Réponse aux reviews :
Lilirara : Merci Voui c'est vrai, pauvre Phrophro… Mais c'est si bon de le faire souffrir ! ;)
Gabrielle : (Isa se retrouve collée à Gabrielle sans comprendre) Oooh c'est bien de se sentir aimé, même si c'est par une fille looool On dirait que tu es amatrice ? Arf tout le contraire de moi alors lol (je sais c'est paradoxal) En tout cas, j'espère que ça te plaira toujours :)
P'tit blablas Isatiscien :
Cette fois je le mets en tête tant qu'à faire. Voilà donc le début de l'avant dernier chapitre d'UOB. J'ai eu du mal à m'y remettre et ça se ressent sur certaines lacunes et grandes longueurs (pas écrire pendant quelques temps à cause de la chaleur, ça rend difficile de remettre en route la machine). Je prends toujours les critiques constructives pour corriger, s'il y a lieu, les points qui déconnent.
Pas grand chose à dire sur cette partie, j'ai voulu jouer la carte psychologique avant tout (de toute façon, je suis nulle en action ). Ca se traîne un peu tout ça donc, mais bon, vous commencez sans doute à avoir l'habitude (auteur désolée)
Pardon pour les défauts et fautes, et bonne lecture (et à présent sur mon site, quelques illustrations et les mises à jour pour cette fic : http /Arallou. ifrance .com (virez les espaces ) )
Genre : Drame psychologique, death-fic, biographie ( ou connerie suprême gagatisante, c'est au choix ), angst, un peu de yaoi. Un genre de conte cruel.
Persos : Les Bisounours lol :D Mais version bien dépressifs
Précaution : Violence psychologique, physique, verbale peut-être ? Mais pas de quoi se relever la nuit…
Avancement : Chapitre : 4/8
Disclaimer : Malgré mes incessantes prières et autres rituels vaudous, tous les persos et l'univers de cette fanfic issus de StS appartiennent encore à Masami Kurumada, je n'ai donc aucun droit dessus. Pour les quelques créations qui se perdront dans cette histoire, elles sont tatouées et fichées chez Isatis, donc merci de ne pas les ré-employer sans accord.
UN OISEAU BLEU
Chapitre 4 : Au-delà du Bien et du Mal
Fatigué du mensonge et de la vérité
Que je croyais si belle, que je voulais aimer
Et qui est si cruelle que je m'y suis brûlé
(…)
Je voudrais être un arbre et plonger mes racines
Au cœur de cette terre que j'aime tellement
(…) Je voudrais le silence enfin et puis le vent
(…)
Fatigué de haïr et fatigué d'aimer
Surtout de ne plus rien dire, ne plus jamais crier
Fatigué des discours, des paroles sacrées
Renaud – Fatigué
Cet adolescent, dans le noir…
Pardonne-moi, je ne voulais pas ça…
Je n'ai jamais voulu ça…
Une chevelure légère comme le ciel…
Il se tournait doucement vers lui. Une belle lumière irradiait de lui, comme s'il était un ange sorti du cœur de ces ténèbres…
Oui un ange, c'est ce que tu es…
Je t'ai toujours regardé de loin, comme une icône fragile…
…aux légers parfums marins…
Sa peau pâle contrastait avec cette chevelure azurée. Une poupée immobile, se gardant hors de sa portée…
Tu attirais ma curiosité, mais il n'y avait pas d'arrière-pensée non…
Je t'en prie, crois-moi… Je ne voulais pas te faire du mal… Je voulais… juste…
…et cette peau blanche, douce comme de la soie, frissonnante…
Il étira un bras vers lui. Il était trop loin et son vis-à-vis continuait à le regarder sans le voir. Ses yeux ne reflétaient rien.
Je voulais juste… t'approcher, t'effleurer peut-être…
Mais je ne voulais pas que ça se passe comme ça…
…Une peau qui n'a été touchée par personne d'autre, pure et délicate… Percée de deux yeux superbes, deux opales capables de s'illuminer…J'y ai vu mon reflet, j'ai aimé cela…
Non c'est faux, j'ai détesté ça…
J'ai détesté cette peur qui les rendait vivants brutalement
En face de lui, cette même terreur se mit à briller dans les yeux de l'adolescent. A moins que ce ne fût des larmes, simplement… Il voulut se rapprocher mais ses pieds restèrent collés au sol.
