Réponse aux reviews :
Mû – Chevalier d'or du Bélier : La tournure de l'histoire ne va faire que s'accélérer promis lol Le yaoi… Mmmmmmm Himitsu desu, pour l'instant héhé, tu verras bien par toi-même, même si on va dire que tu tapes pas loin :) Ce n'est pas encore pour tout de suite, et je précise que ce ne sera rien de vraiment explicite ( quoique… ). Mais j'espère que ça te plaira quand même.
Lilirara : (rougit) Merci, ça me fait plaisir. J'espère que tu aimeras cette suite :D Le rythme reste un peu lent et j'ai du mal avec les scènes d'action mais bon ( auteure qui a honte et qui se promet de faire des sacrifices aux dieux vaudous pour améliorer son style lol )
Genre : Drame psychologique, death-fic, biographie ( ou connerie suprême gagatisante, c'est au choix ), angst, un peu de yaoi. Un genre de conte cruel.
Persos : Les Bisounours lol :D
Précaution : Violence psychologique, physique ( sur enfant ), verbale peut-être ? Mais pas de quoi se relever la nuit…
Disclaimer : Malgré mes incessantes prières et autres rituels vaudous, tous les persos et l'univers de cette fanfic issus de StS appartiennent encore à Masami Kurumada, je n'ai donc aucun droit dessus. Pour les quelques créations qui se perdront dans cette histoire, elles sont tatouées et fichées chez Isatis, donc merci de ne pas les ré-employer sans accord ( surtout Lucas, mon petit Lulu, il est sacré, bas les pattes hein ? ).
Notes : Vous pouvez lire cette fic avec une meilleure présentation, ainsi que (prochainement) voir des ficarts sur mon site perso ( pas encore du tout fini) : Arallou.ift.fr ( la vraie adresse ne passe pas sur consultez mon profil si vous la voulez :) )
UN OISEAU BLEU
CHAPITRE 3 : L'Empyrée noir
Partie 1 : Instinct Animal
" Quand tu danses avec le Diable… C'est pas Lui qui change.
C'est toi. "
Joachim Phoenix – 8 millimètres
Silence. Comme toujours. Profiter du repos. Profiter de Son sommeil. Il se lève doucement et fait quelques pas. Le silence encore et toujours. Enveloppant. Exaspérant. Je hais ce silence. Pour oublier, fait quelques étirements en fredonnant la seule chanson qu'il connaisse. On dirait qu'il danse.
– Eh bien, toujours en forme au réveil.
Sursaut, un regard rapide par-dessus l'épaule. Il voit sa main ouverte tendue devant Lui. De là où il est, je dois avoir l'air de…
– Oui, tu danses dans ma main, mon petit oiseau. J'aime ton chant. Tu me le chantes ?
– Je ne connais pas les paroles.
Mensonge. Il a passé des heures à l'apprendre à la perfection au contraire. Pour faire plaisir à son seul ami.
– Alors siffle l'air.
Voix impérieuse. Frissons. Ne pas l'énerver. Sinon…
– Je… ne m'en souviens plus. Elle va et vient dans ma tête.
Lucas, comme tu serais déçu de me voir ainsi… Idiot que je suis… Tu dois te réjouir au contraire… Sa main reste tendue. Son regard parcourt son corps. Il est doux. Frissons de dégoût malgré tout. J'avais oublié que j'étais nu… Ses yeux me brûlent.
– Tu trembles… Tu as froid ?
Une sorte de prévenance ?… Impossible. Un nouveau piège, encore un jeu… Le regard de son vis-à-vis reste aimable.
– Suis-je bête, je sais bien pourquoi… tu as peur, hein ?
Ne dis rien. La parole est la douleur. Méfie-toi toujours de la gentillesse. Souviens-toi il y a si longtemps… Souviens-toi de cette femme si gentille qui te berçait et te jetait à la gueule du plus terrible des fauves…Un soupir. Il se redresse.
– Aphrodite, viens là, tu vas attraper du mal à rester comme ça.
Attitude inhabituelle. Peut-être sincère. Il retient ses frissons. Profitons-en… C'est ma seule chance peut-être…Il est épuisé. Il s'approche lentement d'un pas chaloupé. Monte sur le lit. L'autre sourit. L'éclat dans ses yeux est revenu. Ne pense pas au dégoût.
– Une chose pourrait me réchauffer…
– Quoi donc ?
Des mains qui se posent sur sa taille. Ses yeux le piquent. C'est si confus en lui. Il approche ses lèvres.
– Un baiser…
Sourire amusé. L'Autre agrippe sa nuque. Frissons. De l'autre main, Il essuie le rouge à lèvres qui teinte sa bouche. Voix presque méchante.
– Tu pensais m'avoir si facilement ? Je sais bien ce que tu rajoutes à ton maquillage, mon oiseau. Si tu veux vraiment me tuer, frappe ici alors…
Son cœur. La main d'Aphrodite le démange. Il la lève. Tremblements. Pensées confuses. Ce serait si simple. Si facile. Il suffirait d'oublier après. Un hoquet. Des larmes amères. Il s'effondre dans Ses bras. Une main douce sur sa tête, dans ses longs cheveux. Je n'en peux plus, il faut que ça cesse…
Une supplique.
– Sauve-moi… Je t'en prie, sauve-moi de…
– Je ne peux pas. Le seul moyen de te sauver maintenant, c'est de te tuer.
Larmes de haine. Mon esprit s'enfonce encore. Je veux que ça s'arrête…
– Je suis satisfait, Chevalier du Cancer. Tu fais un très bon travail malgré ton jeune âge.
Le jeune Deathmask releva la tête avec un franc sourire.
– Vous me donnez des missions intéressantes, Grand Pope, c'est un plaisir de les exécuter.
Ça, je n'en doute pas, pensa Saga derrière son masque. Deathmask était celui au Sanctuaire qui lui posait le moins de problèmes à ce niveau-là. Saga leur réservait, à lui et Shura du Capricorne, les missions " spéciales ", et ils les accomplissaient à merveille après quelques débuts difficiles et de maigres échecs qui n'avaient fait que renforcer leur volonté. Leurs cibles ne s'en tiraient pas en vie. Au début, il avait eu peur que ces enfants ne réussissent jamais, en raison de leur jeune âge. Mais c'était un atout au contraire. Qui se méfiait de gamins de 12 ans ? Même les chevaliers qu'il les envoyait tuer se laissaient prendre au piège de ces visages enfantins. Pourtant, ils reconnaissaient bien les armures d'or qui les couvraient. Un instinct profond et viscéral, propre à l'être humain, les poussait malgré tout à avoir une confiance illusoire en ces petits, à ne pas voir en eux le Mal… Tristes idiots ! Saga n'avait aucune difficulté à visualiser ces meurtres. Deux fauves solitaires épiant leurs proies en silence, attendant le bon moment de se montrer. Puis l'attaque elle-même, rapide et foudroyante. Il voyait très bien le Capricorne agir, rapide, net, précis, usant de sa fameuse technique meurtrière, celle qui se perpétuait parmi les Chevaliers d'Or du Capricorne depuis la nuit des Temps. Il était trop droit et loyal pour jouer de l'avantage de son âge pour apitoyer son ennemi. Par contre, le Cancer… Deathmask, DM comme on le surnommait parmi les apprentis et Chevaliers d'Or, était tout à fait disposé à en faire usage. Saga l'avait observé quelques fois aux arènes, durant les entraînements, au cours de ces deux dernières années. Il n'hésitait pas à user de tous les coups pour gagner, même les plus bas, et cela l'amusait.
– J'en suis ravi, continue à bien les remplir et à atteindre tes objectifs, et tu ne seras pas déçu. Tu es l'un de mes chevaliers les plus efficaces, je serais peiné de découvrir que j'ai eu tort de te faire confiance.
– Confiez-moi toutes les missions qui vous plairont, Majesté, et je vous prouverai le contraire.
Deathmask aimait la mort et donner la mort. Au moins était-il motivé. Saga se demandait parfois s'il ne se rendait pas compte de la nature exacte de ses adversaires. Ceux-ci devaient bien lui parler… avant de mourir. Shura n'y prêtait aucune attention et y traitait de fadaises, fidèle qu'il était. Mais DM, lui…
– Bien, je n'en attendais pas moins de toi. J'ai une " mission " en effet à te confier, mais un petit peu différente de celles que je te donne habituellement. Il s'agit d'une observation.
– Pardon ? fit Deathmask en clignant des yeux.
– J'aimerais que tu observes quelqu'un pour moi et que tu me fasses des rapports de ses activités et comportements.
– De l'espionnage si je comprends bien ?
– Tout à fait, si tu veux appeler ça comme ça.
Le Cancer ne voyait pas trop où voulait en venir le Pope. C'était le rayon de Camus, le Verseau, ça, pas le sien ! Lui n'était pas fait pour la finesse et la concentration, il n'aimait pas ça de toute manière. Il adorait l'action, les choses simples. De toute façon, espionner quelqu'un était le premier pas vers son exécution, alors à quoi ça servait de faire traîner ça en longueur ? Autant agir vite et bien, et éviter des pertes de temps et d'énergie.Mais pouvait-il vraiment refuser un ordre du Grand Pope ? Il était jeune mais pas idiot. Il avait entendu les curieuses rumeurs courant sur le compte de l'homme masqué… Celles qui disaient que certains de ses gardes avaient été retrouvés morts et qu'il n'y était pas étranger…
– Connais-tu le Chevalier des Poissons ? reprit le Pope.
– De vue… Il est assez sauvage… C'est… C'est lui ma cible ?
Espionner des chevaliers ennemis ou non, d'argent ou de bronze, d'accord… Mais un de ses pairs, tout de même… Ce n'était pas qu'il les considérait comme une famille ou de vrais amis, mais ils étaient les seules personnes au Sanctuaire auxquelles il savait pouvoir avoir assez confiance pour leur confier sa vie. Au cours d'une guerre, les Chevaliers d'Or formaient une communauté soudée, chacun empêchant l'ennemi d'avancer vers son voisin.
– C'est lui. Mais ne parle de cible, plus de " sujet ". Il ne s'agit pas ici de traîtres à exécuter mais d'individu à étudier. Comme tu le sais, il se lie très peu avec les autres chevaliers, or j'aimerais en savoir un peu plus sur ses manies, cela peut-être utile. Je compte l'envoyer bientôt en mission et j'ai besoin de connaître ses capacités.
– Mais dans ce cas… Shaka de la Vierge serait plus indiqué, ils sont amis…
Mais Shaka ne mange pas dans ma main quand il s'agit de son Poissons, pensa amèrement Saga. Il aurait pu lui demander, c'est vrai, mais Shaka était malin et son amitié l'amenait à déteindre sur Aphrodite. En deux ans, le Suédois était méconnaissable : pas foncièrement plus ouvert, mais il arrivait plus souvent de le voir un sourire – magnifique sourire d'ailleurs – aux lèvres, ou déambuler au Sanctuaire même lorsque beaucoup de personnes y circulaient. Il discutait, ou plutôt échangeait quelques mots, parfois, avec son voisin direct, Camus du Verseau, et Aiolia du Lion, lorsque celui-ci était déjà en compagnie de l'Hindou. Il surveillait les autres chevaliers et s'en méfiait encore mais au moins leur adressait-il le bonjour lorsqu'il les voyait. Et il avait accepté un combat d'entraînement contre un apprenti qui avait eu l'air de dire quelque chose d'inconvenant sur Shaka…
Saga se souvenait bien de la flamme illuminant ses yeux à ce moment-là, cette haine profonde qui ne demandait qu'à ressurgir, comme cela avait été le cas depuis toujours. Sans toucher une seule fois son adversaire, le Saint d'Or l'avait suffisamment frappé avec son cosmos pour le sonner quelque peu. Puis sans y réfléchir, il avait fait apparaître une rose rouge dans sa main et s'apprêtait à la lancer quand il avait eu l'air de se souvenir de la présence du blondinet. Un " regard " échangé… Et Aphrodite en était resté là. L'apprenti ne l'avait même pas effleuré.
– Grand Pope ? appela Deathmask prudemment.
L'homme parut se tirer de pensées profondes.
– Oui, ils sont amis et c'est pour cela que Shaka pourrait me cacher des informations, dans le but de dépeindre un tableau parfait de son compagnon. Mais toi qui ne connais pas Aphrodite, je sais que je peux avoir toute confiance dans tes rapports.
– Et son ancien maître, Lucas de Cassiopée…? Ne pourrait-il pas vous aider ?
Tout mais pas lui, se dit Saga. A chaque fois qu'il avait ce chevalier devant les yeux… Il lui semblait entendre une petite voix au fond de lui, un vague écho qui prenait de la force par moments. Une relique qui pourrait le perdre, si " l'Autre " reprenait le dessus. Son attachement à Cassiopée affaiblissait les barrières mentales qu'il avait dressées pour l'emprisonner tout au fond de son esprit. Il avait déjà pensé à se débarrasser de lui… mais l'écho devenait cris et hurlements, fureur pure, et " il " manquait à chaque fois de redevenir celui qui contrôlait la machine. Il trouverait bien un moyen de réduire à néant cette menace… Non… Ne touche pas à Lucas… Tu as déjà pris mon frère, tu ne me prendras pas Lucas en prime… Je te l'inter… Il la réduirait à néant plus tard… Il avait mal à la tête à cause de cet autre imbécile qui hurlait.
– Lui non plus n'est pas assez objectif. Essaierais-tu de te soustraire à un ordre, Deathmask ?
– Non, jamais. Pardonnez mon insistance, Majesté.
Le Cancer ne pouvait comprendre. Lucas veillait sur Aphrodite même si aujourd'hui, ils se voyaient plus rarement. Et il se rappelait avoir déjà entendu le Pope et le chevalier évoquer l'aspect sauvage du Poissons. Ils voulaient le faire taire, le museler, là où lui voulait le laisser s'exprimer et le développer. Si Lucas en était mis au courant, il détecterait immédiatement la contradiction de leurs visions. Il pourrait douter, tout comme l'avait fait le disciple du précédent Pope… avant de disparaître… Mû du Bélier… C'était un autre problème à régler… plus tard…
– Ta mission commence dès maintenant. Fais-toi le moins remarquer de lui pour commencer et fais-moi un premier rapport dans une semaine. Je veux ses habitudes, ses fréquentations, tout ce qui peut être utile pour comprendre un peu mieux ce chevalier. Tu verras, ça peut être aussi une activité très distrayante.
Il le congédia d'un signe de la main.
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Quand le Cancer fut sorti, Saga se leva. Son mal de crâne était bien là. Il n'entendait plus l'Autre, mais il lui avait laissé un cadeau en partant… Un bon bain relaxant lui ferait du bien. Voilà deux ans qu'il avait tué Sion et pris sa place et qu'Athéna avait disparu. Le cadavre du Sagittaire qui l'avait sauvée cette nuit-là avait bien été retrouvé, mais son armure et le bébé avaient disparu. Du moins, personne ne savait qu'il aurait dû avoir la déesse avec lui, aussi Saga s'était-il tu et avait-il joué la mascarade en s'occupant d'un bébé imaginaire ; prétextant la sécurité, il n'avait laissé personne d'autre s'approcher du temple où était autrefois gardé le poupon. Cette comédie lui avait permis d'asseoir son autorité et de petit à petit mettre en place sa propre politique de gestion du Sanctuaire, mais parfois… Il se demandait ce qui était arrivé à Pallas. Aioros l'avait-il abandonnée dans un coin, épuisé ? L'avait-il confiée à quelqu'un ? Peut-être… Si c'était le cas, ladite personne possédait certainement aussi l'armure d'or du Sagittaire sans savoir ce que c'était. Tôt ou tard, il la retrouverait.
Il entra dans les thermes et commença à se dévêtir. Un véritable rituel à cette heure-ci.
Pendant un temps, il y avait eu le problème de Mû, le Chevalier du Bélier et disciple de Sion. Juste après son avènement au pouvoir, le petit était venu le trouver pour des conseils, mais son regard portait déjà la méfiance. Evidemment, Saga ne connaissait aucune des matières dont parlait le Tibétain. Et celui-ci, un beau jour, avait purement et simplement disparu, en emmenant sa précieuse armure. Il aurait dû la mettre sous scellés celle-là, le Pope était pourtant persuadé que son propriétaire la prendrait. Mû prétendait depuis toujours que les armures lui parlaient, et qu'il ressentait leurs sentiments. Surtout venant de la sienne. Un souvenir de son maître en plus, qui l'avait portée avant lui… Saga avait en tête deux ou trois endroits où pouvait s'être dissimulé le petit. A 9 ans, il ne pouvait pas se débrouiller totalement seul tout de même… Il avait des espions sur place qui fouillaient discrètement. S'ils trouvaient quelque chose d'intéressant, il serait prévenu. Mais du moment que le Bélier était loin et ne pouvait transmettre aux autres chevaliers ses doutes, Saga se satisfaisait de la situation.
Il restait ses Cavaliers, ses quatre meurtriers. Deux étaient déjà fonctionnels : Shura et DM. Il ne manquait qu'Aphrodite et Milo. Pour l'un, le bon âge était atteint. A 11 ans, les chevaliers étaient des gens bien plus matures que la normale, et le Suédois était naturellement enclin au sérieux, peut-être par sa vie avant d'arriver au Sanctuaire… Il faudrait qu'il se renseigne là-dessus. Milo n'avait encore que 9 ans. Dans deux ans, il pourrait commencer à le former lui aussi. Ce serait plus facile qu'il ne l'avait pensé : Camus, le Verseau, en cours de formation aux techniques d'espionnage, n'était pas souvent au Sanctuaire. Et Milo lui-même semblait envier Shura lorsque celui-ci lui racontait la teneur de ses actes de bravoure. Il ne restait donc comme vrai problème que le Poissons. Ou plutôt ses relations. Shaka et Lucas. Selon ce que dirait Deathmask dans ses rapports, il aviserait.
Avec un soupir de contentement, il s'enfonça dans l'eau, sa longue chevelure argentée glissant autour de lui.
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Le petit Suédois, lumineux dans son armure d'or, était assis sur un rocher face à la plage, en retrait du sable chaud. Il restait au soleil comme il aimait le faire, entouré de quelques pins parasols. Deathmask n'eut pas trop à chercher pour le trouver, peu d'apprentis ou de chevaliers se permettaient de venir ici en pleine mâtinée, au lieu d'aller à l'entraînement. Cela faisait quelques jours qu'il observait la routine de vie du Poissons. Il savait que tous les jours, aux alentours de 11 heures du matin, il venait au même endroit et jetait quelque chose au sol. Il s'était demandé quoi un bon moment. Il avait compris en voyant s'approcher des oiseaux. Des graines, ou des miettes. Le Cancer avait eu envie de rire. Le Saint d'Or séchait l'entraînement pour venir donner à manger à trois piafs qui se couraient après ! Beau spécimen de guerrier ! Il devait faire son manège depuis un bout de temps, car les oiseaux venaient assez près de lui. Certains se risquaient même à venir chercher la nourriture qu'il leur tendait du bout des doigts. C'était vraiment une fillette… Deathmask comprenait que certaines personnes soient de nature très svelte, voire efféminée niveau morphologique… Mais le Suédois cumulait en plus ce trait particulier dans son comportement…
Quoique… Aujourd'hui, quelque chose était différent. Il avait apporté une petite fiole avec lui, dans laquelle se trouvait un tout petit peu de liquide clair. Il s'en était mis sur les mains puis avait pris un peu de graines et avait ouvert les paumes devant lui pour attendre l'arrivée de ses compagnons. Ils ne s'étaient pas faits trop attendre. Les plus téméraires avaient rejoint la coupe formée par les petites mains et picoraient la nourriture enrobée de ce liquide. Ça devait être sans goût… DM se demanda un bref instant si les oiseaux étaient vraiment sensibles à ce détail… Il voulait voir le visage d'Aphrodite. Il avait un très joli dos et des cheveux tout aussi seyants, mais il désirait plus. Sans un bruit, il se déplaça dans le sous-bois clair jusqu'à pouvoir être sur le côté du rocher où le gamin donnait à manger aux piafs.
L'expression d'Aphrodite le surprit. Vide. Ou plutôt indifférente. Il regardait les quelques oiseaux qui mangeaient comme s'il ne les voyait pas, ou que ses yeux se fixaient sur quelque chose à travers ses mains. Il avait un très joli visage. Très fin, même un peu trop pour un garçon, aux traits doux. Plantés au milieu, deux yeux aussi clairs que le ciel, plus foncés que sa chevelure. De là où il était, DM put même remarquer le grain de beauté piqué juste en-dessous du coin de son œil gauche. Il n'y avait jamais fait attention avant. Peut-être parce qu'il ne l'avait jamais approché si près. Le Suédois ne l'avait pas vu à priori, mais il restait prudent et cachait son cosmos.
Au bout de quelques minutes, les oiseaux semblèrent ne plus avoir d'appétit. Les lèvres d'Aphrodite s'étirèrent en un mince sourire et il suivit des yeux les mésanges qui allaient au sol devant lui. Il rangea alors dans le petit sac qu'il avait emmené les graines qui lui restaient dans les mains, les essuya l'une contre l'autre pour décoller celles engluées par le liquide clair et se leva. Bizarre, d'habitude, il laisse les graines ici, remarqua Deathmask en pensée.
