Réponse aux reviews :
Mû – Chevalier d'or du Bélier : Ca traîne je sais, c'est mon défaut principal : j'aime prendre mon temps, voire même trop lol La réponse est dans la prochaine partie !Alors, Shura, Saga, DM, qui a tiré le bon numéro ? A moins qu'il y ait un prix de groupe ? ;D
Lilirara : Bon, alors je prends les paris lol Je dirais qu'il y a…. 1 proposition de juste. Mais laquelle ? (musique de Mission Impossible) Disons que le yaoi n'est pas la base même de l'histoire de cette fic, juste un détail, alors je n'y mets pas trop en avant. Je sais, c'est une honte pour une fan de yaoi (Isa se prosterne pour implorer le pardon).
Gabrielle : Déjà chapeau pour avoir tout lu ! En ligne, il doit y avoir 126 pages ( sans cette partie ) sur les 186 que comptent actuellement la fic. Quel courage, même moi j'aurais la flemme de relire (auteur qui a honte). Une autre fan de notre Phrophro ! Dans mes bras ! Et merci pour tes compliments et encouragements, j'espère que cette partie ne te décevra pas Je suis peut-être poussive dans ma vision d'Aphro, mais bon… C'est comme ça que je le ressens, le beau Suédois ;P
Genre : Drame psychologique, death-fic, biographie ( ou connerie suprême gagatisante, c'est au choix ), angst, un peu de yaoi. Un genre de conte cruel.
Persos : Les Bisounours lol :D
Précaution : Violence psychologique, physique ( sur enfant entre autre ), verbale peut-être ? Mais pas de quoi se relever la nuit…
Disclaimer : Malgré mes incessantes prières et autres rituels vaudous, tous les persos et l'univers de cette fanfic issus de StS appartiennent encore à Masami Kurumada, je n'ai donc aucun droit dessus. Pour les quelques créations qui se perdront dans cette histoire, elles sont tatouées et fichées chez Isatis, donc merci de ne pas les ré-employer sans accord ( surtout Lucas, mon petit Lulu, il est sacré, bas les pattes hein ? ).
Notes : Mal de tête pour piger quelque chose à prévoir, gomen nasai (pas taper l'auteure)
UN OISEAU BLEU
Chapitre 3 : L'Empyrée Noir
Partie 2 : L'Abysse
Courir. Encore et toujours. Les arbres défilent autour de lui. Une armée immobile. Une cage aux barreaux ouverts. Courir. Ne jamais s'arrêter. Ne pas se retourner. Oublier la douleur de son corps. Courir.
Fuir
Son souffle est haletant. Il tressaute à chaque pas, à chaque enjambée. Les broussailles sous ses pieds. La pluie sur son visage. Chaude et froide. Comme Ses mains, comme Ses yeux. Il l'aime et la hait. Comme Lui. La pénombre tout autour de lui. Il ne sait pas quelle heure il est. Le soleil est mourrant sous le ciel noir. Les arbres se font épars. Les barreaux s'écartent. Des graviers sous ses pieds.
Jag vill
Je veux
La gueule du Sanctuaire derrière lui. Il court plus vite, les yeux fermés. De l'eau sur son visage, toujours plus. Des larmes ou de la pluie ? Il ne veut pas savoir. Varför ?(1) Ses cheveux détrempés ont perdu leur éclat. Ils forment un casque collé à ses joues et ses épaules. Les vêtements mouillés claquent au vent. Il entend un bruit lointain qui se rapproche.
Des vagues
Je veux
Il n'y a plus d'arbres, juste du vide. Et là-bas, devant lui…
La falaise
La Méditerranée déchaînée qui fracasse ses rouleaux au pied des rochers escarpés. Min frihet.(2) Dans les éclats sanglants du soleil, se dessine le Cap Sounion, là-bas, au loin, sur la droite. Il continue tout droit. La mer, devant lui. Un linceul bleu et blanc. Sans vie.
Je veux
Un oiseau doré le dépasse en criant. Son pied dérape sur le bord de la falaise escarpée. Il y a une seconde d'éternité. Il flotte.
être libre
Un sourire éclaire enfin son visage.
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Le Chevalier des Poissons poussa un petit soupir en arrivant dans son Temple. Pour la première fois, il avait l'impression que cet endroit était sa demeure. Il avait envie de s'y reposer et de ne plus penser à rien au moins quelques heures. Un cosmos familier vint doucement le frôler. Shaka. Il rejoignit le patio.
Le blond était là, contemplant à travers ses paupières closes le rosier de son ami. La plante avait fait de nombreuses boutures et toutes se développaient à une vitesse anormale. Elles voulaient plaire à leur maître. Shaka n'avait pas de mal à imaginer le Suédois en train de leur parler et de les cajoler comme des chatons. Il sentit son regard dans son dos.
– Shaka, qu'est-ce que tu fais là ?
– Je t'attendais.
Un Aphrodite fatigué avança jusqu'à lui et passa une main affectueuse sur l'une des roses rouges écloses. Il se concentra un bref instant et son armure le quitta avec un sifflement pour se reconstituer dans son urne, posée dans un coin du jardin intérieur. Un silence habituel s'installa entre les deux gamins. Après un moment à le savourer, l'Hindou alla s'asseoir sur le bord de la large vasque centrale que le Chevalier des Poissons avait fait installer peu avant sa mission.
– Tu as vu Lucas ?
– Oui, mais il avait un entretien avec le Pope… Je l'ai juste croisé, répondit l'adolescent en s'installant en face de Shaka.
Le jet d'eau léger les séparait. Aphrodite perdit son regard dans l'eau, où la petite main de son compagnon avait plongé.
– Que t'a-t-il dit ?
– A quel sujet ?
– Ta mission.
– Il était content que je n'aie pas réussi.
– Tu n'as pas tué. Tu devrais être heureux aussi.
– J'ai désobéi à un ordre. Je n'ai pas écouté DM. Elle a failli me tuer à cause de ça.
Shaka laissa les mots glisser sur la surface limpide.
– Qu'as-tu ressenti ?
– Rien. Je devais faire quelque chose. C'était une cible. Mais j'ai repensé à toi et ce que tu avais dit… Shaka, pendant un moment… Je n'ai plus su qui écouter. Toi ou le Pope.
– Ce qui est important, c'est que tu fasses ce que tu penses être juste. On ne peut pas tuer quelqu'un si facilement que ça.
– DM et Shura y arrivent. Shaka, ce sont des ennemis… Des ennemis… Le Grand Pope l'a dit… Ils veulent du mal à Athéna. On doit la défendre…
– Je ne dis pas que le Pope a tort.
– Tu avais l'air pourtant.
– Le Grand Pope est la voix d'Athéna. Tu le sais aussi bien que moi. Je ne contredis pas ses ordres.
– Il est la Justice. J'ai douté et DM a eu raison.
Le Suédois regarda ses mains. Il sentait presque encore la gorge de Desdérone sous ses doigts, si proche et chaude. Si facile à trancher. Il sentait encore son cœur se serrer sans raison.
– Ce que je veux te dire Aphro, c'est que les vies sont précieuses. Même si ta cible est un ennemi, n'oublie jamais que c'est un humain. Avec un cœur, une âme et des pensées, des sentiments. Que c'est tout ça que tu supprimes à jamais. Ce qui t'a fait hésiter… C'est que tu as senti ça. Tu as senti la vie de Desdérone, là où Shura et Deathmask ne voyaient qu'une proie.
– C'est plus facile de voir ça comme ça, souffla le Chevalier des Poissons en baissant la tête.
Shaka le regarda. Il percevait dans son cosmos l'hésitation et le frisson qu'il ressentait encore à la pensée de cette mission. Nul doute que le Pope l'avait réprimandé et que le Cancer lui avait fait bien sentir qu'il avait désormais une dette envers lui. Il se leva pour s'asseoir à côté d'Aphrodite. L'adolescent n'eut pas de gestes pour s'éloigner, comme il le faisait avec d'autres. Shaka était le seul avec Lucas, qu'il tolérait si près de lui.
– Ce que je te demande, Aphro… C'est de ne pas faire comme eux. Ne considère pas le fait de tuer, comme un honneur ou pire, un jeu. Il n'y a pas de gloire à avoir le sang de quelqu'un sur ses mains. C'est aussi ça, être un Saint. A prendre du plaisir à ce genre de chose, on devient juste un assassin, et rien d'autre.
Aphrodite eut un bref frisson et se mordit la lèvre pour ne pas parler, avant de se lever.
– J'ai besoin de repos… Le voyage m'a fatigué, Shaka, annonça-t-il de sa voix douce mais basse en lui tournant le dos.
Une manière polie de lui demander de partir. Shaka ne fit pas remarquer que le Poissons avait encore des progrès à faire en matière de finesse et l'imita. Aphrodite ne le laissait plus sonder son cosmos. Il voulait cacher quelque chose. Effort inutile. Le Chevalier de la Vierge n'était pas dupe. Il avait compris ce que c'était. Ce qu'il redoutait. Sans un mot, il quitta le Suédois qui resta un moment dans le patio désert.
Comment aurait-il pu dire à Shaka qu'il avait aimé cette mission ? Il avait ressenti quelque chose de nouveau en suivant Desdérone dans la jungle, quelque chose qui faisait battre le cœur à une vitesse folle et lui rendait la tête plus légère que d'habitude. La traque, l'attente d'un faux mouvement chez l'ennemi… et surtout, le moment bref, trop bref, où il avait clairement senti la peur dans ce corps pourtant plus expérimenté et puissant que le sien… Plus encore que la haine pour cette femme, il avait eu du plaisir à tout ça. A savoir qu'un adulte avait ployé devant lui, un enfant de onze ans, qu'il était devenu un instant la source de sa peur. Il n'avait jamais eu de sensation aussi forte et plaisante dans sa jeune vie. Il avait été… la Force. Ça avait été agréable, mais trop court. Ressentirait-il encore ce mélange étrange pour cette mission dont le Pope lui avait parlé ?
Aphrodite, j'ai été très déçu par ton refus d'obéir alors que tu étais si près du succès. Toutefois, ton comportement général me fait penser que ce n'était qu'une erreur due à la nouveauté. Aussi, j'ai décidé de te donner une deuxième chance de me prouver ta valeur. A la prochaine mission qui se présentera, prépare-toi à partir. Je suis certain que cette fois-ci, tu ne me décevras pas, n'est-ce pas ?
Shaka ne pouvait pas comprendre ça. Il disait que c'était mal de ressentir du plaisir à tuer. Lui en avait eu à traquer. Shaka le haïrait s'il le savait. Shaka ne devrait jamais savoir. Lucas l'abandonnait. Il ne pouvait rien y faire. Mais pour la Vierge, il avait la possibilité d'agir. Il ne perdrait pas ce gamin aux cheveux d'or qui lui témoignait de l'intérêt. Alors, le silence valait mieux.
La tête lui tourna légèrement. Aphrodite ne tenait plus sur ses jambes et alla se glisser péniblement sur son lit pour enfin se reposer.
Mû n'était pas rassuré. Cela faisait quelques semaines que les espions du Sanctuaire s'étaient faits plus discrets, pour finalement disparaître de Langhuishan. L'enfant aurait dû être heureux d'en être débarrassé, mais il n'arrivait pas à empêcher son cœur de se serrer. Cela lui paraissait trop soudain, trop beau pour être vrai. Un pressentiment étrange. Alors, il restait sur ses gardes. Ils avaient dû apprendre que l'enfant recueilli par le Vieux Maître n'était pas un petit garçon, mais une petite fille ; un bébé et non un enfant de 9 ans, et totalement dépourvu de cosmos qui plus est. S'ils avaient été satisfaits, ils seraient repartis bien plus tôt. Ils étaient restés car ils savaient qu'il était ici.
Il soupira en prenant la direction des 5 Pics. Il aurait aimé que Maître Sion soit avec lui, pour pouvoir poser sa tête sur son épaule et se laisser bercer par sa voix douce. Il lui manquait tant.
– Chevalier du Bélier ?
Il se retourna par réflexe et se maudit de l'avoir fait. Quelle andouille ! Autant accrocher un panneau sur sa tête. Deux des trois espions étaient devant lui. Il sentait le troisième approcher derrière. Une embuscade ?
– Vous êtes bien Mû du Bélier… Nous avons eu du mal à vous retrouver, continua celui qui l'avait interpellé, en inclinant légèrement le buste en signe de salut.
Ces espions avaient l'air respectueux de la hiérarchie, Mû pouvait en tirer parti.
– Ce serait moins intéressant pour vous si c'était facile.
L'homme sourit.
– Mû, le Grand Pope désirerait s'entretenir avec vous au plus tôt. Nous sommes ici pour vous ramener en Grèce, votre place est au Sanctuaire, auprès d'Athéna.
– Le Grand Pope est un traître. Vous le savez aussi bien que moi, répondit avec assurance l'enfant, plongeant son regard émeraude dans celui de son vis-à-vis. Il ne supportait pas qu'on appelle l'usurpateur, du titre de son maître : Aussi, vous pourrez lui dire que je ne reviendrai au Sanctuaire que le jour où le véritable Grand Pope ou Athéna seront là.
– Mû… Vous savez que ces paroles peuvent vous coûter la vie ? Ce sont des blasphèmes contre le Sanctuaire et la Déesse elle-même !
Le gamin serra les poings. S'ils ne peuvent pas me ramener en vie… Ils ont ordre de me tuer… Comme Aioros du Sagittaire…Quelque chose de chaud dans son cœur. Cette… chaleur ! Il ressentait de nouveau son cosmos qui renaissait, après deux ans de silence.
– Ces paroles sont la vérité. Si vous voulez me tuer, essayez donc.
– Mû, ne nous compliquez pas la tâche, je vous en prie.
Le troisième homme était dans son dos, il le sentait porter les bras en avant pour le saisir par les épaules. Pardon Maître, je vais vous désobéir. Il se concentra et sentit la chaleur se faire plus forte. Il se tourna et posa la main sur le torse de l'homme derrière lui.
– Je vous l'ai dit, essayez…
Une décharge de cosmos frappa l'espion et le projeta à quelques mètres. Les deux autres sursautèrent. Le cosmos doré du Bélier l'entourait comme une seconde peau, rendant ses grands yeux brillants.
– …mais je ne suis pas si facile à tuer.
L'homme qui avait jusque là parlé avec Mû – et qui semblait être le chef du petit groupe –, consulta du regard son comparse. Celui-ci finit par hocher négativement la tête avant de rejoindre leur compagnon blessé. Ils n'étaient que des hommes normaux ; contre un Chevalier d'Or, même sans armure, ils ne pouvaient rien. Autant se résigner pour l'instant et informer le Pope, même si sa colère risquait de leur faire regretter leur décision.
– Bien, Mû, comme vous voudrez… Le Grand Pope avait encore un espoir après votre fuite, mais je vois que votre décision est prise. Vous serez indésirable au Sanctuaire lorsqu'il en sera informé.
– Je n'ai pas peur de lui.
– Peut-être devriez-vous, conclut l'espion.
Il dépassa Mû sans plus un mot et alla aider son compagnon à s'occuper du blessé. Le gamin concentra une nouvelle fois son cosmos pour se téléporter plus loin sur le chemin, de l'autre côté de la rivière. Il ne réussirait pas à aller plus loin, il le savait. Son aura diminuait de nouveau. Au moins, il avait réussi à mentir de manière convaincante. A ne pas dire que le traître qui se cachait derrière le masque du Pope le terrifiait.
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Les deux espions restaient silencieux et firent un bandage précaire à leur compagnon. Il était inconscient mais vivant. Il n'avait été brûlé qu'à l'endroit où la main du Chevalier du Bélier l'avait touché.
A quelque distance de là, caché par les feuillages denses, le Vieux Maître n'avait rien perdu de la scène. Mû commençait à retrouver ses pouvoirs, c'était une bonne chose. Les prochains envoyés du Pope ne seraient pas d'inoffensifs indicateurs, mais des assassins redoutables, peut-être même d'autres Chevaliers d'Or. Et contre ses propres pairs, le Bélier ne pourrait pas se battre. Tant au niveau affectif qu'en terme de puissance, Mû n'aurait pas le dessus. Lui-même avait encore des amis au sein du Sanctuaire, et ce qu'on lui rapportait n'était pas de bon augure. Il valait mieux que le Pope les oublie tous les deux, lui et Mû, pour quelques temps. Ainsi il laisserait le temps à Athéna de reprendre ses droits. Sans l'appui – et la protection – de chevaliers, le moment venu, elle n'aurait aucune chance.