Si tu savais comme je regrette…
…de ne pas avoir pu L'arrêter…
…Des larmes délicieuses en coulaient… alors que les frissons parcouraient nos deux corps…
Je n'arrive pas à oublier ces images…
Athéna, pardonne-moi encore…
La lumière autour de l'adolescent commença à se résorber, à faner. Les ténèbres l'engloutissaient doucement, l'arrachant peu à peu à sa vue. Non, il ne pouvait pas le supporter, supporter encore son impuissance, le renoncement de cet être face à lui. Son bras chercha désespérément à se saisir de cette âme en peine.
…Que son corps était délicat et frêle, ce corps qui m'était destiné…
Je ne Le laisserai plus te faire du mal
Tu dois me croire, même si tu me hais !
Je ne Le laisserai plus te toucher
Je ne Le laisserai plus te souiller…
…Savourer ses cris et ses gémissements… Du plaisir, ce n'était rien d'autre, un plaisir enivrant, tout comme embrasser ces lèvres rosées jusqu'à la folie…
Que cette voix dans ma tête se taise…
L'adolescent ferma les yeux et commença à lui tourner le dos pour marcher dans les ténèbres. Vers ces deux points rouges qui venaient de s'ouvrir, menaçants. Il voulut crier pour le retenir. Aucun son dans sa gorge. Comme toujours. Pourquoi… Pourquoi ne pouvait-il être qu'un témoin, encore et encore ?
Aphrodite, je te demande pardon…
Je te tiendrai loin de moi, pour qu'Il soit loin de toi…
…Et avoir envie encore d'y goûter, jusqu'à plus soif…
L'image se brouilla brutalement avec un cri perçant.
-------------------------
Il ouvrit les yeux brutalement.
Qui avait crié ?… Il écouta le silence. C'était un rêve…
Il se redressa. Il était dans son lit, dans la chambre du palais du Pope. Sa chambre. Pour la première fois depuis longtemps, il ne sentait aucune présence maléfique en lui. L'Autre… Où était-Il ? Etait-Il…? Vaincu ? Si seulement ! Si seulement il pouvait en être libéré si facilement !… Si seulement, les images, les sons, les odeurs, les sensations qui le hantaient, n'étaient que les fruits d'un cauchemar eux aussi.
Il repoussa les couvertures et frémit. Il y avait du sang sur sa tunique. Et ce n'était pas le sien, il n'était pas blessé… Saga se laissa retomber en arrière, les yeux fermés. L'Autre n'était pas parti. Il se reposait. Epuisé. Après le calvaire qu'Il avait fait endurer à Aphrodite. C'était son rêve à Lui, dans lequel il avait été à l'instant. Saga se souvenait par bribes d'avoir ramené l'adolescent inconscient dans son Temple, nauséeux et le corps lourd. Il ne voulait pas que l'Autre le trouve à Son réveil.
Il se maudissait. Il maudissait l'Autre. Il maudissait Aphrodite de ne pas s'être plus défendu.
Il se donna une gifle. Comment avait-il pu penser ça ? Le gamin, une fois libéré de l'Illusion Diabolique, s'était tellement débattu que l'Autre avait fini par lui lancer une deuxième fois l'attaque, quand sa main n'avait plus été suffisante pour faire taire la douleur du Saint. Pour éviter que ses cris n'alertent les gardes qui faisaient leur ronde non loin.
Saga ne voulait plus penser à tout ça.
Les images finiraient bien par s'effacer d'elles-mêmes.
L'hiver glacial et sans soleil avait fini par s'installer. Cela faisait déjà cinq mois qu'elle n'était plus là, et pourtant, Svend continuait à sentir sa présence partout dans cette maison désormais si vide. Il lui semblait que son odeur délicate hantait chaque meuble, chaque pièce ; qu'à chaque pas, son rire léger allait soudain déchirer le voile de silence qui s'était abattu sur la demeure depuis ce fameux jour. Son cœur s'emballait presque à ces pensées. Que n'aurait-il pas donné pour pouvoir la voir encore une fois, juste une fois, pouvoir l'étreindre, l'embrasser, lui dire qu'il l'aimait. S'il avait vu plus tôt qu'elle était si malade, il aurait pu réagir avant qu'il n'eût été trop tard. Il avait bien remarqué sa fatigue et son teint pâle, mais elle lui avait répondu que c'était passager, un mauvais rhume sans doute… Et puis, il l'avait trouvée étendue… Déjà dans le coma. Il croyait que c'était une maladie qui avait dégénéré au début. Il le croyait encore quand il avait vu arriver le médecin qui l'avait auscultée, et qui venait lui annoncer son décès. Il avait perdu ses illusions.
