il a un nom ?

– Non…

Il désigna les deux autres, qui attendaient toujours sur l'armoire.

– Seul le bleu en a un.

– Pourquoi ?

– Parce qu'il me rappelle quelqu'un.

– Il s'appelle comment ?

– … C'est un secret…

Karu apparut soudain dans l'encadrement de la porte.

– Aphrodite, il va falloir laisser Shaka se reposer. Il part tôt demain.

– Je sais.

Il se releva, tenant son précieux fardeau dans les mains. La sensation était étrange.

– N'oublie pas ta promesse, Aphro. Je te dis à bientôt.

– Ne l'oublie pas non plus, Shaka.

– Bien sûr que non. Nous sommes vraiment amis maintenant.

Shaka avait l'air ravi de la constatation.

– Amis ?

Shaka lui répondit simplement d'un léger sourire, avant que Karu de la Vierge ne fasse de nouveau signe à Aphrodite pour qu'il le suive. Le Suédois ne dit plus rien non plus et se laissa sagement reconduire au grand escalier, murmurant doucement :

Artefall, är du snäll, Shaka... (1)


Est-ce à partir de là que tout s'est mis à aller de travers ? Je ne crois pas…C'est juste le moment où j'ai faiblit, où ma défense s'est fissurée… C'est ça qui Lui a permis de m'atteindre si facilement après… Svend avait raison. Les sentiments ne mènent qu'à la défaite, et à la douleur…

Ose-tu prétendre que tu souffres ?

Une main qui se referme sur son cou. Chaude. Frissons de dégoût.

Que ceci est la défaite ?

Le poids d'un corps contre le sien. Frissons d'amour. Il ne sait plus.

Je vais te dire ce que c'est, cet instant… C'est le dernier instant où tu as cru pouvoir être libre comme un oiseau.

Non… Ne dis plus rien, s'il te plaît…

Main qui serre.

Héhéhé… Ne me donne pas d'ordres. Nous en sommes au point d'aujourd'hui par ta faute, tu as tout compliqué. Alors ne viens pas pleurer comme une fillette à présent. Tu es responsable de tout.

Doigts qui entrent dans la chair. Air qui commence à manquer. Il ne bouge pas. Lui continue de le regarder. Fixement.

Je traînerai… ça pour… toujours.

Oui. C'était avant qu'il fallait t'en rendre compte…Mais je veux bien passer l'éponge pour cette fois…

Main qui se desserre progressivement. Langue qui glisse le long de son cou.

Lucas, pardonne-moi…

Yeux qui se ferment.


Il l'observait à la dérobée. Ce n'était guère glorieux, mais c'était le seul moyen de le faire. Le soleil tapait fort et il était l'un des rares apprentis à s'entraîner malgré cet inconvénient ; par moment, il semblait même apprécier ces heures caniculaires. Caché derrière un rocher volumineux, il avait tout le loisir de l'épier. Il était si

rare de pouvoir le faire. Il ne supportait pas la présence des autres personnes, particulièrement depuis le départ

de Shaka, quelques jours auparavant. Il se sentait un peu jaloux de l'Hindou. Comment avait-il fait pour l'approcher, lui ?

Il risqua un œil hors de sa cachette pour suivre le mouvement léger de ses cheveux. D'un bleu si clair, si lumineux. Les timides ondulations qui suivaient chaque mouvement de son corps. Un corps si fin. On aurait pu croire qu'il était possible de le briser rien qu'en le frôlant. Et cet entêtement… Pourquoi s'entraîner durant la pause du midi ? Pourquoi subir l'écrasement de la chaleur ? Son souffle était fort et rapide, la sueur perlait à son front, et pourtant, ses mouvements restaient rapides et fluides. Il aurait aimé lui poser la question… Rien qu'avoir une discussion banale avec lui. Mais c'était un vrai serpent capable de disparaître en un clin d'œil.

Soudain, il vit le gamin s'arrêter et regarder quelque chose vers les gradins des arènes. Lui-même venait de le remarquer. Le Chevalier de Cassiopée regardait son apprenti et après quelques instants, inclina la tête légèrement. L'entêté reprit ses mouvements. A cette distance, impossible de dire si Lucas souriait ou non de l'initiative, mais il ne voulait pas y freiner, du moins pour l'instant…

– Eh bien, Saga, depuis quand es-tu le Saint des Espions ? demanda une voix enfantine avec un léger accent.

Le Grec sursauta et se retourna vivement.

– Qui..! Ah… Camus, tu m'as fait peur…

Le gamin aux cheveux sang sourit gentiment et vint jusqu'aux côtés de Saga pour voir ce qui attirait tant son attention.

– Si tu veux lui parler, le plus simple serait d'aller voir Aphrodite, non ?

– Pour le voir se sauver ? Tu sais comment il est, tu l'as vu quand il s'entraîne… Il est toujours aux aguets… Pas moyen de l'approcher.

– Il y a un moyen pourtant… fit le Français, songeur. Shaka l'a trouvé…

– Shaka est… spécial… Tu n'as pas envie de mieux connaître le futur Or, toi ?

– Si… Mais tu sais, quand quelqu'un ne veut pas que tu viennes à lui… Il faut attendre que lui vienne à toi. Il n'y a pas d'autres solutions.

– Plus facile à dire qu'à faire…

– Fais comme tu veux. Je te dis juste ce que j'en pense.

– Eh vous deux ! surgit une deuxième voix.

Au bruit de course qui l'accompagnait, il ne pouvait s'agir que d'une seule personne.

– Vas-y Milo, surtout fais plus de bruit, je ne suis pas sûr qu'on t'ait entendu hors du Sanctuaire.

– Who, t'es de mauvais poil aujourd'hui, Saga… répliqua le Grec en ralentissant le pas.

– Saga observe, Milo.

– Ou plutôt… Observait…constata Saga en reportant son attention sur l'arène.

Aphrodite retournait vers Lucas rapidement. Il jeta un bref regard par-dessus son épaule. Saga se plaqua contre la roche. Il l'avait sûrement vu. Ça n'allait pas lui faciliter la tâche ça…

– Quelque chose ne va pas, Aphrodite ?

– Non… Je suis juste fatigué.

– En prenant sur tes temps de repas pour t'entraîner, ce n'est pas étonnant.

– Il faut ça pour progresser.

– Ne te tue pas non plus à la tâche. Je renforcerai l'entraînement dès demain puisque tu sembles le trouver trop léger, mais si tu ne tiens pas debout pour le subir, ça n'aura aucun intérêt.

– Je tiendrai, Lucas, assura Aphrodite, déterminé.

– Tu n'auras pas le choix de toute manière.

Lucas se releva.

– Je ne t'ai pas vu au réfectoire. Tu as encore sauté un repas ?

– Ça ne me gêne pas.

– Aphrodite… Qu'est-ce que je t'ai dit sur les repas ?

– Qu'une journée est composée de trois repas obligatoires.

– Alors tu vas te dépêcher d'aller avaler quelque chose.

Aphrodite étouffa un soupir en obéissant. Le Saint de Cassiopée le regarda partir. Il n'avait jamais eu un grand appétit, mais depuis le départ de Shaka, il lui arrivait de sauter un ou deux repas sans sourciller… Comme lors de son arrivée au Sanctuaire. Sans doute avait-il été conditionné pour ne pas manger à heures fixes. A présent, il ne ressentait que rarement la sensation de faim et ne voyait donc pas souvent la nécessité de s'alimenter. Sa perte d'appétit soudaine l'inquiétait toutefois. Son seul ami parti pour un temps indéterminé, Aphrodite se sentait-il abandonné ? Malgré ses injonctions, il n'allait pas vers les autres apprentis. Il fuyait toujours les contacts humains. On aurait pu aisément penser qu'il attendait alors que ce fût aux autres de faire le premier pas, pour l'obliger à ouvrir le dialogue… Mais quand cela arrivait, l'apprenti des Poissons se renfermait davantage et se dépêchait de partir aussi loin que possible de l'importun. Combien de fois avait-il vu Saga rester ainsi sur sa faim ? D'autres, comme Mû et Aiolia, se contentaient d'attendre sagement à la limite du cercle de tolérance d'Aphrodite, guettant un hypothétique signe de bienveillance et d'ouverture. Toutes les approches restaient vaines pour l'instant. En dépit de ses espérances, le Suédois cultivait sa solitude. La seule personne qu'il avait autorisée jusqu'à présent à la briser était celle qui connaissait le même sentiment.

– Aphrodite, qu'est-ce qu'on va faire de toi ? soupira-t-il avant de tourner les talons.

Il caressait lentement les plumes douces, veillant à ne pas blesser l'animal plus qu'il ne l'était. La lune était levée depuis un moment mais il n'avait pas sommeil. Lucas lui avait permis de se coucher plus tard pour pouvoir s'occuper de son petit protégé. Allongé sur son lit, Aphrodite le tenait bien au chaud dans la paume de sa main, les yeux un peu dans le vague.

Son maître avait été surpris de le voir revenir avec ce curieux blessé, mais n'avait finalement pas refusé qu'il le soigne, à la condition que cela ne gêne pas son entraînement. Puis il s'était intéressé à la cause de la faiblesse de l'oiseau et Aphrodite lui avait avoué à demi-mots ses craintes. Lucas avait eu l'air perplexe et avait demandé au gamin de lui donner une rose le lendemain. Lorsqu'il était revenu le soir, il avait une sorte de poudre avec lui, dans un petit sachet. Un anti-poison. Aphrodite en donnait un peu à l'oiseau chaque jour, mais pour l'instant, il n'avait pas l'air de reprendre des forces. Au moins était-il en vie.

Il sentit l'animal bouger et baissa les yeux. Le petit corps tiède s'était recroquevillé pour profiter davantage de la chaleur de la paume amicale et un œil foncé s'était ouvert, lui rendant son regard. Il entrouvrit le bec et il s'en échappa une courte plainte sifflée. Le silence lui répondit. Le second appel, un peu plus fort, ne trouva guère plus d'écho.

– Ils ne sont pas là, tes amis… murmura doucement Aphrodite. Ils sont partis…

Il avait vu les deux autres oiseaux de Shaka au réfectoire à midi. Ils faisaient toujours la joie des apprentis, surtout de Mû, l'apprenti du Bélier. Il parvenait à les attirer jusque dans ses mains. Aphrodite aurait bien aimé connaître son truc. L'œil auburn le fixait toujours et le bec ouvert ne laissait maintenant échapper qu'une respiration rapide.

– Ne t'en fais pas, tu vas guérir, tu vas voir.

Il l'avait promis à Shaka. Celui-ci, il s'en occuperait bien. Il ne le laisserait pas mourir.


Il courait à perdre haleine, dérapant par instants sur la neige dure, se cognant aux arbres serrés. L'air glacé lui déchirait la gorge à chaque inspiration et lui brûlait les poumons. Ne pas s'arrêter malgré tout. Il fallait qu'il aille plus vite, beaucoup plus vite. Quelle erreur avait-il fait de ramener cet oiseau à la maison ! Si seulement il avait bien refermé la boîte dans laquelle il le tenait enfermé la veille ! Ce petit serin qu'il avait trouvé blessé quelques jours auparavant, il s'y était attaché.

Au début, il avait cru qu'il était mort, roulé en boule et les yeux fermés dans un creux dans la neige. Il s'était approché, curieux. Les plumes gonflées le faisaient ressembler à une petite peluche. Une peluche qui respirait. Hésitant, il l'avait pris dans ses mains lorsqu'il s'en était rendu compte. L'oiseau avait bougé un peu et pépié une faible protestation en gardant les yeux clos. Ses mains étaient froides… Presque aussi froides que le frêle animal… Pourtant, il devait le réchauffer. Il entendait déjà Svend qui l'appelait. La journée ne faisait que commencer et il ne pourrait pas le garder contre lui sans risquer de le blesser… Alors il avait enlevé sa chemise et l'avait roulée en boule dans le creux des racines d'un arbre tout proche, avant d'y emmitoufler le serin. L'air froid de la Suède l'avait tout de suite frigorifié, mais son vêtement était tout ce qu'il avait à disposition dans cet hiver rude et sans lumière. En se sentant ballottée, la petite mésange s'était remise à pépier puis, une fois enfouie dans son nid de fortune, avait glissé la tête dans son dos. Elle était jolie, avec sa tête noire et blanche, et le reste de son plumage gris loup. Les vociférations de Svend avaient tiré Aphrodite de sa contemplation. Et il avait été soulagé lorsque le soir, il avait entendu un pépiement le disputer de bouger la chemise. Il avait réussi à ramener l'oiseau à la maison, caché dans la chemise, priant pour qu'il ne crie pas avec un Svend si proche de lui. Heureusement, le serin l'avait entendu. Rendu dans sa chambre, il lui avait trouvé une petite boîte qu'il avait remplie de coton chapardé dans la salle de bain, puis avait essayé de faire un garrot de fortune à l'animal, qui semblait avoir une patte cassée. Lorsqu'il partait avec Svend, il cachait soigneusement son malade sous son lit et lui donnait quelques miettes et morceaux de gâteaux qu'il mettait de côté à son retour.

Mais ce matin, Svend était venu plus tôt dans sa chambre et il n'avait pas eu le temps de vérifier l'état du blessé. Il avait juste entraperçu le couvercle de la boîte qui était largement démis. Son sang s'était glacé. Svend y avait-il vu lui aussi ? C'était pour ça qu'il l'avait abandonné si tôt dans la forêt aujourd'hui ? Aphrodite se maudissait. Il aurait dû mettre quelque chose sur cette fichue boîte pour l'empêcher de s'ouvrir ! Ou mieux la cacher ! Dans un endroit où le petit oiseau aurait pu sortir sans risque !