Il tourna la page du calendrier avec un certain frisson de plaisir. Un mois de plus à gouverner cette bande de moutons obéissants et dévoués, un mois de plus à être au sommet du monde. Un mois de moins, avant d'en être le maître incontesté. Le Pope se renfonça dans son fauteuil de cuir, les bras reposant sur les accoudoirs et les mains croisées sur son ventre. Le rôle de Grand Pope était moins contraignant qu'il ne l'avait pensé. Il y avait bien ces affligeants entretiens avec tel ou tel chevalier pour récompenser ou réprimander un comportement, pour envoyer en mission ou punir. Il ne pouvait pas y couper et avait fini par trouver ces jeux bien lassants. Mais ce qu'il avait découvert, c'était aussi les grandes plages de tranquillité dont il disposait. Une fois les problèmes du Sanctuaire réglés, il n'avait rien à faire pour le reste de la journée. Il n'allait pas s'en plaindre. Cela lui permettait de se promener un peu dans le domaine sacré, ou aux alentours, ou encore, de savourer le plaisir sans fin offert par ses thermes personnels. Pourtant, dans ces moments où il pouvait réfléchir et s'occuper de lui, il ressentait comme une sorte de vide, tout au fond de lui.
Le poids de la solitude. Il vivait en ermite, sans jamais fréquenter ou discuter normalement avec d'autres personnes. Une partie de lui regrettait les contacts humains. Il aurait pu aussi se contenter de son autre personnalité, de l'Autre dans toute sa candeur… Il tourna le regard vers le miroir installé près du bureau. Il reflétait son image paisible, ses longs cheveux argentés effleurant le sol quand il basculait la tête. L'Autre le détestait. Il ne lui parlait que pour l'insulter et lui hurler des idées de paix et de gentillesse. S'il ne Le tenait pas enfermé dans un coin de son esprit, ce parasite tentait de reprendre le contrôle de leur corps et de réduire à néant tous ces efforts déployés depuis 2 ans. Comme tout serait facile s'Il décidait enfin d'être de son côté… Ses pupilles sanglantes se posèrent sur celles du reflet. Tu désapprouves mes méthodes, mais tu es bien content d'être là où tu es maintenant. A la prochaine Guerre Sainte, si guerre il y a, nous deux survivrons à coups sûrs. Et je ferai en sorte que nos beaux petits moutons s'en sortent aussi.
Restait maintenant le problème des brebis galeuses. Il soupira. Il n'aimait pas y penser, ça faisait trop jubiler l'Autre. La plupart des contestataires avaient revu leurs positions en voyant leurs camarades se faire décimer par DM et Shura. Dans le lot, il y avait bien des chevaliers réellement renégats, mais ce n'était pas la majorité. Les voix d'opposition s'étaient faites faibles pour se taire finalement et tout le monde était rentré dans le rang, sous la menace de deux assassins expérimentés. Cependant, il demeurait de ci, de là, quelques irréductibles qui n'avaient pas compris la leçon apparemment et continuaient de le défier ouvertement ou non. Des Chevaliers d'Argent surtout. En raison de leur puissance et de leur rang, c'était souvent à eux que l'on attribuait des apprentis, et cela leur donnait un pouvoir bien inquiétant. Ils avaient là un auditoire attentif et dévoué, qui ne remettait guère en question les paroles du maître. Des esprits jeunes et faciles à corrompre. L'avantage du système, c'était qu'un Chevalier d'Argent n'était pas trop difficile à remplacer. En changeant de maître, les apprentis oubliaient le précédent et le problème était réglé. Le Pope ne pouvait se permettre la même chose avec un Chevalier d'Or. La rébellion de Mû était pénible. Ses espions lui avaient rapporté l'incident de Langhuishan. Quelle nouvelle contrariante. Le Bélier recouvrait ses pouvoirs, ce qui le rendait dangereux. Il passait pour avoir le même potentiel que Sion lui-même. Mais il ne pouvait pas se permettre de le tuer celui-là. Mû était le seul désormais à avoir le savoir atlante indispensable pour réparer des armures, ainsi que celui de la médecine. Cela le rendait indispensable. Saga ne pouvait se permettre d'exécuter ce mioche têtu et fluet. Il lui serait très probablement utile dans le futur. Au moins, il savait où il était avec certitude : Langhuishan, auprès du Vieux Maître de la Balance. Il allait le laisser tranquille pour le moment, mais quand il aurait besoin de son savoir-faire, le Tibétain aurait intérêt à répondre présent ou il découvrirait qu'il y a pire que la mort sur cette bonne vieille Terre.
Le bruit lointain d'une porte le tira de ses réflexions. Des coups à la porte. Il grogna en remettant son masque et son casque. Celui qui osait le déranger allait le regretter s'il continuait à martyriser sa boiserie comme ça.
–Grand Pope ! Grand Pope ! Une nouvelle urgente…
La porte s'ouvrit sur un garde fluet qui tenait une liasse de missives à la main.
–Où te crois-tu pour ainsi me déranger !
–Pardonnez-moi, Altesse, mais… Une correspondance urgente vient d'arriver, du pays d'Asgard. Sa seigneurie Hilda de Polaris a exigé que vous seul en ayez connaissance, au plus tôt.
–Eh bien donne, au lieu de me faire perdre mon temps.
Il se saisit des papiers respectueusement offerts et referma aussi sec.
Asgard, cela faisait longtemps qu'il n'en avait pas entendu parler. Que pouvait bien vouloir cette beauté froide d'Hilda ? Le Sanctuaire et sa famille avait pourtant signé moult accords de protection et de fidélité mutuelle ; les Asgardiens avaient été jusqu'à dissimuler leurs propres armures en signe de bonne foi. Leur divinité ne faisait pas le poids face à la puissante Athéna.
Il s'assit et déplia les lettres. Il y avait là tout un tas de rapports, de profils patibulaires, et une longue requête d'Hilda. Saga bloqua sur l'un des CV peu reluisants qu'il avait sous les yeux. Ce jeune homme, aux yeux glaciers, il l'avait déjà vu quelque part…
C'est Enrique Cortez…
Tiens, pour une fois que l'Autre était utile… Il allait lui permettre de s'exprimer un peu.
Tu le connais, ce chérubin ?
Il y a longtemps, il était au Sanctuaire. C'était un espion. Efficace je crois.
Et que lui est-il arrivé, à ton passe-partout ?
Sion l'a chassé. Je ne sais pas pourquoi.
Tu vois, tu peux être gentil quand tu veux.
Il sourit au silence soudain de l'Autre.
Il verrait bien ce que voulait Hilda à ce Enrique et s'il y avait quelque chose d'intéressant à en retirer.
La neige tourbillonnait à l'infini dans la noirceur. Les flocons tombaient à flot du ciel d'encre, puis retournaient au néant. Il était glacé. Ses vêtements fins et humides lui collaient à la peau. Son souffle haché formait de petits nuages vaporeux. Sa gorge lui faisait mal. Les yeux clairs guettaient la pénombre. Il sentait un regard mauvais sur lui mais sans savoir où il était. L'enfant continua d'avancer doucement, veillant à faire le moins de bruit possible. Il se collait aux troncs d'arbres gelés dès que possible et tentait de calmer son cœur palpitant. Il détestait ça. Ce que le croque-mitaine appelait "Drift". L'impulsion.
Dans un royaume lointain, il y a très longtemps,
Vivait un roi et une reine sans enfants.
La reine se lamentait
De ne pas obtenir ce que, plus que tout, elle désirait…
Le soleil était mort pour 6 mois, et le froid de la nuit sans fin s'était abattu. La pénombre étrange s'était installée. Pas tout à fait obscure la journée, mais d'un noir d'encre la nuit. A travers les branches nues de certains arbres et le voile nuageux, l'enfant distinguait un morceau de lune bleuté. Elle surnageait au milieu des flocons qui tombaient sans interruption. C'était sa seule lumière. Elle donnait une teinte irréelle au paysage. La forêt enneigée devenait presque vivante. Il joignit les mains et souffla dessus. Il devait bouger ou il gèlerait.
Un jour, elle eut envie des raiponces de la sorcière, leur voisine,
Et le roi se rendit à sa demande. Mais la vieille n'accepta
Qu'à la condition chagrine
Que son premier enfant, il lui céda.
Peu après, une petite fille naquit
Qui, auprès de la sorcière, alla vivre.
Elle l'enferma pour que nul ne la vit
Au sommet d'une haute tour sans porte…
Il se remit à avancer, les sens en éveil. Ses pieds s'enfonçaient à peine dans la couche de neige gelée. Heureusement, il n'y avait pas trop de vent ce soir. Il avait perdu le fil du temps. Il n'avait jamais eu de montre, et pour se repérer, il se basait sur la position du soleil. Mais dans la nuit éternelle, il n'avait pas beaucoup de points de repère. Au début, il avait compté mentalement les secondes, mais il oubliait de se concentrer et se prenait plus de coups. Lors des drift, il reprenait cette méthode mais elle ne lui était d'aucune utilité. Une drift pouvait durer très longtemps, plusieurs heures d'affilée. Ça dépendait de son habilité à échapper à Svend. La première fois, il avait fait l'erreur de revenir à la maison. Il avait presque eu le bras cassé quand le croque-mitaine lui était tombé dessus. C'était évidemment le premier endroit où il l'avait attendu. Les drift étaient longues et perdues d'avance. Il le savait. Son cœur battait plus fort à cette pensée. Jamais il ne pourrait en gagner une. C'était comme lutter contre le courant violent de l'Umeälven.
Raiponce se lamentait dans sa haute tour
Par laquelle nul ne faisait jamais de détour.
Seule la sorcière la visitait.
Pour monter la rejoindre, elle lui disait :
– Raiponce, Raiponce,
Descends tes cheveux
La règle était simple. Il devait échapper à Svend dans la forêt. Le premier à trouver l'autre avait gagné. Mais dans l'esprit du croque-mitaine, "gagner" et "perdre" étaient étrangement synonymes. La douleur des coups reçus était la même, et les plaies mettaient le même temps à se cicatriser. Trouver Svend le premier, c'était être sûr de souffrir, car jamais il ne pourrait s'attaquer à lui malgré toute sa haine… et il enfreignait la Règle numéro 7.
Règle numéro 7 : Ne jamais s'attaquer au plus fort ; le plus fort mérite sa place
Il ne pouvait que fuir, constamment, pour retarder l'inévitable moment où Svend le dénicherait et exercerait sa force. Penser qu'il avait une chance de gagner une drift, c'était juste une illusion de plus, affreusement douloureuse. Il finissait toujours par tomber de faim, de fatigue ou de soif. Sa mère était morte, mais même si elle vivait, qu'aurait-elle fait pour le protéger ? Rien, évidemment.
Il s'adossa à un arbre.
Elle n'avait jamais rien fait de toute façon. Une illusion encore, de croire en elle. Svend et elle étaient de mèche. Même maintenant qu'elle était dans son trou de terre, son ombre continuait de planer dans la maison et dans les yeux de Svend. Il avait instauré les drift après sa mort. Comme le temps où elle lui lisait des histoires au bord de son lit semblait loin. Etait-ce vraiment lui qui l'avait vécu ?
Un jour, un prince entendit la sorcière, et après son départ, s'approcha.
Il voulait savoir qui était la belle jeune fille enfermée
Et pour qui son cœur s'amouracha.
Il alla à la tour et cria :
– Raiponce, Raiponce
Descends-moi tes cheveux
Que je monte te rejoindre
Etait-ce vraiment arrivé, ces moments paisibles et doux ? Cette main dans ses cheveux ? Il se mentait, elle lui avait toujours menti. Svend avait raison. Ce qu'elle avait toujours aimé en lui, c'était le spectre de sa sœur. Celle qu'il avait tuée. Il lui avait pris sa beauté. Tout en lui criait la vie de cette fille. Sa mère avait laissé ses cheveux pousser, devenir longs, pour entretenir l'illusion. Qu'elle l'aimait, sa petite Aphrodite. Qu'elle l'avait détesté, quand le miroir s'était rompu, quand Svend avait coupé pour la première fois cette chevelure azurée. Le retour à la réalité l'avait déçue. C'était pour ça qu'elle l'avait laissé entre les mains du croque-mitaine, comme il se plaisait à le dire ?
Il ne voulait pas savoir. Il était fatigué. Il toussa et se remit en route. Le mauvais regard était de nouveau sur lui. Il entendait un pas lourd étouffé. Svend se rapprochait. L'enfant trébucha et se rattrapa de justesse à un branchage bas. Il était épuisé et sa gorge sèche lui faisait mal. Depuis combien de temps cette drift durait ? Il ne sentait plus la faim mais la fatigue ne le lâchait plus. Il prit un peu de neige pour l'avaler et boire un peu. Le mal de gorge le reprit encore plus fort. Tenir. Encore tenir un peu. Svend avait pris son fouet. Il haïssait les fouets. Il haïssait ce qui y ressemblait. Il haïssait la Force. Il se haïssait d'être faible. Ses petits poings se serrèrent.
Raiponce, Raiponce,
Descends-moi tes cheveux
Que je monte te rejoindre,
Pour t'emmener avec moi,
Te délivrer de cette prison sans porte
Sa chevelure était coupée. Jamais le sauveur ne pourrait la remonter pour parvenir à lui. Jamais on ne le sortirait de sa tour sans porte ni murs.
Les pas s'arrêtèrent derrière lui. Un souffle rauque. Il ferma les yeux pour retenir ses larmes. Il était trop épuisé pour essayer de s'échapper. Le gamin de 6 ans rentra la tête dans ses épaules, à moitié avachi sur le branchage. C'était la défaite.
– Seulement 4 heures, comment peux-tu prétendre valoir quelque chose en tenant seulement 4 heures ? trancha la voix du croque-mitaine.
Une main sans douceur lui arracha sa chemise. Le glissement de la lanière sur la neige. Le gamin frissonna par avance.
Raiponce, Raiponce,
Descends-moi tes beaux cheveux,
Que ton prince vienne te délivrer
– Tu sais ce que tu mérites, pour une telle faiblesse ?
Aphrodite serra ses doigts sur l'écorce rugueuse.
Désolé, mon Prince,
Raiponce a perdu ses cheveux
Et restera à jamais seule dans sa prison.
Il serra les dents pour ne pas crier au premier coup de fouet qui lui lézarda la peau.
Aphrodite ouvrit les yeux lentement. Fixes et presque vitreux. Etait-ce encore un rêve ? Etait-ce la réalité, le réveil enfin ? Il eut un moment de doute. Une fenêtre d'où perçait une lumière éblouissante face à lui. Il n'arrivait à distinguer rien d'autre que ces rayons dorés qui chauffaient agréablement sa peau. Un tic-tac pas très loin de lui. Réconfortant. Il referma les yeux. Il était en sécurité, dans son Temple… Svend ne viendrait pas le chercher ici. Il n'y aurait plus de drift. Non… Ses yeux d'opale claire se rouvrirent, méfiants. Il sentait un regard. Insistant, pesant. Dans son dos, quelqu'un attendait. Ses muscles se tendirent. Une rose naquit dans sa main. Il la serra.
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Quand le Chevalier des Poissons dormait, il perdait son masque glacial d'indifférence et son visage en devenait plus lumineux. En fait, "lumineux" n'était pas le bon terme, mais il n'arrivait pas à en trouver un plus juste. C'était comme si la poupée devenait humaine. Même s'il était gringalet… il se dégageait vraiment une grâce de lui. Quelque chose d'attractif. Cela faisait déjà plusieurs fois qu'il le surprenait perdu dans ses rêveries ou endormi, et il commençait à peine à remarquer comme la métamorphose était flagrante. Il se sentait bizarre quand il laissait son regard s'attarder sur les jambes fines et longues, puis remonter le long de la courbe du corps jusqu'à ce visage presque parfait. Une bouche fine de poupée, une peau pâle et des cheveux si bleus, qui avaient l'air si doux. Il aurait bien aimé les toucher, comme on touche un tissu pour en éprouver la douceur. Et surtout, il y avait les yeux. Ces si grands yeux, même pour un jeune adolescent. Si bleus, si fixes. Deux vrais poignards qui faisaient figer un instant quand on les regardait attentivement. C'était ces yeux qui, plus que tout, fascinaient chez le Suédois. Sa manière presque hypnotique de ne presque pas battre les paupières, en restant immobile, comme une statue. Depuis quand avait-il commencé à voir le douzième gardien comme ça ? Il ne savait pas trop. Ce n'était peut-être pas normal… Il demanderait à Shura.
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Aphrodite ne supportait plus le silence. Le souffle qu'on s'efforçait de rendre silencieux dans son dos, il le sentait presque sur sa nuque et ça le faisait frissonner. Il s'attendait à entendre glisser la lanière de cuir du fouet sur le sol. C'est un rêve ? C'est encore un rêve ? Il savait bien être au Sanctuaire, mais sa terreur infantile reprenait le dessus. Ses doigts se crispèrent sur la rose.
– Tu vas rester comme ça encore longtemps ? demanda-t-il d'une voix qu'il voulut sûre.
– Pourquoi, je dérange ?
– DM… maugréa le gamin en se retournant enfin. Il se redressa : On ne t'a jamais appris à rester dehors ? Je ne veux pas te voir chez moi.
– Achète-toi un doberman si tu veux pas me voir traîner ici.
– Sors de ma chambre.
– Pas sans toi, tu me suis, nabot. On est attendu.