Le médecin lui avait demandé s'il avait des plantes dangereuses chez lui. Du datura, du Lapotea Cordata et des noyaux d'arbres de type prunier. Il avait répondu par la négative, c'était même la première fois qu'il entendait ces noms. Le docteur avait expliqué qu'il avait retrouvé des traces de substances toxiques issues de ces plantes, en particulier de l'acide cyanhydrique et de l'hyosciamine, dans le sang et l'estomac de la jeune femme. Tout en poursuivant sur le fait que la plupart de ces plantes ne poussaient pas en Suède de façon naturelle. Le regard qu'il avait porté sur Svend trahissait sa conviction profonde : il pensait qu'il avait empoisonné sa tendre Amaryllis.
Svend avait retourné cela dans tous les sens pour tenter de comprendre. Comment, comment était-il possible qu'elle soit morte empoisonnée, alors qu'ils vivaient à l'écart, sans aucune plante toxique chez eux ?… Puis, il s'était souvenu de quelque chose…
Rien… Je me suis griffée avec les épines.
Une griffure à la main, qu'elle avait portée à sa bouche pour aspirer le peu de sang qui menaçait de couler. Le rosier… Cette maudite plante… Ce maudit gamin… Mais il n'avait pas pu se débarrasser de cet encombrant arbuste ce soir-là, ni après.
Il avait renforcé ses entraînements. Une manière de faire payer à ce petit assassin qui avait rendu, Dieu seul savait comment, sa rose toxique. Mais plus le temps passait, moins Svend arrivait à lui inspirer de la peur. L'obéissance soumise et craintive du début diminuait peu à peu, l'assurance du gamin reprenait le dessus. Quelque chose changeait. Etait-ce dû à cette aura dorée qui se manifestait parfois autour de lui ? Sans doute. Svend n'était pas superstitieux, mais il avait dans ces moments-là, l'impression d'être face au Diable en personne. Une créature puissante et fourbe, capable de détruire sans toucher. Heureusement, cela ne durait pas longtemps. Il devait trouver une solution pour endormir ce potentiel qu'il sentait grandir petit à petit dans l'enfant, avant que celui-ci ne devienne le plus fort. Il avait réussi à tuer sa jumelle et sa mère, mais il ne l'aurait pas lui.
L'homme massif marcha lentement jusqu'à la chambre de l'enfant et en ouvrit la porte. Dans la pénombre, il percevait le petit allongé dans son lit. Sa respiration sifflait un peu. Il avait attrapé une fièvre tenace depuis quelques jours, qui commençait à se résorber. Pas question d'appeler un médecin, le fouineur se montrerait trop curieux sur les traces bleutées que portait l'enfant au dos et aux bras. Même si cela déplaisait à Svend, il s'employait à le soigner. Qu'il reste en vie. Il n'avait pas encore fini de payer. De souffrir. Au pied du lit, trônait le rosier qui semblait veiller sur le malade. Svend ne put réprimer un frisson à sa vue. Eloigner l'enfant le plus possible de cette chose. Ce serait bon. Il donnait confiance au petit, qui s'y rattachait de manière presque obsessionnelle.
Puisque l'entraînement ne donnait plus de réels résultats positifs, Svend devait mettre au point une autre tactique pour casser cet être pour lequel il avait toujours eu du dégoût. Son regard se perdit sur le visage faiblement éclairé par la lumière du couloir. Qu'il ressemblait à sa mère, c'était saisissant… Non, ne pas se laisser attendrir. C'était ainsi qu'il avait eu Amaryllis. Ses yeux se relevèrent vers la fenêtre sans volets qui donnait sur l'extérieur. Une contrée sauvage, enneigée et silencieuse. Vaste. Il eut soudain une idée. Une manière de briser pour de bon cette volonté dans l'enfant, cette assurance dans son regard, un moyen de provoquer une réelle terreur en lui. Il s'avança vers le lit et secoua l'enfant, qui ne tarda pas à ouvrir des yeux fatigués.
– Lève-toi, on reprend l'entraînement. Ca va être le moment de t'offrir ta première drift.
– Quoi ?
– Ne pose pas de questions, idiot, répliqua sèchement l'homme en le giflant. Tu verras bien assez tôt. Dépêche-toi de te lever ! somma-t-il en agrippant l'enfant par son épaule pour l'extraire du lit.
Le petit gémissement qu'il provoqua le ravit. L'épaule du gamin était restée très sensible, depuis le soir où il l'avait blessée, cinq mois plus tôt. Ça ne serait rien face à la souffrance qu'il allait lui offrir d'ici quelques minutes.