Il avait traversé d'une traite la plaine entourant sa maison et s'était engouffré dans l'habitation, ne sentant même plus la douleur de ses poumons. Sa mère était sortie aujourd'hui. Quand il était arrivé à sa chambre, un coup à la tête l'avait étalé au sol sans alerte.

– Depuis quand tu héberges ça à la maison ? avait cassé la voix de Svend.

Il n'avait rien dit. Pas même lorsque le second coup de poing avait tenté de lui arracher autre chose qu'un gémissement de douleur. Aphrodite sentait les larmes lui monter aux yeux. Svend écrasait une aile de l'oiseau avec son pied pour l'empêcher de partir. Plus il se débattait, et plus le serin se blessait.

– Je t'ai dit pourtant que les larmes étaient interdites ! tonna la voix du maître alors que son pied se relevait. Règle numéro 2 !

Se sentant libérée, la petite mésange tâchait de se traîner au sol, son aile et sa patte la déséquilibrant.

– Et les sentiments doivent être bannis. Règle numéro 3, annonça froidement Svend.

Son pied s'était écrasé sur l'oiseau.


Aphrodite sursauta, la respiration haletante. L'oiseau du Paradis siffla doucement, dérangé dans son sommeil. Aphrodite sentait encore l'odeur du sang qui s'était élevée jusqu'à ses narines ce jour-là. Et du bruit que ça avait fait quand la lourde semelle des bottes de son père avait disloqué le petit corps fragile. Pratch. Des éclaboussures chaudes et un cassement sec et étouffé. Comme des brindilles qui éclatent. Et ce sang… Une petite flaque rouge éclatée. L'odeur. Comme celle de la biche. La biche avait hurlé. Elle hurlait tant. Est-ce que mon oiseau a hurlé lui aussi ? Il ne s'en souvenait pas. Il se rappelait juste cette grande flaque rouge avec des morceaux de plumes.

Un sifflement le força à revenir au malade dans ses mains. L'oiseau s'agitait. Les mains d'Aphrodite tremblaient.

– Je crois qu'il est temps de se coucher… annonça d'une voix chevrotante le gamin en se redressant.

Avec précaution, il déposa son précieux fardeau dans le grand bol rempli de coton qui lui servait de nid et contempla l'œil qui le fixait toujours.

– Personne te fera du mal… Hein ?

Pépiement étouffé. Aphrodite s'emmitoufla sous les couvertures. Il faisait chaud mais ce soir, il avait froid.

– Bonne nuit, Shaka.


Les Temps sont proches… Le sceptre brille tant… Les armures… Je suis sûr qu'elles ne pleurent pas en fait…

Kânon n'y comprenait plus rien. Ce cauchemar qui hantait son frère… Qui le terrorisait quelques mois auparavant… Voilà qu'il… qu'il le faisait sourire ? Petit à petit, il avait perdu sa peur au moment où il touchait ce sceptre mystérieux tenu par la femme aux cheveux mauves. Puis, il n'avait plus craint le moment où les armures noircissaient. Et à partir de là, il avait semblé aux deux jumeaux que le rêve devenait moins oppressant, plus doux, apaisant. En tout cas, Saga ne hurlait plus dans son sommeil, et Kânon n'en demandait pas plus. Non seulement il avait lui aussi pu retrouver le sien, mais il commençait à entrevoir la raison de cet adoucissement du songe.

Jusqu'à présent, Saga en avait eu peur, une peur panique, il avait tout fait pour le combattre… Et Kânon l'avait aidé, en le réveillant, en le berçant, en le réconfortant. Et il s'était reproduit, encore et encore, plus fort, plus effrayant. Et depuis qu'ils le laissaient se poursuivre… Saga allait mieux. C'était en fait simple… Son grand frère ne ressentait même plus cette sensation de " mal " qu'il avait éprouvée au début. Et d'ailleurs, le songe semblait s'espacer maintenant. Kânon n'en avait rien dit à Saga, mais il avait été en douce à la bibliothèque du Sanctuaire pour y feuilleter quelques livres sur les rêves.

Les explications possibles étaient nombreuses à ce mystérieux songe, mais il s'était arrêté à celle rationnelle et terre-à-terre : chaque élément était ce qu'il était, pas une représentation métaphorique. Pas la peine de chercher plus loin après ça. Ce sceptre avait un pouvoir, ou représentait le pouvoir, sur les armures. La femme le détenait. Saga souffrait jusqu'à ce qu'il l'ait entre les mains. Après, il allait bien. Enfant, sa mère leur disait toujours que les songes étaient les messages des Dieux. Le message était clair d'après ses conclusions : Saga devait avoir le pouvoir pour ne plus cauchemarder, pour se sentir heureux. Tant pis pour cette inconnue qui gênait ce projet. Son frère était plus important que tout à ses yeux.

– Kânon… murmura Saga en se blottissant plus contre son jumeau.

– Je suis là, dors.

Il n'avait encore rien dit à Saga. De toute façon, il n'en voyait pas la nécessité. Il n'était pas idiot. Le pouvoir sur les armures d'or, seules deux personnes le détenaient : Athéna et le Grand Pope. Et Saga était loin d'aimer porter des robes. Il devait donc être destiné à être le prochain Pope, en toute logique. Cette femme dans son rêve… C'était Athéna, il était prêt à le parier. Elle lui donnerait pouvoir sur le Sanctuaire. Et si elle refusait, Kânon était prêt à employer la force. Rien ne ferait du mal à son frère maintenant qu'il allait mieux. Saga avait toujours été le plus fragile d'eux deux. Depuis la mort de leurs parents, il avait été son père et sa mère, en plus d'être son jumeau. Même s'ils avaient fêté leur 15 ans récemment, ça avait toujours fonctionné comme ça entre eux. Jamais ils n'avaient supporté d'être séparés. Et jamais rien ne les séparerait encore.

Il sentit son frère se serrer contre lui et il renforça l'étreinte de ses bras, posant sa tête sur celle de Saga, qui avait glissé sur sa poitrine.

– Tu verras, Saga, je te protègerai.

Saga grommela quelque chose que ne saisit pas Kânon avant de se rendormir profondément, bien au chaud contre cet autre lui-même. Son jumeau releva les yeux vers la fenêtre de leur chambre. Saga n'avait plus de maître, son entraînement s'était achevé définitivement l'année dernière. Loky lui avait dit qu'il n'avait plus rien à apprendre. Le Saint des Gémeaux possédait ses propres attaques à présent, et il était capable de les exécuter sans erreur. Et Kânon, bien qu'étant un simple remplaçant, serait apte lui aussi à revêtir l'armure de l'étoile double du Zodiaque, si le cas se présentait. Il vivrait à jamais dans l'ombre de son frère. Ça ne le dérangeait pas plus que cela : au moins, pourrait-il toujours veiller sur lui.

Le soleil commençait à se lever à l'horizon. Il voyait ses timides rayons darder la surface de la Méditerranée, là-bas, au loin.

Si tout pouvait être aussi doux qu'un lever de soleil, pensa-t-il, amer.


Icare contemplait la mer, assis sur le sable encore humide de rosée. Le Sanctuaire était encore silencieux à cette heure matinale. Il aimait venir ici voir l'aube se lever, sa longue chevelure blonde flottant dans son dos selon la fantaisie de la brise marine. C'était si beau. Mais contrairement à son habitude, se perdre dans la vision enchanteresse de la mer aux reflets turquoise ne l'apaisait pas aujourd'hui. Quelque chose lui serrait le cœur. Il n'arrivait pas à y nommer. Cela le rongeait depuis quelques jours déjà, mais ce pressentiment obscur s'était fait ténu, supportable… Il disparaissait complètement quand il entendait l'armure des Poissons murmurer à son oreille, depuis le Palais du Pope… Il avait presque l'impression, durant ces courtes absences… de sentir deux bras doux et aimants enlacer son âme avec une tendresse presque maternelle…

Mais ce matin… Rien n'y faisait. La main froide lui couvrait le cœur avec une telle force qu'il entendait les cognements sourds dans sa tête. Il avait peur. Mais sans savoir de quoi… Ou plutôt, il en connaissait la raison mais refusait d'y faire face. Son maître lui avait dit que tout se passerait bien, qu'il n'y avait pas de raisons de s'inquiéter. Qu'il était prêt. Le Sanctuaire l'avait accueilli au même âge que Saga, et depuis, il avait passé les quatre dernières années à suivre le rigoureux entraînement qui lui avait été imposé. Les étoiles lui étaient favorables. Il était prédisposé à porter l'armure d'or des Poissons. Savoir qu'il deviendrait un protecteur d'une déesse incarnée faite d'amour et de paix lui avait gonflé le cœur malgré son jeune âge. A presque 9 ans, Icare saisissait les concepts de justice, de bien, de mal… Il pensait pouvoir les appliquer. Surtout, ne pas penser à la mort… Sitôt l'armure sur son dos, sa vie s'écourterait…

Une petite voix timide le tira de ses pensées.

– Icare ?

– Bonjour, Saga. T'es là depuis longtemps ?

– Non, fit le gamin en s'asseyant en tailleur à côté de lui. Tu faisais quoi ?

– Je regarde la mer. Et je réfléchissais aussi…

– Pour l'armure ?

– Comment as-tu deviné ?

Icare s'étonnait toujours de l'intuition de Saga. Quoi que, ces derniers temps, il ne devait pas être très difficile de deviner vers où s'orientaient toutes ses pensées. Ça devait se lire sur son visage.

– Tu t'inquiètes ? demanda Saga après un moment.

– Pourquoi je m'inquièterais ?

– A cause des rumeurs…

Icare ne répondit pas tout de suite, regardant la mer.

Ces bruits de basse-cour dont parlait le petit Grec de quatre ans son cadet, les autres apprentis les lui avaient souvent répétés à lui aussi, puisqu'il était concerné directement. On disait que l'armure des Poissons portait la poisse. Qu'elle était enragée, ou maudite, ou folle, ou vénéneuse, ou les quatre à la fois. Qu'il s'agissait de la plus belle des sirènes. Icare ne voulait pas les écouter, mais il ne pouvait s'empêcher de les entendre. Au début, il en avait ri… Mais quand l'armure avait commencé à fredonner à son oreille, il leur avait apporté plus de crédit. Ces on-dits, tous n'étaient pas vrais, mais dans le lot, il était bien possible qu'un au moins, le fut… D'ailleurs, cela faisait plus de deux siècles qu'il n'y avait plus eu de Chevalier d'Or des Poissons, ça cachait quelque chose…

– Si tu ne dis rien, c'est que tu as peur, reprit Saga.

– Peut-être un peu, j'avoue… Tu sais, c'est pas rien le jour de l'épreuve… Si tu as ton armure, tu deviens un demi-dieu, et si tu échoues… Tu n'as pas de seconde chance. En quelques minutes, je peux gâcher tout le travail que j'ai fait avec mon maître au Sanctuaire.

– Pourquoi tu échouerais ? C'est… si terrible l'épreuve pour mériter de devenir un Saint ?

Icare nota le ton un peu inquiet de Saga. Loky des Gémeaux n'avait visiblement pas encore abordé la question avec lui… Normal après tout, le gamin n'était au Domaine Sacré que depuis 6 mois…

– Tu auras le temps de le savoir… Normalement, il faut vaincre son maître mais… Pour les Poissons, ça marche différemment. Il faut revêtir l'armure.

– Et en quoi c'est difficile ?

Icare regarda gravement Saga.

– Tu ne t'es jamais demandé pourquoi il n'y avait personne qui la portait ?


– Tu es prêt, Aphrodite ?

– Oui, Lucas, j'en suis sûr… Même toi, tu le dis. Mon cosmos ne peut pas augmenter plus. Même si je ne connais pas encore toutes les attaques qui me sont nécessaires… Ça ne changera rien que j'attende plus. Et revenir sur une décision n'est pas digne d'un chevalier, hein ?

– Je ne peux pas te donner tort…

Le Chevalier de Cassiopée doutait pourtant. Deux ans avaient passé, et Aphrodite réussissait désormais parfaitement à maintenir son cosmos à une très haute intensité, et à attaquer avec. Et il avait tenu sa promesse de ne pas se servir de ses roses. Peu après le départ de Shaka, ils étaient repartis au Groenland où ils avaient poursuivi un entraînement sans cesse plus dur et contraignant. Aphrodite avait même cessé de compter ses blessures au bout de quelques mois. Chacune le renforçait. Lucas ne lui avait jamais connu une aussi forte détermination que durant ces 24 derniers mois. Et même si l'apprenti des Poissons maintenait qu'il voulait se renforcer pour être un meilleur Saint, son maître avait du mal à se laisser totalement convaincre.

La haine sauvage qui luisait dans les yeux du jeune Suédois lors des entraînements n'avait guère disparu. Elle dansait au fond de ses prunelles à chaque attaque renvoyée, chaque coup qui touchait son but, à chaque pas qui le rapprochait du moment de passer l'épreuve pour l'obtention de l'armure d'or. Sa vitesse et son agilité surprenantes s'étaient encore renforcées et Lucas doutait qu'au Sanctuaire même, d'autres puissent l'égaler sur ce point. Même s'il était loin du Domaine Sacré, il se tenait informé des progrès des autres prétendants au titre de Saint d'Or.

D'abord, pour Saga et Aioros, qui avaient terminé pour de bon leurs entraînements quelques mois plus tôt et étaient leurs propres maîtres. Ils aidaient les autres apprentis. Le jeune Chevalier des Gémeaux écrivait souvent à Lucas pour lui faire part des nouvelles du Sanctuaire. Malgré leur jeune âge, Mû du Bélier, Aldébaran du Taureau, Deathmask du Cancer et Milo du Scorpion avaient réussi sans trop de difficulté à vaincre leurs maîtres et étaient désormais les nouveaux gardiens des Temples qui leur étaient attachés. Seuls les deux premiers avaient demandé à leurs professeurs de continuer à leur prodiguer des conseils. Lucas n'en était qu'à moitié étonné : Deathmask avait toute l'impétuosité de l'Italie dans ses veines aux dires de l'ancien Chevalier du Cancer, et Milo, qu'il avait rencontré plusieurs fois, avait un très fort potentiel et une grande confiance en lui. Restaient les autres apprentis qui s'entraînaient d'arrache-pied.