Le Suédois tourna brusquement la tête vers lui et le dévisagea de ses yeux félins. DM sursauta, surpris par le geste et l'intensité de ce regard froid et fixe. Il sentit un instant le cosmos du gamin approcher du sien, puis se retirer avant qu'il ait pu y lire quoi que ce soit. Aphrodite sourit de nouveau et sauta du rocher pour disparaître dans le sous-bois.
– Celle-là, je m'y attendais pas, murmura le Cancer une fois qu'il fut sûr d'être seul. Comment il a fait pour savoir que j'étais là, lui ?
Il était certain d'avoir bien caché son cosmos pourtant. Et ce regard… On aurait dit celui d'une panthère. Il n'avait pas remarqué à quel point le Poissons avait de grands yeux.
Un piaillement plaintif le tira de ses réflexions. Il s'approcha du rocher. Les oiseaux s'envolèrent. Enfin pas tous. Ceux qui avaient mangé dans les mains d'Aphrodite restaient au sol, apathiques. Ils avaient l'air d'avoir du mal à respirer. Le Cancer sentait une vague odeur de rose flotter. L'une des mésanges se roula en boule et petit à petit, tomba contre le sol jusqu'à ne plus bouger, bientôt suivie par les autres mangeuses.
– Le merdeux… sourit DM.
Dans son langage, ça désignait surtout sa surprise, non dépourvue d'une touche d'excitation, voire d'admiration.
– Il les a empoisonnées… C'est comme ça qu'il s'entraîne…
Il regarda dans la direction où il avait vu s'éclipser le gamin aux cheveux azur. Il avait voulu tester un poison sans doute et n'avait pas hésité pour cela à apprivoiser patiemment des oiseaux durant plusieurs jours. Un entraînement comme un autre. Il aurait pu donner ce poison au piaf qu'il possédait pourtant, ça lui aurait demandé moins d'efforts et donné des résultats immédiats. Le Cancer entendait chanter un oiseau quand il traversait le Temple des Poissons.
Il sentit l'odeur de rose devenir plus forte.
– Tu m'espionnes ?
Il sentit une présence derrière lui.
– Pourquoi tu crois ça ? demanda-t-il sans se retourner.
– Tu me suis depuis des jours. Tu n'es pas très discret.
Cretino, se fustigea-t-il mentalement. Il avait bien dit au Pope qu'il n'était pas doué en filatures. Pourtant, il avait fait attention.
– Pourquoi tu le fais ? insista la voix d'Aphrodite.
Son cosmos, froid, s'approchait de DM sans le toucher. Il guettait.
– Pourquoi je ne le ferais pas ? Je suis libre de faire ce que je veux, non ? lança le Cancer en se retournant enfin.
Il se retrouva face au regard du Poissons. Il frissonna involontairement. La même expression vide qu'avec les mésanges.
– Fais ce que tu veux, mais loin de moi.
– Si ça ne te plaisait pas, pourquoi tu viens me voir que maintenant ? Tu as bien dit m'avoir repéré depuis un moment.
– Moi aussi, je fais ce que je veux. Ne m'approche pas. Ne me parle pas. Arrête de me suivre.
Vas-y, continue ta liste, j'ai tout mon temps moi, soupira le Cancer. Un ordre du Pope ne pouvait être transgressé. Et puis, il aimait bien ça finalement, observer. Surtout un certain Poissons. Le gamin avait quand même un sacré toupet. Il le dépassait d'une bonne dizaine de centimètres, devait faire le double de sa corpulence et pourtant, le Suédois lui tenait tête. Il ne savait pas à qui il parlait ou quoi ? DM s'étonna lui-même de le laisser faire là où d'autres auraient déjà pris son poing dans la figure.
– Deathmask du Cancer, je te parle.
– Hein ? Tu commences à m'ennuyer avec tes blablas, tu sais.
L'expression resta indifférente mais le cosmos se refroidit encore. Aphrodite avait une jolie voix, aussi douce que son visage, avec un léger accent du Nord. On a la voix qui correspond à sa tronche, pensa le Cancer.
– Alors, tu veux du concret ? Ne m'approche plus. Point final.
Il ouvrit la main et la glissa sur l'air, faisant apparaître une rose rouge. Elle avait le même parfum que l'odeur qui se dégageait des mains du Suédois. Il la tendit à DM, qui la prit par réflexe.
– Sinon quoi ? Tu m'offres des fleurs ?
Deathmask avait envie de rire. Jusqu'à ce qu'il sente les sensations de son odorat s'émousser à mesure que montait le parfum de la fleur.
Aphrodite le dépassa de son pas lent sans rien dire et disparut de nouveau sans se retourner. Le Cancer jeta la rose. Son odorat revint petit à petit. Le poison de ce merdeux venait de ses fleurs… Il avait osé le menacer… Rien que pour ça, il se promettait de lui mettre un coup de poing de côté. Il écrasa la plante d'un coup de pied rageur. Pauvre petit père, tu sais pas à qui tu te frottes. Là, ça devenait personnel. Le Pope avait été bien inspiré de lui donner cette mission finalement. Ils étaient de la même race tous les deux. Celle des prédateurs. Il lui montrerait qui était le plus costaud.
Ils essayaient de passer inaperçus, et ils se débrouillaient bien. Ils parlaient le dialecte local et portaient des vêtements les aidant à se fondre dans la foule. Au début, les gens du coin avaient été étonnés de la présence de ces Occidentaux, ils en discutaient beaucoup entre eux – c'était d'ailleurs grâce à ça qu'il avait su leur arrivée, mais quelques semaines avaient passé, ils étaient restés et faisaient maintenant partie du paysage. Ils posaient des questions au milieu de leurs conversations anodines avec les habitants, des questions destinées à en savoir plus sur l'habitant solitaire des 5 Pics et son protégé. On disait qu'il avait recueilli un enfant peu de temps avant. Quand était-ce ? Une fille, un garçon ? De quel âge ? D'où venait-il ? Qui était sa nourrice ? Pour l'instant, ils n'obtenaient que des informations contradictoires qui les faisaient enrager, mais pas de doute, ils avaient aussi appris des choses les poussant à rester sur place pour éclaircir le sujet.
Le gamin jeta un regard hors de la ruelle où il s'était arrêté. Deux de ces hommes étaient là. Deux Grecs, qu'il reconnaissait bien. Il les avait déjà vus ici, à Langhuishan, et aussi au Sanctuaire. Il soupira et se re-cacha dans l'ombre protectrice. Il se laissa glisser dos au mur, le sac de provisions entre les jambes. Les sales types étaient là pour lui et vu comme ils étaient placés dans la rue principale, il ne pourrait pas leur échapper. Ils s'étaient assis sur des pierres de part et d'autre de la route et attendaient, épiant la foule disparate. Il n'y avait qu'un chemin pour atteindre les 5 Pics, et il ne pourrait pas l'atteindre autrement qu'en suivant la rue. Son maître lui avait toujours défendu de se servir de ses pouvoirs pour autre chose que l'entraînement. Mais Sion n'était plus… Il se résigna et se concentra de toutes ses forces. Une lueur pâle d'une belle couleur dorée l'entoura et il disparut.
L'atterrissage ne fut pas le plus doux qu'il ait connu. Le gamin n'arriva pas à se réceptionner correctement lorsqu'il ré-apparut au-dessus du sol et se cassa la figure. Il gronda et se mit en devoir de ramasser et nettoyer les provisions éparpillées. Il ne connaissait pas trop les environs et avait du mal à jauger le mauvais état du terrain. Au Sanctuaire, c'était différent. Il savait les yeux fermés se diriger, il pouvait se téléporter sans problème presque n'importe où, mais ici…
Il jeta un œil à l'endroit où il était. Une rivière coulait devant lui, entourée de vastes étendues d'herbes épaisses d'un vert sombre. Le chemin de terre où il se trouvait serpentait dans la prairie, sur la rive ouest, et disparaissait plus loin après moult détours, caché par les arbres devenant plus nombreux. Quelques fleurs perçaient le tapis émeraude par endroits. Le gamin en ignorait le nom mais il aimait parfois s'asseoir devant elle et admirer les clochettes mauves ou les pétales dorés et blancs, ou encore contempler les jeux des papillons venus se délecter de nectar. Les montagnes, ce que les gens appelaient les 5 Pics, ressemblaient à de sombres et colossales colonnes soutenant le ciel. Des collines plus petites les environnaient. Il écouta un instant le chant des oiseaux. C'était paisible, mais il ne devait pas trop s'attarder. Langhuishan n'était qu'à deux ou trois kilomètres, et les sales types pouvaient prendre l'idée de venir jusqu'ici. Depuis qu'il s'était enfui du Sanctuaire, Mû n'arrivait plus à utiliser tous ses pouvoirs et ne pouvait se téléporter plus loin. Il se releva, prit le sac dans ses petits bras et se mit à avancer. Il devrait faire le reste du long trajet à pied, que ça lui plaise ou non. A la réflexion, il aimait ça. Il se baladait dans les paysages somptueux et changeants de la Chine ancestrale à loisir. Mais le chemin était fatigant et semblait sans fin. Il aurait aimé avoir ses amis près de lui pour parler avec eux. Aiolia, Shaka, Aldébaran lui manquaient. Il regarda le ciel. Qu'est-ce qu'ils faisaient maintenant ? Est-ce qu'ils pensaient un peu à lui ? Est-ce que, eux aussi, s'étaient aperçus de la supercherie ?
Il se força à ne plus y penser et à continuer sa route en contemplant la forêt où il venait d'entrer. La mousse et le lichen grimpant sur le tronc des arbres donnaient au sous-bois une teinte bleutée agréable, et l'air était empli d'une odeur caractéristique d'humidité et de végétaux mêlés. Il y avait quelques arbustes ressemblant à des rosiers sauvages d'un rouge éclatant dans la pénombre. Un papillon blanc aux ailes zébrées y butinait. Aiolia adorait les papillons. Il avait récupéré la collection de son frère Aioros quand celui-ci avait été tué. Il y avait ici des spécimens qu'il n'aurait probablement jamais. Mû secoua la tête. Aldébaran lui, adorerait voir les belles fleurs roses aux pétales semblables à ceux des lys. Et Shaka, qui aimait tant la mer… Il aurait aimé s'asseoir près de la rivière et écouter le grondement paisible qu'elle produisait. Tout lui rappelait ses amis. Son cœur se serra. Il ne devait plus y penser. Mais il n'y arrivait pas. Il leva les yeux sur les quelques arbres dont le feuillage doré explosait au milieu de leurs confrères plus traditionnels. Mû ne savait pas leur nom, ici les gens les appelaient " gui ". Ils dégageaient une odeur d'olive. Ça lui rappelait les oliviers du Sanctuaire.
Après une bonne heure de marche, et une portion de route plus abrupte que les autres, Mû arriva enfin au petit chemin de terre presque invisible qu'il fallait emprunter pour arriver là où il habitait depuis quelques semaines. On entendait d'ici le vombrissement de l'immense cascade de Rozan, mais s'il continuait, il savait que le chemin la contournerait et irait au sommet du Mont Lushan. Lui vivait plus bas, sur l'un des pains de sucre montagneux. Il prit la bonne direction et poursuivit, jusqu'à voir enfin la belle chute d'eau et les éclats rocheux qui l'entouraient. L'herbe disparut totalement sous ses pieds pour laisser place à de la pierre sombre et polie en partie par les embruns de l'eau. Il alla directement vers la petite cabane en bois non loin pour y déposer le sac qui commençait à se faire lourd dans ses bras.
A l'intérieur, il y avait une jeune fille aux cheveux noirs tressés qui donnait à manger à un bébé, qu'elle tenait contre elle chaudement emmailloté. Elle sourit à l'enfant qui venait d'entrer et le salua en chinois. Il se contenta d'incliner la tête pour lui rendre la pareille, ne parlant pas la langue. Il posa les provisions dans la cuisine et retourna dehors, empruntant un chemin secondaire entre les rochers pour se rendre sur le ponton rocheux le plus élevé. Le vieil ermite qui habitait là attendait comme toujours tout au bout du rocher, fixant le paysage, dos à la cascade. Il tourna légèrement la tête vers Mû lorsque le gamin s'assit à côté de lui.
– Tu as mis beaucoup de temps à faire les courses, mon petit, commença-t-il de sa voix flûtée d'ancien. Encore les hommes du Sanctuaire ?
– Oui, ils sont toujours là. Ils savent que je suis là…
– Ils se doutent mais sans preuve, ils tâtonnent.
– Ils finiront par savoir et viendront ici, Vieux Maître, murmura Mû, anxieux.
L'homme sourit et releva un peu plus la tête pour redresser son large chapeau traditionnel. Ses yeux noirs brillants étaient rieurs. Un brin de vent joua un instant dans sa barbe et ses sourcils broussailleux blancs.
– Mû, crois-tu qu'ils ne seraient pas déjà venus ici s'ils en avaient l'intention ? Ils ne se risqueront pas à grimper jusqu'à nous. Ils cherchent à savoir où tu es et à t'intercepter, mais quand tu es avec moi, rassure-toi, tu ne crains rien. Ces hommes ne sont que des sous-fifres peureux.
– Vous les sous-estimez, Vieux Maître, leurs ordres sont peut-être tout autre…
– Je ne me méprends pas, mais je sais mes forces et les tiennes aussi.
Mû soupira.
– Je n'arrive plus à utiliser mes pouvoirs…
– Parce que tu refuses de le faire. Tes pouvoirs sont toujours là, en toi, mais tu t'empêches de les appeler inconsciemment. C'est peut-être la conséquence de ta fuite du Sanctuaire, ou d'avoir perdu ton maître. Quand tu auras accepté les nouvelles conditions de vie qui sont les tiennes, je pense que tu pourras de nouveau en faire usage.
– Mais… Il n'y a pas seulement ces hommes… Il faut faire quelque chose pour le Sanctuaire, empêcher que… que… ( Il serra les poings mais ne put se résoudre à l'idée ) …que cet homme qui a pris la place de Maître Sion fasse du mal à d'autres ! On pourrait…
– Mû, mon petit… Les idées ne peuvent rien contre la force d'un homme puissant. Tu as à peine 9 ans, moi j'en ai plus de 240. Cet imposteur est dans la force de l'âge et tu as senti son cosmos, tu as toi-même dit qu'il était dangereux. Nous ne ferions que nous faire tuer inutilement par cet homme, tout comme Aioros, et la situation deviendra bien pire qu'elle ne l'est à présent. Il faut être patient.
– Si nous attendons, l'usurpateur renforcera son influence, il envoyait déjà Shura et DM faire des sales boulots. Il pourra aussi lui-même devenir plus fort !
– " Apprends à connaître ton adversaire mieux qu'il ne se connaît lui-même ", tu le sais ; c'était la doctrine préférée de Sion. Tu ne peux combattre ce que tu ne connais pas. Et pour cela, il faut du temps. Cela peut aussi avoir l'effet contraire de celui que tu crains : il se méfiera moins s'il se croit à l'abri. Te précipiter tête baissée n'aidera rien, bien au contraire. Profite d'être ici afin de refaire tes forces, puisque tu es en sécurité. Sinon, tu ne serais pas venu me trouver.
Le vieillard regarda avec bienveillance le petit aux cheveux mauves qui se résigna d'un mouvement d'épaules. Mû, le Chevalier d'Or du Bélier, était arrivé à Rozan deux mois plus tôt, portant son armure d'or et assez inquiet. Il lui avait expliqué que le Pope n'était plus ce qu'il disait être : Sion avait été remplacé sans que nul n'en sache rien et l'usurpateur était un être cruel, au cosmos froid que Mû avait senti un bref instant avant que le Pope le cache. Il avait parlé des bizarreries de son comportement qui l'avaient trahi aux yeux du Tibétain: la création d'assassins, ses crises de colère alternant avec une douceur étonnante, son absence de connaissances là où Sion était incollable, le malaise qu'il dégageait. Etre en sa présence faisait peur à Mû. Il n'avait plus su quoi faire exactement, sentant que son attitude éveillait la méfiance du traître, et quand des gardes avaient été retrouvés morts, il avait pris peur et fuit loin du Sanctuaire, pour trouver un refuge sûr. Le Vieux Maître des 5 Pics lui avait semblé être le plus digne de confiance. Dohko avait cru tout de suite l'enfant, qui, selon ce que lui en disait Sion lors de ses visites, n'avait pas pour habitude de mentir. Il entendit Mû soupirer doucement. Ses yeux verts se posaient sur l'horizon.
– Dohko… Vieux Maître… Vous croyez vraiment que… que Maître Sion est… mort ?
– Je suis désolé, mon enfant.
Mû ferma les yeux et baissa la tête pour que ses cheveux mauves masquent son visage.
Dohko aurait aimé lui mentir, lui dire que Sion allait bien et était simplement captif quelque part, qu'il ne tarderait pas à revenir… Mais à quoi bon se voiler la face ? Si son vieil ami avait été prisonnier, il aurait eu la force de se libérer seul, malgré son âge avancé ; s'il se cachait et avait su que Mû avait fui, il n'aurait pas perdu un instant pour venir le retrouver. Pourquoi dire avec des mots douloureux ce que le cœur blessé de Mû savait déjà ?
L'événement avait eu une telle envergure que même les gens de Langhuishan, minuscule village reculé, en parlaient entre eux. Ils déformaient sûrement les faits et les chiffres, mais le fond de l'histoire, lui, était vrai et certains détails qu'il comportait avaient poussé Dohko à contacter son vieil ami Sion, au Sanctuaire, afin que lui ou ses chevaliers s'y rendent, pour vérifier ce qu'il en était. Lui, les rejoindrait sur place, là-bas, à l'Ouest.
Dans un village perdu sur les Hauts Plateaux du Tibet, l'armée chinoise d'occupation avait organisé une descente pour une raison obscure. Tantôt pour des armes cachées, tantôt pour de la drogue ou arrêter des opposants. Quelle que fût la véritable raison, les choses avaient très mal tourné à Kulushan et les habitants, du moins une partie, s'étaient révoltés et avaient résisté. Les soldats avaient ouvert le feu. Un massacre comme tant d'autres, qui n'avait laissé comme survivants que deux ou trois habitants qui avaient réussi à fuir plus au Nord. Ce qui avait attiré l'attention de Dohko, c'était ce qu'ils avaient raconté sur une jeune femme qui vivait là-bas. La femme ne venait pas du village à ce qu'ils disaient, et avaient eu certains pouvoirs qui lui avaient permis de résister, seule et sans arme, aux soldats chinois qui voulaient lui enlever le bébé qu'elle tenait dans les bras. Elle et son enfant portaient deux étranges points de couleur au-dessus des yeux et n'avaient pas de sourcils. Tout comme Sion. Mais impossible d'en savoir plus sans rencontrer lesdits survivants qui avaient pris toutes les précautions pour se cacher. L'histoire ne disait pas ce qu'il était advenu de l'enfant. C'était lui que Dohko et Sion espéraient retrouver.
Sion en personne, accompagné de quelques gardes en qui il avait confiance, s'était déplacé à Kulushan, et n'avait eu à attendre que quelques heures l'arrivée du Chevalier d'Or de la Balance. Il voulait être aux côtés du Grand Pope. Il n'avait jamais bien su d'où venait le grand homme aux yeux améthyste, mais à ce qu'il avait compris, Sion pensait être seul au monde à présent, sans famille. Il parlait de son peuple comme d'un souvenir. Ses connaissances dans ce qui touchait le monde des armures, ses puissants pouvoirs mentaux et les deux points de vie qu'il portait sur le front semblaient être son héritage. Dohko avait senti son émotion quand il lui avait dit qu'il y avait peut-être une femme et un enfant comme lui.
Ils s'étaient attendus à voir un spectacle de désolation, mais ils durent tout de même marquer une pause après leur entrée dans le village dévasté par les combats. Ils avaient fait des guerres dans des temps passés, mais jamais ils ne s'étaient habitués au sang et aux ravages qu'elles peuvent causer. L'armée chinoise avait eu la décence d'enterrer un grand nombre de corps, mais les rues étaient encore colorées de rouge et les maisons étaient criblées de balles. Quelques-unes avaient été incendiées. Il ne restait que quelques cadavres dans certaines demeures ou dans les environs immédiats, préservés par le froid, que l'armée avait dédaignés et que les quelques survivants avaient ignorés dans leur panique. Le Grand Pope envoya les gardes fouiller les maisons encore intactes pendant que lui et Dohko s'approchaient des corps à l'air libre.
Le temps passait et les fouilles ne donnaient rien. La femme n'avait peut-être été qu'une légende. Et soudain…
– Majesté, venez, nous l'avons trouvée !