– Tu sors et je te rejoins. Je ne te veux pas ici, insista le Poissons de sa voix atonale.
– Tu sais que t'es vraiment effrayant ? se moqua DM. Il s'approcha jusqu'à pouvoir toucher le lit des mains : Vas-y, Aphrodite, fais-moi peur, proposa-t-il dans un sourire.
L'adolescent lui leva la rose presque sous le nez. Le Cancer sentit le parfum qui s'en dégageait. Il bloqua sa respiration par réflexe.
– Dis-lui ça à elle quand elle sera dans ton crâne.
– J'en ai marre de servir de cible. Rappelle-moi de t'acheter un jeu de fléchettes pour ton anniv', merdeux.
– Ne me provoque plus, et tu pourras garder tes économies.
DM jura entre ses dents. Il pourrait lui coller son poing dans la figure dans la seconde. En travaillant l'angle, ça lui casserait une dent ou deux et lui laisserait un souvenir impérissable. Pourquoi n'arrivait-t-il pas à se décider ? A cause du Pope qui lui avait confié le gamin ?
Il se redressa et lui tourna le dos.
– J'ai pas le temps de faire mumuse et de t'étaler. On doit aller au Palais.
– Pourquoi ?
– Tu vas avoir l'occasion de montrer que tes dix doigts peuvent enfin servir à autre chose que cueillir les fleurs, merdeux.
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Quand Aphrodite le rejoignit quelques minutes plus tard dans le séjour, le Cancer était en train d'observer Shaka. L'oiseau, haut perché, sifflait en gonflant les plumes en direction de l'Italien.
– Tu sais, commença l'adolescent quand il sentit la présence d'Aphrodite, avec des oignons et 15 minutes au four, ce truc doit être sacrément bon.
– Si tu t'empoisonnes avec, tant mieux.
– Moi aussi, je t'aime.
Aphrodite leva les yeux au ciel puis regarda l'oiseau qui s'était calmé à sa venue. Il leva la main.
– Shaka, viens là. Fais pas attention aux parasites.
L'oiseau eut une hésitation puis rejoignit son perchoir précaire. Le Suédois le caressa doucement.
– Bon, ayé, c'est fini ta sucrerie ? demanda DM d'un ton agacé. Le Pope va être fou furieux si on arrive en retard.
– Pourquoi je n'ai pas été prévenu ?
– Si tu avais été à l'entraînement au lieu de pioncer, tu aurais été informé.
Le paradisier s'envola à nouveau en direction du patio. Aphrodite prit la rose qu'il avait bloquée derrière son oreille et mordilla doucement la tige, en suivant le Cancer.
Le Palais du Pope n'était pas très éloigné du Temple des Poissons. Ça ferait toujours moins de temps à supporter la présence de l'Italien. Ils marchaient à distance de voix l'un de l'autre, et quiconque les aurait vus ainsi aurait pensé que les deux enfants n'étaient pas ensemble.
– On va encore partir en mission, Camus dit qu'il y a pas mal de facteurs en ce moment. C'est Shura qui me l'a dit.
– Je ne t'ai rien demandé, soupira Aphrodite.
Il détestait les commérages et les amis des amis des amis qui savaient toujours tout ce qui se passait partout. C'était à croire qu'il était impossible d'avoir une vie personnelle sans que tout le Sanctuaire ne le sache. C'était pour ça qu'il refusait toute présence dans son Temple, à l'exception de Shaka. L'Hindou se tenait éloigné aussi de ce genre de commère. Ou alors, on le tenait à l'écart… Aphrodite n'avait jamais vraiment vu le problème sous cet angle.
– Je sais, j'anticipe, objecta le Cancer. Bouddha sait que ton dindon porte son nom ? Il va adorer, ajouta-t-il avec ironie.
– Si ça avait été un cochon, il aurait porté le tien.
– Ksss… Un jour, je t'étranglerai avec tes tripes, tu le sais ?
– Ne promets pas ce qui est au-dessus de tes capacités.
– N'ouvre pas ta grande gueule si tu ne veux pas que je sois tenté.
La conversation courtoise dût s'arrêter lorsque les deux frères ennemis parvinrent au Palais. Le garde alla informer le Pope de leur arrivée, et malgré un léger retard, ils furent autorisés à entrer en salle d'audience pour que le maître du Sanctuaire leur donne ses instructions.
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Saga s'était demandé un instant en combien de morceaux il découperait ces deux mioches s'ils avaient le culot de le faire poireauter. Heureusement pour eux, ils avaient fait leur entrée au moment où il se préoccupait de savoir quel instrument serait le moins salissant. Ils mirent genou à terre et s'excusèrent, et après le blâme habituel, le Pope se tut un instant. Il fallait qu'il se calme un peu. La mission qu'il allait leur confier était bien plus importante que celle qu'ils avaient affrontée ensemble. Plus question de test, il avait besoin de résultats concrets ce coup-ci.
Il remit ses idées en place en consultant rapidement ses notes.
– Chevaliers du Cancer et des Poissons, je pense que vous avez compris la raison pour laquelle je vous ai faits convoquer. Une mission d'une gravité extrême requiert vos compétences. Cette fois, aucun échec ni aucune faiblesse ne sera pardonné. Il en va de l'intégrité du Sanctuaire et de ses relations diplomatiques. Connaissez-vous le pays d'Asgard ?
Aphrodite entendait ce nom pour la première fois. Le Cancer lui, semblait déjà plus au courant.
– C'est une contrée du Nord, je crois ?
– C'est exact. Il s'agit plus précisément d'un pays situé dans l'extrême nord sibérien. Il a également quelques portions de terre au Groenland qu'il partage avec la Norvège. Il était autrefois très étendu, mais l'histoire de l'URSS en a décidé autrement et a fini par ronger ses domaines. Aujourd'hui, Asgard est à peine plus étendu que le Sud de la Grèce émergée. Il est méconnu car très fermé, mais il joue un rôle essentiel pour notre planète. Vous savez que notre déesse, Athéna, renaît tous les 200 ans environ afin de lutter contre les puissances occultes. Les Asgardiens ont également leurs dieux, mais leur dieu suprême n'est pas aussi bon que notre Pallas. Il ne s'incarne pas dans une forme humaine et se préoccupe encore moins du sort de la Terre et de ses habitants. Il est en partie responsable de la situation climatique des régions nordiques de notre hémisphère. Odin est un dieu guerrier qui ne peut être apaisé que par sa prêtresse, la souveraine d'Asgard. Sa lignée passe pour être liée par le sang à ce dieu. Sans ses prières et offrandes, le froid polaire que subit ce peuple pourrait s'étendre rapidement au reste de la Terre et je vous laisse imaginer les conséquences…
– Ils ont décidé de s'attaquer au Sanctuaire ? demanda DM. Si la prêtresse est si puissante que ça, ils pourraient le faire…
– Dans le passé, c'est déjà arrivé. Mais le Sanctuaire a toujours été plus fort, par le nombre de ses guerriers. Le royaume d'Asgard ne compte que 7 guerriers. Bien que d'une grande force, ils ne rivalisent pas avec des Chevaliers d'Or ou d'Argent, mais sont tout de même dangereux. Cependant, le Sanctuaire et Asgard ont tissé des liens d'amitié. Les guerres intestines ne servent à rien, et nous avons autre chose à faire que sacrifier bêtement des hommes valeureux. La prêtresse actuelle, Hilda de Polaris, vient aujourd'hui demander notre aide, en vertu de nos accords de protection mutuelle. Une série d'attentats et de troubles les oblige à faire appel à nous.
– Le Sanctuaire se mêle de politique, Votre Altesse ?
– Chevalier du Cancer… Il s'agit ici de problèmes plus graves que de la simple politique. L'homme qu'on soupçonne d'être à l'origine de ces problèmes est un ancien espion et homme de main du Sanctuaire. Il emploie nos méthodes, pour déstabiliser Asgard. Si nous ne faisons rien pour le reprendre en main, Hilda présumera que nous le soutenons dans ses actions et rompra tout lien diplomatique. Elle a une très forte influence dans les pays d'ex-URSS, ce serait catastrophique pour le Sanctuaire de perdre un allié comme elle. Elle permet également au Domaine Sacré de maintenir le secret qui l'entoure et d'obtenir certains fonds. Nous faisons de même pour elle.
– Grand Pope, hésita doucement Aphrodite. Vous aviez dit qu'ils avaient leurs propres guerriers…
– Oui, Chevalier des Poissons. Mais ils ne sont "réveillés" que sur l'ordre de la prêtresse et seulement quand le royaume est menacé par une puissance étrangère. Ils ne l'ont pas été depuis près de 130 ans et Hilda se refuse à briser la vie paisible de 7 hommes de son royaume à jamais, pour un "simple" activiste issu de notre école. De plus, elle argue que nos méthodes étant les mêmes, nous aurons plus de facilité à l'arrêter, en douceur. Elle ne veut surtout pas que cela fasse de bruit. Et nous non plus. Si cet homme venait à tomber dans les mains de la police ou à être connu, le secret du Sanctuaire serait menacé et ça, ça ne doit arriver sous aucun prétexte. Le secret est notre sécurité. C'est pourquoi, j'ai accepté sa demande. Je vous ai choisis pour mener à bien cela.
– Juste…
DM regarda Aphrodite puis le Pope.
– Juste nous deux ?
– Le Chevalier du Capricorne est lui aussi parti en mission, et celui du Verseau n'est formé qu'à l'espionnage, pas à agir directement avec un homme dangereux. Il revient également de mission il y a peu et il doit se reposer à la demande de son instructeur.
On voit les chouchoux, pensa amèrement l'Italien. Le Pope était étonnamment protecteur envers Camus. Un goût particulier pour les Français ?
– Quoi qu'il en soit, vous êtes tout à fait qualifiés. Cet homme n'a aucun cosmos, mais il est passé maître dans la manipulation d'explosifs, d'armes à feu, le combat rapproché et surtout, la discrétion. Il connaît la façon de faire des chevaliers et s'attendra donc à vous voir vous servir de vos pouvoirs. C'est pourquoi, vous ne devrez pas les utiliser, ni emporter vos armures.
Même surprise chez les deux adolescents. Cela changeait la donne. Si l'autre en face était armé…
– Deathmask, tu es très doué en combat, je t'ai vu faire. Quant à toi Aphrodite, ton maître, Lucas de Cassiopée, ne tarit pas d'éloges dans ses rapports, sur tes capacités d'esquive et de réactivité. Vous êtes complémentaires et c'est votre force. Vous avez ordre d'appréhender la cible et de la ramener ici, si possible en vie mais ce n'est pas une obligation. Nous avons déjà des doutes sur les raisons de ses actes et des aveux ne nous intéressent que de manière superficielle. En cas d'échec de cette mission, la punition sera à la hauteur de la faute.
Il savoura le silence qui s'imposa suite à cette menace. Sous son masque, le Pope souriait. Il pouvait presque entendre leurs petits cœurs battre dans leurs poitrines oppressées. Il fit appeler son chef des gardes, qui remit aux deux chevaliers un court rapport résumant la situation, accompagné d'informations et de photographies sur l'homme.
– Il s'appelle Enrique Garcia Cortez. Il a environ 44 ans et était au Sanctuaire voilà 10 années. Cet homme a monté un groupe après avoir été chassé, qui se fait appeler "Lacrimosa". On le soupçonne d'être impliqué dans des tentatives de coups d'Etat en Amérique Latine et en Afrique Occidentale. Cortez, lorsqu'il était au Sanctuaire, rapportait de fausses informations sur les situations des pays qu'il visait pour pousser à l'intervention de chevaliers, afin d'éliminer des personnes gênantes pour ses commanditaires. Evidemment, après la découverte de la supercherie, il a été destitué et chassé, mais le mal était fait. Depuis, son groupe continue ses exactions sous couvert d'activités légales. On ignore quelles sont ses vraies motivations pour s'attaquer soudain à Asgard, mais il est assez évident que son objectif principal est d'entacher les relations avec nos alliés. Il peut également entraîner une assez forte déstabilisation du climat politique dans la région. Il agit peut-être sur contrat. Votre cible principale est bien Cortez et non le groupe. C'est lui la tête pensante. Mais le seul moyen de l'atteindre est de retrouver la trace de Lacrimosa, évidemment. Vous trouverez les informations importantes dans votre rapport. Hilda mettra à votre disposition tous les moyens nécessaires. N'oubliez pas que cette mission requiert de la discrétion et de l'efficacité. N'utilisez pas vos pouvoirs, sauf si la vie de l'un de vous est menacée. La voiture pour l'aéroport d'Athènes partira à 17 h 00 précises. Vous n'avez pas de délais pour réussir, mais évidemment, le plus tôt sera le mieux, pour sauver des innocents. Vous pouvez vous retirer.
Les deux chevaliers le saluèrent et quittèrent la salle en silence.
Saga soupira et passa la main dans sa chevelure argentée. Pas sûr que les gosses aient tout compris. Hilda était pénible avec ses conditions de discrétion. Cette femme le tenait presque par la gorge. Si ça réussissait, elle aurait intérêt à accepter de dîner avec lui au moins une fois. C'était la première fois que Saga avait réellement une inquiétude pour une mission. Cette fois, ce n'était pas des chevaliers qu'ils allaient affronter, mais un humain tout ce qu'il y avait de plus banal. Un homme qui n'aurait aucun scrupule à utiliser une arme. Sans leurs armures, le Poissons et le Cancer seraient plus vulnérables que jamais. Une balle en plein front tue aussi sûrement un Saint que n'importe qui d'autre. Son petit Aphrodite allait être obligé de se donner à fond, enfin… Un sourire étira ses lèvres. Qu'il serait beau, tout entouré de neige, son corps gracile dansant une valse mortelle, tout environné de sang…
Tu es répugnant !
Mince, il avait baissé ses barrières mentales…
Tu ne t'inquiètes pas du tout, avoue-le ! Tout ce qui t'importe, c'est sauver les apparences
Je m'inquiète vraiment, mais vois-tu, je compense ça par la pensée de cette vision exquise que nous allons rater
Tu m'écœures…Comment peux-tu oser les regarder dans les yeux ?
Rassure-toi, je ne regarde pas que leurs yeux
Tu… Tu…
Tu es en colère ? Oh, c'est parce que je ne t'ai pas laissé bien voir ?
Pour qui me prends-tu donc ! Je ne suis pas aussi détraqué que toi !
Tu sais, s'il était encore vivant, j'aurais bien mis Kânon dans mon lit, ça t'aurait calmé de dormir de nouveau avec lui ?
Je t'interdis de prononcer le nom de mon frère !
Notre frère tu veux dire, je suis toi
Non. Je ne suis pas un monstre pareil
C'est vrai, toi tu as préféré l'enfermer vivant au Cap Sounion pour qu'il souffre d'une lente, très lente agonie. Vu comme ça, tu es un monstre encore plus barbare que moi
Je… Je…
La voix de l'Autre se résigna et se tut. Ça marchait toujours de lui rappeler son bel amour fraternel. Le "gentil" Saga, si on pouvait le dire ainsi, n'était qu'un bel hypocrite.
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Les deux enfants descendaient l'escalier sans échanger de mot. DM feuilletait son ordre de mission alors qu'Aphrodite regardait le paysage. Il aimait la chaleur de la Grèce et du Sanctuaire. Il n'avait pas envie de retrouver le froid et la neige. L'ombre massive du Temple des Poissons les arrêta bientôt.
– Cette fois, t'essaieras de pas jouer les gentils, prévint Deathmask sans regarder son vis-à-vis. Ils sont plusieurs et pas réglos dans leurs méthodes. Je ne pourrai pas te sauver la mise à chaque fois que tu te fous dans le pétrin.
– Ne t'inquiète pas.
– Oh que si, je m'inquiète, parce que je sais bien que tu ne vas rien faire de ce que je te dis.
Aphrodite haussa les épaules et rentra chez lui, laissant le Cancer en plan. L'adolescent ragea un moment puis s'en retourna pour rejoindre son propre Temple. Cette mission ne serait pas de tout repos. Le Pope aurait pu lui faire un autre cadeau que ce sale gamin à surveiller constamment. Il finirait par lui limer les crocs et les griffes et à en faire un gentil toutou qui lui mangerait dans la main.
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Aphrodite leva les yeux sur l'horloge accrochée dans son salon à la décoration spartiate. Il allait bientôt devoir partir pour cette nouvelle mission. La situation était différente de la première fois où il était parti avec Deathmask. Cette fois, la cible était un civil, ils n'auraient pas leurs armures et ils devraient agir avec discrétion et sans leurs pouvoirs. Allait-il de nouveau ressentir cette sorte d'excitation froide, comme face à Desdérone ? Pour l'instant, il avait beau penser à la mission et visualiser plusieurs scénarios de la traque, son cœur restait froid et indifférent. Il soupira. On lui avait appris à agir en Saint, pas comme un simple policier. Qu'est-ce que Lucas dirait s'il était là ? Le Pope l'avait peut-être déjà envoyé en missions de ce genre, il aurait pu le renseigner sur les méthodes, sur Asgard, lui expliquer ce qu'il ne comprenait pas. Il n'entendait pas grand chose à la politique. Il avait vaguement saisi que ce Cortez avait une dent contre le Sanctuaire, et essayait de monter Asgard contre lui. Mais la partie du conte sur les commanditaires et tout ça, c'était flou pour lui.