Quelques jours avant son retour en Grèce, Saga avait annoncé à Lucas la naissance de deux autres Saints d'Or : le Verseau et le Lion avaient trouvé leurs maîtres. Le Chevalier d'Argent ne s'était pas inquiété pour Camus et Aiolia. Ces deux petits avaient la volonté qu'il fallait pour parvenir à s'élever au rang tant convoité. Il restait donc encore 5 armures qui demeuraient dans leurs urnes à attendre… Et peut-être qu'aujourd'hui, il faudrait en compter une de moins… ou ajouter une victime de plus à celle des Poissons…

– Très bien, Aphrodite. Allons voir le Pope. Mais tu sais que pour cette épreuve, il n'y a pas de retour possible, pas d'erreur acceptable.

– Oui, je sais.

Aphrodite se leva et caressa une dernière fois l'oiseau du Paradis qui s'était tenu sur son épaule jusque là. Il lui offrit sa main et l'animal vint se poser dessus. Le Suédois avait mis beaucoup de temps pour réussir, mais son protégé s'était finalement rétabli après de longs mois d'incertitude. Il s'était peu à peu habitué à la présence de l'apprenti, puis à ses caresses et finalement, avait accepté de se laisser saisir, tout en gardant une part de méfiance instinctive. Au moins, la présence de cet animal et la nécessité de lui apporter des soins quotidiens avait-il un peu détourné l'attention d'Aphrodite de son sombre rosier… Du moins, Lucas l'espérait. La plante était toujours aussi vivace et magnifique, peut-être même plus qu'elle ne l'avait jamais été ; à croire qu'elle se parait de ses meilleurs atours pour séduire de nouveau son jeune maître… Il ne l'abandonnait pas pourtant. Lucas voyait bien les traces de ses épines sur les mains d'Aphrodite lors des entraînements.

– Quand j'aurais l'armure, tu crois que je ressemblerai à Shaka ?

– L'armure est dorée, mais il n'y a pas de rouge dessus. Tu auras du mal.

– Dommage…

Il regarda l'oiseau qui s'envolait pour aller se poser sur une armoire et suivit sagement Lucas jusqu'au Palais du Pope. C'était là-bas qu'étaient détenues les armures d'or encore sans maîtres, afin de les protéger des concupiscences qu'elles pouvaient créer. Il fallait obtenir l'accord du maître du Domaine Sacré pour qu'elles quittent leur refuge, le jour de l'épreuve pour leurs apprentis. Il était libre de refuser s'il jugeait le prétendant encore insuffisamment préparé.

– Lucas, pourquoi je ne t'affronte pas comme l'ont fait les autres ?

– Tu sais que les autres apprentis ont affronté leurs maîtres, mais c'est parce qu'eux, étaient les Chevaliers d'Or en titre. Moi, je ne suis qu'un Chevalier d'Argent. Il n'y a pas de Chevalier des Poissons comme tu l'as vu, c'est pourquoi les prétendants à cette armure ont toujours été forcés de s'entraîner avec d'autres Saints que celui de leur signe. C'est aussi pour cette raison que les attaques du gardien des Poissons ont été perdues à travers le temps, puisque plus personne ne pouvait les enseigner.

– Qu'est-ce qu'il faut faire alors ?

– Il faut que tu parviennes à revêtir l'armure d'or.

Aphrodite parut surpris.

– Mais ce n'est pas si simple qu'il y paraît, continua Lucas gravement. Il faut déjà que l'armure accepte de sortir de son urne pour aller sur ton corps… Et même si elle le fait, il faudra que tu résistes à son cosmos naturel, que tu arrives à l'égaler puis le dépasser.

– Et… si je n'y arrive pas ?

– Elle te tuera.

Lucas s'attendait à trouver de la consternation ou de la peur sur le visage de son apprenti… Mais au contraire de ses prévisions, il ne trouva que l'habituelle indifférence d'Aphrodite. Il lui sembla presque deviner un mince sourire durant une fraction de secondes. Il aurait tout aussi bien pu dire au Suédois la météo du jour. Il s'était un peu habitué à ce comportement… Pourtant, à cet instant-là, il dut s'avouer que cela lui faisait peur.

Le Pope ne s'opposa pas à ce qu'Aphrodite tente d'obtenir son armure. Cela faisait plusieurs jours qu'il se doutait que la demande allait lui être faite et il s'était intéressé de plus près à l'entraînement du Suédois. Il avait ressenti l'intensité de son cosmos, vu ses capacités. Et son pressentiment à son sujet s'était renforcé : sans qu'il puisse dire pourquoi, il sentait que le gamin était différent des autres apprentis qui s'étaient succédés jusqu'alors. Il fit porter l'urne d'or jusqu'aux arènes. L'obtention d'une armure, qu'elle fut de bronze, d'argent ou d'or, n'était pas un fait confidentiel et les apprentis et autres chevaliers pouvaient y assister si cela leur plaisait. Souvent, ils s'y rendaient afin d'apprécier la technique de combat de leur futur pair, ou pour tromper l'ennui. L'armure des Poissons était l'une des rares qui ne nécessitait pas de combats pour être gagnée, aussi le maître du Sanctuaire ne s'étonna pas du faible nombre de spectateurs présents sur les lieux. Cela était préférable du reste. Aphrodite, toujours fortement sociopathe, pourrait se sentir plus à l'aise… et si cela tournait mal, il y aurait moins de personnes marquées.

En plus de quelques Chevaliers d'Argent, il vit que des Chevaliers d'Or avaient fait le déplacement. Il y avait son disciple, Mû, qui discutait avec Camus du Verseau. La présence de Milo avec ces deux-là ne l'étonna pas, le Grec désormais Gardien du Scorpion n'était jamais très loin du Français. Un peu en retrait, Saga semblait vouloir profiter de l'occasion pour voir ce dont était capable le Suédois. Celui qui le surprit davantage, fut le Chevalier du Cancer. Debout au sommet des gradins, il patientait, le regard braqué en contrebas. Le Pope se demanda sa motivation : Deathmask, bien qu'excellent combattant du haut de ses 10 ans (ce qui en faisait l'un des aînés de l'actuelle confrérie des Chevaliers d'Or), n'était pas reconnu comme appréciant le contact des autres personnes.

Il resta debout au pied des gradins, et attendit que le Chevalier de Cassiopée se soit assis à son tour pour donner le signe à Aphrodite de commencer.

Le gamin inclina doucement la tête et se tourna vers l'urne d'or. Il se rappelait le jour où il l'avait vue la première fois. Son envie de l'ouvrir et de contempler ce qu'elle cachait. L'envie de la toucher. L'urne se mit à briller à mesure qu'il s'en approchait. Visiblement, elle aussi se souvenait.

Dans sa tête, Aphrodite entendait le murmure mélodieux comme jamais auparavant. Il en souriait.


Icare posa la main sur l'urne doucement. Le chant de l'armure s'interrompit brièvement alors que ses doigts caressaient la surface polie, comme s'il voulait apprivoiser un animal sauvage et méfiant. Il sentit l'or chaud sous ses doigts. Il jeta un bref regard par-dessus son épaule et croisa le regard de Saga, assis contre Lucas de Cassiopée. Un chevalier que ne connaissait pas le Grec, mais qui semblait avoir pris Saga sous son aile. L'enfant de 5 ans lui sourit pour l'encourager. Icare laissa sa main glisser jusqu'à la poignée camouflée par les riches décorations et la tira doucement, presque en retenant son souffle. L'urne s'était mise à briller faiblement. L'éclat fut plus fort et lorsque les quatre pans s'ouvrirent, il y eut un bref éclair aveuglant.


Aphrodite se cacha les yeux avec son bras. Quand la vue lui revint, il put contempler ce que l'urne cachait en son sein. L'armure d'or des Poissons trônait fièrement devant lui, brillant de mille feux, sous sa forme de présentation. Aphrodite n'avait jamais rien vu d'aussi beau.

Saga frémit sur son gradin. Mû lui jeta un regard intrigué. Son ami serrait les poings à s'en faire blanchir les articulations. Le Gémeaux détestait l'impression de déjà-vu qu'il ressentait. Il regarda Lucas, plus bas. Il s'était penché en avant. Il devinait que lui aussi s'était tendu.

Le Suédois entendit le murmure apaisant reprendre dans sa tête, toujours plus musical, presque vivant, chaud et réconfortant. Il stimula son cosmos jusqu'à lui faire gagner le même éclat que celui qui parcourait l'armure. A cet instant-là, la protection sacrée se disloqua pour venir l'entourer, répondant à l'appel silencieux. Jusque là, tout allait bien. Aphrodite avait l'impression qu'un souffle l'entourait. Mais quand le casque vint se poser sur sa tête, le murmure se rompit brutalement et se mua en un sifflement aigu. Quelque chose de chaud émanait de l'armure sur son corps. Cela l'étouffait presque. Egaler son cosmos, puis le dépasser… Sinon elle tue. Elle tentait de le dévorer. Malgré la douleur dans son crâne, le Suédois se força à ouvrir les yeux et à se concentrer pour élever son cosmos. Il sentit la pression se renforcer elle aussi.


– Lucas, c'est normal ? demanda Saga inquiet en levant son regard émeraude sur le chevalier.

– Je ne sais pas, Saga…

Saga regarda l'éclat lumineux qui augmentait à mesure que les cosmos d'Icare et de l'armure s'élevaient. A croire que l'un poursuivait l'autre. Une danse funèbre. Icare gardait les yeux fermés et tremblait à présent. Le Grec se colla contre Lucas, qui l'entoura d'un bras protecteur.

– Ne t'inquiète pas, Saga… Si Icare a voulu passer l'épreuve, et que son maître l'a approuvé, c'est qu'il est prêt.

– Mais l'armure, elle le sait, elle ?


Le Chevalier de Cassiopée sentit un cosmos doux l'effleurer. Il reconnut sans mal celui de Saga. Il sentait que celui-ci tentait de retenir sa tension pour ne lui apporter que son soutien. Il l'en remercia silencieusement. Tout était si semblable. Et s'il s'était trompé, comme le maître d'Icare ? S'il avait fallu plus de temps à Aphrodite ?

L'armure lui pesait de plus en plus sur le corps, mais il se forçait à rester debout et droit, seule sa tête était penchée en avant. Il sentait le cosmos brûlant de la protection l'entourer et entrer en lui, traversant son âme pour la disloquer petit à petit. Il continuait à élever son cosmos, obligeant l'armure à faire de même pour ne pas se faire vaincre. Viendrait bien un moment où elle atteindrait son seuil maximal. Il ne pouvait pas la laisser gagner. Il l'avait promis à Shaka.

L'aura de l'armure augmenta brutalement, lui serrant le cœur. Acculée comme une bête, elle tentait une manœuvre risquée. Le sifflement dans sa tête grandit lui aussi, il commençait à perdre sa concentration. Il ferma les yeux et concentra une partie de son énergie pour faire apparaître une de ses roses. Pendant deux ans, il avait désobéi en secret à son maître pour y parvenir. Tant pis pour les conséquences, mais il avait besoin d'elle maintenant. La fleur se matérialisa dans sa paume et il se mit à la serrer immédiatement. Quelques épines se cassèrent contre l'armure qui recouvrait sa main, mais d'autres s'enfoncèrent dans ses doigts. Son cosmos, d'abord affaibli, commença à reprendre le dessus sur celui qui l'attaquait.


Icare mit un genou à terre, les poings serrés. Petit à petit, il se mettait au niveau du cosmos de l'armure d'or. Celui-ci s'était bloqué quelques secondes plus tôt. Elle avait dû atteindre son potentiel maximum. La douleur était grande, il avait l'impression de brûler sur place, mais le plus dur était fait. Même si ça lui demandait des heures, il parviendrait à dépasser le niveau de la protection, échelon après échelon.

Saga tremblait contre Lucas. Les cosmos qui s'affrontaient étaient clairement perceptibles par le public et ils résonnaient avec le sien. Il aurait voulu aider Icare, mais il n'en avait ni les forces, ni le droit. Il ne pouvait même pas lui crier d'encouragements, au risque de le déconcentrer. Pourtant, il voyait bien ce qui se passait. L'armure faisait comme son frère Kânon à l'entraînement. Il le laissait le frapper d'abord, pour le fatiguer, puis faisait mine de se faire battre petit à petit… et quand Saga s'y attendait le moins et était épuisé, Kânon attaquait d'un seul coup et gagnait à chaque fois. Leur maître Loky le sermonnait tout le temps en disant que ce n'était pas loyal. Saga avait envie de demander à Lucas si les armures avaient des consciences.


Tue-moi si tu veux, mais pas avant que Shaka soit revenu !

L'aura de l'armure se renforça brutalement avant de demeurer au même niveau. Son maximum. Aphrodite sourit avant d'avoir un spasme brutal. Il cracha du sang.

Lucas et Saga frissonnèrent dans un même mouvement, alors que sous son masque, le visage de Sion restait grave. Cette fois, l'armure des Poissons était contrainte d'arriver à ses limites. Si le disciple du Chevalier de Cassiopée tenait le choc, il pourrait la vaincre. Il le regarda se redresser doucement, tremblant. Son cosmos recommença à être poussé vers l'avant, vers plus de puissance.