Dohko avait senti Sion se raidir sous son masque. Ils s'étaient approchés. Elle était recroquevillée sur elle-même, ses longs cheveux opale foncée noués en tresse lâche. Elle ne devait pas avoir plus d'une trentaine d'année et son visage doux était d'une grande beauté. Sion s'agenouilla doucement et caressa d'un geste tendre et respectueux le front de l'inconnue, où deux points du même bleu que ses cheveux s'estompaient. Les gardes eux-mêmes n'osaient faire de bruit devant le corps de cette femme qui conservait dignité et douceur dans la mort. Personne, sans doute, ne saurait d'où elle venait à présent, ni son nom ou son histoire. Elle était venue là avec un enfant dans les bras, seule. Et s'était battue pour le sauver. S'il fallait en croire les racontars, personne n'avait pu lui arracher…
Le Grand Pope entreprit de desserrer les bras fermés de la femme avec fermeté, aidé par un garde. C'est non sans mal qu'il réussit à prendre dans ses bras le paquet emmailloté dans de la laine que l'inconnue cachait contre elle. Il se releva et entreprit de s'assurer de la survie de l'enfant. Quelques jours avaient passé depuis le massacre, il avait fait nuit et froid, ça aurait été un véritable miracle que…
Un petit grognement mécontent le fit sourire sous son masque. L'enfant, bien qu'affaibli, était bien vivant. Il était aussi pâle que sa mère et ses cheveux mauves naissants étaient de la même couleur que les deux points qu'il portait sur le front. Dohko soupira de soulagement, appuyé sur sa petite canne.
– Eh bien, ce petit est un battant.
– Oui, et c'est une bonne chose. Le cosmos mourant de sa mère l'a sauvé. Il n'aurait pas survécu sinon…
Sion envoya les gardes préparer leur départ et commencer à inhumer les morts qui ne l'avaient pas été, pendant qu'il vérifiait que le bébé n'avait aucune blessure. Le poupon, mécontent et effrayé par le masque que portait son nouveau porteur, se mit à pleurer. Le Grand Pope le berça doucement dans ses bras, et tournant le dos au village et aux gardes qui s'y trouvaient, il enleva son masque pour calmer l'enfant. Le bébé rouvrit ses grands yeux verts et fut rassuré de voir un visage humain doux. Peut-être qu'il lui rappelait son père.
– Voilà, tu vois, je ne te ferai pas de mal, sourit Sion.
– Il a l'air de bien t'aimer, sourit Dohko. Il ne te connaît pas encore !
Le Grand Pope sourit.
– Mais il apprendra… reprit-il avec sérieux. Il rentre avec nous en Grèce.
– Le cosmos qu'il dégage est très faible… Il peut ne pas être destiné à devenir un Saint. Sa place serait plus alors dans un orphelinat où il aurait une chance d'être adopté et d'avoir des parents ou une famille, ne crois-tu pas ?
– Même s'il ne porte pas d'armure, je sais que sa place est près de moi, Dohko. C'est un survivant de mon peuple, tout comme l'était sa mère, et cela seul suffit à en faire un être hors du commun. Tu verras, je suis sûr qu'il t'étonnera.
– J'ai bien hâte de voir cela.
Sion remit son masque et retourna avec lui dans leur véhicule. Il tint l'enfant contre lui durant tout leur voyage de retour vers le Sanctuaire.
Le gamin aux cheveux azurés surplombait les arènes, assis sur un haut rocher. Son regard était fixé plus bas, là où des apprentis s'entraînaient. Depuis quelques minutes, il l'avait repéré. Pas difficile à faire. Il suffisait qu'il apparaisse pour que les chevaliers de rang inférieur s'éloignent prudemment de cette boule de nerfs. Aphrodite avait vite compris le rythme de ce gamin. Il ne s'entraînait que le matin, consacrant l'après-midi à terroriser les apprentis ou à battre le Sanctuaire à sa recherche. C'était mieux quand le Pope l'envoyait en mission, celui-là. Le Suédois détestait sa façon d'épier les autres et d'imposer sa loi avec ses poings. Peut-être parce que cela mettait en évidence combien lui-même était faible physiquement. Raison de plus pour ne pas laisser les autres s'approcher de lui. La Force, toujours être la Force. On l'est, quand les autres pensent l'être. Il fit jouer la rose entre ses mains, le regard suivant toujours les mouvements de ce sale gamin qui, vu d'ici, était tout petit. Un microbe. Il terrifiait les autres. Lui n'en avait pas peur. Il l'exaspérait à le suivre et l'espionner. Il allait lui faire lâcher prise. Il porta la rose à son visage pour en humer le parfum délicat.
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Deathmask avait beau chercher partout dans les arènes, aucune trace du Poissons. Il venait de retourner le Sanctuaire presque en son entier pour lui remettre la main dessus, vainement. Le matin, il l'avait suivi de nouveau jusqu'à la clairière. Le môme avait donné à manger à des oiseaux suicidaires, puis était reparti, sans avoir remarqué sa présence visiblement. Pourtant, Deathmask savait très bien qu'il avait eu conscience de ne pas être seul : plusieurs fois, Aphrodite avait parlé à haute voix, visiblement aux oiseaux, mais il n'était pas dupe… Ça fait plusieurs fois que je te vois, toi, au milieu des autres. Tu sais pourtant que tu ne dois pas t'incruster. Ils pourraient te faire du mal à force, tu ne crois pas ? Maudit gamin. Une micropuce qui se croyait supérieure à tout le monde et se payait même le luxe de se moquer de lui ! Il méritait un bon dressage, comme il l'avait fait aux autres apprentis et chevaliers inférieurs. Le Pope ne serait pas averti si les dociles jeunes gens témoins de la scène restaient aveugles, muets et sourds. Ce serait encore mieux s'ils perdaient la mémoire.
Il refit le tour de l'arène principale pour s'assurer que le gardien du dernier Temple n'était pas arrivé entre temps. Toujours aucun signe. Il aurait dû être plus vigilant à midi, au réfectoire. Aphrodite avait été manger avec Shaka et Lucas de Cassiopée, comme il le faisait tous les jours. Nouveauté du jour tout de même : il avait supporté la présence du Lion. D'habitude, il s'empressait de finir de dîner quand il voyait arriver le Grec et de repartir. Deathmask sourit. Jaloux, merdeux ? Parce que Chaton tourne autour de Sa Sainteté ? Peut-être. Il creuserait un peu plus la question. Et puis, Shura était arrivé vers lui et ils avaient discuté… et le Poissons en avait profité pour disparaître. Trois heures qu'il le cherchait maintenant, il commençait à déclarer forfait. Il avait bien tenté d'appeler son cosmos pour le localiser, mais le mioche dissimulait parfaitement le sien. Il s'arrêta, mains sur les hanches. Il n'avait même pas envie de se défouler sur un apprenti pour calmer sa frustration.
– DM ? Tu as l'air énervé plus que d'habitude. Aurais-tu perdu ton punching-ball ?
Le Cancer soupira en adressant un regard fauve au Verseau. Il n'avait pas remarqué sa présence.
– Epargne-moi tes sarcasmes, le Glaçon. Je suis occupé.
– Oui, j'ai remarqué ça. Tu cherches quelque chose ?
Il ouvrit la bouche pour lui lancer une pique – et pour que le rouquin lui fiche la paix. A cet instant, quelque chose passa juste à côté de son visage et se planta au sol. Camus sursauta sous l'effet de la surprise. Le Cancer regarda la rose rouge qui venait de lui effleurer la joue, puis regarda par-dessus son épaule. Un peu cachée par l'éclat du soleil, il distingua une silhouette haut perchée, sur un amas de rochers un peu éloigné.
– Je crois que je viens d'y retrouver… marmonna-t-il.
– On dirait que quelqu'un ne t'aime pas beaucoup, remarqua le Verseau en se saisissant délicatement de la fleur.
– Non, rassure-toi, bientôt, il me roulera des patins quand il me verra.
Camus ne fut pas touché par le grand sourire de son vis-à-vis, et sembla étudier un instant la rose. Son examen semblant concluant, il respira le parfum doux. Deathmask ne put s'empêcher de penser qu'il ne savait pas ce qu'il faisait.
– Cette rose sent bon. Tu devrais la garder.
– Sans façon. T'auras qu'à la rendre au Fleuriste, maugréa DM.
Il contempla la silhouette lui faire un salut de la main. Son espionnage du jour avait lamentablement foiré. Il n'avait pas dit son dernier mot. Sans adresser un mot de plus au Verseau, il haussa les épaules et sortit des arènes.
Aphrodite avait hésité. Il aurait aimé lui lancer une rose autrement plus agressive, mais Camus l'avait gêné. Il n'était pas sa cible. Et Shaka avait l'air de l'apprécier. Il regarda le Cancer qui s'éloignait avec un sourire prédateur. Il allait avoir la paix pour la journée.
– Tu n'es pas censé t'entraîner, jeune homme ? fit Lucas en s'approchant de son ancien disciple.
Aphrodite lui adressa un mince sourire.
– Je le fais. Tu as toujours dit qu'observer son ennemi est important.
– Un ennemi ?
Lucas jeta un regard en contre-bas.
– J'observe aussi les amis, se rattrapa le Suédois.
Le Chevalier de Cassiopée remarqua Camus du Verseau et la rose qu'il tenait dans les mains. L'hameçon avait toutefois du mal à être avalé. Lucas savait que Camus ne comptait pas dans les amis du douzième gardien. Pourtant, il n'était pas non plus une personne qui s'en prendrait aux autres sans raison.
– Lucas, pourquoi tu ne me parles jamais de toi ? lança Aphrodite pour dévier la conversation.
– Parce qu'il n'y a rien d'intéressant à dire.
Manœuvre pas assez habile pour ne pas être grosse comme une maison. Mais le chevalier fit mine de se laisser prendre au jeu. Cela faisait quelques jours que le comportement d'Aphrodite l'intriguait… ainsi que d'autres affaires du Sanctuaire. Comme la soudaine disparition du Bélier.
– Moi, j'aimerais en savoir plus. Toi, tu sais tout de moi, ce n'est pas équitable.
– Je ne sais pas tout, juste ce qui m'a été nécessaire pour t'entraîner. Si tu y tiens, peut-être que je t'en dirai plus… Mais pas ici, ce n'est pas l'endroit, tu ne crois pas ?
– Comme tu veux. Pourquoi tu es là ? Ce n'est pas pour me rappeler à l'ordre, tu sais que je ne m'entraîne pas quand il y a du monde.
– C'est vrai. J'ai quelque chose à te demander, reconnut le jeune homme en s'asseyant à côté de lui. Tu connaissais le Chevalier du Bélier ?
– Mû ?
– Oui.
– Non, pas vraiment. Je sais juste que c'était l'apprenti du Grand Pope… Shaka m'a dit qu'il venait du Tibet. Pourquoi, tu t'intéresses à lui ?
– Je m'interroge sur sa disparition. Tu ne trouves pas ça étrange, toi ? C'était quelqu'un de fidèle à sa place pourtant.
– C'est un enfant. Il a 9 ans, Lucas. Il n'a pas disparu, il a fui. Avec son armure.
– Pour fuir, il faut avoir peur de quelque chose.
– Si c'est vrai, je ne sais pas quoi, Lucas, tu perds ton temps. Il y a des tas de raisons qui ont pu le pousser à partir. Ou la lâcheté.
– Je trouve étrange tout de même que le Grand Pope n'en soit pas plus affecté.
– Il n'était plus son disciple.
– Ça n'empêche pas que des liens se tissent entre les maîtres et les apprentis. Si tu disparaissais, je m'inquièterais.
Aphrodite cacha sa surprise. Son maître se soucierait vraiment de lui ? C'était la première fois que quelqu'un semblait s'attacher à lui. A moins que ce ne fut qu'un écran de gentillesse destiné à le tromper. Dans le doute, il préféra s'abstenir de laisser ses pensées cavaler.
– Tout le monde ne réagit pas comme toi. Le Pope a des responsabilités. Il est très occupé. Il doit chercher un remplaçant.
Lucas ne croyait pas en cette version que lui avait déjà présentée Milo du Scorpion quand il l'avait interrogé. Ces enfants étaient trop jeunes pour le savoir, mais les Saints n'étaient pas des Kleenex qu'on pouvait changer et remplacer à loisir. Ils résultaient de plusieurs facteurs très complexes qui n'étaient pas courants. Particulièrement les Chevaliers d'Or. Ceux qui étaient au sommet de la hiérarchie du Sanctuaire étaient uniques. Leurs armures étaient différentes de celles de bronze et d'argent. Elles restaient attachées à leurs propriétaires précédents et ne se laissaient guère dominer par de nouveaux prétendants. L'armure des Poissons l'avait démontré pendant 243 ans. Celles du Sagittaire, et à présent du Bélier, bien que disparues, n'avaient toujours aucun successeur potentiel dans les nouvelles recrues qui s'entraînaient. Et celle des Gémeaux restait dans le Temple qui portait son nom, gardienne silencieuse. Mû disait parfois qu'il l'entendait pleurer. Remplacer un Saint en vie n'était pas envisageable. Le Grand Pope le savait mieux que quiconque. Lui qui était attaché à son disciple, son attitude était étrangement calme.
– Peut-être.
– Tu t'inquiètes trop, Lucas. Le Pope sait ce qu'il fait.
– Tu as sûrement raison. C'est le défaut des adultes, tu sais.
Aphrodite resta silencieux. Au bout de quelques instants, il se leva brusquement.
– Je vais te laisser, Lucas. Peut-être à plus tard.
Sans attendre, le Chevalier des Poissons s'éloigna et disparut rapidement en direction d'un passage secret qui lui permettrait de rejoindre discrètement le douzième Temple. Lucas se demanda quelle mouche l'avait piqué. Il sentit bientôt l'aura du Chevalier du Cancer venir dans sa direction. Le gamin au regard fauve le dépassa comme s'il n'existait pas et poursuivit sa route le long de l'escalier, probablement pour rentrer dans son Temple. Le Saint de Cassiopée trouvait la coïncidence étrange. Le Cancer était-il l'ennemi dont parlait Aphrodite ? Il connaissait sa réputation d'adolescent violent. Le petit Italien avait peut-être déniché une nouvelle tête de Turc. Il surveillerait ça.
Il se rappela à l'ordre mentalement. Aphrodite était maintenant un chevalier à part entière. Il saurait bien se débrouiller seul. Tu t'inquiète trop, Lucas. Tu n'as pas tort, mon petit Aphrodite. Il se leva à son tour. C'était l'heure de son entraînement, cela lui changerait les idées.
Du balcon de son palais, le Pope contemplait le Domaine Sacré en maître tout-puissant. Les choses allaient dans le bon sens. Certains de ses espions de la région de Langhuishan avaient signalé la présence d'un enfant pouvant correspondre à Mû, mais ils attendaient plus d'informations pour le confirmer. Ceux qu'ils avaient envoyé au Nord de la Grèce lui avaient fait un rapport assez semblable. Ses assassins fonctionnaient bien, l'autorité du Sanctuaire commençait à bien s'étendre et les rebelles, à diminuer. Quant à la surveillance du Poissons, DM lui transmettait des rapports un peu lacunaires, mais qui lui permettaient déjà d'imaginer quel assassin parfait il pourrait être. Vif, silencieux, surprenant. Le Cancer semblait dire qu'il était faible. Avait-il déjà oublié le jour de l'épreuve ? Le cosmos qu'avait dégagé le Suédois ? Comment il avait proprement maté son armure ? Ça n'attendait qu'une étincelle pour ressurgir. Finalement, il pourrait l'envoyer plus tôt en mission. Il attendait juste un complément d'informations.
Ce qui le contrariait par contre : les bruits que lui avaient rapportés quelques gardes. Certains Chevaliers d'Argent, sans vraiment se rebeller, posaient trop de questions sur les actions du Sanctuaire, voire ses faits et gestes à lui. Daidalos de Céphée, l'aîné de deux frères, sur l'Île d'Andromède… Desdérone du Cocher, envoyée en mission en Amérique du Sud… et bien d'autres, au sein même du Sanctuaire, comme Scheatz de la Petite Ourse. Et Lucas de Cassiopée. Celui-là commençait à être trop curieux. Il était pénible.
Le mal de tête reprit le Pope. Il rentra dans ses appartements et retira son casque, se passant une main sur le visage.
Laisse Lucas tranquille. Laisse-les tous tranquilles. Tu as assez fait de mal comme ça, arrête tout ça !
– Tu me casses les oreilles à brailler… Mes méthodes sont un peu rudes, je le reconnais, mais tu verras qu'elles serviront.
Tu tues des innocents ! Je ne te laisserai pas faire !
– Aahahahahahahaha ! Mais vas-y donc, essaie de m'en empêcher ! Tu n'es qu'une voix nasillarde dans notre corps.
Mon corps, celui que tu m'as volé. Je le récupèrerai, sois-en sûr, je…
– Arrête ça. Si tu veux te bercer d'illusions, fais-le, Saga ! Mais tu seras forcé de reconnaître la vérité : nous sommes un et indivisible, ça a toujours été ça ! Toute lumière a son ombre ; je suis ton ombre, celle que tu as voulu nier. Tu as besoin de moi. Regarde comme nous sommes bien ici, à la tête du Sanctuaire. C'est là que nous aurions toujours dû être. Et ce n'est pas grâce à toi, la Sainte-Nitouche.
Tu n'es qu'un monstre qui…
– Monstre ? C'est moi, le monstre, Saga ?
Un sourire mauvais étira les lèvres du Pope. Il alla devant l'un des miroirs de son cabinet de travail. Il plongea ses pupilles sombres cerclées de sang dans celles de son reflet.
– Saga, rappelle-moi un peu qui a emprisonné son propre jumeau au Cap Sounion et l'a laissé s'y noyer ? Tu imagines combien de temps il a dû se débattre, contre l'eau, contre la faim, le froid, la solitude ? Cinq jours ? Sept ? Peut-être plus.
Tu… Tu avais obscurci mon jugement… je…j'aime Kânon, jamais je n'aurais…
– Oh que non, tu as fait ça en toute connaissance de cause. Tu es plus un monstre que moi. Je tue ceux qui menacent le Sanctuaire et la paix qui y règne. Toi, tu as liquidé ton frère parce qu'il te gênait.
La voix de l'Autre ne se fit pas entendre. Il retourna s'asseoir à son bureau.
– Mon pauvre Saga, tu finiras par accepter le poids de tes péchés, sourit-il. Maintenant, laisse-moi travailler à renforcer notre position.
Le Pope se calla confortablement dans son fauteuil moelleux. Les chevaliers qui doutaient n'étaient pour l'instant pas dangereux. Ils n'avaient que des soupçons vagues. Il verrait comment ils évolueraient et prendrait les mesures qui s'imposaient le cas échéant. Ils tiendraient particulièrement à l'œil ceux du Sanctuaire. C'était eux les plus menaçants.
Le soleil brillait ce jour-là. Il avait fait chaud et beau. Le ciel se mêlait à la mer. Cela faisait si longtemps qu'il était parti. Il avait oublié comme son pays resplendissait durant la saison estivale.
– A quoi penses-tu ?
Il avait presque oublié la jeune femme à ses côtés.
– Pardon ?
– Quand tu regardes dans le vague comme ça, c'est que tu penses à quelque chose, reprit-elle avec malice. Comment s'appelle-t-elle ?
Elle sirota un peu de son diabolo menthe, attendant sa réponse. Le jeune homme se rassit correctement dans son fauteuil en osier.
– Je pensais à ici. Pas à une jeune femme.
Il lui sembla voir un sourire soulagé sur les lèvres de sa vis-à-vis. Elle rejeta en arrière ses longs cheveux d'un mouvement de main élégant.
– Il y a longtemps que tu es parti, en effet… Juste après la mort de tes parents. C'était… il y a presque quinze ans maintenant, non ? Où as-tu été depuis tout ce temps ?
– Ce n'est pas quelque chose d'intéressant à te dire.
Il but un peu en cherchant quelque autre sujet de conversation.
– Je pourrais te retourner la question, Relyss.
– J'ai été étudier à la capitale et je suis de retour ici depuis l'année dernière.
Il regarda l'alliance qu'elle portait.
– Depuis combien de temps ?
– Deux ans, répondit-elle brièvement en suivant son regard. C'est peut-être jeune, c'est vrai… Mais… Je sais que je serais heureuse avec lui… Je sais que ça va te paraître idiot… mais si tu étais resté…
– Pas la peine d'évoquer ça, puisque ce n'est pas comme ça que ça s'est passé. Les regrets ne servent à rien. Je suis heureux pour toi. Tu mérite de connaître le bonheur. Je mène une vie… dissolue, murmura-t-il en regardant de nouveau le paysage qui s'étendait autour de la terrasse du café.
– … Alors, pourquoi es-tu à Lycksele ?
– Pour le travail. Je repars demain. Quelle drôle de coïncidence que nous soyons dans le même hôtel…
– Moi aussi, j'ai à faire ici. Je suis si contente de te revoir ! Tu n'es plus le gamin que j'ai connu… Tu es devenu tellement mignon.
– Relyss… Tu sais que je pourrais mal interpréter ce que tu dis ?
Un sourire de midinette s'afficha sur ses lèvres, et sans un mot de plus, elle posa ses lèvres sur les siennes. Il sentit qu'il répondait à ce baiser, alors que sa conscience hurlait d'arrêter. Le sort se rompit, mais les yeux bleus de la jeune femme ne le quittaient pas et une lueur qu'il ne connaissait que trop bien y dansait. Son propre regard devait afficher le même désir.