Au Sanctuaire, les enterrements étaient discrets car rappelant sombrement aux chevaliers, quel était leur sort au service de la déesse. Le cimetière s'étendait à l'écart du Domaine Sacré à proprement parler, sur un terrain désolé et aride s'étendant jusqu'à la mer sur l'un de ses côtés, où rien ne poussait à part des stèles de pierre ou de marbre gravées. Des générations entières de chevaliers se retrouvaient ici, lorsque les corps avaient pu être retrouvés ou identifiés à l'issue d'une bataille. Personne n'aimait trop venir là se perdre. Il régnait un silence trop pesant, trop oppressant, malgré la mer qui faisait entendre un lointain écho qui aurait pu être apaisant. Même les oiseaux redoutaient de se trouver ici. Certains racontaient qu'en temps de troubles, on pouvait entendre les esprits désincarnés pleurer sur leur triste sort, ou même, les voir quand leur peine était trop grande.
Shaka n'avait jamais rien senti d'étrange mais il se souvenait qu'un jour, il avait vu arriver Mû aux arènes, encore plus pâle que d'habitude. Le Tibétain lui avait demandé s'il croyait que les fantômes existaient. L'Hindou n'avait pas répondu de manière franche, étant lui-même incertain sur la réponse. Quand il avait demandé la raison de sa question à son ami, celui-ci lui avait raconté une histoire étrange. Il s'était aventuré jusqu'au cimetière car il avait entendu quelqu'un pleurer et pensait qu'un apprenti s'était blessé. Il avait trouvé un homme, un chevalier à l'armure abîmée, assis sur une des stèles. Mû lui avait demandé s'il pouvait l'aider et l'homme avait sursauté, comme surpris que l'enfant puisse le voir. Il s'était tourné et Mû avait vu des larmes de sang coulant de ses yeux. Il n'avait jamais vu une telle chose. Le chevalier lui avait souri un peu tristement puis s'était comme volatilisé. Le Tibétain avait cru à une téléportation mais il n'y avait eu aucun cosmos dégagé, et tous ceux à qui il avait demandé des renseignements sur ce chevalier lui avaient dit qu'il avait dû rêver.
Shaka et lui n'avaient pas eu d'explications, et ce qu'ils pouvaient imaginer ou non sur l'étrange apparition leur suffisait. Mû n'était jamais retourné au cimetière, et Shaka avait soigneusement évité le lieu autant que possible. Mais aujourd'hui, il n'aurait pas pu, ni voulu, se soustraire à la rencontre.
En raison de son rang, il avait réussi à obtenir que la tombe du Saint de Cassiopée fasse face à la mer. Shaka aimait bien le jeune homme discret mais chaleureux, et savait que celui-ci avait un grand amour pour l'eau. L'emplacement lui plairait sans doute. Normalement, les Saints d'Or se tenaient à l'écart des autres chevaliers, mais le Suédois, en devenant ami avec Saga dans son enfance, puis en étant le maître de l'un d'entre eux, s'était fait une petite place parmi eux comme d'autres rares Chevaliers d'Argent ou de Bronze. Il n'y avait pas de vraies relations amicales, mais plus une sorte de respect mutuel les liant. Ce qui expliquait l'absence des autres Saints d'Or à l'enterrement. A part lui-même, il n'y avait qu'une femme chevalier apparemment très affectée, deux ou trois Chevaliers d'Argent et les croques-morts attitrés du Sanctuaire.
Shaka jeta un regard à la colline du Domaine Sacré, sur laquelle brillaient au soleil les douze Temples. Où était donc Aphrodite ? Bien sûr, la Vierge s'était attendue à un retard, à une mine blafarde ou au contraire une froide indifférence, mais pas à une absence pure et simple. Le Poissons était fou furieux la veille et Shaka ignorait où il avait pu aller. Il ne l'avait plus vu depuis lors et ne sentait pas son cosmos, même en se concentrant. Le Suédois avait un comportement parfois étrange, cependant, c'était la première fois que le blond était inquiet. Le Saint d'Or détestait que l'on empiète sur son terrain privé, aussi Shaka décida de ne pas chercher à aller voir s'il était dans son Temple ou non. Il tenterait le lendemain, espérant ne pas devoir attendre si longtemps pour le revoir.