Aphrodite ouvrit les yeux, se forçant à les garder ouverts malgré la douleur qui parcourait sa tête et son corps. Le cosmos de l'armure l'écrasait de plus en plus… à moins que ce ne fût lui qui fut en train de faiblir. Il serra plus fort la rose, laissant échapper un gémissement. La douleur, se concentrer sur elle. Se concentrer sur la rose. Elle l'aiderait à surmonter cette épreuve, comme elle l'avait toujours fait. Il pensa brièvement au rosier, là-bas, dans la maisonnette de Lucas…

Je te protégerai toujours

Il sourit et essuya le filament de sang qui coulait du coin de sa bouche. Son amie était avec lui. Rien ne pourrait le vaincre alors. Le sifflement strident commença alors à se faire moins douloureux. Il semblait redevenir par instant plus mélodieux et murmurant. Ne te laisse pas berner. N'oublie pas les lois. La douceur et les sentiments sont une faiblesse. Ne te laisse pas avoir par la gentillesse. Il continua à augmenter son cosmos.

Règle numéro3.


Icare se relâchait. L'armure redevenait caressante, comme il l'avait toujours connue. Se laissait-elle enfin dominer, lasse de la bataille ? Il sourit…

… et ne vit pas venir la contre-attaque fulgurante de son adversaire. Le sifflement lui déchira les oreilles et le fit hurler alors que l'armure déchaînait toute l'intensité de son cosmos. Elle n'avait fait qu'appâter son poisson dans une direction, gardant ses forces.

Saga hurla lui aussi alors que Lucas lui plaquait le visage contre son corps pour qu'il ne voie pas Icare s'enflammer. Le Chevalier de Cassiopée sentit à peine une larme couler sur sa joue, le regard hypnotisé par le macabre spectacle de l'armure dévorant sa proie trop confiante.


Lucas se surprit à recommencer à sourire. Son protégé prenait le dessus, lentement mais sûrement. Il était parvenu à se rendre au même niveau que l'armure, presque à la limite de ses propres capacités. L'effort devait lui provoquer beaucoup de douleur et lui demander une concentration comme il n'en avait jamais eue auparavant. Le poing qui serrait la rose gouttait de sang en permanence. Elle sauverait peut-être Aphrodite aujourd'hui.

Le gamin le sentait. L'armure allait céder. Elle hésitait entre sifflement et murmure, prise à son propre piège. Tant que Shaka n'est pas revenu, je n'ai pas le droit de mourir… Ma sœur saura m'attendre, elle serait fâchée si je mentais. Je n'ai pas le droit de décevoir Shaka. Il a promis. L'armure et lui étaient côte à côte, il le ressentait. Un dernier effort encore… Et il mettrait cette force à terre… Il étouffa le spasme nerveux qui lui tordit le ventre et concentra une dernière fois toutes ses forces.

Lucas se dressa brusquement en sentant son disciple bander tout son cosmos.

Il y eut un éclat lumineux semblable à celui de l'ouverture de l'urne sacrée, puis les deux cosmos qui s'affrontaient disparurent en même temps.

Le monde blanc, calme et pur… Il se sentait bien, mais lourd…

– C'est normal, il faut te reposer.

La petite fille rit, quelque part. Il ne la voyait toujours pas. Il sentait son regard doux sur lui. Comme il était bien. Il avait envie de dormir dans cette sérénité.

– Mais tu n'as pas le droit de le faire, tu le sais.

Il aurait aimé soupirer, mais aucun son ne sortit de sa gorge paralysée. Pourtant, il voulait tant lui dire qu'il l'…

– Je sais, grand frère, le coupa la voix. Un jour, tu pourras me le dire.

Etait-ce une promesse ?

– Pas la peine de te le promettre. Tout le monde viendra ici de toute façon, un jour ou l'autre.

Il lui tardait.

– Je le sais aussi, soupira la voix.

Lucas, il revient à lui !

Cette voix lui disait quelque chose… Il ouvrit doucement les yeux en gémissant et se retrouva face au visage du Chevalier des Gémeaux. Il sursauta et eut un mouvement de recul. Une main familière se posa de suite sur son épaule pour le rassurer.

– Du calme, je suis là…

Il tourna la tête vers Lucas et se relaxa plus lorsque Saga recula. S'être redressé brutalement lui fit tourner la tête et Lucas le rallongea. Il s'assit sur le bord du lit.

– Comment te sens-tu, Aphrodite ?

– Je suis… fatigué… Mais sinon, ça va…

Il jeta un regard inquiet à la pièce où il était, puis à Saga.

– Saga s'inquiétait, expliqua brièvement le Chevalier de Cassiopée. Alors il a tenu à te voir. Tu es à l'infirmerie du Sanctuaire. On t'a transporté ici pour que tu reprennes des forces et te soigner.

Aphrodite leva la main gauche. On l'avait solidement bandée, mais du sang commençait à imbiber tout de même les pansements. Il n'avait même pas senti à quel point il s'était enfoncé la rose dans les doigts. Un goût de sang restait dans sa bouche. Il ne se souvenait plus de la fin de l'épreuve… Mais s'il était vivant, alors… Il regarda Lucas, lui posant la question des yeux. Son maître lui sourit.

– Tu es le nouveau Chevalier d'Or des Poissons, Aphrodite. Félicitations. Tu t'en es bien sorti.

Le gamin mit quelques instants à réaliser. Il avait dépassé l'armure. Il était un Saint. Aphrodite des Poissons. Il avait tenu sa promesse. Une main se tendit devant lui doucement. Saga s'était rapproché de nouveau.

– Je voulais être le premier Saint d'Or à te féliciter, Aphrodite.

– … Merci, souffla le Suédois sans se saisir de la main offerte.

Saga parut déçu de ne pas avoir obtenu ce qu'il voulait mais n'en fit pas la remarque. Visiblement, il dérangeait Aphrodite, et l'effrayer n'aiderait pas à s'en rapprocher. Il tenterait sa chance plus tard. Il avait le temps maintenant, les entraînements quotidiens du nouveau chevalier seraient moins contraignants. Il salua rapidement Lucas et le gamin avant de sortir.

Aphrodite se détendit lorsqu'il fut parti.

– Qu'est-ce qui est arrivé ? Je ne me souviens de rien…

– Tu as perdu connaissance au moment où tu as surmonté le cosmos de l'armure des Poissons. Tu étais blessé à la main et tu avais des brûlures légères, alors tu as été amené ici pour te soigner. Tu dors depuis deux heures. Les autres Chevaliers d'Or auraient aimé venir te voir aussi, mais je leur ai demandé de ne pas le faire. Tu as besoin de calme.

– Pourquoi Saga était là alors ?

– Il n'a pas voulu se laisser mettre à la porte et a insisté pour rester au moins jusqu'à ce que tu ouvres les yeux. Il est resté debout en silence en attendant. C'est l'aîné des Chevaliers d'Or, il se fait un devoir de veiller sur ses cadets.

– Je n'ai pas besoin qu'on veille sur moi.

– Il ne fait pas ça méchamment.

Aphrodite se contenta de hocher la tête sans conviction.

– Ça va te faire du changement, reprit Lucas pour changer de sujet. Maintenant que tu es un Saint, tu vas aller vivre au Temple des Poissons… Ton Temple.

Cette fois, le mouvement de tête du Chevalier des Poissons fut plus énergique.

– Je… ne vais plus te voir ?

– Bien sûr que si, mais nous ne vivrons plus ensemble. Les Saints d'Or ont pour obligation de garder leurs demeures en permanence pour parer toute éventualité. Aphrodite, tu sais qu'avoir ton armure ne veut pas dire pour autant que tu as fini ton apprentissage. Je peux toujours continuer à t'enseigner des techniques et t'aider à mettre au point tes propres attaques, si tu le désires.

La légère inquiétude qu'avait laissé transparaître l'enfant dans son regard disparut. Lucas se sentait flatté d'avoir une importance pour le Suédois. Il craignait les relations avec autrui, mais une partie de lui les réclamait malgré tout. A moins qu'il ne déforme la réalité dans son envie de compter pour son protégé. Il était l'une des deux seules personnes que connaissait bien Aphrodite. Il lui servait de repère dans un monde qui demeurait en grande partie inconnu pour lui.

– J'aimerais que tu m'aides encore… Tu avais dit que je pourrais apprendre avec mes roses quand j'aurais mon armure. Maintenant, je l'ai…

– Tu veux baser ta technique sur elles ?

– Oui. Elles sont mes amies… Je sais que je pourrai compter sur elles.

– Fais comme bon te semble, Aphrodite. Dans la mesure de mes moyens, je t'aiderai… Mais à présent, une grande partie de ton enseignement, ce sera à toi de la découvrir… Je ne me fais pas trop de soucis, tu es doué, Chevalier des Poissons.

– Ça… Ça me fait bizarre…

– Il faudra t'y habituer… Allez, repose-toi… Les médecins préfèrent te garder encore un peu, pour être sûrs que tu n'as pas de séquelles. Je vais m'occuper de Shaka, ne t'en fais pas pour lui.

– Lucas… En parlant de Shaka…

– Je n'ai pas de nouvelles… Je n'arrive pas à contacter son maître. Le temple où ils ont été est très isolé. Mais je suis sûr que tout va bien. Les Chevaliers de la Vierge sont des gens aux pouvoirs avant tout psychiques. Leur entraînement est très peu physique.

– Ça reste un entraînement…

– Aie confiance en lui. Shaka est… quelqu'un qui ne devrait pas avoir de problèmes de ce côté-là.

– Qu'est-ce qu'il a de si spécial ?

– Tu lui demanderas quand tu le verras…

– Si je le revois…

Aphrodite regarda à travers la fenêtre pour signifier qu'il ne voulait plus parler. Lucas le laissa seul.


Dès le lendemain, Aphrodite put prendre possession de son Temple. Il se sentait bien fluet face à cette immense bâtisse. Il surplombait désormais tout le Sanctuaire comme un aigle veillant les cieux, et il put visiter à son aise ce qui allait être sa demeure pour le restant de sa vie. Il avait notamment découvert dans la partie privée plusieurs plate-bandes de pelouses laissées à l'abandon, ainsi qu'un patio qui avait dû autrefois accueillir une jolie collection de plantes. Il y avait immédiatement replanté le rosier. Enfin sorti de son pot étroit, il allait pouvoir prendre des forces, faire des boutures peut-être… En se servant de son pouvoir de transmutation, il pourrait bien multiplier sa plante jusqu'à avoir une belle roseraie… Non, il n'avait pas le droit de le faire, ses pouvoirs ne devaient être utilisés que pour défendre Athéna et le Sanctuaire… Bon… Il laisserait faire la Nature dans ce cas…

Lucas l'avait aidé à aménager. Cela lui faisait bizarre de penser qu'à présent, il ne verrait plus son maître aussi souvent qu'avant, que quand il rentrerait le soir dans sa chambre, il serait seul ici… A 9 ans, on lui demandait de se comporter en adulte… S'il le fallait, il se soumettait…

Au moins, à présent qu'il était un Chevalier d'Or, il n'avait plus d'autre maître que le Pope et lui-même. Pour la première fois depuis sa naissance, il n'y avait personne à ses côtés pour lui dire quoi faire, comment, où et quand. Lucas était désormais plus un conseiller qu'un vrai professeur. D'ailleurs, au niveau grade, il lui était supérieur. Etrange d'être le chef d'une personne de 22 ans votre aînée… Etrange de voir les autres chevaliers et apprentis osciller entre respect obligé et mépris affiché. Maintenant, il était seul à décider. Une si soudaine liberté. Ça l'effrayait un peu, mais il devait être fort. Cette liberté avait un prix : il n'avait plus celle de choisir. Sa vie était toute tracée : servir Athéna, la protéger, la défendre. Dans cette limite-là, il faisait presque ce qu'il voulait.

Les autres Chevaliers d'Or essayaient bien de lui parler mais il les évitait soigneusement, s'entraînant à l'écart. Certains renoncèrent visiblement définitivement à l'approcher, mais d'autres… Saga tentait régulièrement de nouer un contact. Il s'accrochait malgré son attitude pourtant explicite. A croire qu'il aimait ça. Aphrodite avait un avis plus partagé sur celui qui était le gardien du onzième Temple – et donc, son voisin direct. Un Français, à la chevelure sanguine. Il le voyait souvent avec Saga, alors qu'ils avaient au moins 5 ans de différence, et pratiquement toujours suivi d'un troisième larron aux cheveux marine bouclés. Il avait demandé à Lucas qui était cet enfant perpétuellement en mouvement. Milo du Scorpion. Tu sais, je crois que c'est le seul qui pourrait te battre à la course. Qu'il le batte, tant qu'il ne l'approchait pas. Le Verseau… Camus s'il avait bien saisi son nom… semblait calme et un peu distant, l'inverse même de son compagnon. Il n'était jamais venu lui parler, ne s'était même jamais approché de lui. Il se contentait de lui jeter parfois des regards amicaux aux arènes et lorsque Aphrodite traversait son Temple pour rejoindre le sien. Curieux gamin. Il avait le même âge que Milo et pourtant, son visage affichait déjà une maturité impressionnante. Etait-ce pour ça que Saga le collait autant ? Il avait renoncé à demander des explications au Chevalier de Cassiopée. Peu lui importait la vie des autres. Il avait déjà assez à faire avec la sienne…

Le Grand Pope admirait les étoiles, debout sur la vaste esplanade s'étendant derrière son palais. Qu'il faisait bon de venir ici le soir. L'air était moins lourd, plus doux. Et pouvoir contempler la statue d'Athéna fièrement dressée d'un simple coup d'œil par-dessus son épaule était un privilège dont il osait abuser. Il aimait la voir, son visage doux mais fermé veillant sur le Sanctuaire, sa paume gauche reposant contre son bouclier sacré et la paume droite soutenant Niké, Déesse de la Victoire, sa plus fidèle compagne. Dans son apparat guerrier, elle parvenait à conserver un visage amical. Beauté des contradictions. Déesse de la Guerre et des Arts. Déesse protectrice qui vouait des dizaines de jeunes hommes et femmes à la mort depuis des temps immémoriaux. Sion se demandait parfois jusqu'à quand cela durerait… Quand la guerre contre le Mal s'achèverait-elle enfin ? N'y avait-il eu déjà pas assez de sang versé ? Il ôta lentement son masque et son lourd casque, et les posa sur une table de pierre finement décorée.