– Viens, murmura-t-elle chaudement à son oreille. Retournons à notre hôtel…
– Relyss… C'est mal, on ne… On ne devrait pas…
– Chut… Donne-moi ce cadeau… Laisse-moi te faire ce présent… Que ce soit notre premier et dernier jour ensemble, rien qu'à nous deux. Le seul que nous nous offrirons… J'attends depuis si longtemps de te montrer comme je t'aime…
– Tu es mariée…
– Et j'aime mon mari, autant que je t'aime.
Un nouveau baiser avait scellé leur accord tacite et son abandon. Il avait renoncé à écouter sa conscience qui s'époumonait. Ils étaient rentrés à l'hôtel, si proches que les passants devaient penser avoir à faire à un couple d'amoureux. Jusqu'au petit matin suivant, ils avaient gardé cette illusion, pressés l'un contre l'autre. Un moment d'éternité.
Figlio di puta !
Lucas fut tiré de sa sieste par la mélodieuse voix du Chevalier du Cancer. Il ouvrit les yeux et mit un moment à se souvenir d'où il était, alors que l'Italien enragé continuait son fleuve d'injures et malédictions à l'extérieur de sa maison. Il grommela en se redressant sur son lit et jeta un regard par la fenêtre de sa chambre. DM était accroupi sur le chemin et adressait ses jurons à un Aphrodite indifférent, assis sur un rocher un peu en avant. Le Suédois ne comprenait pas la langue et c'était tant mieux. Lucas se demandait parfois où le Cancer avait appris son vocabulaire. C'est alors qu'il vit quelque chose qui l'inquiéta. Une rose rouge éclatante, tombée au sol. Visiblement, DM avait dû la piétiner, mais à présent, il se tenait le pied douloureusement. Le Poissons le regardait, un léger sourire sur les lèvres. Il y avait bien de l'eau dans le gaz entre ces deux-là. Aphrodite s'aperçut soudain de la présence de Cassiopée, et baissa les yeux d'un air coupable quand leurs regards se croisèrent. Son ancien maître lui fit signe d'entrer le rejoindre.
Aphrodite descendit du rocher et dépassa DM sans plus se préoccuper de ce qu'il faisait. Le Cancer se tourna vivement.
– Eh ! J'ai pas fini ! Reviens ici, merdeux !
Il tenta de se relever, mais son pied se rappela à son bon souvenir et il fut contraint de rester à la même place. Aphrodite s'arrêta un bref instant. Il se tourna pour lui adresser un sourire de défi puis continua sa route.
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– Non, mais tu peux m'expliquer ce qu'il se passe exactement avec DM ? demanda Lucas en tentant de modérer la colère dans sa voix.
– C'est lui qui me cherche, ce n'est pas moi qui vais à lui, Lucas !
– Je ne veux pas savoir qui va vers l'autre, je veux savoir pourquoi tu l'attaques.
Aphrodite baissa le nez en croisant ses bras fins.
– Je me suis défendu, c'est différent.
– On ne se défend pas face à quelqu'un de désarmé, jeune homme.
– Il me suit sans arrêt ! J'ai beau lui dire d'arrêter, il ne veut pas écouter, Lucas ! Je lui ai juste fait peur, c'est tout! se défendit le Poissons, accablé.
– En lui lançant une rose ? Aphrodite, tu sais que tes roses sont dangereuses.
– Celle-là ne l'était pas.
– Alors pourquoi ne pouvait-il plus se lever ?
Aphrodite renifla et détourna les yeux. Lucas de Cassiopée n'était plus son maître depuis qu'il avait gagné son armure, mais il représentait toujours à ses yeux l'autorité, au même titre que le Grand Pope. Qu'il défende le Cancer le blessait. Sa gorge se serrait à cette pensée, sans qu'il sache comment on appelait cette sensation. Il ne l'avait pas tué après tout ! Cela faisait trois mois que durait cette surveillance stupide et le douzième gardien en avait vraiment assez. Il détestait être épié ainsi. Ça lui rappelait trop Svend, qui guettait le moindre de ses gestes. Il entendit Lucas soupirer.
– Aphrodite, je sais que tu n'es plus obligé d'écouter ce que je dis, et que tu n'es pas obligé non plus d'aimer tout le monde au Sanctuaire, mais régler les conflits ainsi n'est pas une solution. Tu le sais, tu es intelligent.
– Mais DM est stupide lui. Il est borné et collant. Il n'y a que la violence qu'il comprenne.
– Ce sont des a priori. Tu ne le connais pas, c'est pour cela que tu dis cela.
– Parce que tu le connais, toi ?
– Non, reconnut Cassiopée.
– Il méprise tout ce qui n'a pas une armure d'or sur le dos. Tu m'as appris qu'on devait être bon, et voir tout le monde de la même façon quand on est un Saint. Mais lui ne respecte rien.
– Ce n'est pas à toi de le juger, mais au Pope.
– Le Pope ne lui fait rien, il lui fait tuer des gens.
Lucas ne pouvait contredire le jeune adolescent sur ce point. Le représentant d'Athéna avait une attitude étrange avec le Cancer. Au lieu de réfréner sa violence naturelle, il la lui débridait en l'envoyant en mission, alors qu'il n'était qu'un gamin en crise. Autrefois, seuls des adultes sélectionnés étaient chargés d'exécuter des ennemis d'Athéna, ou d'autres missions. L'entraînement et le rassemblement des Saints et potentiels Saints étaient les priorités affichées, donner la mort n'était pas considéré comme un acte glorieux. Le Pope n'y recourait qu'en cas de force majeure. Aujourd'hui, la situation changeait. La tendance s'inversait. Parce que presque tous les Chevaliers d'Or et d'Argent avaient été trouvés et amenés au Sanctuaire ? Mais qu'advenait-il alors des Chevaliers de Bronze, les plus nombreux représentants au sein de la chevalerie, qui manquaient encore à l'appel ? Pouvait-on justifier de transformer des protecteurs de la Justice en assassins de bas étage ?
– Lucas ?
– Pardon, je… Je réfléchissais.
– Si le Pope fait ça, c'est que c'est Athéna qui le veut, non ?
– Certainement. Notre déesse est quelqu'un de très méfiant et elle doit être encore bien jeune pour prendre des décisions. Le Pope peut la suppléer.
– Tu sous-entends que le Pope fait des… mauvaises choses ?
– Je ne pense rien, Aphrodite. Le Pope a été choisi par la déesse parce que c'est quelqu'un de pur et juste.
– Tu n'en es pas convaincu. Ça s'entend à ta voix.
– Ne fais pas attention à ce que dit le vieux Chevalier de Cassiopée.
Aphrodite ne parut pas convaincu, mais il haussa les épaules. On ne peut pas s'opposer à la Force. La Force fait mal. La Force a la Justice.
– De toute façon, bon ou pas, on ne peut pas lui désobéir.
Lucas essaya de décoder ce que le petit ne disait pas, sans succès. Il savait bien cacher ses émotions et ses yeux restaient vides de sentiments.
On cogna soudain à la porte.
Le Chevalier d'Argent était demandé par le Pope. Il avait fait réunir plusieurs Saints, à ce qu'on disait, pour attribuer de nouveaux apprentis aux plus méritants. Lucas ne croyait pas à cette version, il avait une sensation étrange. Mais il ne pouvait rien dire à haute voix et se décida à suivre le messager après avoir salué Aphrodite. Il lui avait dit qu'ils poursuivraient la discussion plus tard.
Le Suédois se retrouva seul dans la maisonnette de Cassiopée. Le Saint le laissait aller et venir librement. Aphrodite aimait parfois venir ici, quelques minutes, voire quelques heures. Il avait encore du mal à se sentir chez lui dans le grand temple qu'on lui avait confié. Il alla vers son ancienne chambre. Elle était toujours impeccable, le discret mobilier nettoyé avec soin comme le premier jour où il l'avait vu. Il s'approcha du lit et s'y allongea doucement, se recroquevillant sur lui-même. Il était si bien ici. Avec sa roseraie, c'était le seul endroit au Sanctuaire où il se sentait en sécurité. Il ouvrit la main et la fit bouger dans l'air, faisant apparaître une rose. Il huma son parfum.
Je te protégerai toujours
– Lucas ne veut pas que nous tuions DM. Mais on peut le rendre très malade s'il s'entête, n'est-ce pas ?
Je ferai tout pour toi
Je veillerai sur toi
Le gamin sourit en portant la rose à son visage tendrement.
– Je t'aime.
Je t'aime moi aussi
Je veillerai toujours sur toi
La chaleur était accablante. Il avait espéré que la nuit aurait fait baisser la température, mais il regrettait d'avoir espéré trop fort : ici, en Amérique du Sud, jour et nuit se ressemblaient cruellement. A côté de cette serre géante, la Grèce et le Sanctuaire étaient des endroits froids. Cela le gênait. Shura continua à marcher dans la forêt. Il ne pouvait se fier qu'à son instinct et à la très maigre lumière lunaire qui filtrait à travers l'épais feuillage. Les oreilles à l'écoute du moindre bruit suspect, il tentait de traquer des proies qui connaissaient mieux le terrain que lui. Une branche craqua sous son pied. Le Capricorne pesta et s'arrêta.
Les yeux fermés, il écouta le silence, parfaitement immobile. Rien à part quelques cris brefs d'oiseaux nocturnes et autres créatures de ces bois, auxquels il s'était habitué. Cela faisait deux semaines qu'il avait été envoyé en mission. Ça devait être facile pourtant, comme le Pope l'avait présenté. Shura soupira. Ses proies l'avaient semé ou avaient trouvé un abri confortable où passer la nuit. Il était risqué de continuer à avancer dans la forêt quand la lune était levée : les léopards partaient en chasse, et dans la noirceur, un humain pouvait facilement passer pour le plat du soir si la bête était motivée. Ses ennemis aussi le savaient. Ils auraient tous eu raison du fauve trop affamé, mais une blessure potentielle était toujours possible. Tant pis, il continuerait demain. C'est le Pope qui ne serait pas content. La mission durait depuis trop longtemps. Shura aurait dû se méfier davantage.
Il chercha un arbre un peu élevé et suffisamment solide pour qu'il puisse y passer la nuit, puis y grimpa. Faire le point avant tout. Il devait être à peu près à une journée de son petit campement où il avait laissé vivres et téléphone. Ses cibles l'attiraient de plus en plus profondément dans la forêt. Elles voulaient l'épuiser. Il ne craquerait pas. Ce n'était pas la première fois qu'une mission s'étendait sur plusieurs jours, mais il reconnut intérieurement qu'elle était de loin la plus foireuse qu'il eût mené jusqu'à présent. Même si elle est Chevalier d'Argent, une femme reste une femme. Tu n'auras aucun mal à la vaincre. Elle doit payer son infidélité à Athéna. Le Pope aussi avait sous-estimé Desdérone du Cocher et ses apprentis. La jeune femme était une guerrière aguerrie que des années d'espionnage en milieu montagneux ou forestier avaient remarquablement entraîné à la survie. Ses sept apprentis savaient se battre eux aussi. Shura avaient réussi à en éliminer quatre au cours des trois premiers jours. A présent, il ne trouvait plus aucune gloire à cela. Ils avaient simplement couvert la fuite de leurs confrères et maître. Ils s'étaient sacrifiés. Lui avait marché. Il aurait dû se concentrer sur Desdérone. La rouquine et ses trois protégés restants, certainement les plus forts, avaient disparu dans la nature. Le Capricorne arrivait à les pister comme un chasseur poursuit les cerfs, mais ils gardaient une longueur d'avance.
– Je n'y arriverai pas seul, reconnut à haute voix l'Espagnol.
Il retournerait au campement dès qu'il aurait repris un peu de force. En se concentrant, il parvenait à distinguer le cosmos de Desdérone, nettement plus puissant que celui de ses apprentis. La chasse la stressait et elle ne dissimulait plus son aura. Il ne la sentait plus pour le moment. Sans doute parce que la jeune femme s'était endormie. Il n'avait pas le temps de fouiller les bois à sa recherche. Ça aurait été chercher une aiguille dans une botte de foin. Il verrait ça avec son renfort. Le Grand Pope lui enverrait certainement DM. Avec celui-là, il formait un bon duo. Le Cancer était givré, et passablement insupportable, mais il était doué pour la mise à mort. S'attaquer à cette femme-chevalier, fille de chevalier elle-même, ne lui ferait pas peur. Elle allait apprendre le coût de sa trahison envers le Sanctuaire. On ne doutait pas des ordres de la déesse Athéna.
Vois sur ton chemin
Gamins oubliés égarés
Donne leur la main
Pour les mener
Vers d'autres lendemains
Sens au cœur de la nuit
L'onde d'espoir
Ardeur de la vie
Sentier de gloire
Les Choristes – Vois sur ton chemin
Le Grand Pope avait réuni quelques Chevaliers d'Argent qu'il avait sélectionnés pour diverses raisons, que Lucas avait distraitement écoutées. Le sentiment étrange qui lui serrait le cœur ne voulait pas partir. La présence du Pope le renforçait. Il y avait en tout quatre de ses frères chevaliers. Tous avaient déjà eu des apprentis, qui avaient échoué ou réussi l'épreuve. D'après le Pope, ils avaient donc l'expérience pour avoir un nouvel apprenti. Apparemment, à ce qu'avait compris Cassiopée, quelques enfants étaient suivis depuis longtemps par le Sanctuaire en raison de leur cosmos éveillé et à présent, étaient assez âgés pour recevoir leur entraînement. Ils se trouvaient tous aujourd'hui dans des orphelinats dispersés un peu partout sur le globe. Lucas soupçonnait que ce fut la vraie raison du réveil du Sanctuaire : s'ils étaient avec leurs familles, les gamins auraient refusé de partir. Choyés ou non. Il repensait toujours au jour où il avait ramené Aphrodite ici. La première fois qu'il tenait ainsi un enfant dans les bras. Il y avait bien eu Saga des Gémeaux, qui, enfant, s'agrippait à sa jambe dès que quelque chose l'effrayait, mais le Poissons avait été autre chose. Peut-être parce qu'il était blessé. Peut-être parce qu'il avait pu voir son père, ce père indigne qui l'avait mis dans un triste état et laissé presque mort. Qu'est-ce qu'il devenait celui-là ? Est-ce qu'il lui arrivait de penser un peu à son fils de temps en temps ? Aphrodite, lui, avait longtemps cauchemardé la nuit en hurlant son nom… Svend…
– …je suis persuadé que tu sauras former avec la même qualité Argol, chevalier Estia.
– J'y veillerai, Majesté. Je ne vous décevrai pas.
– J'ai toute confiance en toi.
Un moment de silence. Lucas de Cassiopée se rendit compte qu'Estia était sa voisine directe. Le Pope avait le visage tourné vers lui.
– Chevalier de Cassiopée, ai-je ton attention ? demanda le représentant d'Athéna non sans amusement dans la voix.
– Toute mon attention, Majesté, s'excusa le jeune homme d'un mouvement de tête.
Il fallait qu'il arrête de penser à tout ça, au moins durant la réunion avec le Pope.
– Bien. J'ai été très satisfait et étonné du remarquable travail que tu as effectué avec le Chevalier des Poissons. Tu l'as entraîné en peu de temps et avec efficacité.
– Il avait un potentiel que je n'ai fait qu'exploiter, Majesté. C'est à lui que revient le mérite.
– Eh bien, tu seras heureux d'apprendre que j'ai décidé de te confier un enfant en qui je place de grands espoirs. Il a cinq ans et est très proche d'une constellation d'armure d'argent. Rappelle-moi, Lucas de Cassiopée, d'où tu viens.
La question surprit un peu le chevalier. En quoi cela avait-il une importance ? Il n'avait pas écouté les échanges du Pope et des autres maîtres désignés, il avait sans doute posé cette question à tous.
– De Suède, Majesté. D'une petite ville appelée Lycksele.
– Quelle coïncidence. La même que celle d'Aphrodite des Poissons ?
– C'était la raison pour laquelle vous m'aviez désigné à l'époque, Majesté.
– Certes… Parles-tu tout de même le français ? Car l'apprenti que je pense te confier est Français.
– J'ai quelques lacunes, je le reconnais… Mais je peux m'exprimer dans cette langue.
– Voilà qui est parfait. Je ferai prévenir l'orphelinat d'Evreux où il a été recueilli. Tu iras le chercher à la fin de la semaine, dès que je te donnerai confirmation. Ton nouvel apprenti se nomme Misty. Il semble sous la protection du Lézard. Son cosmos est éveillé mais d'après ce que je sais, il ne s'en est encore jamais servi. Le travail qu'il demandera risque d'être long mais j'ai toute confiance dans tes capacités.
– Il en sera fait comme vous le désirez, Majesté.
– A présent que vous avez tous connaissance de votre nouvelle affection, vous pouvez vous retirer. Soyez prêts à partir au plus tôt. Les lieux d'entraînement vous seront communiqués en même temps que votre ordre de déplacement.
Les Chevaliers d'Argent saluèrent et quittèrent les lieux.
Une fois seul, Saga retira son masque et sourit. Voilà qui allait occuper du monde quelques temps. Il n'avait plus pensé à former de nouveaux Saints, et ce n'était que par pur hasard qu'il était tombé sur les archives de ce bon vieux Sion. Le Grand Pope précédent était un vrai bureaucrate très amoureux des papiers : il consignait presque tout. Saga avait alors découvert l'existence de cinq enfants, dont Sion avait vérifié la réactivité du cosmos, mais que l'âge ou la situation familiale l'avait empêché de faire venir au Sanctuaire. Quelques années avaient passé depuis et Saga les jugeait prêts. De plus, cela ferait un peu taire les suspicions qui pesaient sur lui en créant une continuité de l'action entreprise par le véritable Grand Pope, et occuperait certains chevaliers dont il se méfiait. Avec quelqu'un à charge, Lucas et Lu-Chan auraient autre chose à penser.
Ce qui l'inquiétait davantage, c'était les rapports de ses espions. Il avait envoyé quelques gardes spécialisés tenir à l'œil Daidalos et son petit frère, ainsi que Guilty sur l'Île de Death Queen, et il était apparu qu'ils avaient été contactés par un homme "banal", qui n'aurait pas dû être au courant de leur existence. Ils avaient semblé lui donner un bon accueil. Il était exclu qu'il s'agisse d'un ami. Les espions avaient insisté sur les vêtements d'homme d'affaire que portait l'inconnu. Un Japonais leur avait-il semblé, ou en tout cas, un Asiatique. Nul ne savait vraiment de quoi ils avaient parlé, mais les deux Chevaliers avaient visiblement été d'accord pour d'autres entrevues. Saga n'aimait pas cela. Dès que possible, il avait demandé à ce qu'on lui donne l'identité précise de ce visiteur inattendu et les raisons qui le poussaient à ne pas passer par le Sanctuaire. S'il connaissait les Saints, il ne faisait aucun doute qu'il connût aussi la structure les accueillant. Daidalos était un gamin surdoué, mais qui aurait pu se laisser abuser par ruse… Mais le fait que Guilty lui-même se laisse tenter, c'était déjà autre chose. Saga avait entendu parler de lui bien avant d'avoir son armure d'or. Un vrai fauve à ce qu'on disait, féroce et cruel. Il avait terrassé son maître mais nul ne savait trop quelle armure il avait gagné à ça… ou s'il avait reçu une armure d'ailleurs. Visiblement, il avait en sa possession une urne, mais qu'il ne pouvait pas porter. Il se contentait d'en être une sorte de gardien selon les rumeurs… L'armure de bronze du Phénix. Saga attendait toujours de trouver le gamin capable de porter cette furie dévastatrice. Un jour prochain sans doute…
Un garde interrompit ses pensées. Il le fit entrer dans la salle après s'être re-masqué.
– Grand Pope, pardonnez-moi, mais c'est un message urgent du Chevalier du Capricorne.
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– Moi qui espérais pouvoir profiter encore un peu de ma tranquillité, se plaignit Estia en s'étirant.
– Avoir un autre apprenti n'est pas une mauvaise chose.
– Avec la masse de boulot que ça représente ? Tu en as de bonnes, Lulu.
– Arrête de m'appeler comme ça, c'est ridicule, fit semblant de se vexer Cassiopée.
Estia sourit.
– Relaxe, ton chouchou n'est pas là pour y entendre.
– Aphrodite n'est pas mon"chouchou" comme tu dis, se défendit Lucas en levant les yeux au ciel.
– Qui a parlé d'Aphrodite ?
– …
– Si on peut plus te taquiner ! C'est normal de s'attacher à son tout premier apprenti. Surtout ce bout de chou-là, il est adorable.
– Il est lui, c'est tout. C'est qui cet Argol dont tu vas t'occuper ?
– Il est en Arabie Saoudite. 6 ans. Futur Chevalier de Persée, avec un peu de chance.
– Avec un maître comme toi, il est sûr d'obtenir son armure.
– Je t'ai dit que les flatteries ne servaient à rien, Lucas. Il ne peut rien se passer entre nous ! s'amusa-t-elle.