Le frottement léger du bois contre la terre le rappela aux funérailles auxquelles il assistait. Le cercueil de bois était descendu lentement dans une maigre fosse. Il entendit un sanglot qu'on étouffait, sans doute la jeune femme. Même s'il avait de la peine, le jeune adolescent de 13 ans restait stoïque et droit. Les paroles de son premier maître lui revenaient en mémoire. Souviens-toi toujours, Baghavad(1) Shaka, que la mort n'est pas la fin du voyage, et que l'âme va simplement rejoindre le Bardo pour y voir la confrontation de son karma, disait son maître spirituel et père adoptif, le Guru du monastère de Majorganj. Mais pour avoir une chance de prendre conscience du monde d'illusions où il est arrivé, le "mort" doit garder sa pensée concentrée. C'est pourquoi il faudra toujours l'accompagner et lui réciter le Bardo Thödol, afin de l'aider. Les pleurs et la tristesse ne doivent pas assombrir son esprit, en aucun cas ; quelle que soit ta peine, tu ne devras pas en faire expression, ou celui qui part rejoindra le samsâra l'esprit plongé dans le trouble. Shaka était enfant quand on lui avait inculqué cela, et avait eu bien du mal à comprendre ce principe qui à présent, régissait sa vie. Il ignorait tout de la confession du Saint de Cassiopée, mais il ne pouvait rester impuissant. Il devinait sans peine le trouble dans lequel il avait quitté la vie. Il laissait tant derrière lui. Des amis. Cette femme éplorée, peut-être sa maîtresse. Et un adolescent qui avait perdu le maigre équilibre que le chevalier aux cheveux d'argent s'était évertué à lui construire. Il ne voulait pas rester totalement impuissant.
L'Indien leva les mains doucement devant lui, comme en position de méditation, et souffla doucement :
– "Maintenant, noble fils Lucas, la Claire Lumière primordiale, où est la Vérité en soi, va briller devant toi. En ce moment, ton état d'esprit correspond à cette Vacuité éblouissante... Reconnais-la et demeure en elle (2)."
Le cercueil disparut complètement dans la fosse. Les croques-morts commencèrent à la reboucher tandis que les Saints d'Argent s'éloignaient. Seuls restèrent Shaka et la femme chevalier qu'il ne connaissait pas. Le jeune Chevalier d'Or s'approcha doucement de la tombe. Il sentait l'air marin sur son visage, le soleil chaud sur sa peau, l'odeur de la terre retournée. Par moment, des échos d'entraînements aux arènes parvenaient jusqu'ici. C'était une belle journée. Mais son cœur restait serré. Il n'avait jamais ressenti quelque chose de si fort envers une personne. Oui, il avait déjà vu des morts dans son pays… Il avait déjà assisté et participé à des cérémonies funèbres au temple de Marjonganj… Pourquoi était-ce différent cette fois-ci ?…
– Je prendrai soin d'Aphrodite, Lucas, murmura-t-il comme un pacte entre eux. Je le protègerai.
– … M-Maître Shaka ? l'interpella une voix hésitante.
Il se retourna vers la femme chevalier qui l'avait appelé. Les pleurs qu'elle tentait de calmer nouaient sa voix.
– J'ai su que c'était… vous qui aviez… intercédé pour… pour…
– Je n'ai rien fait de particulier.
Shaka fit quelques pas pour s'éloigner, mais elle l'arrêta lorsqu'il passa à côté d'elle.
– Maître Shaka, pourrais-je vous demander une faveur supplémentaire ?
– Une faveur ?
Il leva ses yeux clos vers le masque d'albâtre et d'opale. Que voulait-elle donc de lui ? Il la vit lui tendre une photographie.
– Je voudrais que vous donniez cela à Maître Aphrodite… Je n'ai pas le droit d'aller jusqu'à son Temple… et vous avez plus de chance que moi de le voir… Lucas tient… tenait beaucoup à elle. Je crois… qu'il aurait voulu que ce soit son disciple qui la garde… hésita-t-elle, consciente que son geste pouvait aisément passer pour de l'insubordination.
Shaka considéra un instant cette petite chose qu'on lui présentait d'une main un peu tremblante. Il n'était pas un postier pour les chevaliers de rang inférieur. Cependant, il dut s'avouer qu'il partageait l'avis de la rouquine.
– Si vous voulez lui donner quelque chose d'autre, vous le ferez vous-même, répondit-il doucement en prenant la photographie d'une main douce.
– Bien sûr… M-Merci, Maître Shaka.
Il sentit son maigre sourire dans sa voix.
– A présent, ressaisissez-vous. Ne vous laissez pas dominer par la peine, c'est inutile maintenant. Vous n'y gagnerez que des problèmes, sermonna-t-il d'un ton un peu froid en la quittant.