Ses yeux se posèrent sur le paradisier doré qui avait trouvé refuge sur une plante suspendue près de la cheminée – qu'il n'avait encore jamais pensé à essayer. Lucas n'était plus là. Il s'occupait de quelqu'un d'autre, ce petit Français, Misty. Drôle de nom. Il lui volait Cassiopée. Ce sale gamin… Lucas l'oublierait, maintenant qu'il devait entraîner cet intrus. Il serait gentil avec lui comme il l'avait été avec lui. S'il se faisait mal au poignet après une journée d'entraînement trop rude, il lui offrirait sûrement à lui aussi une tasse de lait chaud avec un peu de caramel dedans pour se faire pardonner et faire partir la douleur… Aphrodite passa machinalement la main sur son poignet gauche. Lui qui était gaucher, cet incident l'avait contraint à se servir plus de sa main droite. Une foulure qui avait mis du temps à guérir. Au final, ce n'était pas plus mal. Il était presque devenu ambidextre. L'oiseau siffla doucement. Lucas n'était plus qu'un fantôme maintenant. Mais Shaka… Shaka était là, il était intelligent – même si le reconnaître ne plaisait guère au Suédois. Lui pourrait lui dire que faire face à cet homme, cet ennemi. Il se leva et sortit pour descendre jusqu'au sixième Temple.
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Un endroit blanc, très lumineux. Il se sentait léger, comme dans un rêve et pourtant, son esprit était attentif à tout, captant les sons les plus infimes, les mouvements les plus légers. Il se concentra et essaya de s'élever un peu plus au-dessus de la puissante lumière. Elle se scinda peu à peu en tâches de lumières. Certaines étaient plus brillantes, d'autres prenaient des couleurs dorées ou sanglantes, de minuscules semblaient presque noires. S'élever encore, apaisé, attentif… Les tâches devenaient des points. Ils n'avaient pas tous la même taille, ni la même force. Quelques-uns étaient bien plus lumineux que les autres, il sentait leur aura le caresser doucement, telle une brise chaude. Elle allait de l'un à l'autre des points très brillants. Il essaya de se concentrer pour compter un groupe de points dorés qui avait attiré son attention. Ils étaient au nombre de 11. Il voulut s'approcher un peu plus. Certaines des petites auras étaient étranges… Deux d'entre elles, presque accolées, étaient identiques et le reflet l'une de l'autre ; l'une d'entre elles avait l'air de scintiller presque douloureusement… Deux autres avaient une étrange couleur rappelant de la glace. Froides. Et tristes. Eprouvant de la souffrance. L'une d'elles devint un peu plus forte et il sentit son aura parvenir jusqu'à lui consciemment. Il frissonna en la sentant appeler son cosmos. On l'appelait… Il devait revenir…
Il se laissa doucement tomber vers la lumière de toutes ces vies et sentit progressivement le poids de son corps. La lumière quitta son esprit et il perçut de nouveau ce qui était une réalité parmi d'autres.
– Aphro ? Tu es là depuis longtemps ? demanda l'Indien sans quitter la position du Lotus qu'il avait prise.
– Non. Pardon… Je ne voulais pas te déranger, s'excusa son vis-à-vis.
Shaka sourit mentalement. Aphrodite avait une manière particulière de dire "pardon". Sa voix baissait légèrement et prenait un ton presque suppliant durant un instant. Même son accent scandinave devenait un peu plus fort. Un tic dont il n'avait probablement pas conscience.
– Tu ne me déranges pas, Aphro.
– Tu méditais.
– Je peux reprendre ça plus tard. Tu voulais quelque chose ?
La Vierge connaissait assez le Poissons pour savoir que celui-ci faisait rarement l'effort de venir le voir sans une raison derrière.
– Je repars en mission avec DM.
– Déjà, soupira doucement Shaka.
– Shaka, un attentat, c'est une mauvaise chose, n'est-ce pas ?
– Bien sûr.
– Pourquoi ?
– Parce que ça fait souffrir des gens.
– Même si la personne qui le fait a une bonne raison ?
– L'intention peut être bonne, mais du moment que ça fait du mal à des gens innocents, elle devient mauvaise.
– Donc, c'est un ennemi. Quelqu'un de mauvais.
– Vous devez arrêter un poseur de bombes ?
– Je ne peux pas te le dire, c'est les ordres. Mais ce n'est pas un chevalier. C'est un homme mauvais. Un ennemi.
– Aphro, tu sais ce que je pense de ça. Ça reste un homme. Et tuer…
– C'est un ennemi. S'il est mauvais, alors il n'y a pas de mal à l'arrêter Shaka. Tu l'as dit, il fait souffrir des gens.
– Combattre le feu par le feu, ce n'est pas une solution non plus.
– On peut aussi le ramener vivant. Ça dépendra de lui, murmura Aphrodite pensif. Je vais partir maintenant. Excuse-moi encore de t'avoir dérangé.
Le Saint tourna les talons pour quitter son ami.
– Aphro… Quoi qu'il arrive… N'oublie pas une chose, juste une chose, pour moi.
– Quoi ?
– Bon ou mauvais, quand on tue quelqu'un, c'est une lumière unique qui s'éteint à jamais, comme un feu qu'on étouffe. On ne tue pas sans être tué en retour aussi.
– …Je m'en rappellerai. Au revoir Shaka.
– Au revoir.
Shaka n'aimait pas cela. Il avait encore eu cette sensation désagréable, comme au retour du Poissons de sa mission de baptême. Son visage restait froid et impassible, mais quelque chose en lui souriait doucement. Il était juste venu le voir pour confirmer ce qu'il pensait déjà de cet homme qu'il devait assassiner. Dans l'esprit du Suédois, apparemment, détruire le Mal excusait la faute. Et on l'encourageait dans ce sens. Il avait un mauvais pressentiment.
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Le Saint des Poissons prit son sac et alla admirer une dernière fois ses rosiers. Ils grandissaient bien et devenaient vigoureux. Il effleura les pétales d'une rose éclose puis fit apparaître sa jumelle dans sa main.
– Tu seras avec moi là-bas aussi ?
Je te protègerai
Le Mal ne t'atteindra pas
Il se pencha pour déposer un baiser léger sur la rose qu'il avait caressée, puis bloqua celle qu'il avait matérialisée dans le nœud de sa petite queue. Ses cheveux avaient suffisamment poussé pour lui permettre la fantaisie, et pour le voyage, il préférait ne pas les avoir dans le cou. Devoir défaire les nœuds à l'arrivée n'était pas un moment de plaisir. Une brève lumière attira son attention vers l'urne de son armure, sagement posée près de quelques orchidées qu'il avait achetées peu avant.
– Tu ne viens pas avec moi. Tu restes ici monter la garde.
Une lueur lui répondit. Il se sentait nu sans elle, mais les ordres du Pope étaient clairs… Deathmask devait déjà attendre devant la voiture. Il se mit en route.
Comme il l'avait deviné, le Cancer était déjà arrivé et attendait, adossé à la berline qui les conduirait à l'aéroport. Il avait moins de chemin à faire depuis son Temple. Il siffla en voyant arriver le Scandinave.
– Wow, tu sais que tu es presque à l'heure !
Le Poissons préféra ne rien répondre. Le chauffeur prit ses bagages pour les mettre dans le coffre tandis que les deux adolescents prenaient place. DM vérifiait les piles de son walkman pendant que son confrère regardait le paysage qui défilait sans vraiment le voir.
– C'est bien pour toi, cette mission. C'est comme un retour au pays, taquina l'Italien en changeant ses piles.
– Sans doute.
Mouais, toujours aussi bavard, pensa le Cancer. Décidément, les voyages étaient plus intéressants avec Shura. Ou même tout seul. Pourquoi s'obstinait-il aussi à essayer de nouer un semblant de discussion avec ce merdeux ? Encore une fois, il ne se comprenait pas. Il regarda l'enfant. Il avait l'air plus âgé avec la lumière de la fenêtre et ses yeux azurs posés dans le lointain. Une poupée… Encore la même image qui lui revenait. Une poupée immobile qui se laissait balader. Une poupée amusante avec laquelle jouer, à défaut de pouvoir la dresser tout de suite… Il secoua mentalement la tête. Il fallait qu'il se sorte ce genre d'idées de la tête. Le Pope gueulerait s'il abîmait le Poissons. Tant qu'il serait sous sa responsabilité, il serait tranquille… Vivement qu'il fasse ses preuves et que le Suédois soit de nouveau apte à se faire cogner sans risques. Le gamin prenait trop de grands airs et oubliait à qui il avait affaire.
– Tu sais, je vais essayer un truc durant cette mission.
Le soupir étouffé d'Aphrodite lui convint comme invitation à s'expliquer.
– Paraît que les Indiens d'Amérique dévoraient le cœur de leurs proies pour s'approprier leur force et scalpaient les humains pour prouver leur valeur.
– Tu crois à ce genre d'histoires ?
L'Italien plongea ses yeux sombres dans les opales qui s'étaient tournées vers lui. Beau regard.
– Moi, non. Les couillons au Sanctuaire, oui.
Aphrodite ferma les yeux. Ce Deathmask était encore plus taré qu'il ne le pensait.
Le ciel était clair et dégagé, semblable à un beau ciel d'été. Pourtant, il régnait un froid sec et pénétrant. Il émanait de l'air et de la neige dure entassée un peu partout. Deathmask jura en sortant du petit aéroport.
– Pourquoi on nous envoie toujours dans des trous paumés pour les missions, hein ? Moi aussi, je veux aller sur la Côte d'Azur comme le Rouquin.
– Qui ?
Deathmask regarda Aphrodite, semblant attendre une lueur d'intelligence dans ces yeux aussi bleus que le ciel d'Asgard. Elle fut trop longue à venir pour sa faible patience.
– Le Rouquin… Camus ! Réveille-toi.
– Appelle les gens par leur nom, ça sera plus rapide.
– Pardon de ne point respecter les convenances, messire.
Aphrodite se désintéressa du Cancer et de son ironie mordante. Son regard se posa sur la ville qui se devinait à l'horizon. L'aéroport ne devait pas être ouvert toute l'année, et on l'avait placé à bonne distance de cette cité qui avait l'air assez modeste. Asgard ressemblait tant à la Suède… La même neige éternelle, le même jour rayonnant, les mêmes forêts qui s'étalaient de ci et de là… La même impression diffuse de malaise et d'étrangeté. Comme si l'atmosphère n'était pas naturelle et cachait un danger. Le croque-mitaine. Le gamin ferma brièvement les yeux et fit apparaître une rose pour la serrer dans ses doigts, puis il la porta à la bouche pour mordiller doucement la tige.
Le Mal ne t'atteindra pas
Je te protègerai toujours
Il entendit un éternuement derrière lui.
– Quand on revient de cette mission, je demande au Pope des vacances en Sicile, annonça DM en enfilant des gants épais et en rajustant son col.
– C'est chez toi ?
– Ouais. Des pâtes, du soleil, des oliviers, la mer chaude. Faut être barge pour vivre dans un pays comme ça.
– On s'y fait.
Deathmask le regarda, dubitatif. Il avait un bon exemple des méfaits du froid sur l'esprit humain quand il voyait le Poissons. Aphrodite devina ses pensées et souffla entre ses dents d'un air méprisant, ce qui fit sourire le Cancer.
Un homme venait à leur rencontre. Il était chaudement emmitouflé et quand il fut près d'eux, ils virent à ses cheveux blancs qu'il devait avoir dépassé l'âge de la retraite légale.
– Messieurs… les chevaliers du Sanctuaire ? hésita l'homme en regardant les deux enfants devant lui.
– Vous êtes ? répliqua sans chaleur le Cancer.
Il détestait par-dessus tout qu'on le regarde de haut comme cela.
– Antoneï Baldr, votre contact. La prêtresse Hilda m'a demandé vous aider dans cette mission, de manière officieuse. Je suis agent de surveillance de télécommunications, et mon équipe est sur la piste du Lacrimosa depuis longtemps.
– Officieusement ? Autrement dit, en cas de pépin, vous ne serez en rien mêlé à l'embrouille, sourit DM.
– A vous de ne pas provoquer d'ennuis, acquiesça Baldr. Venez, j'ai loué une chambre à l'hôtel Isle. Nous serons plus à l'aise pour parler qu'ici.
Il s'approcha des bagages, mais les deux enfants les saisirent et le dépassèrent sans un mot. Ils n'avaient pas besoin de porteur, juste d'un informateur. Antoneï Baldr soupira. Ces adolescents étaient bizarres. Etait-ce vraiment ces hommes tant vantés par Hilda de Polaris et sensés constituer une élite ? Il n'aurait pas mis sa main à couper sur ça. Pensif, il rejoignit les deux Saints et les devança pour les guider.
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– Voilà qui est déjà mieux. Il fait plus chaud ici que dehors et en cette saison, le temps change si vite ! se réjouit d'un air forcé Baldr en suspendant son manteau dans l'entrée de la chambre. Cette chambre n'est pas très grande, mais elle est confortable et discrète. L'hôtel Isle est près du centre-ville aussi, ça pourra vous aider dans votre mission.
Les Saints posèrent leurs affaires sur chacun des lits et eurent le réflexe de regarder par la fenêtre. Ils avaient vu la ville sommairement lors de leur trajet en voiture. L'architecture était d'un style plutôt ancien et l'ensemble sombre. Si on enlevait les voitures, les antennes télés et les fils électriques, on aurait tout à fait pu se croire projeté deux cents ans en arrière, en pleine campagne allemande.
– Walhalla est une petite ville qui veut rester près de ses racines… Ça la rend triste à voir, mais elle est chaleureuse, expliqua sommairement Baldr. Vous n'y resterez pas assez longtemps pour l'aimer, je pense.
– Espérons, répondit DM en s'asseyant sur son lit. Pas envie d'avoir vos sales têtes de pâlichons en manque de soleil.
Baldr soupira mentalement. Le Sanctuaire était un endroit curieusement peuplé et dirigé. Leur envoyer un muet et un exaspérant n'était pas un cadeau. Surtout vu leur âge, ils ne devaient pas avoir 15 ans.
– Bon, on est là pour le boulot, alors parlons boulot, reprit DM que le silence exaspérait. On a été briefés avant de venir, qu'est-ce que vous pouvez nous apprendre de plus ?
– Certains renseignements qui ne figurent peut-être pas dans vos ordres et que nous avons appris il y a peu. Et aussi vous guider, vous ignorez tout de Walhalla.
– Lui, il s'y connaît en repérage, argua Deathmask en désignant Aphrodite. Il a une vraie boussole dans le crâne. Si vous nous suivez partout comme un clebs, on va se faire remarquer et en plus, vous pourriez être tué si le pépin arrivait plus tôt que prévu.
– Rassurez-vous, je ne serai pas avec vous. Je retournerai à notre antenne locale quand vous… enquêterez.
Antoneï ouvrit une chemise qu'il tenait cachée sous son manteau durant le trajet.
– Messieurs… Deathmask et Aphrodite, c'est bien ça ? demanda-t-il en les regardant successivement. Ils acquiescèrent : Bien au moins maintenant, je peux vous identifier…
– Pourquoi nous demander nos noms seulement maintenant ? interrogea Aphrodite en le fixant. Nous aurions pu être les mauvaises personnes.
– Si c'était le cas, j'avais besoin d'un endroit tranquille pour procéder à votre… arrestation, annonça de sa voix douce Baldr en montrant son arme, sagement rangée dans sa poche-revolver.
– Pas besoin de la jouer "sale flic" avec nous, cracha DM. Balancez ce que vous avez à dire, et cassez-vous.
Aphrodite l'interrogea du regard. Le Cancer était bien énervé d'un seul coup. Par peur ? De quoi, alors ? L'homme ou son arme ? Il était curieux de savoir mais il ne se leurrait pas : l'Italien ne lui dirait rien, du moins devant Baldr.
L'homme justement, essaya de ne pas relever le fait qu'on l'invitait à partir. Il avait des ordres lui aussi et devait les remplir pour satisfaire la prêtresse. La jeune femme avait à peine une vingtaine d'années, mais c'était le genre de personne à ne pas énerver. Difficile de dire si elle tenait son caractère farouche de sa mère ou de son père, qu'on prétendait être Odin lui-même.
– Même si je vous ennuie, mes consignes sont strictes, Deathmask.
– Pour vous, ce sera "Monsieur Deathmask".
– Hilda de Polaris ne désire pas d'éclats dans cette opération. Aussi je dois veiller à ce que vous restiez discrets.