Lucas la regarda amusé, devinant sans mal le sourire qui étirait ses lèvres sous son masque. Quel dommage qu'Athéna oblige les femmes chevaliers à porter cet accessoire dégradant, sous prétexte qu'elles devaient être l'égal des hommes. Il avait souvent envie de voir le visage d'Estia.
– Et toi, avec ce petit Français, tu penses t'en sortir ? demanda-t-elle avec plus de sérieux.
– Je verrai quand je l'aurai sous les yeux.
– Je ne m'inquiète pas pour lui. Avec un Chevalier d'Or à ton CV, entraîner un Chevalier d'Argent sera facile.
– Tout dépendra de la motivation de ce Misty.
– J'espère que ce ne seront pas des gosses à problèmes… soupira la jeune femme. Bon, ne nous démoralisons pas trop vite. Tu m'invites à boire un verre ? On risque de pas se revoir avant un moment.
– Mi casa es su casa…
Ils étaient arrivés devant la maison de Lucas. Il ouvrit la porte à la jeune femme, l'invita à prendre place à la cuisine et alla jeter un bref coup d'œil dans la chambre. Aphrodite était toujours là. Il s'était endormi sur son lit, une rose encore dans la main. Lucas soupira gentiment et alla fermer un peu les volets pour que le soleil n'atteigne pas le jeune Suédois.
– Il n'est pas censé avoir son propre Temple ? demanda doucement Estia qui avait suivi Cassiopée.
– Aphrodite ne dérange pas, répondit à mi-voix le jeune homme.
Il s'assura du regard que le petit dormait toujours.
– Tu devrais lui enlever cette fleur, il va se blesser avec.
– Il n'arrivera pas à dormir sans elle… Laissons-le avant de le réveiller.
Ils quittèrent la pièce en fermant la porte soigneusement et continuer leur conversation.
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Aphrodite ouvrit les yeux. Il n'avait été qu'à moitié endormi, et quand il avait entendu Lucas et son amie entrer, il avait eu peur que le Saint le mette dehors. Alors il avait feint le sommeil. Ça avait eu l'air de marcher. Il se redressa et coinça la rose derrière son oreille pour se lever. Il entrouvrit sa porte pour pouvoir écouter les bribes des paroles qu'échangeaient les deux Saints. La cuisine n'était pas très éloignée de sa chambre. Qui étaient ces gamins dont ils parlaient ? Ce Misty, cet Argol ? Des nouveaux apprentis ? Allaient-ils les entraîner ? Certainement. Lucas allait donc repartir ? Le laisser ? Il allait s'occuper de ce mioche et ne plus faire attention à lui. Il allait l'oublier, ou lui dire de ne jamais revenir. Aphrodite reprit sa rose pour en mordiller la tige. La sève mêlée de poison calmait un peu ses angoisses. Il avait pourtant cru que Lucas l'aimait bien… A nouveau, il sentit ce drôle de goût dans la gorge, ce serrement inconnu. Il se refrogna et referma la porte sans bruit. Si Cassiopée s'était trouvé un nouveau protégé, tant pis. Il avait toujours été seul de toute façon. Le Chevalier des Poissons s'approcha de la fenêtre, l'ouvrit, et se glissa dehors au prix de quelques contorsions.
– Tu penses revenir un jour chez toi ? demanda Estia après un moment de silence.
– A Lycksele ? Non, je ne pense pas. Je n'ai plus rien là-bas. Autant que je reste ici… Ainsi je peux veiller sur Aphrodite, ajouta-t-il en pensée.
– Elle, elle doit toujours y être, non ?
– " Elle " ?
Estia sortit une photographie de sa poche et la tendit à Lucas. Il la lui prit un peu brusquement.
– Eh, depuis quand tu piques dans mes affaires ?
– Elle est tombée de ta poche et je n'avais pas eu l'occasion de te la rendre avant.
Elle discerna la peine et la douceur avec laquelle le Suédois regardait la photographie.
– Elle est belle…
– Oui… Mais inaccessible, alors à quoi bon me lamenter ? Elle s'est mariée il y a plus de dix ans, elle doit avoir des enfants et une petite vie de famille bien réglée. J'ai perdu ma chance, soupira-t-il en rangeant l'image dans sa poche intérieure de chemise.
– C'est triste pour toi.
– C'est du passé. Les Saints ne peuvent pas aimer des gens normaux, nous sommes trop différents. Elle aurait été malheureuse…
Estia n'ajouta rien. Elle avait gardé cette photo avec elle plus par jalousie que par réel empêchement. Elle avait envié cette femme si belle, aux longs cheveux et aux yeux bleus superbes, cette femme qui avait pu poser les mains, les lèvres sur Cassiopée. Le petit mot griffonné en grec et en suédois, au dos, était sans équivoque : Merci pour cette nuit. Elle ne s'oubliera jamais, mon petit Lulu. Jag älskar dig. Ta Relyss. Elle ne parlait pas la langue de Lucas et n'osait lui demander la traduction. Lucas taisait ce qu'il y avait eu entre eux, mais ça avait été bien plus que de simples yeux doux. A bien y réfléchir, cette Relyss ressemblait un peu à l'ancien apprenti du Saint, Aphrodite. Non, elle se faisait des idées. C'était à cause des yeux, ou peut-être de l'androgynie du gamin.
– Et toi, Estia, tu as quelqu'un ?
– Moi ?… Non, personne. Tu oublies que les femmes chevaliers doivent oublier leur féminité, justifia-t-elle avec une pointe d'aigreur dans la voix. Je te vois venir, joli cœur, je t'ai à l'œil !
– Ne me prête pas de vilaines intentions voyons, s'excusa Lucas en levant les mains dans un geste d'innocence.
Elle sourit sous son masque et rit un peu, ses cheveux sanguins caressant ses épaules frêles à chaque mouvement. Au moins, grâce à son masque, pouvait-elle à loisir contempler les magnifiques yeux argent assortis à la chevelure dégradée de cet homme lui aussi inaccessible. Aphrodite avait de la chance de pouvoir venir le voir quand il en avait envie.
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Shaka prenait l'air à l'extérieur de son Temple, parcourant les alentours desséchés du Domaine Sacré d'un pas lent et calme. Tout au Sanctuaire n'était pas désertique, loin s'en fallait : hormis son propre jardin et celui d'Aphrodite ( qui étaient privés ), il existait près des arènes et des maisonnettes des Chevaliers d'Argent et apprentis plusieurs champs d'oliviers, plantés sur de l'herbe un peu folle, mais qui offraient ombre et calme à qui le désirait. On disait que ces arbres étaient aussi vieux que le Sanctuaire lui-même. C'était peut-être bien vrai, vu leurs troncs épais aux courbes tortueuses. S'y promener était fort agréable, et le Chevalier de la Vierge appréciait d'y faire des marches matinales, mais dans la journée, il y avait souvent des apprentis qui s'y attardaient et il devenait difficile pour lui de trouver le calme dont il avait besoin pour se ressourcer. Aussi préférait-il alors les étendues désertiques du sommet du Domaine Sacré, qui s'étendaient aux alentours des Douze Temples. Il y trouvait également souvent l'inspiration pour entrer par la suite plus facilement en méditation.
Il aimait beaucoup pratiquer cette activité, qui constituait également son entraînement principal. Il parvenait à présent à atteindre un très haut niveau de concentration sans trop de difficultés et à le maintenir un certain temps, mais il restait insatisfait du résultat. Aussi s'entraînait-il très longuement et sortait-il assez peu de son Temple ces derniers temps. Aiolia le tenait au courant des derniers potins durant les repas ou en fin d'après-midi, mais il restait plus ou moins volontairement à l'écart des autres Saints. Apprentis et Chevaliers de Bronze évitaient de s'approcher de lui, les Chevaliers d'Argent restaient distants et parmi les Chevaliers d'Or, il ne s'entendait bien qu'avec certains : Camus du Verseau, malheureusement trop souvent en apprentissage hors du Sanctuaire ; Mû du Bélier, disparu il ne savait où ; Aphrodite qui avait ces derniers temps une attitude étrange ; Aiolia du Lion, le seul à rester égal à lui-même. Il connaissait moins bien les autres et détestait assez ouvertement Deathmask du Cancer, qui le lui rendait bien. Ce n'était pas agressif, loin de là, mais ils échangeaient une superbe indifférence.
Il s'arrêta, laissant les parfums du Sanctuaire envahir son être. Un mélange unique d'embruns, de terre et de pierre, avec des accents lointains d'oliviers et d'herbe sèche. Il savait être près du Temple des Gémeaux ; il ressentait les maigres effluves de cosmos encore dégagées par l'armure zodiacale. Des effluves presque tristes, si on considérait que ces blocs de métal et d'or, créés par Athéna et le peuple de Mû, habitants de la mythique Atlantide, aient pu avoir des émotions humaines. Le jeune enfant se demandait souvent ce qu'il était advenu de Saga, dans quelles réelles circonstances il avait disparu. Aioros et lui s'aimaient beaucoup ; même devenu fou, le Sagittaire aurait-il pu s'en prendre à son ami ? Peut-être bien que oui, Saga n'aurait jamais pardonné à quelqu'un qui avait attenté à la vie de la déesse. Mais c'était si étrange que l'on n'ait pas retrouvé son corps, malgré toutes les recherches… Se pouvait-il qu'il soit encore en vie ? Shaka voyait toujours ce grand frère protecteur avec les Saints d'Or plus jeunes. Mû avait disparu aussi brutalement que lui. Et si la même personne était responsable des deux évènements ?
Il secoua la tête. Il voyait le Mal partout.
Il perçut un mouvement près de lui et tourna la tête pour localiser plus précisément la direction. Quelqu'un approchait, qui ne masquait pas son cosmos – fait assez rare – et qui était accompagné d'un parfum qu'il aimait : celui de la rose. Il fit quelques pas, contourna un bloc rocheux et sentit qu'il était désormais sur le chemin de son camarade.
– Aphro ? Il est rare que tu laisses parler tes émotions.
Le Suédois sursauta et leva les yeux par-dessus son épaule.
– Shaka… Je ne t'avais pas vu.
– J'avais cru remarquer.
Tandis que le petit Hindou descendait à sa rencontre, Aphrodite cherchait un moyen d'abréger l'entrevue au plus vite. Il se savait de mauvaise humeur et voulait épargner ça à son seul ami – du moins, la personne qu'il considérait comme tel au Sanctuaire.
– Tu n'as pas envie de parler aujourd'hui ? demanda Shaka en sentant le cosmos du Poissons commencer à se résorber.
– Shaka, ce… ce n'est peut-être pas le bon moment, tu sais…
– Pourquoi cela ? s'entêta le blondinet.
– Je…
Aphrodite n'avait pas trop l'envie de s'ouvrir à la Vierge. En ne contrôlant pas son cosmos, il avait déjà dû lui permettre de voir beaucoup de choses. A partir de l'aura d'une personne, Shaka était presque capable de vous dire la taille de pantalon qu'elle faisait et ce qu'elle mangeait au petit déjeuner. L'enfant sentit l'hésitation.
– Qu'est-ce qui ne va pas, Aphro ? Tu es contrarié.
– … Tu as vu ça dans mon cosmos ?
– Il est agité.
– Tu as vu quoi d'autre ?
– De la tristesse, de la nervosité. Je dirais même de la jalousie.
– C'est quoi ça, la jalousie ?
– Tu ne sais pas ?
Shaka restait doux, mais Aphrodite tiqua tout de même à la question. Il n'aimait guère la différence de culture et d'enseignement manifeste entre lui et le blond, il se sentait en position d'infériorité et cela lui faisait tordre le cœur. Des sensations de peur et de soumission lui revenaient en tête. N'oublie pas les Lois, les Règles. Il voulait au contraire les effacer à jamais. En pure perte. Comme souvent en cas de silence de son vis-à-vis, Shaka comprit d'où venait le malaise qu'il avait involontairement provoqué.
– C'est se sentir trahi par quelqu'un. C'est ce que tu ressens, non ?
– Peut-être. Mais je n'ai pas dit que c'était pour moi…
– Partons de cette hypothèse alors. Imaginons que quelqu'un se sente trahi par une personne. Qu'est-ce qui serait en cause ?
– Peut-être que la personne n'aimerait plus l'autre, proposa à mi-voix Aphrodite en s'asseyant sur le sol rocailleux.
Shaka suivit son mouvement.
– Et pourquoi ne l'aimerait-elle plus ?
– Parce qu'elle a fait une bêtise.
– Pourtant, ce serait un être prudent. Imaginons que ce ne serait pas dans ses habitudes.
– Alors, parce qu'elle aurait désobéi.
– A un ordre ?
– Je ne sais pas. On désobéit quand on ne fait pas quelque chose comme on nous l'a dit. On peut désobéir sans savoir qu'on l'a fait.
– Mais la personne dont nous parlons, nous savons qu'elle est obéissante et respectueuse. Elle sait ne pas désobéir. Tu es d'accord ? ( Aphrodite inclina la tête ) Alors, pourquoi penserait-elle n'être plus aimée ? Pourquoi serait-elle jalouse ?
– … Parce que l'autre ne s'occuperait plus d'elle.
– Possible. Pour quelles raisons ?
– Il aurait une autre personne à aimer.
Shaka laissa parler son instinct et son habitude pour décoder les dires du Poissons. Il était courant en effet qu'ils jouent à ce petit jeu entre eux, quand Aphrodite voulait bien s'y prêter.
S'il devinait juste, Lucas de Cassiopée allait avoir un nouvel apprenti. Aphrodite était très attaché à lui. Aussi vivait-il mal cette annonce.
– Mais on peut aimer plusieurs êtres à la fois.
– On ne les aime jamais de la même façon, Shaka. Ils le savent tous les deux. Mais peut-être que la personne qui n'est plus aimée s'en moque après tout.
– Elle ne serait pas jalouse si c'était le cas.
– Elle a l'habitude d'être trahie.
Un petit rire brisa le lien qu'avaient entretenu jusque là les deux enfants. Aphrodite se leva brutalement alors qu'apparaissait Deathmask. Shaka retint un soupir. Il aurait aimé discuter plus longtemps avec son ami sans que l'Italien ne vienne les déranger avec son manque de manières.
– Alors, morveux, enfin je te remets la main dessus, commença DM en s'approchant. Tu commences à bien me les brouter à jamais rester là où on te le dit.
– Jamais tu me laisses tranquille ? soupira Aphrodite.
– Tu me plantes avec tes saloperies, et tu crois que tu vas t'en tirer ? ragea-t-il en brandissant la rose décrépie.
– Tu as marché dessus tout seul.
– Parce que tu l'avais mise par terre, morveux.
– Au revoir Shaka, peut-être à plus tard, s'excusa le Suédois en tournant les talons.
Il n'avait aucune envie de parler plus longtemps avec le Cancer. Celui-ci avait cependant d'autres idées en tête.
– Alors, tu es jaloux à ce qu'y paraît ? Parce que le sous-chevalier va avoir un autre apprenti ?
Il se retrouva face à deux yeux étincelants. Les yeux de fauve qui l'avaient fixé ce jour-là dans la clairière.
– Ne parle pas de Lucas comme ça, DM, prévint Aphrodite. Le seul sous-chevalier qu'il y ait ici est devant moi.
– C'est que tu prends de la gueule on dirait, sourit son vis-à-vis. Bouuuh que tu me fous les jetons ! se lamenta le Cancer en mettant une main sur le front dans un geste théâtral.
Aphrodite préféra ne rien répondre et tourna de nouveau les talons.
– Eh ! Attends un peu toi !
– Fiche-moi la paix ou sinon…
– Des menaces ? fit DM en courant derrière Aphrodite, un mauvais sourire sur le visage.
Le gamin ne répondit pas. Il venait de faire apparaître une rose dans ses mains.
– Encore une fleur ? C'est lassant, rit l'Italien.
Aphrodite serra les dents. Il en avait vraiment assez cette fois.
Je te protégerai du Mal
Il baissa les yeux sur la fleur sanguine.
Je te protégerai toujours
Il serra la tige épineuse dans ses mains.
– DM, laisse Aphro tranquille, intervint soudain Shaka en se levant à son tour.
Sa voix était restée douce, mais le ton était impérieux. L'Italien se retourna vers lui.
– Toi, on t'a pas sonné, Bouddha.
Bouddha ? pensa Aphrodite. Drôle de surnom, pourquoi l'appelle-t-il comme ça ?
– Je dis ça pour ton propre bien, DM, tu ne gagnes rien à ennuyer ainsi le Chevalier des Poissons et tu sais que le Pope a interdit les altercations entre Saints. Il serait sûrement profondément ennuyé d'avoir à te punir.
– Sale cafteur, maugréa le Cancer. Bah de toute façon, on m'attend. Seulement j'ai un message pour la princesse, je peux le lui transmettre ? demanda-t-il sur un ton mielleux à souhait.
Shaka secoua doucement la tête. Deathmask se tourna vers Aphrodite qui lui faisait toujours dos.
– Le Grand Pope veut nous voir tous les deux demain à la première heure. Ça va être ton baptême, je crois. Sois pas en retard, crevette.
Après un dernier grand sourire à l'Hindou, le Cancer dépassa finalement le Suédois et disparut comme il était venu. Aphrodite ferma un bref instant les yeux.
Le Mal ne te touchera pas, je te protégerai
Ce sera pour une autre fois. Ses doigts relâchèrent un peu l'emprise sur la tige et il la porta à ses lèvres pour la mordiller. Sans plus un mot, il s'éloigna à son tour, laissant Shaka derrière lui. Il sentit brièvement le cosmos chaud le frôler.
La Vierge se sentit rassurée. Pendant un bref instant, il avait senti clairement l'aura d'Aphrodite, que ses nerfs malmenés l'empêchaient de contrôler à la perfection, se refroidir et devenir proche d'un cosmos d'attaque. Lucas lui avait demandé, il y avait longtemps, de veiller sur Aphrodite et d'empêcher que ce genre de choses arrive. Il n'avait pas aimé le regard froid que le Suédois avait lancé à DM. Il ne voyait pas à proprement parler, mais sur ses paupières closes, il distinguait plutôt bien des formes vagues faiblement colorées, nées des sensations que son propre cosmos lui transmettait. Il avait vu les yeux d'Aphrodite se durcir. Et tout comme Cassiopée, il n'appréciait pas de voir un tel changement en lui. Ça lui donnait l'impression de voir un funambule suspendu au-dessus du vide, sans filet de sécurité pour le retenir en cas de chute, avec pour seule lumière une maigre lueur au loin.
Le Pope relut encore une fois le dernier rapport de DM. La surveillance qu'il avait demandée touchait à sa fin et il avait sous la main une bonne occasion de faire passer son baptême du feu au Chevalier des Poissons. De plus, il avait envie de savoir si au moins trois de ses Cavaliers seraient en mesure ou non d'agir en commun. Milo du Scorpion serait la dernière pièce manquante si Aphrodite répondait à ses aspirations.
Il se laissa aller sur son trône, pensif. D'après DM, le Suédois avait un certain mérite pour dissimuler son cosmos ou s'ériger des barrières mentales, mais il restait également en permanence sur le qui-vive – trait caractéristique des chasseurs, des fauves. Des assassins efficaces en tout cas. Le Cancer regrettait toutefois la faiblesse de son compatriote : selon lui, niveau force, il ne valait rien, et s'appuyait exclusivement sur ses roses, ce qui amusait beaucoup l'Italien d'ailleurs. Il avait aussi parlé de poison, mais sans pouvoir entrer dans les détails. Saga était intrigué. Aphrodite usait de roses empoisonnées, il le savait, mais si le petit s'amusait en plus à l'extraire de ses plantes, cela démontrait qu'il avait un goût pour les attaques en douceur et vicieuses. Niveau mental, Deathmask n'avait pas pu ( ou plutôt voulu, le Pope le devinait bien ) en savoir beaucoup. Le Poissons fréquentait essentiellement Shaka de la Vierge et Lucas de Cassiopée, échangeait quelques politesses avec Camus quand il le croisait et fuyait au possible toute autre personne. En cas d'intrusion dans son périmètre, il restait très froid et distant et se mettait automatiquement en mode " cosmos prêt à l'emploi ". Intéressant tout cela. Il y avait des lacunes et des blancs dans ces rapports, mais ils suffisaient à Saga pour se faire une idée plus précise.
Comme il l'avait pensé, Aphrodite n'avait réellement que deux attaches au Sanctuaire. Coupé de liens, il naviguerait totalement en aveugle et se laisserait certainement porter par le courant. Il avait l'instinct des assassins, il suffisait juste de lui montrer que ce n'était pas quelque chose de si terrible que ça, de prendre une vie de misérable. Il avait déjà réglé en partie le problème Lucas sans que cela ne mette trop en rogne l'Autre. Avoir un disciple à charge l'occuperait un certain temps, et il comptait bien lui donner un camp d'entraînement éloigné de la Grèce. Il sourit : Cassiopée ne s'ennuierait pas avec Misty, un enfant pourri et gâté venant d'une famille assez aisée, et qui était né avec une cuillère en argent dans la bouche. Le mater serait bien plus difficile qu'avec le Poissons. Il n'aurait certainement pas le temps de prendre des nouvelles de son chouchou. Et d'après ce que DM lui avait reporté la veille, Aphrodite avait déjà très mal pris la simple annonce de l'existence de ce nouvel apprenti. Sans nouvelles de Lucas, il creuserait lui-même le fossé les séparant, par dépit, jalousie ou vengeance, qui sait.