Estia suivit du regard la tête blonde qui retournait vers la colline sacrée. Elle avait été surprise de la voir à l'enterrement, et encore plus surprise de la voir accepter sa demande. Ses mots par contre ne trahissaient aucune émotion. Quoi qu'en dise le sage Chevalier de la Vierge, elle ne pouvait pas être aussi insensible que lui.
– Maître Estia ? Pourquoi vous pleurez ?
Son jeune disciple s'approcha prudemment. Il savait que la jeune femme lui avait interdit de venir, mais il s'était inquiété de la voir si morose le matin, quand elle l'avait quitté. Elle le considéra un instant du regard. Elle n'avait pas le cœur à le réprimander pour avoir désobéi. Elle soupira en passant un bras dans son dos pour s'éloigner avec lui.
– Ce n'est rien, Argol. Viens, partons.
– Si c'est quelqu'un qui vous embête, moi, je vais aller lui casser la figure ! annonça-t-il fièrement.
Il réussit à lui arracher un sourire triste sous son masque.
– Ne te vante pas trop, la Mort est un adversaire trop fort pour toi.
– C'est qui, la "Mort" ?
– C'est quelqu'un qu'on ne peut pas combattre. Même si on le voudrait de toutes nos forces.
Argol ne comprenait pas qui pouvait être si puissant, mais se garda de demander plus de renseignements. Il sentait que ce n'était pas le moment. Et puis, s'il terrassait tout seul cet ennemi si dangereux, cela ferait plaisir à son maître peut-être ? Il se promit d'avoir vite son armure pour y parvenir le plus tôt possible.
Le jeune Atlante était debout au sommet d'un amas de pierres instable, soumis au vent et au froid extrêmes de ces contrées. Cela faisait à présent trois ans que le faux Pope avait découvert sa cachette à Langhuishan, et qu'il avait pris la résolution de partir pour protéger le Vieux Maître. Certes, le Chevalier de la Balance aurait su se défendre tout seul si des assassins avaient été envoyés, mais Mû détestait par-dessus tout causer des ennuis à ceux qu'il aimait et respectait. De plus, Dohko lui-même lui avait dit que c'était une bonne idée, car forçant le traître à diviser ses forces. Et puis…
Le jeune adolescent ouvrit ses yeux émeraude. Ils se posèrent sur les montagnes alentours, sur ces solitudes presque inhabitées, sur la haute tour du palais de Jamir où il avait fait son entraînement, enfant. Il ressentait encore l'aura de Sion ici, comme si elle s'était imprégnée dans la moindre rocaille. Elle l'apaisait. Il s'attendait presque à voir le sage homme sortir de la tour et venir à sa rencontre, superbe, fier et doux à la fois. Lorsqu'ils étaient ici, juste tous les deux, le Pope avait pris l'habitude de quitter son casque et son masque ; il redevenait le temps d'un entraînement l'ex-Chevalier d'Or du Bélier qui avait fait trembler bien des adversaires, sans jamais quitter son air impérial. Mû l'avait souvent comparé à un Dieu lorsqu'il était jeune, et aujourd'hui encore, il gardait ce sentiment quand il pensait à lui. Il se souvenait de sa bonté, de sa sagesse, de ses pouvoirs psychiques incroyables. Le jeune Tibétain, bien que très doué et maître dans ce domaine, ne lui arrivait même pas à la cheville. Et pourtant, à présent, il devait réussir à surpasser le niveau de son maître, en l'absence de celui-ci…
Il sentit son pied chanceler. Il écarta doucement les bras pour retrouver son équilibre. Son esprit se troublait. Il devait rester concentré. Le froid se fit plus mordant un instant. Sa fine tunique ne lui offrait guère de protection. Mais Mû n'abandonnerait pas. Il devait trouver lui-même de nouvelles méthodes pour endurcir son esprit et son corps… et cela passait par la douleur. Il jeta un regard au pied de la colonne de gravas : du vide. Il parvenait à la maintenir dressée au bord du gouffre grâce à sa télékinésie, mais il n'avait pas tout à fait récupéré tout son potentiel encore, et il avait du mal à la garder sous contrôle. S'il tombait, il se tuerait, sans aucun doute. Il respira profondément pour maîtriser une bouffée de vertige. Surtout, regarder seulement les montagnes, le paysage superbe devant lui. Au moins ici, il n'y avait rien qui lui rappelait ses amis.