Un guetteur, pensa Aphrodite. Un observateur qui devait les espionner. C'était ça, la politique ? C'était quelque chose de bizarre, qui faisait surveiller ceux venus aider. C'était bien une idée de femme ça. Sans la connaître, il n'aimait pas cette Hilda. C'était pour elle qu'ils étaient là avec DM. Il s'aperçut qu'il avait perdu le fil de la conversation.
– Comment ça un tatouage ?
– Oui, comme celui-ci, expliqua Baldr en donnant une photo à Deathmask. Il est caractéristique des membres du Lacrimosa, et est porté sur la main droite, dans la paume.
– Ça a une sale gueule, tu trouves pas ? demanda le Cancer en donnant l'image au Poissons.
Il s'en saisit. Le tatouage était simple. Il se composait d'un écusson en forme de larme à l'intérieur duquel figuraient deux "L" dos à dos en lettres gothiques. Pourquoi choisir une larme ? se demanda le Suédois. Ces hommes étaient mauvais, mais leur symbole était étrange. Il rendit la photographie à Baldr, qui poursuivit.
– Les responsables du groupe ont un ajout sur le leur : un "s" minuscule sous les deux "L".
DM et Aphrodite échangèrent un regard. Ils avaient pensé à la même chose. Sanctuaire.
– Ce n'est pas logique, ces tatouages, remarqua le Poissons. Ils veulent être discrets et tatouent ça sur la main. C'est visible.
– Ils ne cherchent pas vraiment la discrétion, mais la reconnaissance. Ils revendiquent ouvertement leurs attentats et s'amusent même à téléphoner aux brigades de déminage et à la cellule anti-terroriste qui leur est attribuée.
– C'est des marrants, se moqua DM. De redoutables vilains méchants, dîtes donc.
– Leurs victimes ont moins d'humour qu'eux. Ils ont commis 4 attentats en trois mois en Asgard. Deux n'ont fait que des dégâts matériels mais les deux derniers ont causé la mort de six personnes et des blessures à une vingtaine d'autres.
– Leurs cibles ? intervint le Suédois en s'asseyant sur son lit.
Baldr accrocha une carte d'Asgard au mur pour leur permettre de mieux visualiser.
– Le premier, ici, à Osgordr, à une vingtaine de kilomètres de la frontière. Ils ont fait sauter des entrepôts appartenant à une usine chimique. Ça a provoqué une grosse panique mais ils n'avaient pas choisi les entrepôts utilisés. L'usine est surprotégée, c'était une manière de montrer leur habilité.
– Un lien avec le Sanctuaire ?
– Oui, Deathmask. La société lui reverse une part de ses fonds, à la demande d'Hilda.
– Continuez.
– Le second attentat a eu lieu dans la région de Jotunheim. Le plus gros relayeur électrique et informatique a été détruit. Il commence à peine à re-fonctionner. Jotunheim est un endroit propice aux implantations de sociétés et donc, de capitaux. Des projets sont en cours, et qui ont été retardés par cette explosion.
DM et Aphrodite s'échangeaient parfois de légers regards, cherchant à voir si l'autre réfléchissait pareil. Lacrimosa attaquait bien le Sanctuaire, en visant son argent. Mais ils ne comprenaient pas encore très bien pourquoi choisir Asgard.
– Les attentats meurtriers ont eu lieu à Hel, dans une école, puis à Hotanburg, dans une bibliothèque très fréquentée.
– Ils attaquent les gosses, les livres, le pognon. Tous les fronts importants, résuma DM. Ils sont pas cons.
– Il leur manque un point, murmura Aphrodite. L'administration.
– En effet, ainsi que l'Etat lui-même. Vues leurs méthodes, nous pensons qu'ils ne s'attaqueront pas à Hilda de Polaris directement. Le palais d'Yggdrasil où elle réside est beaucoup plus au Nord et vu l'accélération de leurs actions, ils n'auront pas le temps de se rendre là-bas. Ils vont s'attaquer à des cibles faciles encore une fois avant d'envisager l'attaque frontale.
– Tuer un dirigeant, c'est une déclaration de guerre.
– Et ils n'en veulent pas à Asgard, soupira DM. Mais au Sanctuaire. C'est pas Hilda qu'ils tueraient. C'est le Grand Pope.
– Mais comme ils ne peuvent pas à cause des Saints, ils s'attaquent à Asgard, conclut Aphrodite.
– Nous craignons une attaque sur la sœur d'Hilda, Freiya. Mais comme je vous l'ai dit, nous doutons que ce soit leur prochaine cible.
– Etalez vos preuves, ordonna DM plus qu'il ne le proposa.
Baldr prit un stylo dans sa poche et traça une ligne entre les différents lieux d'attentats.
– Asgard est un pays peu peuplé vous savez. Surtout ici, au Sud. Jusqu'à présent, ils n'ont attaqué que des villes importantes, pour marquer. Les villages ne les intéressent pas. Nous pensons qu'ils vont s'en prendre à Walhalla… Regardez cela.
La ligne sur la carte formait un "S" couché grossier, dont la dernière branche touchait Walhalla.
– C'est la plus grosse ville du secteur et nous avons trouvé une carte de la région sur les lieux du dernier attentat. Nous avons surveillé cette ville et sa voisine, Norne ; c'est ici que des hommes de Lacrimosa ont été repérés il y a quelques jours. Nous savons qu'ils font des repérages avant chaque attentat.
– Bon, si vous les connaissez si bien, alors vous allez nous dire leur prochaine cible maintenant ?
– Nous faisons des suppositions seulement. Comme vous l'avez dit tous les deux, ils attaquent des symboles. Le savoir, la jeunesse, l'économie. Pour atteindre l'Etat, si c'est bien ce qu'ils veulent, il leur faut attaquer un bâtiment de l'administration. Il y en a beaucoup en ville et nous n'avons aucune idée de leur choix.
– Les autres cibles avaient des liens avec le Sanctuaire, pourquoi ne pas en chercher dans ce cas-là aussi ? proposa Aphrodite.
– Nous l'avons fait. 4 bâtiments sont sortis du lot. (Baldr sortit de sa chemise des photos qu'il épingla au mur près de la carte, avec un peu de difficulté). L'Immeuble des Impôts et celui des services sociaux de l'Enfance ont des rapports avec le Sanctuaire. La mairie au palais Glitnir et le centre des Affaires Etrangères ont été et sont toujours financés en partie depuis la Grèce.
– Ça ne va pas être facile de savoir quelle cible ils ont choisie, soupira DM. Au moins, on ne va pas s'ennuyer.
– Vous prenez ça à la légère… s'offusqua l'Asgardien.
– Vous êtes là pour la dramatisation. Alors laissez-nous le côté humour du trip. Alors, vous avez dit que vous avez repéré des copains à Cortez...?
– Nous les avons perdus de vue. Cortez ne se déplacera que le jour de l'attentat avant de disparaître encore préparer la suite de son plan. Vous êtes là pour l'arrêter, nous on pourra se charger du menu fretin. Cortez nous glisse sans arrêt entre les mains. Il a avec lui une espèce d'accoutrement bizarre, qui le rend insensible aux balles des armes à feu.
Une armure ? Les deux Saints se regardèrent, surpris. Cortez avait été espion, pas apprenti au Sanctuaire. Comment pouvait-il avoir et porter une armure ? Où l'avait-il eue ? Ça changeait la donne. Eux n'avaient pas les leurs. C'était ça qui avait vraiment décidé le Pope et Hilda à faire appel à eux. Contre un homme en armure, des policiers ou même une armée sont inutiles. La protection empêche la plupart des blessures. Seuls des chevaliers peuvent les combattre. Restait encore à savoir quelle armure il pouvait bien pu avoir prise avec lui…
– Vous avez le début d'une piste quand même ? demanda DM.
– L'un des hommes que nous avons repérés est un des lieutenants de Cortez, Michaël Bifrost, un Asgardien. Il doit donner les renseignements utiles sur notre pays à ce terroriste. Il saura peut-être où se trouve son chef et les détails des opérations en cours.
– On part donc à la chasse au Mickey, conclut DM en se levant. Finalement, cette mission risque d'être marrante.
Aphrodite resta silencieux. Le Pope ne leur avait pas dit pour l'armure de Cortez. Et sûrement pas par oubli. Cortez… Cet homme, qui était-il vraiment ?
Ne t'en fais pas, papa est là, papa va te sortir de là…
Mais il faut que tu gardes les yeux ouverts.
C'est un jeu, oui… Un jeu où celui qui ferme les yeux perd. Tu as compris ?
Papa ne te laissera plus jamais, Vital.
Je les ferai tous payer.
– Par où peut-on commencer ? demanda Aphrodite en jetant un œil aux alentours.
– L'important, c'est de mettre la main sur Mickey. Lui, il crachera le morceau et nous mènera à Cortez.
– Il ne voudra sûrement pas coopérer.
– T'inquiète pas pour ça, assura DM en faisant craquer les jointures de ses doigts d'un air peu engageant.
Une vraie caricature, pensa le Suédois en soupirant. De légers nuages commençaient à voiler le ciel. Baldr avait raison, le temps tournait vite. Comme en Suède.
– Dis, le merdeux… Toi aussi, tu te demandes ce que le Pope cache, n'est-ce pas ?
Le sérieux dans la voix de Deathmask surprit Aphrodite, qui lui adressa un regard troublé. L'Italien le dévisagea.
– Pour l'armure ?
– Oui. Y'a des choses pas claires au Sanctuaire, mais une règle est immuable, c'est qu'une armure, ça ne se porte pas comme une fringue. Je paierais cher pour savoir comment Cortez a eu la sienne et pourquoi le Pope ne nous a pas prévenus.
– Il doit le sous-estimer. Ce qui est inquiétant, c'est que nous n'avons pas les nôtres…
– Et alors ? On reste des Chevaliers d'Or, avec ou sans elles. On ne fera qu'une bouchée de ce mec. Juste après lui avoir demandé d'éclaircir notre lanterne.
Le Suédois n'avait jamais connu ce côté-ci de DM, insatisfait et lucide. Le Cancer serait-il plus sérieux qu'il n'en donnait l'air ? Difficile de juger pour l'instant. Ils devaient se reconcentrer sur leur cible du moment : Bifrost, le lieutenant de Cortez. Le meneur devait certainement se savoir recherché par le Sanctuaire, et se cacher ; seul l'un de ses hommes pourrait les aider à le débusquer. Cela revenait à chercher une aiguille dans une botte de foin.
DM jeta un nouveau coup d'œil sur la photographie que leur avait donnée Baldr avant de les quitter. Le Mickey n'avait aucun signe réellement distinctif, mis à part son tatouage, qui l'identifiait au premier coup d'œil. Il avait au contraire la tête du parfait Monsieur-Tout-Le-Monde rangé, brun aux yeux verdâtres, avec une petite moustache sage et des rides par ci, par là. L'adolescent jeta un œil aux quelques passants qui arpentaient la rue. La moitié des hommes pouvaient passer pour son sosie. Il rangea la photo dans la poche de son anorak.
Ils venaient d'arriver à une petite place ronde, centrée sur une superbe fontaine d'inspiration gothique, pour l'instant éteinte. Quelques enfants jouaient au ballon à son pied.
– Bon… Concrètement, on a deux manières de retrouver le bout de son nez à celui-là.
– Solution 1 : montrer sa photo, je suppose ?
– Exact. Seulement, on court le risque qu'un cafteur aille le prévenir qu'on le cherche. Ça le rendrait plus prudent.
– Ca serait la méthode la plus efficace pourtant. Quel est l'autre choix ?
– On marche à l'instinct. Franchement, ce mec a une tête de blaireau, avec quand même un cerveau en état de marche. Il doit avoir une planque en ville, mais il ne doit pas y rester toute la journée, sinon, il se ferait remarquer.
– Comment peux-tu en être si sûr ?
– L'expérience, le merdeux. Leçon du jour : une cible qui se sait recherchée, ne va jamais rester longtemps au même endroit. Elle va chercher à bouger son cul pour être insaisissable. Mickey a un point de chute, mais il doit tourner en ville la journée.
– Sûrement chez des complices, ils sont plusieurs ici.
– Il n'y a rien de tel pour se faire repérer. A moins d'être un bar homo, un endroit où des mecs se réunissent tous les jours ou presque en douce, ça attire l'attention du voisinage. Surtout en temps d'attentats. La trouille, ça fait prendre les gens pour des James Bond amateurs.
– Alors à quoi penses-tu ? Ils ne peuvent pas aller dans les rues, il fait trop froid et ça éveillerait encore plus les soupçons.
– Tu commences à piger le truc. Nouvelle leçon : un arbre se cache toujours mieux dans la forêt. Ça, c'est Shura qui me l'a appris.
– … C'est un peu gros là, hésita Aphrodite. Tu sous-entends que Bifrost irait dans des endroits avec du monde?
– Le dernier endroit où la police penserait à le chercher, sûre qu'elle est qu'il se planque. Et crois-moi, un type dans un centre commercial ou une fête foraine, c'est dix fois plus difficile à remarquer et arrêter que quelqu'un de tout seul et isolé.
– Franchement, ça me paraît bancal.
– M'en fous. C'est moi l'aîné, toi tu te contentes de suivre et de regarder. Première étape : chercher une carte de cette foutue ville. Par ce temps de chien, dans ce pays de chien, il n'y a pas beaucoup d'endroits où on a envie d'aller se réchauffer les miches.
Aphrodite n'était qu'à moitié convaincu par les explications du Cancer. Lorsqu'on est recherché, on se cache, on ne s'affiche pas. On efface ses traces. Comme avec Svend, rester invisible. Ne pas craquer. DM prenait vraiment Bifrost pour un imbécile. Mais il devait reconnaître qu'ils n'avaient guère d'autres choix pour l'instant, il fallait bien qu'ils commencent à faire des recherches, quitte à ce que leurs premières pistes soient vaines. Le Cancer semblait s'en ficher, mais si Cortez réussissait un cinquième attentat avant qu'ils ne l'arrêtent, le Pope considèrerait sans doute leur mission comme ratée. Il se déchaînerait. Le Suédois frissonna. L'image de Svend venait de se superposer à celle du Grand Pope.
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DM examinait la carte qu'il venait de trouver avec attention. Walhalla était vraiment un trou perdu. Pas de grands centres commerciaux, ni de fêtes foraines, ni de supermarchés de taille respectable. Des travaux étaient en cours pour rectifier la situation. En attendant, il n'y avait en ville que des petits commerces de quartiers, deux places de marchés, un maigre cinéma, deux parcs et un sacré nombre de bars et guinguettes. Si son intuition était juste, le Mickey ne pouvait passer ses journées que dans les bistrots, ou à la rigueur, les parcs. Les surveillants des salles de cinéma l'auraient trop vite débusqué, s'il avait tenté de squatter les salles de projection.
– Eh, le merdeux, viens là. Regarde, à mon avis, il doit faire partie de la grande famille des pochetrons, déclara le Cancer quand son acolyte le rejoignit. Vu le nombre de bars de ce bourg, il peut sans problème passer de l'un à l'autre sans se faire trop remarquer. Le bistrot, la planque idéale : chauffée, éclairée, pleine de gens, et tu peux t'y réunir sans problème sous prétexte de faire un jeu de cartes.
– Je dis que c'est une idée stupide, soupira le Poissons.
– T'as mieux à proposer, Einstein ?
– … Non, reconnut le Suédois.
– Alors direction les parcs, pour s'en débarrasser. Ensuite, on attaque les bars.
Il considéra le silence d'Aphrodite comme un assentiment et griffonna sur un papier les adresses des endroits qu'ils devraient visiter. Quand il eût fini, il remarqua que le Poissons avait encore le nez levé vers le ciel.
– Oh, le merdeux, arrête de jouer à ça.
– Les nuages… Ils s'épaississent. Il va neiger, fort.
– Ah oui, j'oubliais que tu étais Grenouille de météo en plus d'être chevalier, se moqua l'Italien en rangeant son pense-bête.
– Crois-moi. Il n'ira pas dehors. Pas dans les parcs. Ça ne va pas tarder à tomber.
DM observa un instant l'enfant perdu dans sa contemplation céleste. Il avait l'air de vraiment savoir ce qu'il disait. Au point où il en était, autant prendre un risque de plus. Ça ne changerait pas grand-chose à la situation.
– D'accord, on oublie les parcs.
Aphrodite ne répondit rien. Il connaissait bien cette manière particulière qu'avaient les nuages de se rencontrer, de s'enrouler, juste avant une tempête. Il l'avait souvent vue, durant une drift ou les entraînements imposés par Svend. Ils s'accumulaient vite, puis stagnaient quelques heures avant d'éclater pour de bon. Ils étaient ici depuis 4 heures. Et déjà, le ciel bleu était presque entièrement voilé par des nuages grisâtres qui s'épaississaient maintenant. Un juron de DM l'arracha pour de bon à son observation.
De toute manière, vu l'heure avancée du soir, ils ne pourraient pas mener très loin leurs recherches aujourd'hui. Ils n'étaient encore que deux adolescents. Ils se feraient facilement remarquer à hanter les bistrots, la nuit.