Restait le second point d'amarrage : l'Hindou. Shaka était déjà une autre paire de manche. Saga l'avait déjà envoyé deux fois renforcer son apprentissage en Inde, mais il ne pouvait y recourir trop souvent sans peine d'éveiller des soupçons. Même s'ils ne passaient pas leurs journées entières l'un avec l'autre, il ne faisait aucun doute que quelque chose les liait. C'était dangereux pour les plans du Pope. De plus, l'écartement de Cassiopée provoquerait sans aucun doute un effet pervers prévisible : le Poissons se rapprocherait de son seul ami. Puisqu'il ne pouvait rien contre Shaka directement, il était sage de retourner le problème et d'éloigner Aphrodite du Sanctuaire. L'envoyer en mission l'endurcirait tout en le privant de repères. C'était une bonne chose.
Saga savait le petit relativement déboussolé. Il avait tenté de remonter le fil de sa courte vie, mais les informations sur le gamin avant son arrivée au Sanctuaire étaient plus que problématiques à obtenir. Sion faisait bien son travail : quand il repérait un potentiel Saint, il tentait de réunir le maximum de renseignements sur lui. Mais le cas d'Aphrodite l'avait pris de court. Il n'avait senti l'aura du gamin qu'à de très rares occasions, apparemment quand le petit avait libéré son cosmos brutalement. En consultant les maigres fiches et papiers que possédait le véritable Grand Pope, Saga avait obtenu de savoir l'état civil minimum du petit et les circonstances de son arrivée au Sanctuaire.
Né à Lycksele, région de Västerbotten, Suède. Fils d'une institutrice qui avait arrêté son travail après qu'un accident ( et un démêlé juridico-administratif peu clair ) ait permis à son époux de toucher une jolie pension. Svend et Amaryllis Ludvika. C'était étrange de mettre un nom de famille sur la tête d'un Saint. Le Domaine Sacré avait une règle acceptée par tous : celle de perdre une part de son individualité pour former une grande fratrie. On vivait au Sanctuaire en oubliant sa famille. Saga avait un peu complété ce que savait Sion sur la famille du gosse. Une mère très discrète. Le père, Svend, avait été remarqué dans certaines bagarres sans trop de gravité. Possesseur d'une arme à feu, d'un permis de chasse, et d'une bonne condition physique en dépit d'un certain boitillement. Homme violent, a priori. Le domicile n'était pas indiqué avec précision, mais Lucas confirmait dans son rapport qu'il avait trouvé l'enfant près d'une maison, qui de toute évidence, était la sienne et celle de sa famille. Pas d'inscription à l'école. Isolement précoce. Peut-être une des raisons de la pathologie antisociale d'Aphrodite. Et vu l'état dans lequel il était arrivé ici, il n'avait pas dû être élevé dans la douceur. Ça avait sans doute développé son instinct de prédateur. Saga avait l'impression de lire un mauvais cliché.
Conjugué aux rapports de surveillance de DM, il savait à quoi s'en tenir. Ce qu'il avait entre les mains était un petit animal blessé qui n'avait jamais eu le soutien psychologique nécessaire pour se reconstruire. Il était resté à vif, fuyant pour se protéger d'une nouvelle saignée. Le Pope avait tout loisir de le broyer doucement pour le modeler selon l'image qu'il désirait. Quitte à le détruire totalement. Il voulait des assassins compétents, pas devenir une association d'enfance maltraitée.
Au Sanctuaire, il n'y avait pas d'enfants. Uniquement des Saints devant se comporter comme tels et obéir aux ordres. Ceux qui n'acceptaient pas cela, n'avaient qu'à mourir.
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La fine pluie tombait après une longue période de sécheresse. Le Sanctuaire était plus désert qu'à l'habitude, les arènes transformées en champs de boue, et les apprentis paresseux encore couchés en cette heure matinale. D'après la météo, il pleuvrait encore un bon moment, et l'averse s'amplifiait peu à peu. Aphrodite regarda les fenêtres du coin de l'œil. Il voyait l'eau ruisseler sur les vitres, les nuages sombres qui roulaient sur eux-mêmes. Il aimait regarder la pluie tomber, même s'il détestait être dessous. Il savait trop à quel point elle était traîtresse et vous laissait trempé et malade. Svend le savait lui aussi, ou du moins, il l'avait su, il y avait longtemps, quand la neige blanche de la Suède était sa compagne. Pourquoi pensait-il à ça aujourd'hui ?
Il se reconcentra sur DM à ses côtés. Le Cancer, fringant dans son armure, avait l'air de s'impatienter à poireauter debout dans la Grande Salle en attendant que le Pope se montre.
– Eh, le porte-pique ! ragea-t-il en se retournant vers le garde à côté des portes. On va encore attendre longtemps ?
– Sa Majesté pratique ses ablutions matinales, veuillez patienter encore quelques minutes.
– Pfff, quel prétexte bidon.
Le Cancer remarqua le regard un peu curieux du Poissons.
– Quoi, qu'est-ce qu'il y a ?
– … Non, rien.
DM avait l'art d'être encore plus désagréable le matin que le reste de la journée.
– S'il n'y avait rien, tu me fixerais pas comme si j'étais la Joconde. Alors crache, qu'est-ce que tu veux ?
– … C'est quoi des ablutions ?
– Le mot savant pour dire que le Pope fait trempette dans ses Thermes privés.
A ce moment-là, une porte ornée de figures zodiacales dans le coin de la pièce le plus proche du trône s'ouvrit et le haut dignitaire se montra enfin, engoncé dans sa lourde soutane noire bordée de frises géométriques. Sa longue chevelure flottait derrière lui, de magnifiques cheveux argentés. Aphrodite tiqua. J'aurais juré que sa chevelure était plus claire, les fois où je l'ai vu avant d'avoir mon armure… Il devait se faire des idées, ce n'était qu'un jeu de lumière certainement.
Les deux chevaliers mirent genoux à terre respectueusement pendant que l'homme s'asseyait face à eux. Il congédia le garde.
– Pardonnez ce retard. J'ai reçu des nouvelles peu encourageantes du Chevalier du Capricorne.
Aphrodite sentit DM frissonner légèrement. Il savait que le Cancer était ami avec l'Espagnol. Il se faisait du souci pour lui ? Impossible, pas venant de cet enquiquineur. L'Italien n'aimait personne à part lui-même.
– A-t-il des problèmes avec sa mission ? demanda Deathmask comme pour démentir les pensées de son camarade.
– Des complications regrettables. Il semblerait que les rebelles aient été sous-estimés et profitent du terrain pour semer Shura. Aussi, j'ai décidé de lui envoyer du soutien. Vous deux.
– Pas besoin du Poissons, Majesté, moi tout seul je suffirai largement ! Il va tout faire rater, il ne sait rien de…
– C'est justement ce qui motive mon choix. Chevalier du Cancer, tu lui serviras de guide, et l'enseigneras. Vous ferez toutes les prochaines missions ensemble jusqu'à ce que le Saint Aphrodite soit en mesure de les accomplir seul.
DM maugréa dans sa langue à mi-voix. Comme s'il avait besoin d'un poids mort sur les bras, et en plus, ce sale morveux-ci. Le Pope tourna le visage vers le Poissons.
– Saint des Poissons, je présume que recevoir ta première mission t'impressionne.
– … Je suis surpris. J'ai un peu de mal à comprendre ce que vous voulez de moi.
– C'est très simple. Vois-tu, il existe des rebelles, des traîtres, au cœur de notre Chevalerie actuelle, qui doutent d'Athéna et remettent en cause ses décisions. Certains vont jusqu'à blasphémer contre elle et mettre sa vie en danger, tel que Aioros, ancien Chevalier du Sagittaire. C'est pourquoi désormais, je mets un point d'honneur à assurer sa protection en m'assurant que ces traîtres ne méritant pas leurs armures soient punis de leurs crimes. Shura et Deathmask sont déjà rodés à ces missions, mais les infidèles sont nombreux et de plus en plus forts. Aussi un exécutant de plus ne sera pas de trop. Je t'ai choisi pour ta puissance, ton habilité et ta rapidité. Tu seras un excellent allié.
– Comme le disait Deathmask… Je n'y connais rien dans ce domaine.
– On apprend le mieux sur le terrain, et j'ai toute confiance dans tes capacités. J'ai besoin d'hommes sur qui je puisse compter pour apporter leur juste châtiment à ces pécheurs, Aphrodite.
– … Il sera fait comme vous le souhaitez, Grand Pope…
Aphrodite garda la tête basse. Le juste châtiment… La mort autrement dit. Il ne voulait plus tuer. Plus jamais. Il détestait l'odeur du sang. Sa couleur. Il détestait la mort. La biche hurlait, ses yeux sur moi… Son sang sentait si fort, il était si chaud, si rouge… Elle se débattait. Mais que faire contre la Force, l'autorité suprême du Sanctuaire ? Rien. Simplement obéir. S'opposer à la Force fait mal, c'est la douleur. Je ne veux plus souffrir.
Le Pope fit de nouveau face aux deux Saints.
– Voici les détails de la mission, tels que me les a communiqués le Chevalier du Capricorne. La femme chevalier Desdérone, Sainte du Cocher, s'est rendue coupable de propos blasphématoires envers le Sanctuaire, et a refusé toute invitation à venir s'expliquer. Elle a répandu ses idées néfastes à ses apprentis et constitue une menace. Shura du Capricorne s'est rendu à son camp d'entraînement, à côté de Buen Pasto en Patagonie, mais la femme lui a échappé, avec trois de ses apprentis. A présent, ils sont en fuite dans la forêt non loin du Laguna Colorada. Leur projet n'est certes pas de disparaître et d'échapper au Saint d'Or, mais bien de le piéger et de l'attaquer au moment idéal. C'est pourquoi vous partez dans deux heures pour Buen Pasto. Un espion présent sur place vous mènera au camp monté par le Saint du Capricorne.
– Ils vont en profiter pour se sauver le plus loin possible, non ? remarqua DM.
– Non, car Shura a réussi à les retrouver hier et a pu capturer vivant l'un des apprentis en fuite. Desdérone du Cocher est un maître consciencieux, il y a de très fortes chances qu'elle tente de le délivrer. Vous aurez l'avantage de pouvoir vous préparer et préparer le terrain au mieux. Cette mission dure depuis déjà trop longtemps, je ne tolèrerai plus de retard ou contre-temps. Vous me ferez un rapport dès que les traîtres auront été exécutés, tous les deux. Aphrodite, même si cela est ta première mission, je veux que tu t'y impliques complètement. Suis les enseignements de Shura et Deathmask de manière à accomplir ton devoir.
Les deux adolescents inclinèrent la tête.
– Ceux qui s'opposent au Sanctuaire, et à Athéna, doivent périr sans conditions. Utilisez tous les moyens à votre disposition pour le leur faire comprendre. Allez.
Le Cancer se releva, salua et tourna de suite les talons. Aphrodite l'imita, encore perdu dans ses pensées.
– Aphrodite, l'appela le Pope avant qu'il ne quitte la pièce.
– Oui, Grand Pope ?
Saga se plut à observer ses jolis yeux bleus, protéger par son lourd masque, le mouvement léger de sa chevelure mi-longue lorsqu'il se tournait.
– Ne me déçois pas.
Il inclina doucement la tête et sortit à son tour. La porte se referma avec un claquement qui résonna dans la salle vide.
Le Pope se renfonça dans son siège. Dans quelques jours au plus, il aurait un souci de moins.
– Voilà, c'est tout ce que j'ai, annonça Camus en posant un dernier ouvrage sur la table.
Lucas le prit et le feuilleta.
– Merci, Camus. Ça me sera utile.
– Pourquoi tu m'as demandé des livres de grammaire et des dictionnaires ? Tu prépares des cours ?
– Non, je me remets à niveau. Je vais avoir un apprenti français, et il y a longtemps que je n'ai pas pratiqué la langue… J'ai peur d'être rouillé.
– Si tu as besoin d'aide, demande-moi.
– Merci, ça devrait me suffire…
Le Saint se leva, prit le sac que lui tendait le Verseau et y mit le dernier livre.
– Je t'ai assez ennuyé comme ça, Camus. Je te ramènerai tout cela dès que possible.
– Rien ne presse. Tu vas partir en entraînement avec cet apprenti de toute façon, tu ne reviendras pas avant un moment, j'imagine. Ça te sera plus utile qu'à moi.
– J'essaierai tout de même de te les rapporter avant mon départ.
– Quand quittes-tu le Sanctuaire ?
– Dans deux ou trois jours, à la fin de la semaine.
Camus eut un mouvement de tête pensif.
– C'est dommage pour Aphrodite, il ne pourra pas te voir…
– Pourquoi ?
– Il part en mission aujourd'hui.
Lucas stoppa sa marche vers la sortie, lançant un regard surpris à Camus. Le rouquin haussa un sourcil.
– Tu ne le savais pas ?
– Non, quel genre de mission ?
– A ce que je sais, le Pope les envoie lui et DM prêter main forte à Shura.
– Un assassinat donc ?
– Appelle-cela comme tu veux.
Lucas serra les dents. Les missions remplies par le Cancer et le Capricorne étaient toujours des meurtres, il le savait parfaitement. Le cosmos d'Aphrodite est puissant, et s'il peut être protecteur, je crains que sa dominante ne soit la destruction. Le Grand Pope devenait fou ? Il avait lui-même conseillé la plus grande prudence concernant l'instinct destructeur du Poissons, alors pourquoi l'envoyer sur une mission pareille ? Il savait aussi bien que lui quels résultats il pouvait en ressortir ! Non pas que cela change le Suédois immédiatement en psychopathe, mais ça risquait de réveiller quelque chose d'endormi en lui. Quelque chose à ne pas faire ressurgir. La création de son propre père.
– Pourquoi on ne m'a rien dit ?
– Tu n'es plus son maître, le Pope n'a aucun compte à te rendre, trancha la voix atone du Français.
Peut-être, mais il sait très bien que ce genre de décision est risqué, aurait-il oublié nos conversations à ce sujet ? pensa amèrement Cassiopée. Encore une chance que Camus laisse traîner ses oreilles un peu partout au Sanctuaire, sinon il n'en aurait jamais rien su, avant qu'il soit trop tard… Il bloqua soudain.
– Camus, quand Aphrodite part-il ?
Le Verseau regarda l'horloge au mur.
– Dans une demi-heure, tu n'arriveras jamais au tarmac à temps…
– Je dois quand même essayer. J'ai un mauvais pressentiment, s'excusa le Saint d'Argent en quittant précipitamment le Chevalier d'Or.
Camus soupira. Il ne comprendrait jamais pourquoi Lucas de Cassiopée s'était tellement attaché au Poissons. Il confondait ses rôles. Il ne se rendait sûrement pas compte de la mauvaise influence que cela avait sur tous les deux, incapables de se débarrasser de liens affectifs inutiles et gênants. En cas de guerre, un ennemi n'aurait aucun mal à le comprendre lui aussi.
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Aphrodite regardait le béton de la piste de décollage qui filait de l'autre côté de la fenêtre. Le Sanctuaire utilisait l'aéroport international d'Athènes, dans lequel il avait une piste et un petit jet privé, pour les déplacements à longue distance. Il était dix heures et ils avaient croisé peu de monde. DM, assis à côté de lui, écoutait son walkman, les yeux fermés. Ils avaient mis leurs urnes avec les armures à la cale. Aphrodite se sentait nu sans elle. Il ferma les yeux, se concentrant pour faire le vide en lui, malgré le son étouffé de la musique de son compagnon. Dans le silence, il ressentit le faible chant qui en émanait. Il rouvrit les yeux, rasséréné. La voiture du Sanctuaire qui les avait amenés jusqu'ici était un petit point à présent, s'éloignant pour rentrer au Domaine Sacré. Shaka avait promis de s'occuper de ses rosiers et de l'oiseau en son absence. Aphrodite savait pouvoir lui faire confiance, mais il ne pouvait s'empêcher d'être un peu inquiet. Et surtout, il sentait un pincement au cœur. Il aurait voulu que Lucas soit là, au moins pour lui dire quoi faire une fois en mission ou pour lui parler un peu de ce pays étrange qu'il ne connaissait pas. En deux heures, il avait dû préparer ses affaires et les quelques lectures qu'il avait faites n'avaient pas servi à grand-chose. Il comprenait mieux quand c'était Cassiopée qui expliquait les choses. Mais il n'était pas venu. Lucas s'en fiche sans doute. Il soupira.
Au moins, Shaka l'avait accompagné, lui. Les gardes du Sanctuaire n'avaient pas pu l'empêcher de venir, il ne leur avait pas laissé le choix. DM avait laissé échapper une moquerie que l'Hindou n'avait pas relevée. Et puis, Aphrodite lui avait demandé sa faveur, le blondinet avait accepté, c'était les seuls mots qu'ils avaient échangés lors du trajet. Cela leur suffisait. Sur le tarmac, Shaka avait tout de même dit quelque chose de bizarre, qui l'avait marqué…
– Aphro, laisse-moi te dire quelque chose. Il est facile de tuer, mais plus courageux de laisser vivre.
– Shaka…
– N'oublie pas ça, s'il te plaît.
– Eh Bouddha, vas pas lui mettre des conneries dans la tête, avait coupé DM en tirant Aphrodite par le bras. Allez monte, toi, on va être en retard.
Il est facile de tuer, mais plus courageux de laisser vivre. Il ne voulait pas tuer. Mais il n'aurait sûrement pas le choix.
Règle 6 : Ne jamais désobéir au plus fort
Le Pope était le plus fort. Le plus fort a la Justice à ses côtés maintenant. Ne pas désobéir. Cela fait souffrir. Ne plus penser à rien. Il se faisait peur tout seul. Il ferma de nouveau les yeux. Autant dormir un peu, le voyage durerait plusieurs heures. Plutôt dormir que trop réfléchir. Il fit apparaître une rose rouge sombre et enfouit presque son nez dans les pétales soyeux, enivré par l'odeur apaisante.
Dors, je te protègerai
Je te chanterai une berceuse
– Oui, chante… murmura Aphrodite.
DM avait arrêté sa musique et lança un regard en coin au gamin aux cheveux azur. Il parlait tout seul maintenant ? Ça promettait ! Le Pope était vraiment peu inspiré de lui coller ce mioche sur le dos. Déjà qu'il était invivable au Sanctuaire… Il ronchonna pour la forme encore une fois puis ouvrit le sac qu'il gardait à ses pieds et en tira un magazine qu'il parcourut distraitement. Il se demandait comment Shura s'en tirait en les attendant.
Les petits doigts enserraient la craie grasse maladroitement, la guidant sur la feuille blanche. Rouge. Ce n'était pas encore assez rouge. C'était plus rouge la veille, plus foncé. Il y avait l'odeur avec. L'odeur aigrelette, qui piquait le nez, qui écœurait. Il la sentait toujours sur lui, même s'il s'était lavé de bas en haut, frottant fort pour faire partir le sang. Il avait ravivé ses blessures. Son dos le brûlait toujours, et il avait dû dormir sur le ventre. Il pleuvait aujourd'hui et Svend n'avait pas pu l'emmener dehors. Ou alors, c'était parce qu'il y avait de la visite. Une cousine à ce qu'il avait compris. Svend avait refusé qu'il se montre, prétextant qu'il était malade auprès de la parente. Ou qu'il était à l'école, il ne savait pas trop. Sa mère avait protesté puis s'était tue. Svend avait ordonné qu'il ne fasse pas le moindre bruit. Il savait le prix à payer s'il désobéissait. Svend savait parfaitement que son dos et ses poignets le faisaient souffrir. Svend était un sale bonhomme, mais il était le plus fort. Le gamin avait envie de pleurer. Il se retint avec peine. Le croque-mitaine ferait plus mal encore s'il l'entendait ou le voyait craquer.
Il poursuivit son dessin, la main tremblante. Elle hurlait, elle hurlait, avec du rouge partout. Et ensuite, plus de bruit, mais du rouge partout, encore plus de rouge, avec du blanc. Il appuya plus fort. Si, un bruit. PAM. Ou POUM. Ou BOUM. Un bruit comme du tonnerre. Il s'arrêta. Regarda la feuille. Un ovale marron et noir allongé dans un coin et tout autour, un immense aplat assez maladroit de couleur sanglante, presque sur toute la feuille. Pas assez rouge. Mais il n'avait pas de couleur plus proche. Elle hurlait, la biche hurlait, elle avait peur. J'ai tué la biche. J'ai tué la biche, j'ai…
Il entendit des voix dehors et laissa tomber le dessin pour se coller à la fenêtre. Sa mère et une femme qu'il ne connaissait pas étaient dehors. Il y avait un enfant avec elles. Un petit garçon. Il courait en riant, s'amusant avec la neige détrempée au grand dam des deux jeunes femmes. Qui était-il ? Le trio s'éloignait vite.
Il frissonna en entendant sa porte claquer.
– Recule immédiatement de cette fenêtre ! tonna la voix forte de son père.