Que seraient devenus les chevaliers des générations précédentes, si le Sanctuaire n'avait jamais existé ? Il se plaisait parfois à l'imaginer… Combien seraient devenus des artistes, des fonctionnaires, combien auraient eu une famille, des enfants ? Combien n'auraient pas vu leurs amis mourir sous leurs yeux ?

Sion, il faut que tu tiennes ! Tu verras, on va y arriver !

Dokho… Chevalier de la Balance, je te ralentis, abandonne-moi !…

Tu es blessé… mais je serais ton bras gauche… Je ne te laisserai pas, mon ami.

Il passa une main dans sa chevelure argentée. Que le temps filait… Il ne pourrait pas encore tenir longtemps son rôle…

Soudain, un gazouillement amusé le tira de ses réflexions. Il sentait une chaleur dans son dos… Un cosmos… Il se retourna lentement, incrédule. Au pied de l'immense représentation de la divinité du Sanctuaire, il y avait un petit couffin qui venait d'apparaître. Le bébé qu'il réchauffait appelait à lui. Comment n'avait-il pas senti son arrivée ? Sion s'approcha doucement de l'enfant. Le cosmos émanait bien du petit enfant. Une aura sans commune limite. Elle portait en elle une sagesse comme n'en aurait jamais un humain, même en un millier d'existences. Le Grand Pope prit avec une infinie précaution le couffin dans ses bras et sourit à l'enfant. Il se vit gratifié d'un rire heureux. Il passa une main dans la chevelure mauve naissante du poupon.

– Ainsi, vous voilà revenue parmi nous, Déesse Athéna…

L'enfant sourit et attrapa une mèche de cheveux du Pope dans sa petite main, avant de la mordiller.

– Le conflit va donc reprendre… J'aimerais vous souhaiter la bienvenue… Mais je doute que ce terme soit approprié.

Il porta délicatement l'enfant dans ses bras. Athéna s'était réincarnée, après 243 années de disparition. Sa présence mettait un terme à tous ses récents doutes et lui apportait la sombre réponse qu'il attendait : la guerre contre le Mal allait reprendre sous peu. Les présages n'avaient pas menti. Dans 10 ans, peut-être moins… les chevaliers présents au Sanctuaire et ceux encore en sommeil devraient être prêts à se battre. Jusque là, il faudrait protéger la déesse. En s'incarnant dans le corps d'un être humain, un bébé de surcroît, elle s'obligeait à suivre l'évolution de l'espèce humaine. Son enfance était une période pendant laquelle elle était extrêmement vulnérable. Le Pope se souvenait de l'ancienne réincarnation de Pallas en ce monde. Son prédécesseur l'avait tenue à l'écart du reste du monde pendant les dix premières années de sa vie. Il lui semblait même qu'elle n'était jamais sortie du Sanctuaire, confinée dans son Temple à l'arrière de celui du Pope. Les émissaires du Mal pouvaient précéder leur maître et vouloir tenter de mettre à mort leur ennemie encore inoffensive.

Désormais, le temps leur serait compté. Chaque minute écoulée les rapprocherait d'une fatale issue. Sion revint vers la table de pierre pour endosser de nouveau les ornements qui l'identifiaient comme maître du Sanctuaire, puis revint dans son palais, alertant la garde de l'arrivée de la déesse parmi les hommes.

Les Temps sont enfin là… Comme ce fut long d'attendre, hein ? Tu n'as plus qu'à tendre la main désormais..

Il n'y a aucun obstacle à ton ascension, elle te revient de droit…

On ne vole pas ce qui est à nous depuis le départ, hein ? Cette fillette sera incapable de protéger le Sanctuaire…

Et tu le sais !

Saga ouvrit les yeux brutalement. Cette voix… Cette voix dans son rêve, haineuse, grave, résonnante… Il l'entendait depuis quelques jours… Ça n'avait été qu'un murmure au début, il avait même cru que c'était Kânon qui lui jouait un mauvais tour… Et puis… Elle était devenue plus présente… Si c'était Kânon, le fourbe s'obstinait à mentir en disant n'y être pour rien. Il saurait bien le faire parler. Quelque chose de chaud caressa soudain son cou. Il baissa les yeux doucement. Son jumeau dormait toujours, et son visage, normalement niché contre son épaule, avait glissé dans son cou. Pour une fois, il ne l'avait pas réveillé. Saga sentit la colère qui l'avait animé un instant auparavant disparaître. Non, son frère ne lui mentait pas. Il aurait aimé croire le contraire. A qui était la voix alors ? Cela faisait maintenant quelques jours qu'il dormait mal ou très peu… depuis le retour d'Athéna… Comme Kânon se faisait un malin plaisir à lui rappeler… Bah, ce n'était pas le moment de penser à ça… Il resserra son bras autour des épaules de Kânon, qui poussa un gémissement étouffé avant de se rendormir profondément. Cela fit sourire Saga.

15 ans, élite de l'Humanité, protecteurs d'une déesse, des êtres proches des Dieux… Et nous sommes incapables de dormir chacun dans notre lit…

Quelques jours s'écoulèrent et la nouvelle se répandit rapidement. Il ne s'agissait que d'une rumeur relayée par les gardes, le Pope n'ayant encore fait aucune annonce. Certains doutaient de la véracité du propos, d'autres étaient convaincus qu'effectivement Athéna, grande déesse à qui ils vouaient leurs vies, était bel et bien de retour. Mais aucun n'avait saisi toutes les implications. On se doutait que la bataille risquait de reprendre, puisque leur général faisait son apparition… mais personne n'osait avancer de compte à rebours.

En début d'après-midi, le Pope avait convoqué Saga des Gémeaux et Aioros du Sagittaire, pour une raison qu'il tenait secrète mais qui n'avait échappé à personne au Sanctuaire, et à Rodario, le petit village le plus proche du lieu sacré. Le maître de la chevalerie se faisait vieux et fatigué. Il lui fallait un remplaçant. Il veillait depuis longtemps sur le Sanctuaire et il n'aurait sans doute plus la force de faire face à la prochaine guerre. Il fallait quelqu'un de jeune, dans la force de l'âge, pour le remplacer et épauler au mieux Athéna.

Lorsque les deux adolescents en armure entrèrent dans la grande salle où il trônait, pour venir s'agenouiller devant lui, Sion ne put s'empêcher d'avoir de nouveau un pincement au cœur. Saga et Aioros affichaient respect mais bonté sur leurs visages. Les départager n'avait pas été évident et il y avait longuement réfléchi. A chaque fois, il avait ressenti le même mauvais pressentiment quand il pensait à Saga. Celui qui le poursuivait depuis le jour où, dix ans auparavant, il avait accepté que son frère jumeau le rejoigne.

L'impression de faire une erreur.

Kânon croqua dans sa pomme d'un air absent, une jambe pendant dans le vide paresseusement. Grimper dans les arbres avait toujours été un de ses passe-temps favoris, avec celui d'apprendre à son jumeau qui était le plus fort d'eux deux. En parlant de la vieille branche, elle n'avait pas voulu lui dire pourquoi le Pope l'avait convoquée avec ce tyran d'Aioros… Saga l'ignorait peut-être lui-même… Ce n'était pas pour le blâmer, sinon l'homme en soutane n'aurait pas souhaité la présence du Sagittaire. Cela avait sans doute rapport avec le retour d'Athéna. Les sous-chevaliers pouvaient siffler ce qu'ils voulaient, les Chevaliers d'Or savaient bien que la déesse était bien de retour. Ils le sentaient dans leur cosmos, comme si la belle jeune femme était venue déposer sur leur joue à chacun un tendre baiser. Même s'il n'était pas chevalier en titre, Kânon avait ressenti lui aussi ce frémissement. Et Saga avait recommencé à faire son cauchemar, après une longue période de calme. A cause d'Athéna. Kânon aurait mis sa main au feu que cette reprise n'était pas une coïncidence. Son frère serait bientôt délivré de ce mal qui le rongeait. La déesse était trop jeune pour lui donner le pouvoir… mais pas le Pope. Ce grand-père voulait sûrement se trouver un remplaçant… Saga était tout désigné. Il était bon, beau, fort, aimé de tous. Et bien moins sévère qu'Aioros, son rival direct. Il se refusait à l'avouer, mais le Chevalier des Gémeaux le pensait aussi. Kânon imagina un instant son frère portant la soutane noire du Pope et s'étouffa avec un morceau de pomme en riant. Finalement, son jumeau porterait bien une robe pour avoir le pouvoir…

Tout de même… Il avait trouvé que Saga était très susceptible en ce moment… Depuis l'apparition de cette maudite déesse… Il s'énervait vite sur certains sujets… Kânon ne l'avait jamais connu si soupe au lait… et lunatique. Un instant, il semblait serein et l'instant d'après, tête baissée, son cosmos devenait sombre et froid… Il avait presque l'impression de découvrir son frère chaque matin. Surtout dès qu'il mettait en évidence le bizarre retour du rêve, qui, curieusement, était réapparu avec la déesse… C'était presque si l'inconnu qui avait le visage de son jumeau ne lui cognait pas dessus pour le faire taire… Ce qu'il faisait d'ailleurs durant les entraînements. La force physique de Saga avait augmenté… Il était bien le seul à ne pas s'en être aperçu.

Il faudrait qu'ils aient une bonne discussion tous les deux, après que Saga soit rentré. Si le Gémeaux l'accusait de voir le Mal partout, Monsieur Vertu lui, ne le voyait nulle part… Du moins, c'était l'apparence qu'il voulait donner… Il ne pouvait pas cacher ça à son propre jumeau. Comme tout le monde, il avait une part de Mal en lui et maintenant qu'elle émergeait, il serait bien forcé de l'accepter.

– Pardon, Majesté ?

Aioros ouvrit des yeux ronds en essayant de contrôler sa surprise. A ses côtés, Saga n'avait pas bougé, le visage un peu moins souriant.

– Tu as bien entendu, Chevalier du Sagittaire. J'ai décidé de te désigner comme mon successeur. Tu rassembles toutes les qualités nécessaires pour tenir cette fonction et j'ai toute confiance en toi, répéta de sa voix douce le Pope. Le Sanctuaire a besoin d'un homme comme toi à sa tête, un homme qui dispose de l'intelligence, de la bonté, du courage nécessaires pour le diriger.

Aioros jeta un regard en coin à Saga. Son compatriote n'avait rien dit encore, pourtant il devait être aussi étonné que lui. Tout le monde, à commencer par lui-même, pensait qu'il prendrait la succession du Grand Pope. Certains à Rodario le comparaient même à un dieu tant il était bon et doux. Pourquoi donc avait-il été choisi à sa place ? Poser la question serait insultant… Mais il aurait aimé savoir.

– Votre Majesté… Pardonnez mon insolence, mais… Pourquoi moi ?

– Vous savez tous deux que la confrérie actuelle des Chevaliers d'Or est en grande partie encore trop jeune pour exercer le rôle de Grand Pope. Vous êtes les plus âgés, et déjà reconnus comme des guides par vos pairs et les autres chevaliers. Vous départager… fut délicat. Mais tu ne pourras assumer seul toutes les charges qui tomberont sur tes épaules, Aioros. Il te faudra préparer le maximum de chevaliers possible et prendre soin d'Athéna pour qu'ils soient prêts à affronter une guerre… qui se produira avec certitude dans dix ans. Ce laps de temps est très court. Aussi, l'aide de Saga te sera nécessaire. Chevalier des Gémeaux, acceptes-tu de te dévouer au Sanctuaire et d'assister Aioros, Chevalier du Sagittaire, dans sa noble mission ?

– Oui, avec plaisir, Majesté. Mon seul but est de servir Athéna et la Justice. Aioros sera un Grand Pope parfait.

Aioros n'était qu'à demi-satisfait de la réponse du Pope. Il n'avait pas explicité les raisons et les arguments qui l'avaient poussé à le préférer à Saga, pourtant son aîné d'un an. Et même si le Gémeaux ne le montrait pas, le visage de nouveau souriant comme à son habitude, il se doutait bien que cette nouvelle ne lui plaisait guère.

– Je ne ferai une annonce officielle que dans quelques jours, reprit le Pope. D'ici là, comportez-vous normalement, en vous préparant pour les futures missions qui seront les vôtres. A présent, vous pouvez vous retirer.

Les deux chevaliers inclinèrent respectueusement la tête et quittèrent la salle.

Ils s'arrêtèrent brièvement sur le seuil du palais, sans échanger aucune parole. Saga semblait pensif. Toujours sans un mot, le Chevalier des Gémeaux reprit sa descente du grand escalier puis obliqua en direction de l'un des passages secrets. Il ne voulait pas passer par les Temples… Aioros comprenait qu'il soit déçu. Il lui parlerait plus tard, s'il le voyait aux arènes. Lui-même avait rendez-vous avec son petit frère Aiolia. Le gamin avait exigé qu'il vienne le voir dès que le Pope l'aurait libéré.

Saga gardait les yeux fixés au sol. Quelle mouche avait donc piqué le représentant d'Athéna pour qu'il prenne cette décision ? Il entendait d'ici ce traître de Kânon qui allait s'en donner à cœur joie pour se gausser de lui. Il serra les poings. Contrôle ta colère bon sang, c'est de ton frère dont tu parles ! Le manque de sommeil devait commencer à lui taper sur les nerfs. Il demanderait des somnifères à l'infirmerie si cela continuait. Pourquoi contrôler sa colère ? C'est juste la vérité…

Aphrodite soupira, les mains sur ses hanches.