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DM enrageait. Ils n'avaient pu visiter que deux bars la veille, et le patron du dernier avait eu le culot de les mettre dehors en les appelant "gamins". L'Italien lui aurait volontiers cassé un poignet pour lui apprendre à le respecter, mais le Poissons, toujours aussi idiot, lui avait rappelé qu'ils devaient rester discrets. Tu parles ! Comment être discrets avec une crevette aux cheveux bleus et aux yeux gigantesques, et lui qui avait un accent italien relativement prononcé quand il s'énervait ? Ils se faisaient vite cataloguer au rang de nouveaux dans la ville. Surtout qu'ils étaient rentrés tard à leur hôtel, pour la bête raison qu'ils s'étaient perdus. Le Poissons avait visiblement oublié sa boussole au Sanctuaire.
Il soupira en finissant de s'habiller. Encore heureux qu'ils parlent anglais dans cette bourgade, ça facilitait un tant soit peu les choses. Il n'aimait pas cette mission. Le Pope leur cachait trop de choses sur Cortez. Ce type n'était pas qu'un espion. Et pourquoi voulait-il tant qu'ils l'appréhendent juste lui, et pas tout le groupe, si le but était réellement de mettre fin aux attentats ? DM ne pouvait que faire des suppositions. Le Pope voulait Cortez, peut-être pas seulement parce qu'il visait le Sanctuaire. D'ailleurs, pourquoi l'avoir choisi comme cible ? Le prétexte de s'être fait virer, c'était un peu léger. Il y avait autre chose. La vraie raison… était-ce ce qui avait poussé l'espion à trahir le Domaine Sacré, plus d'une décennie auparavant ? Qu'est-ce qui pouvait créer une telle rage ?
Il sentit le regard d'Aphrodite sur lui. D'un coup d'œil échangé, il sut qu'il pensait la même chose que lui. Cortez aurait des choses à leur dire. Si elles étaient intéressantes, il déciderait peut-être de l'épargner.
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– Bonjour, nous sommes à la recherche de notre oncle… Peut-être l'avez-vous vu ? entonna DM d'une voix enfantine et suppliante.
Le barman sembla hésiter un moment, puis se laissa convaincre et regarda la photo qui lui était présentée.
– C'est vraiment votre oncle ?
– Oui, le frère de notre pauvre maman…
Aphrodite regarda DM déballer une fois de plus son baratin sur un drame familial digne des plus grands romans à l'eau de rose. L'après-midi était bien avancé et quelques flocons commençaient à tomber. Le Suédois suivait leur course silencieuse à travers les fenêtres. Ils avaient déjà parcouru la moitié des bars inscrits sur la liste du Cancer, sans succès. Et la tempête prédite par le Poissons devenait réalité à grande vitesse. Des bulletins d'alerte étaient diffusés sur la télé allumée dans le bistrot. A mesure que la neige se faisait plus drue et le froid plus intense, l'endroit se remplissait. Espérons que Cortez fasse une descente dans l'un de ces tripots plutôt que de rester calfeutré chez lui comme le conseillait le gouvernement. Baldr était venu les voir ce matin, avant qu'ils ne partent. Lacrimosa avait appelé la gendarmerie. Un attentat, dans les prochaines 48 heures. Le temps était compté. Le groupe avait l'habitude de donner un surnom à chaque action. Celle-ci était :"la neige tâchée de sang". Cela laissait craindre le pire aux autorités. Pourquoi avaient-ils peur de la mort d'autres personnes ? Parce que ça leur montrait qu'eux aussi pouvaient mourir ?
– C'est vrai ? Oooh merci, ça fait si longtemps qu'on le cherche, comme le voulait notre pauvre maman…
Le Cancer revint vers Aphrodite en perdant son sourire affable.
– Ce que ça me gonfle de jouer les niaiseux, tu aurais pu y faire.
– C'était ton idée.
– Enfin bref. Jackpot. Notre Mickey a été vu ici quatre fois en une semaine, toujours vers 8 heures du soir. Il s'installe avec plusieurs copains et joue au Rami jusqu'à la fermeture. Le barman se souvient bien de son tatouage.
– On revient ici ce soir alors ?
– Mmm… Non. On reste. Je ne fais pas confiance à notre gentil informateur. T'as faim ?
– Pourquoi ?
La réponse lui vint toute seule, une fois que le Cancer l'eût tiré dehors. A côté du bar, il y avait un petit restaurant familial. Ils n'auraient pas de problème à rester sur place, au chaud, tandis qu'ils surveilleraient le mouvement des passants aux alentours de l'heure annoncée. Heureusement que lui et DM faisaient plus que leurs âges réels. On les servit sans trop poser de questions. Leur attente commença, alors que le ciel devenait plus sombre et les flocons plus nombreux.
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Peu avant les 20 heures, ils quittèrent le restaurant et se placèrent de part et d'autre du bar qu'ils surveillaient, relativement cachés. Bifrost pouvait échapper à leur vigilance à son entrée dans l'établissement, mais guère à sa sortie, que DM prévoyait rapide. De leurs cachettes, ils pouvaient se voir et échanger des signes qu'ils avaient mis au point durant leur après-midi d'attente. Ils ne devaient pas utiliser leur cosmos avant d'être face à Cortez. Pas pour respecter les ordres, mais parce que si l'homme avait bien une armure, il devait être capable de sentir les auras et leurs manifestations.
DM se concentrait pour examiner au possible les visages qui défilaient. L'averse de neige devenue abondante rendait le travail plus difficile. Il perçut soudain un homme qui pouvait ressembler à Bifrost. Moustache rasée, mais mêmes yeux perçants… Il entra dans le bar et le Cancer lança à Aphrodite le signe qui signifiait :"Il est là". Le Poissons hocha doucement de la tête et quitta sa cachette pour se déporter à l'endroit convenu. DM fit de même.
Quelques minutes plus tard, l'homme ressortit du bar pour emprunter l'une des petites ruelles qui le contournaient. Un enfant lui barra rapidement la route, une fois qu'il fut suffisamment éloigné des regards indiscrets. Un sifflement aigu.
– Je ne sais pas pourquoi, j'attire les cas sociaux, lui déclara l'adolescent aux courts cheveux bleus.
– DM… soupira une voix plus fine à l'accent nordique.
L'homme frissonna. Un deuxième adolescent, approximativement du même âge que le premier, venait de surgir sans bruit derrière lui. Ces gosses… Ils n'étaient pas comme les autres. Il s'approcha du mur alors que l'étau formé des deux adolescents se resserrait sur lui.
– Michaël Bifrost ? demanda le nouvel arrivant.
– Qu'est-ce que vous lui voulez, à Bifrost ? A votre âge, on ne traîne pas dans les rues.
– A ton âge, on sait quand il faut modérer sa gueule.
Deathmask lui asséna un coup de pied dans le genou pour le faire tomber.
– Alors, Mickey, t'as peur de deux "gosses" ? sourit le Cancer.
Il aimait voir la sueur commencer à se former sur les tempes de leur proie. Aphrodite restait silencieux, les yeux fixés sur cet homme à genoux devant eux. Il sentait son cœur s'accélérer, sa tête devenir un peu légère, une douce chaleur se répandre dans ses veines. Comme avec Desdérone. L'excitation, encore. Cette fois, ce n'était pas seulement la traque. C'était de voir la situation de leur cible.
– Cortez m'a parlé des gamins qui jouent les grands durs. Il m'a dit comme ils étaient détraqués.
– C'est trop de compliments. Tu dois savoir alors aussi que c'est pas toi qui nous intéresses, mais ton grand manitou.
– Je ne dirai rien. De toute façon, j'ignore où il est.
– Tu n'as pas l'air de comprendre ta situation là… commença DM en l'attrapant par le col. A cause de toi, on se caille dans ce pays à la con depuis trop de temps à mon goût. Tu n'es qu'un échelon pour nous, on veut Cortez, pas un imbécile comme toi. Alors, dis-nous ce que tu sais, ou tu le regretteras vraiment.
En démonstration, l'adolescent n'hésita pas à lui asséner un premier coup de poing. Bifrost avait du mal à croire qu'un gamin put avoir tant de force. Il s'écrasa dans la neige avant d'être relevé sans douceur contre le mur.
– On va t'aider si tu veux… Qu'est-ce que tu sais sur Cortez ? Pourquoi il en veut au Sanctuaire ?
– Au quoi ?
– Le Sanctuaire, il n'en parle pas ?
– Non, il n'a jamais dit ce nom.
– Tu l'as déjà vu en personne donc… Bon… Tu as déjà dû voir son armure alors.
– Je ne sais pas de quoi vous parlez.
– Voyez-vous ça…
Un second coup de poing sembla rendre sa langue au muet.
– D'accord… Le truc qu'il porte toujours sur lui… C'est ça une armure ? On dirait une combinaison dans les séries Z nippones…
– Oui c'est ça. Comment est-elle ?
– Moche… et noire, toute noire. Ce truc est lugubre.
Aphrodite et DM se regardèrent. Une armure noire ? Ils n'avaient jamais entendu parler d'une telle curiosité.
– Où l'a-t-il eue ? Il a dû le dire quand même.
– Je n'en sais rien, je l'ai toujours vu avec.
– Bon, apparemment, tu ne sais pas grand chose… Où se trouve Cortez maintenant ? Pour quand et où est prévu l'attentat ?
Bifrost rit.
– Si vous croyez que je vais le dire !
Les yeux de DM se plissèrent. Malgré les coups, l'homme ne céda pas cette fois-ci. L'adolescent le laissa glisser au sol, toussant et crachant une dent cassée.
– Merde. On le ramène à l'hôtel et on lui arrache les ongles jusqu'à ce qu'il nous cause.
– Attends.
Aphrodite avait bien observé l'homme et sa tenue. Il avait noté quelque chose qui l'intriguait.
– Dans sa poche.
– Quoi ?
Le Cancer regarda le Suédois fouiller l'endroit qui lui semblait suspect, sous les protestations de Bifrost. Il avait raison : leur Mickey cachait une superbe talkie-walkie. Le Cancer examina l'objet, alors que le Poisson faisait apparaître une rose rouge.
– Joli matos. C'est comme ça que Cortez donne les ordres, hein ? Quand doit-il te contacter ?
Il vit le suspect détourner la tête, hautain. Il n'avait pas envie d'être coopératif, tant pis pour lui.
– Le merdeux, je crois que tu vas pouvoir t'entraîner sur un être humain cette fois-ci, déclara DM en souriant. Il redressa Bifrost et le força à garder la tête droite : Tes roses sont empoisonnées, non ? Je suis curieux de voir tous leurs effets sur un humain.
– Vous… Vous êtes dingues… balbutia le lieutenant de Lacrimosa.
Il ne croyait pas à cette histoire de fleurs empoisonnées, mais… quelque chose en lui lui disait de se débattre. Aphrodite s'approcha doucement.
– Je n'ai pas envie de salir mon amie.
– Fais ce que je te dis, le merdeux.
Le talkie-walkie mit fin aux débats en se mettant en route. Une voix de mauvaise qualité s'éleva de l'appareil.
– …frost… Michaël, t'es là ? Réponds…
– On est chanceux, sourit DM. Vas-y, réponds, ordonna-t-il. Mais au moindre mot de travers…
Il passa son doigt sur la gorge d'un air peu engageant.
Aphrodite plaça le talkie-walkie près de sa bouche et appuya sur l'interrupteur.
– Oui… Je suis là.
– Tu n'as pas de problèmes ?
Il sentit la main de DM sur son cou.
– N-Non, tout va bien.
– Rejoins-moi à l'heure convenue, au Glitnir. On va offrir un bel avant-goût à ces hypocrites.
– Bien…
Il fallait qu'il tente quelque chose pour le prévenir. Ces gamins allaient le tuer, il ne pouvait pas laisser passer ça. Cortez avait toujours été loyal avec lui.
– Cortez, pense à nourrir les deux petits que tu viens de t'acheter…
– Quoi ?
– Je te laisse, il y a du monde… murmura l'homme en voyant le poing de l'Italien se lever.
Aphrodite éteignit le talkie-walkie alors que DM frappait violemment la gorge de Bifrost.
– Sale vendu… On t'avait dit de rester tranquille.
– Vous ne ferez pas peur à Cortez.
– Mais à toi, si.
DM se saisit de l'un de ses bras, et fit signe à Aphrodite de tenir l'homme pour l'empêcher de se débattre.
– J'ai encore une chose à te demander et après, on se tire. L'heure.
– Je ne parlerai pas.
– Ils disent tous ça… au début, annonça calmement le Cancer.
Il brisa net le poignet de Bifrost et se régala de ses cris avant de les étouffer en plaquant sa main contre sa bouche. La chaleur en Aphrodite disparut de nouveau. Il sentait son cœur se calmer. Il ne comprenait pas pourquoi. Le Cancer attendit que les cris s'estompent pour libérer l'homme.
– Je continue avec le coude et l'épaule, ou tu parles ?
– … aaah… Dix… Dix heures…
– Parfait, tu vois quand tu veux.
Le Cancer se redressa, satisfait.
– Allez, le merdeux, au Glitnir. On a une heure et demi pour le trouver et chopper Cortez.
– La mairie. Pas difficile à trouver. Mais et lui ? demanda-t-il en désignant le blessé.
– Oh lui…
DM donna un violent coup sur la tempe de l'homme, qui s'effondra sans même réaliser ce qui lui arrivait. Aphrodite eut un mouvement de recul. DM n'avait aucun mal à tuer sans même sourciller. Chaque vie est importante, Aphro. Shaka, as-tu vraiment raison ?
– Voilà, problème résolu.
– DM… Tuer…
– Si tu comptes me faire la morale, je t'arrête tout de suite, le merdeux. Si on l'avait laissé filer, il aurait été avertir son cher patron et on aurait eu droit à un joli guet-apens. Je limite les risques. N'oublie jamais : tuer, avant d'être tué. Même quand l'adversaire est aussi ridicule que lui.
Aphrodite n'ajouta rien, se contentant de suivre le Cancer qui se mettait en route, en mordillant la tige de sa rose.
Je te protègerai
Tuer avant d'être tué… Il en avait eu la démonstration avec Desdérone. DM… tuait donc pour se protéger ? Pourtant, il y prenait du plaisir, c'était impossible à nier. Lui-même, était-ce du plaisir qu'il avait ressenti alors qu'il s'approchait de Bifrost, alors que cet homme à genoux avait peur de la force qu'il représentait? Il ne savait pas… Il voulait savoir ce qu'était ce sentiment d'excitation.
Je te protègerai
Calme-toi
Je te chanterai une berceuse pour t'apaiser
Un même sourire éclairait le visage des deux enfants alors qu'ils s'enfonçaient dans la ville noyée sous la neige.
Ne t'en fais pas, papa est là, papa va te sortir de là…
Mais il faut que tu gardes les yeux ouverts.
C'est un jeu, oui… Un jeu où celui qui ferme les yeux perd. Tu as compris ?
Papa ne te laissera plus jamais, Vital.
"C'est aujourd'hui le Jour de ma Révolte contre Dieu"
"D'innombrables esprits armés
Osèrent détester son règne, me préférer,
Défier son pouvoir infini
En un combat douteux dans les plaines du Ciel,
Ebranlant son trône. Qu'importe bataille perdue ?
Tout n'est pas perdu – la volonté indomptable,
La revanche, la haine immortelle,
Et le courage qui jamais ne cède ni se soumet."
Milton – Le Paradis Perdu
La tempête entrait dans sa phase d'éveil. Les rues s'étaient désertées à mesure que le ciel s'obscurcissait et que les nuages se gonflaient toujours plus. Les flocons tombaient drus à présent, et le vent qui s'était levé refroidissait l'atmosphère d'autant plus. Il devenait difficile de voir à distance importante. Le silence était pesant.
Raiponce, Raiponce,
Descends-moi tes beaux cheveux…
Les deux enfants marchaient cote à cote, engoncés dans leurs anoraks, les yeux aux aguets. Le palais Glitnir, qui accueillait la mairie, se dressait devant eux, magnifique dans son manteau de neige et de parcs. Les puissants projecteurs l'illuminant lui donnaient une apparence fantomatique presque irréelle. Une lumière se détachant presque agressivement sur le ciel d'encre. Le Glitnir s'élevait autrefois sur une place qui lui était consacrée, puis l'expansion urbaine avait peu à peu rongé son espace et ses dépendances ; l'auguste bâtiment se voyait désormais forcé de côtoyer les maisons et commerces du petit peuple, seulement séparés par deux routes et des places de parking presque toutes occupées. Nul doute qu'une explosion ici, suivie d'un incendie, pourrait faire des ravages au quartier.