En quelques secondes, il était déjà à côté de lui. Une main puissante claqua sur sa joue et l'éloigna en le tapant au sol. Le petit sentit sa lèvre trembler. Non… Non, ne pas pleurer… Non !
– Pas capable d'obéir à quelque chose de simple… maugréa Svend.
Il aperçut le dessin au sol et l'observa. Le petit avait dû apprécier l'expérience visiblement, puisqu'il y dessinait après. C'était assez ressemblant. Le rouge du papier était juste un peu plus clair que dans la réalité. Il se reconcentra sur le gamin. Il essayait de masquer ses larmes silencieuses. Svend sentit son sang ne faire qu'un tour. Toujours cette foutue faiblesse !
– Tu chiales ?
Le gamin tressaillit et passa des mains nerveuses sur son visage pour effacer les preuves de sa culpabilité.
– N…Non !
– Et menteur avec ça…
Aphrodite se recula contre le mur en voyant les mains de son père détacher sa ceinture. L'ogre sembla s'agrandir alors qu'il se rapprochait. Il tremblait de plus en plus. Ses larmes ne se tarissaient plus. Il avait même oublié la douleur de son dos.
– Je vais t'apprendre à mentir et à désobéir, moi…
– Papa… Papa, ursäkta1 !
La lanière de cuir claqua.
Des mains le touchèrent et il se réveilla en sursaut, lançant la rose sur son agresseur.
– EH ! Bon dieu mais fais gaffe, merde !
La voix de DM lui fit ouvrir les yeux. L'Italien avait évité la fleur qui s'était enfoncée dans le plafond du jet, et son regard jetait des éclairs de rage.
– Je sais pas ce qui me retient de te botter le cul pour ça !
– Peut-être le fait qu'on ait autre chose à faire.
Aphrodite reconnut la voix de Shura. L'Espagnol était debout un peu en arrière, près de la porte. DM ne dit plus rien, se contentant de prendre son sac sur l'épaule et de quitter l'appareil. Le Capricorne s'approcha.
– Tu faisais un mauvais rêve ?
– Quelle importance ? déclara juste le Suédois en se levant.
Il avait pris une mauvaise position pour dormir et sa nuque lui faisait mal. Il récupéra sa fleur.
– Dépêche-toi de venir.
Il suivit sans mot dire le Capricorne. Il faisait nuit noire dehors et une Jeep attendait au pied du jet que les Saints prennent place. Tout était calme aux environs. Buen Pasto n'était pas une ville énorme et la piste où avait atterrit l'avion avait l'air désertée en temps normal. On chargea les quelques bagages et les urnes à l'arrière et la voiture démarra, s'enfonçant à travers bois. Aphrodite leva le nez vers le ciel. Il ne voyait plus sa constellation ici, toutes les étoiles étaient différentes. La chaleur était étouffante.
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– Alors Bête à Cornes, qu'est-ce que tu fous ici ? demanda DM en se penchant vers le Capricorne, assis à l'avant. D'un mouvement de menton, il désigna l'espion du Pope qui conduisait : Je croyais que seul le fouille-merde devait être là.
L'homme ne dit rien. Il était habitué à ce genre de surnoms affectueux. Shura se tourna à moitié.
– C'est vrai, mais il y a eu du changement. Desdérone a essayé d'attaquer le campement que j'avais dans lajungle, elle m'a pris par surprise et j'ai dû me rabattre en arrière.
– Tu me fais honte, c'est qu'une bonne femme et des sous-apprentis qui n'ont même pas d'armure.
– Ils sont très forts, et Desdérone est une vraie panthère, elle connaît le coin comme sa poche. Bref, maintenant, on est 5 kilomètres en arrière. Un des apprentis restants a été blessé dans l'assaut, son maître a battu aussi en retraite pour le soigner. C'était il y a à peu près une heure, et j'ai assommé le prisonnier pour qu'elle ne se guide pas à son cosmos.
– T'as pas essayé de lui secouer les puces pour savoir où ils créchaient ?
– Ils n'ont pas de campement fixe.
– Des amateurs.
– Pas tant que ça.
– Je vais te les bouffer moi, tu vas voir, se félicita le Cancer en se renfonçant dans son siège, les mains derrière la tête.
Shura sourit amicalement puis regarda Aphrodite, dont le regard se perdait dans les sous-bois sombres. Il n'avait jamais vraiment parlé avec lui au Sanctuaire, mais maintenant qu'ils étaient tous les trois dans la même galère, il n'avait guère le choix. Autant qu'il fasse les premiers pas…
– Aphrodite, pas trop nerveux ?
Son cadet d'à peine un an le regarda droit dans les yeux, ce qu'il faisait rarement dans des circonstances normales. Malgré la nuit, Shura leur trouva une beauté presque envoûtante.
– Pourquoi je serais nerveux ?
– C'est ta première mission, c'est impressionnant.
– C'est un ordre du Pope.
– Tu sais en quoi elle consiste pourtant, non ? Ce n'est pas anodin au début…
Lui-même se souvenait bien de la première fois où il avait tué quelqu'un. Aioros du Capricorne. Ses yeux, sa fuite désespérée pour protéger il ne savait quoi, ses mensonges sur le Pope criés d'une voix haletante et tremblante. Ça l'avait tellement impressionné qu'il n'avait pas pu le mettre à mort directement.
Aphrodite haussa les épaules.
– C'est un ordre, répéta-t-il doucement.
Il regarda de nouveau la forêt. Pour la première fois, Shura eut l'impression de se trouver face à une poupée vide.
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Le voyage fut long et cahoteux, mais ils parvinrent à se frayer un chemin assez loin dans la jungle touffue. A environs 5 kilomètres du campement, Shura avait fait stopper la voiture pour poursuivre à pied, afin de ne pas attirer plus l'attention. Desdérone les avait peut-être suivis ou entendus. Ils ne virent personne et c'est à minuit dépassé qu'ils atteignirent enfin le repli stratégique du Capricorne.
Campement était un bien grand mot. Un petit foyer rudimentaire, deux petites tentes, un poteau de bois entre les deux où était attaché l'otage encore inconscient. Normalement, la seconde tente servait à ranger les quelques ustensiles et provisions pour la mission, mais l'Espagnol, méticuleux, l'avait vidée et rendue disponible pour ses renforts. Son urne et le téléphone satellite étaient précieusement gardés dans sa propre tente.
Alors que le Poissons mettait ses maigres bagages à l'abri, DM s'approcha du jeune apprenti. Un gamin, du même âge qu'Aphrodite sans doute, ou peut-être un peu plus jeune. Etonnant qu'il n'ait pas encore tenté d'obtenir son armure. Il avait la peau foncée, les cheveux courts, un œil au beurre noir. Ses vêtements étaient en partie déchirés. Il avait dû lutter sérieusement avec Shura avant d'être capturé. Mais que pouvait-il contre un Chevalier d'Or ? Quel abruti, vraiment !
– C'est des demi-portions de ce genre qui te roulent dans la farine ?
– Ne te méprends pas, ils sont vraiment forts. Et Desdérone les couvre. Elle est très rapide.
– Ça tombe bien, j'ai ramené un vrai épervier, rit DM en montrant Aphrodite. Y'a que le Scorpion qui doit être en mesure d'aller plus vite.
– Nous verrons, en tout cas, ça sera bien utile. Elle a une attaque qui se base sur la vitesse. Ce qu'elle appelle le " Fouet de Lumière ". Même pour un Saint d'Or, elle est très difficile à éviter. J'ai beau l'avoir vue plusieurs fois, sa dernière phase me reste inconnue, le moment où elle porte le coup. Tu auras plus de chance que moi peut-être, ou Aphrodite.
– Et pourquoi on réveille pas Gavroche pour qu'il appelle sa maman ? Qu'on se débarrasse enfin de ces gêneurs ?
– On a tous besoin de repos, et Desdérone doit elle aussi se reposer, je ne sens plus son cosmos.
– Elle peut le cacher.
– Elle n'arrive pas à le faire totalement. De nuit, la forêt est risquée. Fais-moi confiance. Demain, dès que le jour pointera son nez, on la verra rappliquer. Il ne lui faudra pas longtemps pour nous localiser.
– On va s'éclater.
Le Cancer s'engouffra sous la tente en bousculant un peu le Poissons au passage. Shura le connaissait assez pour savoir qu'il sombrerait dans un sommeil profond dans quelques minutes. Il se demandait toujours comment il y arrivait. Lui-même ne dormait jamais que d'un œil en mission. Il remarqua qu'Aphrodite regardait les étoiles, pensif. Il s'approcha doucement.
– Tu devrais te coucher toi aussi, la nuit sera courte.
– … Shura, c'est facile de tuer, non ?
– Pardon ? laissa échapper le Capricorne, surpris.
– Tuer, c'est facile, répéta le Suédois doucement. Je me trompe ?
– Non… C'est aisé… reconnut-il, voyant mal où le Poissons voulait en venir.
– Est-ce que c'est mal ?
– … Quand ce sont des ennemis, c'est une bonne chose.
– C'est le Pope qui dit qui est ennemi ou ami ?
– Le Pope transmet les mots d'Athéna, notre déesse.
Aphrodite hocha la tête.
– Alors, tuer pour le Pope est une bonne chose.
– Vu comme ça, je dirais que oui. Mais ce n'est jamais agréable.
Aphrodite baissa un peu la tête. Shura aurait pu jurer voir un faible sourire se dessiner sur ses lèvres.
– Pourtant, les bonnes choses sont toujours agréables. Bonne nuit, Shura, conclut le jeune adolescent en disparaissant à son tour sous la tente.
Shura soupira. Le départ du Poissons laissait une atmosphère étrange.
– Drôle de gamin…
Il tourna les talons pour rejoindre son propre sac de couchage.
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Shura entra silencieusement dans la tente. DM était déjà sorti en repérage, laissant dormir encore le Poissons. Plus parce qu'il détestait être accompagné que par bonne action envers son prochain. A la lueur du jour naissant, le Capricorne ne put s'empêcher de figer un instant devant le spectacle qui s'offrait à lui. L'enfant le plus sauvage du Sanctuaire, complètement abandonné au sommeil. Ses cheveux légèrement bouclés d'un bleu étonnamment clair s'étalaient autour de son visage de poupée en une corolle légère et soyeuse. Il avait envie de les toucher mais retenait son envie déplacée. Les traits du Poissons étaient détendus, presque sereins, cela était si rare qu'il avait l'impression de découvrir une autre personne. Son teint pâle contrastait avec sa chevelure. Si petit, si mince… Il avait l'air à cet instant aussi fragile que du verre. Shura se pencha un peu sur ce visage envoûtant. Il en oubliait presque l'urgence de la situation. A nouveau, cette ambiance étrange… Même quand il dormait, le Suédois en était accompagné… Comme un malaise… indéfinissable… Il avait encore une apparence enfantine, mais il fallait reconnaître que sa beauté, elle, transcendait son physique. Elle en paraissait irréelle.
Une lueur dorée attira soudain l'attention du Capricorne. L'urne de l'armure des Poissons s'était mise à luire faiblement. Elle voudrait défendre Aphrodite ? Elle croit que je veux lui faire du mal ? Il connaissait la réputation de cette armure aux arrêtes tranchantes. Elle buvait le sang. S'était-elle attachée à celui qui l'avait vaincue ? Impossible… Shura secoua la tête en sentant le cosmos de Deathmask l'appeler. Il n'avait pas de temps à perdre avec ces considérations. Il posa la main sur l'épaule de l'adolescent et la secoua doucement. Il ne voulait pas risquer le même bonjour que le Cancer la veille.
– Aphrodite, allez, réveille-toi.
– Mmm… Shura ? murmura d'une voix un peu pâteuse le Poissons en se frottant les yeux.
– La mission commence plus tôt que prévue. Desdérone est dans les parages. Prépare-toi le plus vite possible, commanda-t-il en se retirant.
L'Espagnol ressortit à l'extérieur et jeta un regard au Cancer qui revenait de son petit tour dans les bois.
– Alors ?
– Elle est encore à bonne distance, mais elle se rapproche. Vu l'état de la cambrousse… Elle ne peut se frayer un chemin que par là, par là et par ici, annonça l'Italien en désignant les directions.
– Elle va nous prendre en étau.
– Et sans mal. Classique et sans surprise.
– Mais efficace.
– Oui, mon maître va vous avoir, ricana l'apprenti avec un fort accent brésilien.
DM et Shura le regardèrent.
– Si t'étais resté endormi toi, t'aurais pu crever sans souffrances, maugréa le Cancer.
– Je me fiche de mourir, je serai un martyr. Je mourrai libre des mensonges du Sanctuaire.
– Tu changes jamais de disque ?
– Non, parce que c'est la vérité ! Le Pope est un traître et Athéna n'existe pas au…
Un puissant coup de poing l'obligea à se taire. Shura le transperçait du regard. S'il y avait bien une chose qu'il ne supportait pas, c'était les blasphèmes contre la Déesse.
– On a autre chose à faire qu'entendre tes inepties ! Maintenant, tu la fermes.
– Tiens, en voilà un autre qui émerge, remarqua DM en regardant arriver Aphrodite dans son armure. Il ricana : T'es sûr que tu t'es pas trompé de taille ?
Le Poissons ne releva pas. La protection sacrée créait un effet étrange entre les bras et le visage fins de l'adolescent et le corps que l'armure rendait plus imposant. Shura remarqua cependant la taille que ça lui faisait, moulée et svelte bien qu'encore peu marquée par son corps jeune… Il se réprimanda mentalement de cette pensée.
– Mets ton casque Aphrodite. Un mauvais coup est vite arrivé.
– J'ai entendu DM… commença l'enfant en obéissant. Desdérone approche.
– Oui. Elle et ses deux apprentis, le troisième étant ici. Il s'est réveillé avant nous et s'est servi de son cosmos pour l'attirer.
– Ce qui veut dire qu'elle s'attend parfaitement à ce qu'on l'attende pour lui botter son petit cul de nana, coupa DM, impatient. Ils sont trois, nous aussi, on en prend un chacun et on sera débarrassé.
– Mais… Et celui-là ? demanda le Suédois en désignant l'otage.
– Ah, lui… Bah, il nous est plus utile.
Le Cancer s'approcha d'un pas vif de l'apprenti et lui tira la tête en arrière. D'un geste rapide, il lui trancha la gorge sans même sourciller. Shura émit une vague protestation, alors que le Poissons sursautait. Rouge… Le sang… Si rouge… Pas rouge… Foncé, très foncé… L'odeur le fit reculer. Elle lui semblait forte. Pourquoi n'a-t-il pas crié ? Il gardait son regard azur fixé sur le corps flasque. L'apprenti n'avait eu ni le temps ni l'envie de se débattre. Pourquoi ? Il ne comprenait pas…
– Eh Princesse, on se réveille, le secoua DM en l'attrapant par le bras.
Le Poissons, tiré de sa torpeur, se débattit pour qu'il le lâche mais le Cancer serra plus fort.
– Si tu supportes pas la vue du sang, tant pis pour toi, t'auras qu'à fermer les yeux. C'est une guerre, pas une promenade de santé, pigé ? Alors tu vas arrêter de la jouer gamine et te conduire en chevalier, morveux.
Il le plaça vers l'arrière du campement. Shura n'était plus en vue.
– Ouvre grand tes oreilles, le mioche, commanda le Cancer d'un ton rapide. C'est la loi de la jungle ici, c'est le plus fort qui gagne. Shura et moi, on craint rien de ces demi-portions, mais toi, le petit bleu, tu peux y laisser ta peau et c'est moi qui aurai des emmerdes après. Alors je me fous de savoir si tu les égorges, les étripes, les dépèces, les bats ou les noies, mais tu me buttes tous les fils de salaud qui passeront à côté de toi, compris ? Ce sont des ennemis, pas de pitié pour eux, eux n'en auront pas pour toi. Questions ?
– … Pourquoi l'apprenti n'a pas crié ? murmura le Poissons qui semblait n'avoir pas tout suivi.
– Pardon ? Comment ça, "pourquoi" ? T'as déjà vu quelqu'un gueuler avec la gorge tranchée ! Cretino… Je vais être pas loin de toi, alors je t'aurai à l'œil. Tu fais UNE seule erreur, une seule faute, t'en laisses échapper un, et c'est moi qui te casserai ta petite frimousse de Miss Monde. Tu buttes, avant d'être butté.
Sans un mot de plus, le Cancer s'éloigna à une trentaine de mètres, près de l'un des chemins d'accès qu'il avait découverts à travers bois jusqu'à leur campement.
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Aphrodite ne saisissait pas tout. Il détestait tuer, parce qu'il y avait le bruit, la couleur, l'odeur. Mais… Quand DM avait… Il n'y avait pas eu tout ça… L'odeur oui… Mais la couleur était différente, et pas de bruit… C'était différent quand on tuait des humains ? Non… Pas des humains… Il se recula pour se mettre à couvert. Un cosmos ténu s'approchait de sa position. Pas des humains… Des ennemis.
– Pas des humains… murmura-t-il.
Il fit apparaître une rose entre ses mains.
Le Mal ne t'atteindra pas
Nous abattrons ces nuisibles
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Les cosmos se fondirent soudain en un seul. Le geste surprit Shura et DM. Les trois attaquants avaient accéléré brutalement en se cachant au mieux ; seule l'aura de Desdérone restait perceptible, mais si faiblement qu'elle n'eut aucun mal à se déplacer jusqu'à sa cible.
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Shura, attentif bien que déstabilisé, entendit un branchage casser près de lui et distingua la silhouette qui s'approchait de lui rapidement. Il évita une décharge de cosmos d'un saut sur le côté. DM, à l'autre bout du camp, en faisait autant. Sans trop de mal, le Capricorne se réceptionna et se redressa bien plus vite que ne l'avait pensé son attaquant. Il courait vite vers le corps de l'otage et ne remarqua que trop tard le Chevalier d'Or déjà d'attaque, bras tendu en forme de lame.
– Toi, tu viens de faire ta dernière erreur ! sourit le Capricorne.
L'autre essaya de charger son attaque en pleine course. Son but était d'avant tout d'aller sauver son camarade…
– Vagues du…
– Trop tard ! Excalibur !
Un rai de lumière s'échappa du bras baissé de Shura et percuta de plein fouet le jeune homme, lui sectionnant une partie du visage et du tronc dans un cri étranglé. C'est trop facile… Ce n'est pas normal…
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Deathmask arrêta sans mal la décharge d'énergie que lui avait envoyée son propre assaillant. Il sourit en voyant du coin de l'œil que Shura s'était si vite débarrassé de son adversaire.
– Je savais qu'on nous avait faits venir pour rien… Fais chier !
Il renvoya sa propre attaque à l'apprenti face à lui, qui l'évita gracieusement.
– Entomo était son frère ! ragea le blond face à lui. Vous… Vous l'avez tué ! Vous êtes des monstres !
– Nuance, on est des Saints respectables et toi, un futur macchabée. Vois le bon côté des choses…
DM s'élança droit sur lui et lui balança un coup de poing qui l'envoya contre un arbre.
– … Ils seront ensemble dans la mort !
Son poing fermé fut stoppé par l'apprenti.
– Desdérone avait raison… Le Sanctuaire est corrompu… balbutia le jeune homme.
Deathmask ne répondit rien, le visage fermé.
– Ce sont les apprentis, se dit à haute voix Shura en détaillant la tenue de celui qu'il venait de tuer. Desdérone nous a eus…!
Il se mit à courir droit vers Aphrodite. La garce était de la région ! Elle, elle n'avait pas besoin de chemin pour traverser les feuillages et broussailles ! Elle allait attaquer le plus faible, comme lui l'avait fait… Aphrodite allait se faire…
– APHRODITE !
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Le Suédois restait concentré et silencieux. Il venait de repérer plus précisément le cosmos qui s'approchait de lui. L'autre avait ralenti. Il guettait lui aussi, quelque part dans la forêt. Il devait sûrement le voir d'où il était. Il entendit la voix de Shura qui disait quelque chose. Soudain, quelque chose bougea droit devant lui au loin. Vif comme une panthère, il se lança à la poursuite de l'ennemi qui fuyait au plus profond de la jungle. Lui aussi savait bien se déplacer dans les bois. Il ne désobéirait pas à un ordre. Il n'y avait aucun mal à tuer ce qui n'était pas humain.
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– Aphro, non, reviens !
DM détourna la tête en voyant cavaler si vite le Capricorne. Le blond qu'il avait commencé à rouer de coups tenta de se dégager en profitant de son inattention, mais le Cancer l'assomma sans ménagement d'un coup de tête bien placé. C'était vraiment trop facile, le Pope s'était fichu d'eux en disant que les apprentis valaient le maître !
– Eh Shura, tu me le paieras, avec tes "faut pas les sous-estimer" ! Non mais t'as vu ces tapettes !
– Plus tard, DM, le vrai danger c'est Desdérone !
Le Cancer attrapa Shura par le bras pour le faire arrêter avant qu'il entre dans la forêt.
– J'ai pas le temps de t'en dire plus, elle va diviser pour régner ! Je pensais à une attaque de front… Mais c'est l'inverse ! Les apprentis étaient des leurres !