– Allez Shaka, reviens ! Elle va pas te manger !

L'oiseau le regarda un moment du haut de son perchoir improvisé puis se nettoya une aile sans plus faire attention au Suédois. Normalement, Aphrodite le gardait dans sa chambre, mais il avait laissé la porte ouverte ce matin et le paradisier en avait profité pour s'offrir un petit tour du propriétaire. Jusqu'au moment où il était arrivé au patio et avait vu le rosier. Visiblement, il gardait un mauvais souvenir de sa précédente rencontre avec ce type de plantes. Il s'était réfugié tout en haut d'une moulure de marbre, qui serpentait le long de la vaste salle.

– Je te préviens, si tu reviens pas, moi je viens te chercher ! menaça Aphrodite.

L'oiseau s'ébroua et dédia son attention à l'autre aile.

– Shaka…

– Je ne savais pas que je te faisais penser à une tête d'oiseau, rit à moitié une voix derrière lui.

Le cœur d'Aphrodite loupa un battement et il se retourna dans le même élan. Jamais il n'aurait cru être si heureux de revoir une chevelure blonde de sa vie.

– Shaka, tu es revenu… Mais depuis quand ?

– Quelques heures… Ça m'a pris du temps d'installer mes affaires.

L'Hindou s'approcha et regarda son homonyme.

– Tu as réussi à le guérir à ce que je vois.

– Il avait mangé quelque chose qu'il ne fallait pas…

– Je te remercie de l'avoir sauvé… et de t'occuper de lui, Aphro.

– C'est rien.

Aphrodite observa Shaka. Il avait grandi, ses traits s'étaient un peu affinés, mais il gardait ce sérieux qui le caractérisait. Il ne devait pas avoir à se forcer beaucoup pour jouer les adultes. Shaka sentit son regard et tourna le visage vers lui. Aphrodite se demanda un instant quelle couleur d'yeux pouvait avoir l'Indien… Qu'est-ce qui allait bien avec le blond ?

– J'ai su pour ton armure. Félicitations, avec un peu de retard.

– C'était notre promesse, non ?

– Tu as juste affronté l'épreuve pour ça ?

– Et toi… Tu as réussi ?

Shaka sourit. Il retrouvait bien là son Aphro, toujours prompt à dévier une conversation quand le sujet le dérangeait.

– Oui. Cela aurait été inconvenant de ne pas tenir une promesse. Je l'ai eue il y a peu toutefois…

– Tu es le nouveau Saint de la Vierge alors ? Nos Temples sont éloignés…

– Avec les passages, on peut réduire un peu la distance…

Soudain, les deux gamins entendirent des battements d'ailes près de l'une des fenêtres et virent apparaître deux oiseaux, identiques à celui d'Aphrodite. L'un doré, l'autre bleu. Le fugitif les accueillit d'un pépiement auquel ils répondirent.

– Mais… ils sont toujours là ?

Shaka s'approcha de ses protégés. Si le bleu s'envola vers celui qui restait haut perché, l'autre resta sagement à attendre son maître. Aphrodite était étonné de la mémoire que pouvaient avoir ces animaux. A moins qu'il pensait simplement que le Chevalier de la Vierge allait lui donner quelque chose… Non, il se laissait docilement caresser.

– J'aurais cru qu'ils seraient partis depuis bien longtemps…

– C'est… Mû… Le Bélier… Il leur donnait à manger pour qu'ils restent.

– Il faudra que j'aille le remercier…

Au bout d'un petit moment, l'oiseau bleu redescendit à son tour. Il ne se laissait pas toucher, mais il ne tenait pas à rester trop longtemps éloigné de son maître.

– Tu vas pouvoir les ramener au Temple de la Vierge…

– S'ils le veulent. Je te l'ai dit, je n'ai jamais aimé mettre les oiseaux en cage… Même si elle était grande. Certains êtres… doivent rester libres.

Les deux oiseaux s'envolèrent de nouveau, abandonnant leur compagnon qui n'était toujours pas décidé à bouger. Shaka revint vers le Chevalier des Poissons. Quelque chose avait changé en lui mais il n'aurait pas su dire trop quoi. Peut-être était-il moins tendu qu'avant en présence d'une autre personne…

– Je dois repartir à mon Temple, mais nous nous reverrons plus tard.

– Oui, certainement.

Shaka fit quelques pas.

– Shaka… A-t-on le droit… de prolonger une promesse ?

– Bien sûr.

– Est-ce… que maintenant qu'on a nos armures… On sera quand même ensemble ? Je veux dire… tout le temps?

– On le restera, Aphro. C'est le genre de promesses qui n'ont pas besoin d'être dites.

Aphrodite regarda Shaka le laisser seul. C'était la première fois qu'il se sentait… Comment dire ? soulagé… Soulagé de quelque chose. Peut-être d'avoir à la fois l'armure, Lucas et Shaka dans un même endroit… Son cercle de confiance, celui où il se sentait bien et en sûreté.

Un petit poids vint prendre place sur son épaule.

– Tiens, tu t'es enfin décidé toi ? accusa le Suédois en caressant l'oiseau.

Kânon ne le vit pas venir celui-là. Le coup de poing le fit tomber à terre.

– Tu es malade, Kânon ! ragea Saga. Tu en mériterais un deuxième pour ce que tu oses dire !

Kânon ne s'était jamais rendu compte à quel point se recevoir un coup venant d'un chevalier pouvait faire mal. Certainement parce que c'était la première fois que Saga le frappait avec toute sa rage, et revêtu de son armure d'or.

Saga retournait dans sa tête ce que son frère venait de lui dire. Comme s'il avait besoin de ça en plus aujourd'hui ! C'est un démon… Mais jusqu'à présent, je refusais de le voir… Il regarda son jumeau se redresser, une main sous le menton.

Saga n'est pas d'humeur aujourd'hui à se calmer avec un simple mot…pensa Kânon en jetant un regard aux poings serrés de son frère. Quand il était rentré de son entretien avec le Pope, il avait remarqué son humeur sombre. Saga lui avait brièvement expliqué ce qui avait été décidé. C'était donc à cause d'Athéna et du Pope que son jumeau était anxieux et énervé… Maudits soient-ils ! Il était temps que Saga se libère de leurs entraves.

– Tu veux que je tue Athéna ? Tu te rends compte de ce que tu oses dire !

– Se débarrasser d'elle, mais pas seulement… Aussi de ce Pope qui a eu la bêtise de te préférer Aioros ! Saga, tout le monde sait que tu es plus fort que lui ! Tu méritais… non, tu devais avoir ce poste ! Tu ne vas pas me faire croire que ça ne t'affecte pas quand même !

– Pas au point de rompre mon serment. J'ai juré fidélité et protection à notre Déesse, tout comme toi, et c'est une parole que je n'ai pas l'intention de reprendre ! Je devrais te tuer pour avoir blasphémé de la sorte, Kânon !

– Alors tu vas sagement jouer les chiens-chiens d'Aioros une fois qu'il sera masqué, c'est ça ? Tu ne me feras pas croire ça. je te connais, Saga ! Avoue que ça t'enrage, hein ?

– Il n'y a rien à avouer alors tu n'auras rien à entendre.

Saga dominait son frère toujours à genoux au sol. Il tâchait de contrôler la colère dans sa voix, mais ses yeux fulminaient de rage. S'ils n'avaient pas été frères, Kânon voulait bien croire que le Gémeaux l'aurait déjà envoyé six pieds sous terre. Ce Sanctuaire en avait fait un hypocrite. A cause d'Athéna, de ses préceptes idiots, on avait forcé son frère à toujours être bon, gentil, poli, serviable. Etre à l'image d'un dieu. Mais ce n'était qu'un humain. Et si Saga avalait sans rechigner l'humiliation que venait de lui faire subir le Pope, Kânon ne pouvait digérer cet affront. Il en avait fait un parfait chevalier pendant dix ans, pour maintenant le recracher avec dédain ? Ce n'était pas ce vieux croulant qui avait consolé le Gémeaux lorsqu'il avait fait des cauchemars, ce n'était pas contre lui que s'était blotti Saga quand il était triste, ce n'était pas lui qui avait fait des bandages autour de ses poings blessés. Jamais il ne pourrait tolérer qu'on fasse ainsi du mal à son frère et que l'intéressé continue à dire sagement " Amen " comme on le lui avait appris.

– C'est ça que tu comptes faire alors ? Me tabasser et après, aller gentiment lécher les bottes de Monsieur Sagittaire et de ce vieux morceau de Pope ? Saga, mais réveille-toi ! C'est une injustice qu'on te fait là ! Tu devais avoir le pouvoir, tu devais régner ! Ça a toujours été ce qui a été prévu, j'en suis sûr ! Tu as une force hors du commun, ce n'est pas pour être simplement un second.

– Tu dépasses les bornes, Kânon !

Saga empoigna son frère par le col. Pendant un bref instant, il aurait presque voulu refermer sa main sur sa gorge… A ceux qui blasphèment, quels qu'ils soient, il n'y a qu'un sort à faire… Mais a-t-il réellement tort…? Non, je ne dois pas penser ça… La voix murmurait de nouveau. C'est à cause de Kânon… C'est lui qui la réveille..

– A nous deux, Saga, on pourrait leur montrer ! On pourrait prendre le pouvoir sur le Sanctuaire, sur la Terre ! Tu dis le contraire, mais je sais bien que tu le penses aussi !

– Comment peux-tu prétendre connaître mes pensées, hein ?

– Nous sommes jumeaux.

– Ça ne te donne pas le pouvoir de lire mon esprit pour autant. Kânon, je pensais te connaître moi aussi… Je découvre aujourd'hui ce que tu es réellement. Un démon.

– Mon pauvre Saga, tu ne t'étais jamais demandé pourquoi le Pope se méfiait de moi ?

– Tu en as l'air fier en plus.

– Pourquoi j'aurais honte de ma nature ? C'est ce que je suis, Saga, un démon, autant que toi, tu as l'apparence d'un ange. Grand frère, je laisse parler ce que je ressens, au lieu de recracher bêtement les litanies du Sanctuaire. Si ça fait de moi un démon, parce que je pense librement, alors soit, c'est ce que je serai.

Quand Kânon a-t-il pu autant changer ? Comment j'ai pu ne pas le voir ! … Mais a-t-il réellement tort ?… Non, ne pas laisser la voix avoir le dessus… Le poing se serra sur le col.

– Il est temps de faire tomber les masques, Saga. On te crache à la figure. Tu n'as plus besoin de jouer les serviteurs.

– Que veux-tu dire, Kânon ?

– Toi et moi, on est pareils. Le mal qu'il y a dans mon cœur, il est dans le tien aussi ! Seulement, tu te forces à le nier, à le cacher ! Nous sommes jumeaux, à moi, tu ne peux pas mentir.

– Sale…

Le poing libre de Saga le démangeait de s'écraser de nouveau sur le visage souriant de son frère. Il a raison… Mais cela le rend dangereux… Il me connaît trop bien… Maudite soit la voix… Maudit soit Kânon…

– Espèce de traître ! Si ça te plaît tant que ça d'être un démon, eh bien, tu en connaîtras les tourments alors ! Il n'y a qu'un endroit où le Mal qui t'habite peut avoir sa place…

– Qu-quoi ?

Cette fois, Kânon discernait quelque chose qu'il n'avait jamais vu dans les yeux de Saga. Un éclat rouge comme le sang. Ça le paralysait.

– Dans les entrailles de la Terre, au Cap Sounion !

– Non… Saga, pas ça…

Saga n'écoutait déjà plus, le traînant comme s'il n'était qu'une botte de foin. Le Cap Sounion… C'était un pic abrupt qui se dressait dans la mer, près du Sanctuaire. On y avait dressé autrefois un temple à la gloire de Poséidon, maître des sept mers. Mais les dieux y avaient également dressé, à sa base, une prison, dont les barreaux ne pouvaient être rompus par un simple humain. On pouvait facilement y entrer, mais seuls les dieux pouvaient vous en faire ressortir. En soi, l'enfermement était supportable… Mais la mer se chargeait de torturer le pauvre hère qui y était emprisonné. Elle entrait constamment dans la grotte étroite et la recouvrait plusieurs fois pas jour, complètement. Pendant quelques secondes à quelques heures. Si on ne se noyait pas immédiatement, on périssait d'inanition et de froid. Ou de folie, à force de se débattre contre un sort inéluctable. Il venait toujours un moment où le prisonnier n'en pouvait plus de lutter, où ses forces l'abandonnaient. Personne n'en était jamais ressorti vivant. Pas même les ennemis qu'Athéna, dans sa grande miséricorde passée, enfermaient là-bas.

Et c'était à ça que voulait le condamner Saga ! Non, ce n'était pas possible ! Il… Il ne pouvait pas être sérieux ! Il savait bien que s'il se faisait enfermer dans cette prison…

Rien n'y fit. Ni suppliques, ni menaces. Saga n'entendait plus rien. Kânon voulait juste le réveiller ! Pourquoi son frère ne l'écoutait plus aujourd'hui !

Il se jeta sur les épais barreaux de métal. Mais malgré toute sa rage, pas un ne bougea d'un millimètre. La mer montait déjà jusqu'à ses chevilles et les vagues qui se déchiraient sur les rochers tout proches détrempaient déjà son visage. Le Chevalier des Gémeaux le toisait, debout sur le chemin de pierre taillée qui menait à la prison.

– Sa-Saga ! Délivre-moi ! Tu peux pas me laisser là ! Saga !

– Tu sais que même si je le voulais, je ne pourrais pas. Seule Athéna en a le pouvoir, et elle le fera quand elle t'aura pardonné, quand tu auras été lavé de tes fautes envers elle.