Raiponce, Raiponce…
Je t'arracherai à cette triste prison…
L'horloge du palais sonna les trois quarts d'heure. Il ne leur restait que quinze minutes. Ils avaient fouillé les abords immédiats de la mairie, les pièces qui semblaient inoccupées dans les bâtiments d'en face, jetés un œil dans les voitures stationnées, sans rien trouver de suspect. Alors, il leur était venu une idée, peut-être saugrenue… L'arbre se cache toujours mieux dans la forêt… Les quelques policiers en faction devant les grilles ne leur avaient pas posé de questions lorsqu'ils étaient entrés. Ils sentaient les regards de quelques membres des unités spéciales sur leurs nuques alors qu'ils s'enfonçaient dans les parcs. Ils n'avaient pas l'air nombreux. Evidemment, puisqu'ils avaient sans doute dû se diviser en 4 sections pour couvrir les 4 lieux qu'ils suspectaient d'être la prochaine cible. Les deux Saints n'avaient pas prévenu Baldr de leurs découvertes. Ils n'avaient pas besoin de témoin pour la suite, ni d'un espion qui surveillerait leurs gestes et les rapporterait à la prêtresse par la suite.
Il n'était pas difficile de se glisser près du Glitnir, de se cacher et d'attendre le moment idéal. Cortez était un espion endurci. Au Sanctuaire, on apprenait que la meilleure des cachettes, c'est la plus évidente de toutes, car c'est celle où on ne pensera jamais à venir vous chercher, à moins d'avoir reçu la même formation que vous. Au fin fond du parc numéro 3, il y avait une construction de béton tout à fait anodine, qui servait à abriter les valves d'ouverture de l'eau pour les fontaines décorant les allées. En prévision de la tempête du soir, le préposé qui s'en occupait les avait fermées le matin, puis avait verrouillé le maigre bâtiment. Il était si petit, si réduit, que personne n'avait dû y jeter un œil. Pour un espion, rien de plus facile que de forcer une serrure sans laisser de traces. Evidemment, le Sanctuaire avait bien dû se garder d'informer Asgard des qualités de leur homme. Question de secret défense.
Que tout cela avait un goût étrange, dans la gorge d'Aphrodite. Il suivait gentiment DM, et il semblait qu'ils étaient seuls au monde au milieu de cette neige qui tombait de plus en plus. Ça lui rappelait la Suède, Svend, la morsure du fouet. L'envie d'abandonner et de se battre à la fois. De ne jamais renoncer. Pourtant, son cœur battait de nouveau plus vite, il sentait de nouveau cette pointe d'euphorie le saisir. Leurs pas étaient décidés, ils savaient où aller. Leur proie ne leur échapperait pas, elle était coincée. Ils étaient la Force. Le Suédois verrait de nouveau cette lueur si spéciale dans les yeux de leur ennemi. Cette lueur appelée peur. Il serra entre ses doigts la tige de la rose qu'il tenait.
Raiponce, Raiponce…
Je te protègerai
Tu n'as pas à avoir peur du Mal
Ils s'arrêtèrent devant la porte de l'abri. DM examina la serrure : le boîtier numérique semblait normal mais nul doute que Cortez l'avait trafiqué pour rentrer à l'intérieur. Il ressentait une chaleur infime émanant du bâtiment, la même que celle déployée par une armure. Il fit signe à Aphrodite de se reculer.
Deviens toi-même le Mal
Tu n'auras plus peur
Je te protègerai
L'excitation était à son comble. Les épines s'enfoncèrent dans les doigts fins qui les étreignaient si fort. Le Cancer prit son élan et donna plusieurs coups de pieds sur la serrure de la porte. Celle-ci ne tarda pas à céder et la porte s'ouvrit en claquant contre le mur derrière elle.
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– 15 minutes avant l'heure… Vous êtes en retard, les accueillit l'homme qui leur tournait le dos. Il pianota sur son ordinateur portable en regardant par la maigre lucarne donnant sur le Glitnir : Les chevaliers sont sensés être ponctuels…
– On aime faire durer le plaisir, Cortez.
Il se tourna en entendant la voix jeune de l'Italien. Ce ne sont que des enfants… J'aurais dû m'en douter.
– Deux Saints, pour m'arrêter ? C'est trop d'honneurs.
– Je le pense aussi.
– Vous avez l'air si jeunes… observa Cortez d'un ton doux.
Aphrodite sentit l'excitation disparaître de nouveau. Dans les yeux de cet homme, il n'y avait pas de peur, juste de la douceur et de l'acceptation. Il ne voyait en eux que des gosses, et non des chevaliers à part entière. Son visage semblait parsemé de petites rides ; de ses cheveux légèrement blanchissants et sa carrure forte émanaient comme une force tranquille et paisible, une fausse douceur. Ne pas se laisser abuser par la gentillesse. Il était nonchalant. Comme Svend. Leur sourire léger mais bien présent était le même.
– C'est pour mieux nous faufiler partout, mon enfant.
– C'est surtout que vous devez être plus aisément manipulables pour celui que vous appelez le Grand Pope, corrigea Cortez en sortant de la bâtisse.
La lumière plus importante leur révéla ce que les rumeurs leur avaient laissé entendre : une armure recouvrait le corps de Cortez, à l'exception du casque qui manquait. DM et Aphrodite ne l'avaient jamais vue encore, mais d'après le dessin épuré, il devait s'agir à l'origine d'une armure de bronze. Mais pourquoi avait-elle cette couleur d'ébène ? Ils frissonnèrent légèrement quand la chaleur de l'armure devint froide et menaçante. Cette armure n'avait rien de sacrée.
– Mais cela ne m'étonne guère venant de cet homme, poursuivit-t-il. Il posa la main sur la protection qui vibrait doucement : Mmmm elle n'a pas l'air de vous aimer. C'est la première fois qu'elle réagit ainsi.
– Avant qu'on te ramène au Sanctuaire, tu vas nous dire exactement qui tu es, Cortez, commença DM.
– Vous semblez bien renseignés pourtant.
– Nous ne sommes pas idiots. Tu n'étais pas espion au Sanctuaire, sinon tu n'aurais pas cette armure. Tu étais apprenti ?
– Non, j'étais bien un espion. Cette armure est venue seule à moi.
– Mensonge, souffla Aphrodite.
– C'est la vérité pourtant. Vous n'étiez sans doute pas au courant, j'imagine que c'est un secret bien gardé au Sanctuaire encore aujourd'hui. L'existence de ces armures qui ne nécessitent pas réellement d'entraînements, ni de souffrances inutiles.
– Sois plus clair, on est tout ouï. Pour avoir une armure, il faut un cosmos, et toi… tu n'en as pas du tout.
– Que croyez-vous savoir sur le Sanctuaire ? Juste ce qu'on vous en a dit. Ce que vos maîtres et le Pope ont cru bon de vous dire, je présume. Mes pauvres petits, comme on vous a trompés.
Il insulte Lucas ? Aphrodite frissonna.
– Oh, Cortez, joue pas à ça avec nous. Tu vas nous sortir toi aussi que le Pope est corrompu, que le Sanctuaire est mauvais, tout ça ? Dix avant toi me l'ont déjà sorti, alors renouvèle un peu.
– Un assassin confirmé si je comprends bien ? Le Pope a donc mis en place son projet, j'avais toujours dit qu'il finirait par le faire mais bien sûr, personne n'a écouté.
– Il faut des gens pour nettoyer les cons de ton genre qui écoutent pas sagement ce qu'on leur dit.
– Je ne te dirai pas alors que le Sanctuaire est mauvais, tu le sais déjà à priori.
– C'est évident. Rien dans ce monde n'est tout blanc ou tout noir… tout est gris, d'un putain de gris… Il faut être idiot pour garder des illusions, mais une chose est sûre : le Pope est tout-puissant. On n'échappe pas au système, alors autant en profiter.
Le Cancer sourit en s'approchant du terroriste, qui ne semblait pas affecté par la déclaration.
– Tu auras le temps de changer d'avis. Vous n'avez pas encore réalisé l'étendue du mensonge qu'est le Sanctuaire.
– Quel mensonge ?
Cortez sourit à son tour. Il avait leur attention.
– Ne vous êtes-vous jamais demandé pourquoi les enfants au Sanctuaire étaient tous orphelins, sans aucune famille qui les pleurerait ?
Le Cancer plissa les yeux.
– Les gosses au Sanctuaire sont des chevaliers, avec un cosmos éveillé. Tu crois que ça ne dissuade pas des gens de les élever ? De toute façon, y'a tellement de façons de se retrouver seuls, t'as pas idée, Cortez. Si tu sortais un peu plus dehors, tu saurais que les orphelinats sont blindés de mioches.
– C'est ce que je croyais aussi, chevalier, avant de comprendre vraiment les raisons de cet état de fait. Il y a des centaines d'apprentis et chevaliers dans le Domaine Sacré, sans famille, la coïncidence me dérange. Il y a beaucoup de façons de rendre un enfant orphelin, comme tu le dis si bien. Et nombre d'entre elles peuvent être provoquées, annonça-t-il en leur tournant le dos pour regarder le Glitnir.
– Provoquées ? murmurèrent DM et Aphrodite en même temps.
– Le Sanctuaire fabriquerait des orphelins ? s'énerva le Cancer. C'est la meilleure ça !
– C'est pourtant la vérité. J'ai compris cela, le jour où mon fils est mort en luttant pour cette armure.
Le vent se renforça. Cortez souriait, mais ses yeux portaient une tristesse nostalgique.
– Il s'appelait Vital. Ce gosse était mon trésor. Il avait 5 ans, quand il a été enlevé dans la rue, en revenant de l'école, chez nous, en Espagne. La police a fait son possible pour le retrouver, mais rien n'y a fait. Vital a disparu dans la nature, sans laisser de traces. Pendant 2 ans, mon épouse et moi avons espéré le revoir, qu'un jour, on sonnerait à la porte et que ce serait lui qui nous serait ramené. La police a fini par abandonner, mon épouse aussi. Elle s'est jetée d'un pont en disant que le courant la mènerait là où se trouvait Vital… J'ai bien cru que je la suivrais… Mais je voulais le retrouver, plus que tout, et comprendre ce qui lui était arrivé. Je n'avais aucun espoir de le revoir vivant, mais je voulais au moins une dernière fois le tenir dans mes bras… J'ai dû apprendre par moi-même à jouer les enquêteurs, à démêler les fils de cette énigme, à retrouver des preuves qu'on avait soigneusement cachées et à deviner celles qu'on avait détruites. Ça m'a pris deux ans de plus pour parvenir jusqu'au Sanctuaire. Des gardes m'ont attrapé et amené devant le Pope. Je n'ai jamais oublié comme il était affable et hypocrite. Il me parlait comme s'il ne savait pas pertinemment ce qui m'amenait là-bas, alors moi aussi, j'ai joué le jeu. J'ai réussi à me faire engager au Domaine Sacré comme espion, tant mes capacités pour les retrouver les avaient impressionnés. Mais j'avais mis trop de temps… Quand j'ai pu retrouver Vital…
– Ne t'en fais pas, papa est là, papa va te sortir de là…
– Pa…pa ? Ils… Tu étais mort, ils ont dit que…
– Non je te cherchais, je t'ai toujours cherché… C'est fini maintenant, on va rentrer tous les deux…
Mais il faut que tu gardes les yeux ouverts.
– Je peux pas bouger papa… J'ai trop froid… J'ai sommeil…
– Ne ferme pas les yeux, Vital !
– Papa…
– Vital… Vital !… Tu ne dois pas fermer les yeux !
– C'est… comme avec maman ? Un jeu…?
– C'est un jeu, oui… Un jeu où celui qui ferme les yeux perd. Tu as compris ?
– Je… vais encore perdre papa…
– Non… Cette fois, tu vas gagner pour moi, hein ?
Papa ne te laissera plus jamais, Vital.
Cortez ferma les yeux un instant. Son cœur se serrait. Sentir sa jeune vie qui filait, sans pouvoir rien faire d'autre que l'étreindre encore et toujours, tellement fort, pour lui faire comprendre son amour. Cet amour sans fin pour lequel il s'était damné.
– Son maître l'avait battu à mort, dans ce qu'ils appellent un "entraînement". Et il l'avait laissé là pour aller s'occuper d'autres apprentis "plus forts". Au Sanctuaire, ça n'a bouleversé personne. Ça arrivait si souvent. Des barbares pouvaient tuer et torturer des enfants sans être inquiétés, puisque c'était le "destin". Il n'a eu qu'un blâme. J'ai ensuite entendu parler de rumeurs sur ces armures noires… A peine m'étais-je approché de celle-ci qu'elle est venue sur moi. C'était une excellente protection.
– Alors… pour te venger, tu as décidé de foutre en l'air tout ça ? conclut le Cancer, les bras croisés.
– Connaissez-vous le Diable ?
Il laissa planer un bref silence.
– Par amour pour Dieu, le Diable a péché et s'est révolté contre Lui. Parce que Dieu l'avait renié et rejeté, et faisait preuve de cruauté. Satan, quelque part, a été victime de sa trop grande droiture… J'ai voulu croire dans ce monde. J'ai voulu croire au Sanctuaire quand je l'ai trouvé. J'ai voulu faire l'impossible pour sauver mon fils. Parce que j'ai refusé de forcer les choses, j'ai échoué. C'est ce jour-là que Satan m'est apparu sympathique. La peine et la douleur qu'il éprouvait à être rejeté brutalement, à comprendre comme Dieu était égoïste, m'étaient curieusement familières tout d'un coup. Tout comme son envie de révolte. Mais le Pope a compris mon petit jeu et m'a chassé… Ce jour-là, je lui ai dit qu'il regretterait de ne pas m'avoir tué. Je tiens cette promesse.
– Tout ce que tu fais, est bien joli, mais ça ne servira à rien, Cortez. Tu crois qu'un homme seul comme toi, peut arriver à abattre un géant comme le Sanctuaire ? Peuh ! Tu es toujours en train de t'illusionner. Grâce à toi, il va au contraire avoir droit à une gloire supplémentaire. Celle d'avoir arrêté un poseur de bombes.
– Peut-être, mais ils auront toujours mes actes sur la conscience.
– … C'est pour ça que tu n'es pas parti, murmura Aphrodite. Tu aurais pu fuir après l'appel de Bifrost, tu avais bien compris que nous étions là… Mais tu es resté…
– Je ne pourrai jamais échapper au Sanctuaire, alors je me paie au moins le luxe de choisir le moment où je me fais arrêter.
– Tu ne comprends pas alors… Même si tu gagnes cette manche-ci, en mourrant, tu retomberas dans l'oubli. Si tu crois que cette armure est venue à toi juste parce qu'elle voulait t'aider, tu te trompes.
– Le merdeux a raison. T'es tellement dans ton délire que tu n'as pas compris… Cette armure est sur tes basques, simplement parce que ta colère et ta haine l'attirent comme un aimant. Elle ne te protègera pas contre nous.
– Pensez ce que vous voulez mais vous aussi, finirez bien par comprendre. Le Sanctuaire a déjà fait de vous deux des assassins, bientôt il vous transformera en monstres à peine humains, comme tous ceux qui y demeurent.
Il insulte Lucas, encore…
Si tu as peur du Mal
Deviens-le
Je te protègerai
– Les vrais monstres, ce sont les gens comme toi qui croient être des juges et faire des bonnes choses, alors qu'ils se trompent, s'énerva le Poissons.
Règle numéro 3…
Les dix heures sonnèrent. Cortez leva le bras. Il tenait un téléphone portable à la main. Sa seconde main restait dans sa poche.
– C'est l'heure alors de montrer ce qu'il y a d'animal en moi, n'est-ce pas ? sourit-il en faisant mine d'appuyer sur l'une des touches.
– Le détonateur !
Quelque chose frappa Cortez à la main. Il lâcha son portable en gémissant. La rose qui l'avait griffé retomba au sol.
– Pas mal, merdeux ! s'exclama le Cancer en se précipitant vers leur cible.
– Vous n'avez pas encore gagné ! cria Cortez en se retournant.
Dans le même geste, il sortit un couteau de sa poche et le lança droit sur Aphrodite, qui s'effondra en arrière avec un petit cri de surprise. Merde, le Poissons ! L'élan de DM lui permit de frapper Cortez avant de se retourner.
– Merdeux ! Aphro !
– Eurk… Inquiète-toi pour toi, souffla Cortez à son oreille.
Avant que l'Italien ait pu réagir, le terroriste l'étala au sol d'un solide coup de coude au cou, suivi d'un coup de pied au flanc pour le retourner sur le dos. Il s'avança pour appuyer son pied sur la gorge de l'adolescent.
– Ton coup a été amorti par l'armure, c'est dommage. Sans elle, tu m'aurais sûrement tué net.
– Grrr… Je ne ferai pas deux fois la même erreur, grogna DM en tentant de se dégager.
La position ne lui permettait pas de bander ses forces suffisamment. De plus, il ne sentait plus le cosmos d'Aphrodite depuis que l'autre emmerdeur lui avait balancé son arme dessus. Ce merdeux était quand même plus solide que ça ! Il sentit l'énergie de l'armure augmenter sensiblement. Elle était en syntonisation avec Cortez, sans même qu'il s'en aperçoive, cet imbécile.