Soudain, dans le silence et son esprit vidé de tout, il lui sembla percevoir quelque chose. Comme un écho de pleurs, un sentiment de peur, de douleur. Tâchant de rester calme, il se téléporta au pied des roches qui s'effondrèrent, privées de soutien. La sensation curieuse s'évanouissait déjà lentement. Qu'est-ce que c'était ? Mû n'avait pas souvent ressenti cela. Les rares fois où il avait vécu une expérience similaire, c'était à l'époque où Sion vivait encore. Lui, il appelait ça syntonisation, et disait que c'était une aptitude particulière au peuple de Mû. Une sorte d'empathie capable de lier aux rêves et à l'âme même d'une personne, de manière souvent involontaire. Mû en repéra rapidement l'origine : cela venait du chemin menant justement au palais de Jamir, peu avant le cimetière qui lui servait de gardien pour éloigner les importuns. Il s'y dirigea vite, s'attendant à trouver un chevalier en peine ou un espion du faux Pope particulièrement étrange.
-------------------------
Il arriva à l'endroit souhaité quelques minutes après que la syntonisation se fût complètement dissoute. Il n'en restait rien. La personne avait dû partir, ou était morte, mais le Chevalier du Bélier n'avait pas senti les esprits du cimetière se réveiller. Il émergea des fourrés en restant sur ses gardes et inspecta les environs. Personne. A part une sorte de panier de grande taille. Mû n'en avait jamais vu des comme ça et s'approcha, poussé par sa curiosité. Il n'y trouva aucun espion nain caché, seulement un bébé de quelques mois qui semblait dormir à poing fermé. L'enfant resta interloqué un instant. Qui avait pu venir l'abandonner ici, dans le froid, la solitude et au péril des bêtes sauvages ? Il se pencha pour examiner un peu l'intrus et comprit dès qu'il vit son visage. Sans sourcils et avec deux points de vie mauves sur le front. Un Atlante. Mû sentit son souffle se suspendre un instant.
Il pensait être le dernier survivant du peuple de Mû… Cet enfant… était la preuve du contraire… Etait-ce parce que le Saint vivait ici que ses parents étaient venus l'exposer, presque certains que le jeune adolescent le trouverait à temps ? Mû échafauda toutes sortes d'hypothèses qui l'embrouillaient toujours plus. Il décida de ne garder que les faits. Il y avait un bébé de peut-être 6-9 mois à ses pieds. Seul. Dans un milieu où il mourrait sans aide. Et lui-même ne pouvait pas laisser faire ça. Même s'il n'avait que 13 ans et aucune idée de comment élever un enfant. Il grelotta. Déjà, il ne fallait pas rester ici, il devait rentrer au chaud avec son invité, il aviserait après. Il se saisit du couffin improvisé du mieux qu'il pût et se concentra pour se téléporter près de la tour, puis de là, usa une nouvelle fois de ses pouvoirs pour entrer à l'intérieur. Il n'arrivait pas encore à faire le voyage d'une seule traite, surtout après un entraînement fatiguant et avec un colis encombrant dans les bras.
Se sentant au chaud et ballotté, le poupon s'agita en gémissant un peu, et ouvrit deux yeux bleu-mauve curieux sur le bizarre petit homme aux cheveux violets penché sur lui. Il saisit d'une main ferme le doigt qui lui était tendu et colla son pouce libre dans la bouche pour poursuivre ce qui semblait être une étude détaillée et passionnante de la chevelure mi-longue, dont quelques mèches effleuraient son visage. Mû remarqua alors un petit morceau de tissu brodé autour du bras du bébé et le détacha doucement. Il ne portait que deux indications: Kiki – 1er avril.
– "Kiki" ? lut à haute voix l'Atlante.
Un gazouillement ravi lui répondit. Il sourit. Bon, au moins il savait le nom du garnement. Drôle de nom quand même. Le bébé sembla ne guère apprécier le qualificatif, car il attrapa enfin l'une des mèches de cheveux qui le chatouillaient et tira joyeusement dessus. Les petits cris de surprise et de douleur du Bélier le ravirent au plus haut point, et il fallut quelques minutes à Mû pour parvenir à se libérer.
– Il faut te surveiller sans arrêt on dirait, toi, soupira le Saint en cachant ses cheveux dans son dos.
Kiki fit une espèce de bruit gargouillant que l'Atlante interpréta comme un "oui". Celui-ci se rapprocha prudemment du couffin pour en sortir le bébé, qui pesait un bon poids. Il avait été bien nourri et soigné, il n'avait pas l'air blessé. Mû se sentit affreusement maladroit en le tenant, mais le petit et lui finirent par trouver un terrain d'entente : l'épaule du Bélier. Kiki commença à somnoler, fatigué de toutes ses découvertes, pendant que Mû frottait doucement son dos pour accélérer la manœuvre.