C'était le comble ! Son frère mettait sa survie entre les mains d'un bébé !

– Saga, réveille-toi ! Tu veux me tuer, tu veux tuer ton propre frère ! Personne n'est jamais sorti d'ici ! Saga!

– Tu sais ce qu'il en ait. Maintenant, tu devrais te consacrer au pardon de tes actes.

– Pardon ! Quel pardon! Saga, il n'y a pas de mal à ce que tu profites de cette force que les dieux t'ont accordée ! Que tu reprennes ce qui te revient de droit ! Saga, si tu me laisses ici… Tu prouveras que j'ai raison !

– Je n'ai plus à écouter un démon comme toi.

Saga lui tourna le dos et entreprit de remonter le long de l'étroite passerelle. Kânon n'en revenait pas. Ça n'était pas vrai ! Son propre jumeau ne pouvait pas lui faire ça ! Il savait bien qu'il allait mourir et que personne ne s'en soucierait ! Son frère était la seule personne qui comptait pour lui, et pour laquelle il comptait ! Pourquoi ne voulait-il pas reconnaître l'évidence ? Ils pourraient être si heureux tous les deux, s'il le faisait !

Saga ! Si c'est comme ça… Tu verras… Tu verras que j'ai raison ! hurla Kânon pour que son frère l'entende malgré le fracas des vagues. Ta vraie personnalité, Saga, c'est le Mal ! Tu es le plus maléfique de nous deux ! SAGA !

Il vit la chevelure marine disparaître au sommet du passage avec un serrement au cœur. Ainsi…

Ainsi son frère le trahissait au nom d'Athéna ? Il voulait sa mort à cause de cette pseudo-déesse de bonté? Mais quel être de miséricorde se servirait de cette prison ? Quelle divinité de paix ferait se disputer deux frères ! Rien n'avait jamais réussi à les séparer… jusqu'à aujourd'hui…

Son regard s'assombrit et il lâcha les barreaux, se reculant dans l'ombre de la grotte. La mer montait déjà. Elle caressait ses genoux. Rien que pour faire reconnaître la vérité à Saga, il sortirait d'ici. Il se débarrasserait lui-même d'Athéna, s'il fallait cela pour apaiser son cœur tourmenté. Saga avait fait une erreur en le laissant en vie. Non… Qui que ce fut, ce n'était pas ce frère tremblant dans ses bras qu'il avait affronté aujourd'hui… C'était le visage même de ce Mal qu'il voulait tant étouffer.

– Très bien, Saga… Tu verras que j'ai raison… Tu as déjà un pied dans le Mal, que tu le veuilles ou non. On se reverra.

Il se recula encore et se laissa engloutir par les ténèbres.


Mon propre frère, me trahir ainsi… Je n'en reviens pas… Heureusement qu'il n'est plus un danger…

Saga avait marché longtemps et avait dû batailler avec les éléments pour parvenir jusqu'ici, à cet endroit interdit de tous. Cette colline que l'on disait élevée par les dieux eux-mêmes. Star Hill. L'endroit que l'on disait inaccessible sauf pour les Grands Popes, d'où ils pouvaient lire les étoiles, décoder leurs présages et tâcher de prévoir l'avenir. Que les rumeurs étaient mal-fondées parfois.

Kânon sera bientôt mort, si ce n'est pas déjà le cas…Toujours se méfier de ceux qui vous connaissent mieux que vous-même.

La voix s'était fondue avec la sienne. Ce n'était pas déplaisant. Finalement, elles se ressemblaient.

Le dernier obstacle qu'il me restait à franchir est donc tombé… Il ne me reste plus que cette formalité…

Enfin, il atteignit le sommet de Star Hill. La nuit était tombée depuis longtemps. Il s'arrêta un instant pour contempler le Sanctuaire en contrebas. Les Temples étaient si petits vus d'ici, tellement insignifiants. Certains étaient encore éclairés. Là-bas, encore plus loin, le Cap Sounion disparaissait dans la noirceur, avalé par la mer.

Bonne nuit, petit frère. Tu as eu ce que tu méritais.

Il cessa de sourire en pensant à ce qu'il avait à faire. Plus vite il en aurait fini, plus vite il pourrait aller rejoindre Athéna. Il se dirigea vers le petit temple qui avait été construit là. Le Pope devait s'y trouver.

Est-ce que je… compte vraiment faire… ce crime !

Ne cherchons pas plus… Kânon avait raison dans un sens…Ils te considèrent tous comme un dieu, sauf ce vieux Pope fatigué…

Kânon a raison… Le Mal est…

Il n'y a pas d'homme qui n'ait pas du Mal en lui. Sinon, il serait un ange, pas un homme. Prends ce qui te revient de droit. Tu verras, le Pope lui-même le sait.

Il venait de voir la silhouette vêtue de noir, immobile au bord de la falaise. Il semblait regarder le ciel… L'étoile polaire surtout… Elle était peut-être un peu basse en ce moment, c'était vrai… Saga se sentit oppressé. La voix tâchait de se faire entendre plus, de lui hâter le pas, mais il résistait. Il verrait si elle avait raison ou pas… Il voulait entendre le Pope d'abord. Comprendre. Et qui sait, s'il avait vraiment eu tort, si le sage homme le convaincrait… Il pourrait bien aller rechercher Kânon…

Il n'existe plus de personne de ce nom, oublie-le. Il est déjà mort. Concentre-toi plutôt sur le Pope. Tu verras, tu verras…

Tu auras tort, j'en suis certain…

Il n'avait jamais ressenti la présence de la voix autant qu'aujourd'hui, en cet instant. Dieu qu'elle était froide ! De la vraie glace. Elle venait du fond de lui… Pourtant elle semblait de force égale à la sienne. Elle se débattait pour rester dans son esprit.

– Saga ? Que fais-tu ici ? Comment as-tu pu parvenir en ce lieu ?

La voix du Pope le tira de ces considérations. Il mit un genou à terre. Il était essoufflé brutalement, sans savoir pourquoi.

– Vous oubliez qu'on me compare à un dieu, ça a été un jeu d'enfants de vous rejoindre. Je suis dans la force de l'âge. Combien même Star Hill serait difficile d'accès, du moment que vous, un vieil homme, y parvenez, c'est que je le peux aussi.

– Et que viens-tu faire ?

Saga sentit la méfiance du Pope. Il savait que quelque chose n'allait pas. Ce n'était pas à un vieux singe qu'on apprenait à faire la grimace…

– Je viens vous demander pourquoi votre préférence a été à Aioros. Les qualités que vous avez énumérées, je les possède également, et je ne suis pas inférieur à lui, dans aucun domaine. Bien au contraire. Je lui suis supérieur, depuis toujours. D'autres pourraient vous le confirmer si vous avez encore des doutes.

– Je ne doute pas de tes capacités, loin s'en faut, chevalier.

– Alors, pourquoi ? Répondez-moi.

– Puisque tu insistes, tu vas savoir. Tu te conduis avec pureté et dévotion, tu es l'image même de ce que l'on peut appeler un dieu, c'est vrai. Tu n'as jamais failli à ton devoir et su te rendre utile, non seulement au Sanctuaire, mais également à Rodario. Mais… Il y a en toi quelque chose qui est en opposition avec cette apparence. J'en ignore encore la nature, et j'espère faire une erreur, mais je ne peux m'empêcher de le ressentir.

Tu vois, qu'avais-je dit ? Même lui s'en est rendu compte… Il a peur de toi, peur de cette force qui dépasse la sienne…

Saga, tête baissée, accusa le coup. Il laissa la voix lui susurrer des mots doux à l'oreille. Il s'était donc trop bien comporté aux yeux du représentant d'Athéna ? Cette sourde colère qu'il étouffait depuis quelques temps ne demandait qu'à lui donner raison alors. Il sentit son souffle devenir difficile de nouveau.

– C'est comme si… un démon était dissimulé en toi, Saga… Saga ? Que t'arrive-t-il ?

– Grand Pope… Je ne m'étonne pas que vous ayez survécu à la précédente guerre, vous êtes futé et très perspicace… Un peu trop.

Saga se releva, tête toujours baissée. Ses longs cheveux glissaient de ses épaules. Il vit du coin de l'œil les pointes qui changeaient de couleur… Elles prenaient une délicate teinte argentée, qui s'étendait rapidement à toute sa chevelure. La voix…

– Percer le secret des gens n'est pas quelque chose de très gentil, reprit-il d'un ton qui n'était pas le sien.

– Saga, mais tes cheveux…! Ta…

Le Pope écarquilla les yeux sous son masque. Un homme aux cheveux gris… Comme les vôtres, Maître Sion… Cet homme, ce démon qui en voulait aux armures, c'était…!

– Mais qui es-tu…!

– Quelqu'un que vous n'auriez pas dû contrarier !

Le Grand Pope ne put éviter l'attaque foudroyante qui lui transperça la poitrine. Il n'en revenait toujours pas… Ses forces l'abandonnaient mais… Saga…

– Tu n'es… pas un dieu… mais le diable incarné… murmura-t-il.

– Bye bye, vieillard.

Le Pope s'écroula au sol et Saga retira son poing ensanglanté. Ça avait été plus facile qu'il ne l'avait imaginé finalement. Pour un ex-Chevalier d'Or, c'était ridicule de se laisser avoir comme ça.

– Hé hé, il faut croire que les années avaient endormi tes réflexes… Tu auras tout le temps d'y réfléchir en Enfer… continua Saga comme si le Pope pouvait encore l'entendre.

Il le dépouilla de son casque et de sa toge pour s'en revêtir. Il éclata de rire.

– Béni soit celui qui a décrété que le Pope devait se masquer… Grâce à ça, personne ne soupçonnera le changement de propriétaire… Hormis le Chevalier de la Balance, ce Dokho… mmm… Il reste aux 5 Pics, en Chine, à garder les scellés d'Athéna… Il ne sera pas un problème, et s'il le devient, il ira rejoindre feu son grand copain… Maintenant, il me reste quelqu'un à aller voir… et je pourrai dominer tranquillement ce Sanctuaire, et toute cette chère planète.

Le bébé lui souriait. On ne lui avait jamais appris à avoir peur ou quoi ? Cette gamine était Athéna… Il avait du mal à le croire, même maintenant. Il s'attendait à plus impressionnant que ce rejeton-là. Mais il grandirait. Et toute déesse qu'elle était, elle sentirait le piège… Et elle serait bien plus difficile à vaincre à ce moment-là. Autant en profiter pendant qu'elle était sans défense.

Il leva la dague d'or pur qu'il avait trouvée devant le couffin de la petite fille. Peu importait pourquoi ou comment cet objet avait été déposé ici, il allait lui trouver une nouvelle utilité. Il voulut baisser la lame… mais son corps ne voulut pas suivre. Son souffle se hacha. Il y avait comme un grand cri intérieur dans son esprit.

Non… Non il ne faut pas ! Je ne peux pas faire ça ! C'est Athéna, elle est notre protectrice, nous devons veiller sur elle !

Tais-toi ! Comment veux-tu que cette gamine protège la Terre ? Depuis combien de temps toutes ces guerres stupides durent-elles, hein ? Y a-t-elle jamais remédié ! Moi, je pourrai les arrêter, une bonne fois pour toutes. Athéna n'est pas assez puissante. Mais nous, nous le sommes. Peu importe ton avis, c'est déjà trop tard !

Il abaissa la dague mais une main puissante lui tira brutalement le poignet en arrière, éloignant le danger.

– Grand Pope, mais que faites-vous !

– Aioros…

Le petit enquiquineur… Décidément, il se plaisait à le contrarier aujourd'hui. A croire qu'il aimait les ennuis.

– Aioros, lâche-moi ! ordonna-t-il en se dégageant de la prise du Sagittaire.

– Avez-vous perdu la raison ?

Saga tenta un nouvel assaut contre le poupon, mais la lame ne trancha que du tissu. Aioros tenait contre lui le couffin et ne le lâcherait pas. Que faisait-il ici, au lieu d'être dans son Temple ? Saga rageait sous son masque. Il sentit son souffle s'accélérer de nouveau.

Ecoute Aioros, écoute-le ! Athéna n'est pas notre ennemie !

Dis ça aux chevaliers qu'elle a envoyés à la mort !

– Grand Pope, j'ignore ce qui vous arrive mais… Cette enfant est la déesse Athéna, destinée à vaincre le Mal ! Personne n'a le droit de lui faire du mal !

– N'essaie pas de me gêner, pauvre fou !

Saga lança de nouveau la dague vers le bébé qui continuait à sourire, mais le Sagittaire, d'un rapide mouvement, le frappa au visage. Il lâcha la dague, le masque et le casque tombèrent sous le choc. Saga se redressa tremblant. Comment osait-il seulement le regarder, ce pourceau ! Il en était indigne !

– Mais… Qu'est-ce que ça veut dire…! S-Saga !

– Tu as vu, Aioros… Tu n'aurais jamais dû voir mon visage… C'est un crime qui vous coûtera la vie, à Athéna et toi !

Sans crier gare, il leva la main et concentra son cosmos. Aioros eut juste le temps de s'enfuir par une fenêtre avant de recevoir l'attaque meurtrière. Il avait pris Athéna avec lui.

– Tu ne m'échapperas pas si facilement… La garde ! Il y a un traître au Sanctuaire !

Les gardes s'ameutaient déjà, alertés par l'explosion qui avait retenti. Saga eut juste le temps de se masquer de nouveau et de se calmer un peu avant de paraître devant eux. Sa chevelure avait repris une teinte bleutée, mais la colère sourdait toujours en lui. Du coin de l'œil, il vit avec satisfaction que les Temples des Chevaliers d'Or qui étaient éteints jusque là, s'allumaient à leur tour. Même si ce n'était que des enfants, ils étaient redoutables et dévoués à la déesse.