– Je ne mourrai pas sans vous donner du fil à retordre d'abord. Ça serait trop facile. Vous n'avez pas vos armures avec vous, il est donc facile de vous tuer. Prendre la tête d'un chevalier, ça sera un coup très rude pour le Sanctuaire. Surtout que tu dois être de l'élite… Or, ou argent.
– C'est pas tes affaires…
– Très bien, alors…
Il sortit un petit revolver de sous son armure et mit en joue le Cancer.
– … Abrégeons cette discussion. Toi et ton ami m'auriez pu être très sympathiques pourtant…
– Fais-moi pas rire ! rétorqua DM en dressant le bras pour attraper le barillet du revolver.
Cortez essaya de tirer, mais la détente refusa de s'enclencher. Le Saint profita de sa tentative pour le déséquilibrer et se dégager. Il se redressa sur ses pieds et fonça sur l'homme.
– Apprends qu'un revolver tire pas si le barillet est bloqué ! cria-t-il en assénant un solide coup de poing dans l'estomac de Cortez, l'envoyant frapper le bâtiment des valves.
Il s'effondra dans un gémissement. Jamais il n'aurait cru qu'un gosse si jeune aurait une telle force.
– Tu n'es pas chevalier pour rien… sourit Cortez en se relevant, appuyé sur le mur, tandis que le Cancer revenait à sa hauteur, le feu dans les yeux.
– C'est mon père qui m'a appris ça. Tous les gosses au Sanctuaire sont pas orphelins comme tu le prétends. Revois tes sources !
L'adolescent le frappa de nouveau, lui faisant cracher du sang. L'armure ne s'étendait pas au niveau du ventre, et le Saint tirait avantage de la situation. Cortez se ressaisit. Il se laissa frapper puis soudain, arrêta le poing de DM et lui faucha les jambes. Le chevalier tomba à genoux alors que l'homme lui maintenait un bras douloureusement retourné dans le dos.
– Et toi, sois moins orgueilleux. Ça te perdra.
DM sentit le canon froid du revolver sur son front.
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Cortez laissa échapper un gémissement étouffé. Sa main qui tenait le Cancer dans sa position de soumission trembla. DM rouvrit les yeux. Une chevelure azurée qu'il connaissait bien surgit de derrière Cortez.
– Tu as déjà perdu, tu avais perdu il y a 10 ans, du moment où tes sentiments ont pris le dessus, dit la voix douce et atonale du Suédois.
Le revolver tomba au sol, suivi du corps lourd de Cortez. DM distingua enfin le couteau que le Poissons avait fiché dans le dos de l'homme.
– Les sentiments sont la défaite. Règle numéro 3, continua le Poissons en détournant les yeux.
Cortez essaya d'articuler quelque chose, mais seul un gargouillis sanglant sortit de sa gorge. Son corps eut quelques soubresauts, puis s'arrêta de bouger.
DM se releva en essayant de bien comprendre ce qui venait d'arriver. Le Suédois…
– …Tu m'as sauvé la peau… Bon sang, mais qu'est-ce que tu foutais jusqu'à maintenant !
– J'attendais que tu l'occupes assez.
– Tchh… Moi qui me suis fait du souci quand l'autre t'a pris pour un pigeon de foire…
– Tu mens mal.
– Ferme-la.
DM épousseta son anorak couvert de neige. Il avait vraiment cru que le Poissons s'était fait toucher pourtant… Et pris par l'affrontement, il n'avait pas eu le temps de regarder pour être sûr. Tout comme Cortez. Le merdeux s'était servi de lui comme d'une distraction. Il lui paierait ce coup-là.
Aphrodite fixait le cadavre encore chaud. Il ne sentait plus cette excitation qui l'avait soutenu jusque-là, elle avait disparu au moment où il avait vu la lame du couteau qui traversait le dos de leur ennemi. Le moment avait été si rapide. Il avait vu DM en mauvaise posture, l'ouverture laissée par Cortez et comme dans un rêve… avait frappé… Par instinct, il avait laissé une vie, pour en sauver une autre. DM avait eu de la valeur, plus de valeur que Cortez alors ?… Et c'était si différent de la biche. Comme avec Desdérone. Cortez n'avait pas crié, il n'y avait pas vraiment eu de sang, il y avait juste eu le silence de la nuit et de la neige pure devant ses yeux. On aurait dit une machine qui s'arrêtait. Toute seule.
– Ta dette est payée, maugréa DM en passant près d'Aphrodite pour entrer dans le bâtiment des valves et éteindre l'ordinateur. Une vie contre une autre vie. La leçon que j'aurais jamais pensé à t'apprendre. C'est fini maintenant. On laisse les flics d'ici s'en charger.
L'armure quitta le corps de Cortez pour se reformer à côté de lui.
– Elle, par contre, on l'embarque.
DM en prit une partie et laissa le reste au Poissons. Celui-ci exécuta docilement l'ordre, pensif. N'avait-il vraiment rien ressenti quand Cortez était mort ?…
– Le Pope sera content. Et t'es doué. Ça te fait quel effet alors ?
– … Rien. Rien du tout.
– Ça changera au prochain, tu verras. Allez, on rentre à l'hôtel et on attend que la tempête se dissipe pour se barrer.
Le Cancer se mit en route. Aphrodite regarda une dernière fois le corps. Cortez… Un homme qui s'était laissé dévorer par ses sentiments. Il en était mort. Il n'existait plus depuis dix ans, comme il l'avait lui-même dit. Sa lumière devait déjà être éteinte, Shaka. Svend avait raison. Cortez était tellement marqué par ce qu'il avait fait et vécu. Il parlait avec douceur, mais son cœur était sombre. Il avait été laid. Tout en lui l'avait été. La défaite, c'est la laideur. Il devrait toujours s'en souvenir pour ne pas reproduire l'erreur de cet homme. Il avait senti la chaleur de la traque, cette sorte de plaisir amer… et il avait senti une autre forme de plaisir, quand il l'avait poignardé oui… Beaucoup plus diffus. Le plaisir d'accomplir une bonne chose, de faire ce qui était le mieux. Il comprenait enfin. Pourquoi Svend aimait tant organiser une drift.
J'ai compris… Je sais ce que c'est, "l'impulsion".
– Eh, la Crevette, tu viens ? appela DM en voyant que le Poissons ne le suivait pas.
– Euh… oui, oui, j'arrive.
DM se demanda pourquoi le Suédois avait ce maigre sourire sur les lèvres. Ça le rend mignon. Il se disputa d'avoir eu cette pensée et se remit en route.
L'impulsion, c'est le plaisir d'une traque et de piéger son ennemi.
– Tu sais qu'ils ont fini leur mission, Shaka ?
– J'en ai entendu parler. J'ignorais que tu étais au courant, Camus.
Le Verseau sourit.
– Tu dois ignorer aussi que celui qui a tué l'ennemi désigné, c'est Aphrodite.
Shaka soupira. Il n'avait entendu qu'une rumeur qui ne faisait pas cas des détails de ce genre.
– Pourquoi me l'apprendre, Camus ?
– Je pensais que tu aurais aimé savoir. C'est ton ami.
– Je vais poser la question différemment… Pourquoi aimes-tu tant être à l'affût de tout ce qui se passe au Sanctuaire ?
– C'est ma mission. Personne n'a dit qu'elle se limitait aux adversaires.
– Tu es toujours aussi insaisissable…
Le rouquin s'éloigna vers la sortie. Comme il avait l'air adulte, avec son visage fermé et son attitude volontiers hautaine.
– Si j'étais toi Shaka, je ferais attention quand je lui tendrai la main maintenant. Un chien qui goûte au sang, ça devient un loup.
– Quand j'aurai besoin de tes conseils, je te les demanderai.
Camus haussa doucement des épaules et sortit du Temple de la Vierge.
Shaka savait bien qu'il n'avait pas voulu être méchant. Camus avait juste pour habitude d'être franc et direct. Et de ne pas croire aux sentiments comme l'amitié. Il pensait qu'Aphrodite n'était qu'un genre de pantin sans sentiments. Ils le pensaient tous ici, Shaka le savait. Il était l'un des rares pourtant, à regarder au-delà de la barrière que dressait le douzième gardien pour se protéger. L'un des seuls à percevoir dans ses regards, ses petits gestes, ce cœur qui pleurait et qui recherchait désespérément de l'affection, sans oser s'exposer.
Toutefois, le Verseau avait raison sur un point. Aphrodite avait tué. Ça changerait quelque chose en lui. Shaka avait ce pressentiment trouble sans pouvoir dire pourquoi il en était autant convaincu, comme lorsque le Suédois était venu le voir avant de partir. Shaka, quand je ne serai pas là, j'aimerais que tu veilles sur Aphrodite pour moi. Je sais qu'il t'apprécie, et j'ai confiance en toi. S'il te plaît, veille à ce qu'il ne lui arrive rien quand je ne pourrai pas le faire… Il avait échoué. Lucas aussi avait senti cette chose étrange en Aphrodite, sa fascination pour la mort. Il en avait peur mais la recherchait en même temps. Déjà, sa peur avait été ébranlée lors de la première mission. Cette fois-ci, un nouveau palier avait cédé.
Encore une fois, Shaka se sentait impuissant, comme la première fois où lui et le Suédois s'étaient rencontrés, et qu'il l'avait fait fuir sans le vouloir. DM était de mauvaise fréquentation pour le Saint des Poissons, tout comme ces missions étaient de mauvaises choses pour lui. Il n'y avait qu'une personne au Sanctuaire qui pourrait lui dire quoi faire pour agir en conséquence.
Il se leva et alla chercher de quoi écrire.
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"Je suis désolé. Je n'ai pas réussi à te tenir ta promesse. Du sang a coulé. Il n'y a que toi qu'Aphro écoutera."
Il avait eu le cœur qui s'était emballé quand il avait vu l'expéditeur de cette brève lettre. Il avait quitté le Sanctuaire depuis si peu de temps, il avait espéré que ce laps de temps ne permettrait pas que se produise quelque chose de néfaste… Ces quatre lignes sibyllines… Shaka savait très bien qu'il n'avait pas besoin d'en lire plus pour comprendre. Aphrodite avait finalement tué. Il fallait bien que cela arrive un jour… Pourquoi le Pope avait-il donc continué, lui avait-il donné des missions d'assassinat ? A croire qu'il était un tout autre homme que celui qui lui avait parlé cette nuit-là, 4 ans plus tôt. Il ne pourrait pas espérer revenir au Sanctuaire avant deux bons mois, selon les ordres du Pope. D'ici là, Shaka serait seul avec le Chevalier des Poissons. Il détestait cette impression d'impuissance, de savoir que là-bas se passait quelque chose d'important mais sans qu'il puisse agir.
Des petits pas derrière lui.
– Lucas ?
– …Maître Lucas, ne l'oublie pas. La pause est finie, Misty, on reprend, annonça froidement Cassiopée en se retournant.
Misty regarda le chevalier aux cheveux argent le dépasser. Bizarre, il était de bonne humeur jusque là mais maintenant, au ton de sa voix… Le jeune Français sentit que pour une fois, l'entraînement serait douloureux. Il se promit de ne pas provoquer plus le Saint pour aujourd'hui. Mine de rien, cet homme avait de bons muscles.
C'est si étrange. Pourquoi est-ce que je repense à tout ça maintenant ? Peut-être parce que ce jour est particulier… Je n'ai pas de remords. Ça ne me fait ni chaud ni froid. Je me souviens juste de la neige blanche qui tombait cette nuit-là, si magnifique et si effrayante. Comme si Svend allait surgir brusquement. Quand la lame s'est enfoncée en Cortez, je l'ai presque vu en surimpression. Ça m'a fait tellement de bien. Mais je n'avais pas encore tout saisi. Même aujourd'hui, je ne sais pas ce qui m'a fait faire ce pas décisif. Sauver DM, ce gamin pénible et râleur, ou oublier la peur de cet insignifiant enfant que j'étais ? A quoi bon savoir de toute façon…
Tuer quelqu'un, ce n'est pas si difficile. C'est comme débrancher une prise. Il y a un sursaut, quelques frémissements par ci, par là… ensuite le silence. On en a peur que lorsqu'on ne l'a jamais fait. Après, on s'habitue. Comme je suis stupide. Je devrais en rire. Un Faible qui tue d'autres Faibles. Je me suis encore engueulé avec Shaka, parce qu'il ne veut pas comprendre. Il dit que je dois arrêter. Il ne supporte pas que j'aime voir couler le sang de ces misérables larves. Un jour, c'est le sien que je verserai s'il continue. J'offrirai sa tête à DM, qui la mettra dans son Temple, elle y demeurera éternelle. Shaka… Je me demande quelle couleur a le sang d'un Dieu.
La suite… La suite de cette triste comédie qu'est ma vie, cette longue déchéance qui n'a toujours eu qu'une seule fin, ça ressemble à un immense kaléidoscope. Nous sommes revenus trois jours plus tard au Sanctuaire. Le Pope n'a pas tari d'éloges. Je l'entends encore. Vous avez été au-delà de mes espérances, c'est remarquable. Chevalier des Poissons, tu as mérité la confiance que j'avais placée en toi, tu as su être un soutien idéal pour le Chevalier du Cancer. Tellement idéal qu'il nous a fait faire encore quelques missions ensemble par la force. C'était surtout DM qui tuait… mais j'hésitais moins à agir, j'étais moins spectateur, plus acteur, et mon assurance grandissante Lui plaisait. Puis, l'année d'après, le Pope nous a obligés à nous séparer pendant quelques mois. Pour tester nos réactions en situation solo. Surtout mes réactions je n'étais pas dupe. J'ai dû le convaincre. DM et moi avons pu choisir de continuer ou non des missions à deux. On a voulu. Je ne sais pas pourquoi on aime bien être ensemble. On ne s'entend pas, on se déteste presque, et pourtant, dès que nous sommes au travail, c'est comme si on lisait dans la tête de l'autre… Peut-être qu'il n'y a rien à comprendre…
Lucas n'est jamais revenu au Sanctuaire. Il est resté là-bas, je ne sais où, avec ce Misty que je détestais sans le connaître. J'ai reçu quelques lettres de lui. Il essayait de me dire que je devais me maîtriser, me faire la morale… Je suis sûr que c'est Shaka qui caftait. Je… J'ai brûlé ces lettres au bout d'un moment, sans même les ouvrir. J'étais enragé. Tellement enragé que tu m'aies abandonné. Je t'ai tellement détesté pour ça. Puisque tu en préférais un autre. J'aurais tant souhaité te montrer à quel point tu me faisais souffrir. C'est peut-être ce qui m'a poussé à me venger, quand j'en ai eu l'occasion… Même pas sur Misty, mais sur toi…T'arracher les entrailles, le cœur, te mutiler, pour te faire ressentir ce que je ressentais. Et ensuite, me blottir contre toi pour pleurer. Comme après l'irréparable… Tu te souviens comme je tremblais contre toi alors que tu devais rêver à me repousser ? J'avais la voix cassée à force de te demander pardon. Je me suis maudit. Tu ne m'as plus jamais adressé la parole. Comment je pourrais t'en vouloir ? Je suis un monstre. Et rien ne rachètera ma faute, Il a raison. Il a toujours eu raison.
A SUIVRE !
Notes sur le suédois :
(1) Varför : Pourquoi, en suédois
(2) Min frihet : ma liberté
Notes de l'Isa : Je poste une partie un peu plus courte que la précédente, car sinon, vu que je n'ai pas encore fini d'écrire la suite ( le chapitre 4 ), l'attente serait trop longue après, pour avoir la suite. Alors je me ménage du temps lol
Pas grand-chose à dire sur cette partie, à part que si vous êtes curieux et amateur de mythologies, allez ouvrir un bouquin de mythologie scandinave, certains noms que j'ai utilisés vous seront familiers (Baldr, Midgard…). Egalement une précision sur les mots en suédois que j'utilise : je ne parle pas la langue du tout, je m'aide de lexiques, précis de grammaire et autres bouquins de langue pour les utiliser. Disons que je pense qu'il y a 90 de chances pour qu'ils soient justes.
Je pourrais très bien ne pas les utiliser, mais dans la pensée de mon Aphro, s'exprimer en suédois (langue natale) plutôt qu'en grec (langue imposée) est une sorte d'expression de son subconscient, ou un refuge dans lequel il exprime ses pensées, comme si elles pouvaient ainsi n'être qu'à lui seul… Je sais, c'est se compliquer la vie, et j'en suis fière lol Je dois être un peu maso sur les bords.
Pour finir sur la beauté du langage, juste pour dire si certains se posent la question : Empyrée signifie "Ciel", au sens de paradis. Voilà.
Je demande aussi pardon pour les fautes qui subsistent encore /
Enfin voilà, je posterai la fin du chapitre 3 probablement vers la fin du mois ( après mes partiels). A bientôt !
Aphrodite : Ca me laisse deux semaines pour t'achever (sourire sadique)
Isa : Trop tard, la suite est déjà écrite