L'Italien saisit alors pourquoi il avait été si facile de les battre… Desdérone voulait les attirer un par un dans la jungle, là où elle avait l'avantage…
– Putain de merde, le morveux ! Tu pouvais pas le dire plus tôt, non !
– J'essaie de le faire depuis tout à l'heure.
– Reste là avec Blondasse…
DM lâcha Shura pour entrer dans les bois à son tour.
– Mais…
– Le Pope me l'a confié à moi, à moi de le sortir de cette merde, ragea le Cancer en disparaissant.
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Les oiseaux s'étaient tus. Adossé à un arbre, Aphrodite scrutait les sous-bois sombres. L'autre était tout proche, quelque part devant. Il sentait les pulsations de son cosmos. Un cosmos blessé. C'était la femme… Il sut que c'était la femme sans trop pouvoir dire comment il l'avait perçu. Colère. Une lâche.
– Tu es bien jeune, Chevalier, pour être envoyé par le Sanctuaire, résonna la voix tremblante de la jeune femme.
Aphrodite essaya d'en percevoir la direction, sans succès. Elle contenait sa colère, mais son cosmos la trahissait.
– Tu viens me tuer, n'est-ce pas ? reprit la voix.
Elle me voit… Il n'y avait plus besoin de se cacher alors. Le Poissons arpenta lentement les sous-bois sombres, guettant les alentours, les sommets des arbres, le sol, en quête d'indices, de marques, du Saint du Cocher. Il percevait un mouvement autour de lui. Elle le suivait. Elle aussi attendait le bon moment. Quelque chose l'empêchait d'attaquer.
– Trouves-tu cela normal ? Tu n'es encore qu'un enfant, Chevalier. Les enfants ne devraient pas être poussés à la violence, non ?
Il resta silencieux. Colère. Elle est comme Svend. Elle avait abandonné ses apprentis. Elle les avait laissés se faire tuer. Masque de gentillesse de sa voix. Masque de gentillesse dans ses gestes. Comme… Comme l'autre. Il parvint à une maigre clairière. Une odeur d'eau. Le lac n'était pas loin. Il sentit la femme-chevalier se déplacer dans les feuillages autour de lui.
– Le Sanctuaire perd la tête. Tu le sais, c'est pour cela que tu ne réponds pas…
Un ordre était un ordre, il ne devait pas désobéir au Grand Pope. Le Pope était la Force. La Force a la Justice, s'y opposer fait mal. Perdre face à elle, c'est la douleur. Je ne dois pas perdre. N'écoute pas la gentillesse. Il jouait nerveusement avec la rose qu'il tenait. La gentillesse ment toujours.
– J'ai voulu m'opposer, c'est pour ça que le Pope veut me faire taire. Il te détruira toi aussi le jour où tu ne lui serviras plus. Il faut que toute la Chevalerie se rebelle contre cet ordre de terreur. A commencer par vous, les Chevaliers d'Or. Il faut que nous redevenions fiers de notre armure. N'es-tu pas d'accord ?
La voix s'était immobilisée en face de lui. Au loin, des oiseaux s'envolèrent. Le cosmos du Cancer s'approchait. Le Poissons restait immobile, fixé droit devant lui. Des pas. Des pas dans les broussailles. Enfin, elle apparut devant lui. Sa chevelure rousse déchirait la pénombre.
– Ne me combats pas, mon enfant, murmura-t-elle doucement en s'approchant encore.
Elle tenait son fouet à la main. Il glissait doucement derrière elle. Aphrodite frémit. Le claquement du fouet, si proche. La douleur cuisante. Comme Svend. Elle s'arrêta à quelques mètres de lui, maintenant une distance de sécurité. Desdérone avait du mal à croire que le gamin frémissant face à elle fut un assassin. Il avait l'air si doux, si perdu à cet instant. La suivre aussi loin et longtemps dans la jungle relevait presque de l'exploit, elle le reconnaissait, mais il n'avait pas l'air de vouloir l'attaquer. Elle avait dû payer un tel prix pour avoir une chance de vaincre les Saints d'Or envoyés à ses trousses… Elle avait été blessée à chacun de ses apprentis tués. Mais si elle arrivait à raisonner au moins l'un des chevaliers, alors cela en valait la peine. Si les Or se réveillaient, ils entraîneraient tout le reste de la Chevalerie avec eux, ça ne faisait aucun doute.
– Ne me combats pas, répéta-t-elle amicalement, bien que sur ses gardes. Ensemble, nous pourrions laver le Sanctuaire de la vermine qui le gangrène, d'autres Saints sont prêts à donner leur vie pour cela. Les Saints doivent protéger la vie et Athéna, pas détruire. Le Pope est un usurpateur et un menteur. As-tu déjà ressenti le cosmos d'Athéna au Sanctuaire ?
Les deux yeux azur face à elle restaient sans sentiment, fixés obstinément sur elle et son fouet. L'impression de parler à du vide était désagréable. Elle risqua un pas de plus. Elle risqua une main tendue, prête à le toucher.
– Une personne qui fait pousser de si belles fleurs ne doit pas avoir du sang sur les mains, tu ne crois pas ?
Les yeux du gamin se durcirent soudain. Elle lâcha un cri en sentant une vive douleur à la main. Le gamin venait de lancer sa rose. Elle arma immédiatement son fouet en contre-attaque, mais le Saint d'Or évita l'attaque d'un saut en arrière. Il retomba presque à genoux, appuyé sur une main. Desdérone arracha la rose de sa main blessée. Ce qu'elle avait face à elle était un fauve.
– Ne me touche pas, avec tes mensonges.
Au moins, le gamin avait une langue. Elle comprit qu'elle ne le résonnerait pas.
Elle vit de nouvelles roses apparaître dans ses mains. La douleur devint plus cuisante. Qu'est-ce que ça voulait dire ?
– Le Pope dit qui est ennemi, murmura de sa voix douce le chevalier. Les ennemis doivent mourir, ce sont les ordres…
Il lança une nouvelle volée de fleurs. Ses armes ! Desdérone parvint de justesse à les éviter. Elle ne s'était pas méfiée des roses… Comment deviner qu'elles seraient des attaques ! Elle remarqua que sa vision commençait à devenir floue. Elle avait du mal à bouger son bras blessé. Un poison sans doute. Elle concentra son cosmos pour en ralentir la progression. Le Saint d'Or se dressait devant elle, sa propre énergie brillant doucement autour de lui, froide comme un serpent.
– Les ennemis ne sont pas humains, débita-t-il comme un pantin. Je ne veux pas entendre tes sales mensonges, ta gentillesse écœurante !
De la haine venait de naître dans son regard alors que ses doigts se refermaient sur les nouvelles tiges aux épines acérées. De la haine envers ce qu'elle était. Encore heureux qu'elle portât un masque pour cacher sa surprise à l'assaillant. Elle se redressa d'un geste brusque, enroulant la queue du fouet sur elle-même. Le sacrifice de ses apprentis ne devait pas être inutile ! Elle se concentra le plus qu'elle pût encore.
– Fouet de lumière !
Aphrodite sauta par réflexe en voyant le fouet devenir éblouissant. Il sentit l'air déplacé, les claquements dans le vide et quelque chose le frappa de plein fouet. Son casque tomba au sol. Comment avait-elle fait ça ? Il n'avait pas du tout vu la queue du fouet à partir du moment où elle était devenue brillante.
– Je ne me laisserai pas tuer si facilement, jeune homme, déclara Desdérone.
Aphrodite se releva, essuyant le sang perlant de sa coupure à la joue. Son cœur battait à tout rompre, son sang échaudé, son corps presque anesthésié. Le fouet qui lacère. Comme Svend. Comme ce monstre.
Je te protègerai
– Fouet de lumière ! hurla une nouvelle fois la rouquine.
Aphrodite se sentit basculer en arrière. Un fort parfum de roses l'entoura.
Je ne laisserai pas le Mal te toucher
Tout devint couleur du sang. Le fouet frappa le vide. Desdérone n'y comprenait rien. Elle ne percevait plus du tout le cosmos de l'assassin : toute la clairière venait de se couvrir d'un nuage de pétales de roses grenat. Son bras lui fit encore plus mal, comme réagissant à cette avalanche de fleurs. Elle ne sentait plus du tout la présence du gamin, comme si les roses le masquaient complètement. Elle n'avait jamais rien vu de tel. Elle enroula le fouet autour d'elle, tentant de rester sur ses gardes. Sa gorge s'asséchait. Elle avait de plus en plus chaud.
Quelque chose la percuta sur le côté et l'étala au sol. Du brouillard de roses émergea le petit aux cheveux bleus, ses yeux félins braqués sur elle. Les pétales l'effleuraient comme s'ils le caressaient. Le nuage commença à se résorber.
– Tu te croyais forte. Mais tu l'es moins que mon amie, murmura le Saint. Tu es faible, tu t'es servie des autres pour essayer de vaincre. Faiblesse, mensonge, gentillesse…
La haine, toujours plus forte. Desdérone frissonna de la voir à un tel niveau dans des yeux d'enfant. Il était au-dessus d'elle, la dominant totalement. Le poison dans son corps commerçait à la paralyser complètement et l'affaiblissait. Un bref éclat de cosmos à sa main, une rose apparut de nouveau.
– Toutes pareilles. Toutes les mêmes. Toutes aussi haïssables, continua d'un ton frissonnant le Saint des Poissons avant de porter la rose à sa bouche.
Il s'accroupit presque, la main tendue. Tu as déjà vu quelqu'un crier avec la gorge tranchée ? Si la gorge est tranchée, il n'y a pas de son. Pas de couleur. Pas d'odeur avec mon amie à mes côtés. Ce qui n'est pas humain doit mourir.
Règle numéro 8 : Tu ne souffriras pas que vive plus faible que toi
Il abaissa la main comme il avait vu DM le faire.
Tuer est facile, mais laisser vivre est plus courageux, Aphro
Desdérone rouvrit les yeux. Le coup ne venait pas. La main était à quelques millimètres de sa gorge à nue, mais l'enfant s'était immobilisé. Ses yeux portaient une hésitation à présent.
Tuer est facile, mais laisser vivre est plus courageux, Aphro. Règle numéro 8 : Ne pas souffrir que vive plus faible que toi. Aphrodite avait une contradiction pour la première fois. Shaka sera peiné si je ne l'écoute pas. Il ne sera plus mon ami. Mais…Ne pas désobéir à un ordre… Ne pas désobéir, c'est la souffrance sinon…
Haletante, la femme n'osait bouger de peur de réveiller le Saint d'Or en proie à ses pensées.
Shaka… Shaka…Shaka me dira quoi faire…
Le Saint se releva, toujours troublé et tourna le dos à la femme allongée au sol. Elle ne comprenait décidément pas ce qu'il se passait dans sa tête… C'était lâche, mais son restant de forces devait lui servir. Son geste serait utile à d'autres. Ce Saint d'Or était dangereux.
Aphrodite marcha à travers la clairière et releva les yeux, le souffle court. Deathmask était là, l'air furieux. Il s'arrêta instinctivement en le voyant concentrer son cosmos dans sa main.
– DM, qu'est-ce…
– COUCHE-TOI, CRETIN DE POISSONS ! hurla l'Italien en lâchant sa décharge de cosmos droit sur Aphrodite.
Surpris, le Suédois obéit, se protégeant la tête des mains. Il sentit la boule d'énergie lui chauffer la joue et percuter quelque chose juste dans son dos. Ça s'effondra avec un petit cri aigu. Il se tourna, ahuri. Desdérone n'était plus, la poitrine carbonisée, le poing encore serré sur une pierre aiguisée.
DM rejoignit le Poissons et le bouscula pour qu'il tombe au sol.
– Pauvre andouille, un peu plus et t'y passais ! Mais qu'est-ce qui t'a pris de pas la tuer quand tu le pouvais ! Tu veux tellement crever, c'est ça ? Tu penses aux emmerdes qui me seraient tombées dessus ! Tu imagines si elle avait été nous attaquer après t'avoir zigouillé ? On ne tourne jamais le dos à l'ennemi !
– Je… Je… J'ai hésité… je… Shaka disait…
– M'en fous de ce que dit Little Bouddha, il n'est pas sur le terrain comme nous ! continua à s'irriter le Cancer. Il attrapa son cadet par le col de l'armure : Je me fous de savoir ce qu'il dit, pense, ou fait de ses fesses ! En mission, il n'y a qu'une seule chose de vrai : Tue avant d'être tué ! Sinon, c'est toi qui y passeras et les autres se fouteront de savoir si t'as joué ou pas le bon Samaritain. Et si t'es maso, attends d'être en mission solo pour te faire exploser la gueule, j'ai pas l'intention de crever ou laisser crever Shura parce que Princesse n'aura pas voulu tuer un putain de rebelle ! Compreso ?
Aphrodite inclina doucement la tête. Contenté mais toujours furieux, le Cancer le relâcha.
– Bouge tes fesses, il en reste encore un à mater et après, on rentre au Sanctuaire.
Aphrodite le regarda s'éloigner, et ramassa la rose tombée au sol d'un geste lent, prenant la suite de l'Italien. Tout s'embrouillait dans sa tête. Tuer avant d'être tué… C'est vraiment la seule règle importante ? Shaka le saura lui… Mais si Shaka avait tort ?…
Que j'étais bête… Maintenant, j'ai compris. Ça ne m'a pas pris vraiment longtemps en fait. Quatre ans, après cette première mission. Ceux qui pensent qu'il existe toutes sortes d'êtres humains, de peuples, de races, se trompent lamentablement. Il n'y a jamais eu que deux espèces. Les Forts et les Faibles. Les Vainqueurs et les Perdants. Les Prédateurs et leurs Proies. Tout repose sur cette dualité-là. Si on n'appartient pas à l'une, on fait partie de l'autre. C'est tout. Et l'une des deux aura toujours le dessus sur l'autre, parce qu'elle est la vraie Force, la Puissance. Elle écrase. Elle domine, dirige. Tue. Elle a bien raison. Puisqu'elle en a le pouvoir. J'ai été un idiot. J'ai longtemps cru être un Prédateur, un Vainqueur. Crétin ! Je me suis réveillé quand j'ai trouvé mon Chasseur. Plus fort que moi. Beaucoup plus fort. Le seul être que je ne pourrai jamais affronter ou défaire. Celui qui me tue à petit feu. Il a raison. Je ne suis rien. J'ai toujours été un Perdant et Il est là pour me le rappeler. Lucas, me pardonneras-tu jamais de t'avoir ainsi trompé ? Si tu l'avais su depuis le départ, jamais je… jamais je ne t'aurais…Tu ne te serais pas laissé faire… Tu ne m'aurais pas laissé faire…
Des bras forts et puissants. Frissons. Des lèvres dans son cou.
– Qu'est-ce que tu fais encore là ?
Lucas…
– Tu en reveux, c'est ça ? Tu n'es pas raisonnable, je suis un homme comme les autres, il faut que je récupère, plaisante-t-Il
De nouveaux frissons. Lucas… Il sent les mains se rapprocher de son ventre à travers les vêtements. Des baisers toujours plus chauds dans son cou. Une main se pose sur son menton. Lui tourne la tête avec fermeté.
– Pourquoi rends-tu ça toujours si difficile, alors que tu y adores ?
L'éclat dans Ses yeux… Il est déstabilisé, encore, comme ce matin, où Il a été gentil avec lui. Où il avait refusé de le sauver, malgré ses suppliques lamentables. Sous prétexte qu'Il l'aime.
– Embrasse-moi, mon petit oiseau. J'aime tes baisers. Laisse-toi aller, ma petite poupée.
Sans attendre la réponse, Ses lèvres se posent sur les siennes, les forcent à s'ouvrir. Il ferme les yeux. Il se dégoûte.
Lucas attendait, anxieux. Il n'avait pas pu arriver à temps au tarmac, et aujourd'hui encore, il était arrivé trop tard pour voir Aphrodite avant son rapport au Pope. Shura avait parlé de sa mission à Milo, toujours friand de récits, qui en avait ensuite parlé au Chevalier de Cassiopée. Il avait été soulagé de savoir que le Poissons n'avait pas tué Desdérone. Mais il avait failli… Il craignait l'état psychique dans lequel avait pu plonger l'adolescent. Shaka avait préféré attendre Aphrodite dans son Temple. Peut-être l'Hindou pourrait-il en savoir plus… Cela faisait déjà un moment que le rapport de mission avait commencé.
Estia, assise face à lui à l'entrée du palais du Pope, le regardait faire les cent pas comme un père à la maternité. Il n'avait pas digéré le départ en mission d'assassinat de son protégé. Et il n'aimait pas devoir partir le jour même où celui-ci revenait. Le Pope les avait convoqués pour leur attribuer les camps d'entraînement de leurs nouveaux apprentis, et le départ serait immédiat. Au sortir d'une mission, les trois Saints d'Or seraient fatigués, notamment avec l'important décalage horaire. Ils n'auraient certainement qu'une envie : se coucher.
Les portes s'ouvrirent enfin. Le Capricorne sortit le premier, suivi peu après du Cancer. Il dit vaguement à Cassiopée curieux que le Pope s'entretenait en privé rapidement avec Aphrodite, sûrement pour le sermonner sur son échec. Le Chevalier d'Argent se refrogna. Il avait toujours ce pressentiment étrange. Enfin, parut la chevelure turquoise attendue. Le Suédois était fatigué, ses traits tirés le trahissaient.
– Aphrodite ?
– Lucas ? Excuse-moi… mais je crois que j'ai besoin de me reposer… On parlera plus tard…
– Je serai absent longtemps.
Aphrodite se rappela de la discussion étouffée qu'il avait surprise.
– Ton apprenti ? Tu pars aujourd'hui ?
Il s'en voulait d'être si fatigué pour ne pas profiter de la présence de son ancien maître plus longtemps.
– Oui, après l'entretien avec le Pope... Aphrodite, je voulais te dire que je suis heureux que tu aiEs suivi ton cœur.
– Pour la femme ? Shaka… Shaka disait différemment que DM… Je ne savais plus qui écouter…
Shaka… Merci… pensa Lucas.
– Ecoute ce qui te semble juste…
Un garde les coupa, annonçant que le Pope était prêt à recevoir les Chevaliers d'Argent. Aphrodite soupira et s'éloigna un peu à regret de Cassiopée.
Le Pope s'était avancé lui aussi, et observait les trois Saints d'Or du pas de son palais. Shura et DM ne l'avaient pas déçu, comme à l'habitude, même si le Capricorne reconnaissait que l'erreur stratégique de Desdérone avait été pour beaucoup dans leur si rapide victoire. Aphrodite l'inquiétait un peu plus. Le Cancer avait clairement dit qu'il n'avait pas exécuté la traîtresse à sa cause, parce que la Vierge lui avait dit quelque chose. L'ascendant de l'Hindou sur le Suédois était plus nocif qu'il ne l'avait pensé. Aphrodite avait bien le potentiel. Il devait le renvoyer en mission au plus tôt, pour éviter que ses capacités amenées à la surface, ne re-disparaissent, plombées par Shaka. Il sourit méchamment sous son masque, regardant le mouvement des cheveux ondulés. Qu'il était mignon dans son armure. Il aurait aimé le voir en action. Couvert du sang de son adversaire. Peut-être une autre fois. Son nouvel assassin ne demandait qu'une pichenette pour naître tout à fait. Il la lui donnerait. Sur un plateau d'argent.
Le pressentiment devint plus fort. Lucas regarda du coin de l'œil le Pope toujours immobile, le visage pointé sur les escaliers, et le Sanctuaire… Pointé sur Aphrodite des Poissons qui disparaissait vers son Temple. Il comprit alors ce qu'il ressentait. Il détestait savoir son ex-apprenti entre les mains du Grand Pope, cet homme qu'il reconnaissait de moins en moins. Il haïssait cette impression tenace qui l'étreignait, celle de l'abandonner face à quelque chose de dangereux.
Le temps a deux visages
qu'il vous protège ou vous menace,
et la vie en deux se partage :
limpide un jour bientôt s'altère.
De nos tourments si l'on se rit,
c'est que jamais du temps qui passe
on n'a connu tous les dangers.
(…)Le sort aujourd'hui est contraire,
son malheur sur nous se prolonge.
Tu veux que la vie soit propice,
négligeant les coups du destin.
Le calme de la nuit te leurre :
le malheur naîtra au demain.
Les Mille et Une Nuits – Le Marchand et le Démon (1ère Nuit)
A suivre !
Notes de l'Isa : Voilà donc la première partie du chapitre 3, je vous préviens, le Poissons va morfler grave ( côté sadique de l'Isa : Ouéééééé ) que ce soit dans les flashbacks ou dans les temps" présents" si on peut dire.
Je pense mettre la suite d'ici pas trop de temps, le chapitre 4 est déjà en route pour sa part. Normalement, jusqu'à la fin du chapitre 3, l'histoire reste soft, et après on tombe dans les tréfonds de la perversité nyark nyark ( bon j'exagère un peu quand même ). Disons que c'est à partie de maintenant que commence la plongée en Enfer de notre cher et aimé Aphrodite hihi
A bientôt pour la suite, et merci pour votre lecture :D