– Gardes ! Retrouvez Aioros, Chevalier du Sagittaire ! Il a tenté d'assassiner Athéna ! Retrouvez-le et tuez-le! Il doit payer son crime. Que les chevaliers se lancent aussi à ses trousses, c'est un adversaire fourbe et puissant! Empêchez-le de quitter le Sanctuaire, à n'importe quel prix.

Il vit avec satisfaction les gardes s'éparpiller et perçut un éclat doré qui disparaissait. Visiblement, un Chevalier d'Or au moins avait assisté à son harangue. Il avait eu le temps de voir son armure. Le Capricorne. Shura… Un petit hispanique très nerveux mais très fidèle aussi. Aioros avait du souci à se faire. Et quand on lui ramènerait Athéna, il pourrait tranquillement finir ce qu'il avait commencé. C'était presque facile. Finalement, la journée qui avait si mal commencé se terminait avec une tournure assez excitante.

Une fois seul, Saga retourna dans le Temple d'Athéna et ramassa la dague qui était tombée au sol. Il fit jouer la lumière des flambeaux sur la lame aiguisée.

– La prochaine fois, cette dague ne se plantera pas dans des langes, mais dans ta gorge, Athéna.


Finalement, je suis peut-être à l'image de ce lieu… J'en suis peut-être le seul produit possible… Dans une nef de fous, il ne peut y avoir de gens sains… mais ça n'excuse rien… Il a raison…Pardonne-moi, Lucas, ces piètres excuses que j'essaie de me trouver ne peuvent rien arranger…

Lucas, je suis revenu. Je sais que ce n'est pas suffisant mais… Je ne peux rien faire d'autre…

Le silence. Oppressant. Vide. Froid.

Ça ne sert à rien, maintenant, de te dire ça mais… Je suis désolé… Sincèrement désolé… Si je pouvais revenir en arrière, jamais je ne te ferais ce que je t'ai fait ! Je n'avais aucun droit de… Pardon…

Des pas derrière lui. Frissons. Une voix moqueuse.

Tu crois que c'est suffisant, ça, Aphrodite ? Tu es vraiment le roi des hypocrites…

Redressement. Il marche vers lui. Le dépasse.

Suffisant ou pas, c'est tout ce que je peux faire pour racheter ma faute.

Il n'y a qu'un moyen de le faire, et tu le sais.

Yeux qui se ferment un instant. Un seul moyen, oui… Mais je n'ai pas le droit d'y recourir… Pas encore. Pas qui se rapprochent.

J'oubliais aussi que tu es un lâche. Je comprends que tu sois une…

La ferme ! Tu te crois mieux que moi pour me juger !

Moi, j'ai la conscience tranquille, alors baisse d'un ton. Tu ne parles pas à ton oiseau là. Ah oui… J'oubliais… Pauvre Shaka…

Regard transperçant. Il ressemble à… Frissons. Il fait quelques pas. Le vent marin l'entoure.

Comme j'envie Aioros…

Yeux fermés, il danse doucement. Il le regarde.

Il est bien maintenant… Dans un monde de lumière…Je vois le soleil lui caresser la peau…

Il valse, les bras écartés. Le bord de la falaise. Tout proche. Le vide lui caresse le dos. Murmure méprisant.

Tu es dingue, Aphrodite. Complètement dingue.

Sourire amusé. Que faire d'autre de toute façon. Lucas, tu as toujours été d'une grande clairvoyance. Il écarte les bras.

Et si j'allais le rejoindre, hein ?

Rire d'enfant. Un corps qui tombe de la falaise.


– Je vous ai réunis aujourd'hui pour faire part d'une nouvelle importante, Chevaliers d'Or.

Les neuf enfants baissèrent la tête respectueusement en signe de salut. Aphrodite en profita pour chercher Shaka du regard. Il était un peu plus loin, casé entre Camus le Verseau et le Scorpion Milo. Lui s'était retrouvé aux côtés de Deathmask du Cancer et Aiolia du Lion. Il n'aimait pas trop les savoir si près de lui. Il se souvenait d'Aiolia, c'était ce petit garçon qui discutait avec Shaka de temps en temps. Il semblait peiné aujourd'hui, Aphrodite se doutait de la raison de sa tristesse. La tentative de meurtre avait secoué tout le monde. Le Cancer, il le connaissait moins. Il l'avait vu le jour de son épreuve, mais sinon, c'était un vrai fantôme aux arènes. Il parlait peu et aimait rouler des mécaniques en public. Ce qu'il avait fait en venant au Palais du Pope d'ailleurs. Aphrodite caressa sa rose doucement alors que le Pope leur faisait signe de se redresser.

– Vous savez qu'il y a deux jours, un terrible drame a eu lieu au Sanctuaire. Le Chevalier du Sagittaire, Aioros, a montré sa traîtrise en tentant d'assassiner Athéna, profitant que notre bien-aimée déesse soit encore une enfant. Son geste a heureusement pu être arrêté, mais le fourbe a pris la fuite…

Aiolia se mordait les lèvres, les yeux brillants. Shaka et Mû, le Bélier dresseur d'oiseaux, le regardaient aussi avec amitié. Aphrodite avait souvent remarqué que le Lion s'entraînait avec le Sagittaire. Son frère à ce qu'avait dit Shaka. Quel effet ça faisait d'avoir un frère et de le perdre ? Cela faisait-il plus mal que de perdre une sœur qu'on n'avait jamais connue mais qu'on aimait quand même ?

– Le traître a été retrouvé et châtié comme il le méritait, par le Chevalier du Capricorne, Shura.

Shura et Aiolia échangèrent un bref regard. Colère contenue d'un côté, satisfaction du devoir accompli de l'autre. Aphrodite profita du moment de silence qui suivit la déclaration pour compter ses pairs. Il y avait ceux qu'il avait déjà vus… Aldébaran le Taureau en plus… Il manquait deux personnes. Le Chevalier de la Balance, qu'il n'avait jamais vu… et Saga, ce Gémeaux plus collant qu'un chewing-gum. Où étaient-ils donc ceux-là ?

– Mais je dois vous informer qu'Aioros a sans doute fait une victime malgré nos efforts pour l'arrêter au plus vite. Le Chevalier des Gémeaux, comme vous l'aurez remarqué, est introuvable depuis ce drame. Il est à craindre qu'il ait succombé au traître après s'être lancé à sa poursuite.

Murmures dans l'assemblée. Saga était quelqu'un d'aimé et respecté. On espérait qu'il réapparaisse en bonne santé.

Sous son masque, le Pope souriait. Que les enfants pouvaient avaler n'importe quoi ! Les gardes n'avaient pas posé de difficulté non plus. C'était étrange de parler de soi à la troisième personne… Il devrait s'y faire et vite. La moindre erreur pourrait attirer les soupçons en cette période charnière. Il devait jouer au plus juste le rôle du précédent Grand Pope, sinon son subterfuge serait démasqué… Après avoir restauré le calme au Sanctuaire, il pourrait faire ce qu'il avait en tête. Restait un problème urgent à régler…

Il regarda le Chevalier du Bélier, le petit Mû. L'ancien disciple du Pope. Il venait souvent le voir pour qu'il lui prodigue des conseils… Il ne mettrait pas très longtemps à le démasquer. Déjà, au vu de son expression fermée, il semblait qu'il n'avalait pas tout rond la jolie fable qu'il avait concoctée. Ce serait gênant s'il lui offrait matière à aiguiser ses soupçons sans doute naissants. Il réfléchirait à cela.

– Cette perte, ajoutée à celle du Chevalier du Sagittaire, nous prive de deux Chevaliers d'Or. Or, comme vous le savez, notre déesse Athéna s'est réincarnée il y a peu. Cela signifie que sous peu, nous aurons à affronter les forces du Mal, réveillées et libérées du sceau qu'elle leur avait apposé, il y a de cela plus de deux siècles. Je ne tolèrerai plus aucun manquement à vos devoirs de chevaliers, vous qui êtes l'élite de la chevalerie. J'attends de vous fidélité, vigilance et loyauté absolues. La sécurité sera renforcée désormais et vous ne devrez sortir du Sanctuaire qu'avec mon accord, ceci afin de protéger au mieux Athéna.

Aphrodite décodait ce qui était dit. On transformait le Sanctuaire en une prison encore plus fermée qu'auparavant… Pour protéger la déesse, cela valait peut-être la peine. Il regarda de nouveau Shaka. Certains êtres… doivent rester libres. Les humains aussi ? On mettait de nouveau un mors entre ses dents, et il détestait ça. Mais il n'avait pas le droit de se rebeller. Le Pope est la force suprême, hormis Athéna. Ne pas m'opposer à la Force, c'est la loi. La Force est juste.

– Vous vous tiendrez également prêts en permanence à toute attaque éventuelle, reprit Saga. Je ne tolèrerai plus aucun incident ni relâchement dans les entraînements. Avez-vous bien compris ?

Une seule réponse commune. Saga jubilait presque. Qu'ils étaient charmants dans leurs armures, tout dévoués à sa cause, sans même le savoir. Merci à l'éducation du Sanctuaire, d'avoir créé des pantins si dévoués. Il s'attarda à en contempler certains, bien à l'abri derrière son masque.

Camus du Verseau, sauvage et fier… Shaka de la Vierge, celui qu'on disait être la réincarnation du Bouddha lui-même, toujours distant… et Aphrodite… Le petit Poissons, dans son armure étincelante. Il pouvait le regarder tout son saoul cette fois-ci. 9 ans et déjà d'une grande beauté. Il n'osait l'imaginer ave dix ans de plus. Et surtout, toujours hésitant. Saga le sentait et son attitude le confirmait. Pour le projet qu'il formait, Saga aurait besoin du disciple de Lucas. Il serait parfait.

Le Pope les congédia et chacun retourna dans son Temple, hormis Shaka et Mû qui restèrent avec Aiolia. La Vierge avait espéré qu'Aphrodite accepte son invitation visuelle à les rejoindre, mais il avait eu la déception de voir le Suédois décliner l'offre et partir. Il était toujours méfiant envers les autres. Pour l'instant, il avait plus urgent à s'occuper. Eloigné des autres chevaliers et du Pope, le Chevalier du Lion laissait couler d'amères larmes sur ses joues.

Saga se dévêtait, se préparant aux ablutions rituelles pour se purifier. Une autre façon de dire qu'il comptait se prélasser dans les thermes de son palais et savourer son nouveau pouvoir si jouissif. Rendu nu, il se rendit dans la vaste salle où les bains chauds laissaient échapper une légère vapeur. Les glaces présentes dans la pièce s'embuaient peu à peu. Saga réfléchissait.

Il faudrait commencer au plus tôt à former ceux qu'il avait choisis. Il traça sur une des glaces quatre signes zodiacaux. Cancer, Capricorne, Scorpion, Poissons. Les quatre plus impulsifs des Chevaliers d'Or. Deux d'entre eux ne poseraient aucun problème, ils avaient des prédispositions, mais les deux autres… Il faudrait les séparer de ce qui pouvait les retenir à exercer tout l'art auquel il les destinait. Les en couper, sans qu'ils s'en doutent ou les ressentent… Surtout pour Aphrodite. Le Suédois n'était pas enclin à obéir aussi sagement qu'il l'affichait, Lucas l'avait bien dressé. Sans parler de l'influence néfaste de Shaka, qui le pousserait certainement encore à retenir sa fureur, celle qu'exprimait pourtant son cosmos… Quoique… S'il se débrouillait bien… le Chevalier des Poissons se couperait seul de ceux qui le soutenaient. Il aurait le champ libre alors…

Une nouvelle partie commençait. Elle promettait d'être grandiose. Saga effaça d'un revers de la main les signes qu'il avait dessinés et alla se glisser dans l'eau pure.

Quatre chevaliers.

Quatre Cavaliers.

Quatre meurtriers potentiels.

Qui a tué le Rouge-Gorge ?

" Moi "… dit le Moineau.

Avec mon arc et mes flèches, j'ai tué le Rouge-Gorge.

Qui a recueilli son sang ?

" Moi "… dit le Poisson.

Dans mon petit plat, j'ai recueilli son sang.

Qui mènera le deuil ?

" Moi "… dit la Colombe.

Je pleure par amour, je mènerai le deuil.

Qui sonnera la cloche ?

" Moi "… dit le Taureau.

Qui l'a vu mourir ?

" Moi "… dit la Mouche.

Qui portera le flambeau ?

" Moi "… dit la Linotte.

Tous les oiseaux dans les airs poussèrent des soupirs et des sanglots

Quand ils entendirent résonner la cloche pour le pauvre Rouge-Gorge.

Qui a tué le Rouge-Gorge ? – Contes de la Mère l'Oie ( tiré de Comte Caïn, II)


Notes

Artefall, är du snäll : " Reviens-moi, s'il te plaît " en suédois.


Note de l'Isa : La dernière partie reprend pas mal le manga, mais j'aurais eu du mal à rendre l'histoire cohérente si j'y avais passé sous silence et puis j'adore torturer aussi ce pauvre Saga :D Je trouvais intéressant de voir la scène depuis son point de vue à lui… Désolée encore pour la mise en "page", Ffnet est difficile à faire obéir encore, et ça rend la lecture sûrement très pénible…

On se prépare pour la chapitre 3 qui va voir le petit Aphro devenir un grand méchant loup ( enfin, si on peut dire ), préparez-vous, y'aura du sang, des larmes, de la violence, du sexe ( Isa qui tente de vendre son histoire lol ). Plus, les amateurs seront contents, il y a beaucoup de lecture en perspective. A bientôt pour le chapitre 3 : l'Empyrée Noir :)

Et pour les curieux… le titre de la partie ( exprès pour Ffnet ) se réfère à la chanson du rouge-gorge, et désigne ici Saga. Voilà…