On lui avait appris à réparer des armures, à en modifier certains éléments, à se battre, à soigner des blessures… Mais personne ne lui avait dit comment ça fonctionnait un bébé ! Sion, lui, aurait su quoi faire, il aurait pu lui dire, lui montrer, lui… Bon, respirer… Mû, calme-toi, réfléchis… Qui saurait y faire ? Les femmes chevaliers au Sanctuaire ? Non, trop risqué de l'amener là-bas et il n'avait pas encore le courage de se frotter au traître. Les gens du village en bas de la montagne de Jamir ? Les parents du petit devaient y vivre… Mais les habitants n'appréciaient pas spécialement Mû, qu'ils voyaient un peu comme un monstre ou un danger à tenir loin de chez eux. Restait alors une personne, en qui le Bélier avait suffisamment confiance…
– Allez Kiki, on va aller voir Oncle Dohko tous les deux, hein ?
Le chant d'un oiseau, pas très loin.
Le silence. Pesant. Rassurant.
Un bruit d'ailes et un petit poids près de lui. Quelque chose de pointu sur sa main, plusieurs fois.
Il ouvrit doucement un œil. L'oiseau doré et sanglant releva la tête et lança un piaillement avant de se reculer sur le bord du lit. Si rouge… Il ferma les paupières encore. Il avait mal à la tête.
Rouge comme le sang
Comme le sang dans l'eau
Il rouvrit les yeux avec un petit sursaut. Rien n'était réel, ça avait juste été un cauchemar. Ça ne pouvait pas être la réalité, évidemment. De telles choses…
Tu aimes cela, ma petite poupée
… ne pouvaient pas exister.
Regarde et laisse-toi faire
Il frissonna et passa une main dans ses cheveux pour se calmer, pour ne pas perdre ce fragile pont avec le réveil, avec l'oiseau sur son lit, avec la lumière venue de la fenêtre.
– … Sha… ka ?
Sa voix lui parut lointaine, curieusement faible et hésitante. L'oiseau lui répondit et s'envola pour se poser sur le montant du lit en bois. Il leva un peu la tête pour le suivre du regard. Dieu qu'il avait mal au crâne. Il prit appui sur ses mains pour se redresser et poussa un petit cri. Ses reins et tout le bas de son corps avaient été comme transpercés par une lame. Il plaqua une main sur son ventre et serra les dents en finissant de s'asseoir.
Non, ouvre les yeux
Tu es si beau, Aphrodite
Non… Non… Ce n'était rien. Il avait trop forcé à l'entraînement hier. Il avait dû tomber dans les escaliers sans s'en rappeler. Il ferma les yeux pour ne pas voir les traces de sang qui maculaient les draps et ses cuisses, mêlées à autre chose qu'il ne savait, ni ne voulait identifier. Ce n'est pas réel. Je me suis blessé seul, tout seul.
Je t'aime bien tu sais, je veux te garder près de moi
Je vais me faire pardonner pour ces larmes
Des mains sur son corps, un souffle chaud dans son cou, des baisers écœurants, une douleur sans… Son estomac se tordit violemment. Il se leva en essayant d'ignorer la douleur qui lui déchira le corps, et alla vomir dans les toilettes. Son tremblement avait repris, encore plus fort, il avait froid et chaud en même temps. Ce n'était qu'un cauchemar, rien de vrai, ça n'arrivera plus jamais… Tout est imaginaire, c'est moi qui y invente…
Ecoute comme tu gémis, je savais que tu adorerais ça
Ses nausées le reprirent encore plus fort. Comme s'il pouvait vomir son dégoût. Il avait encore l'impression de sentir Son odeur sur lui… Non, ne plus penser. Juste… Juste se laver comme tous les matins. Vite. Il avait besoin d'une douche. De l'eau, de l'eau pure, pour le laver, le nettoyer complètement de cette abominable odeur. Et après, après… Brûler les vêtements qui étaient jetés sur son lit, ceux qu'il portait la veille. les détruire totalement. Que toutes ces… ces choses disparaissent. Comme ça… Rien n'aura été vrai, le mensonge sera plus facile à accepter.
Quelque chose sur son épaule, il sursauta. C'était Shaka. L'oiseau ne voulait pas le quitter. Mais Aphrodite le chassa brutalement de la main. Il ne supportait pas ce contact. Il ne supportait pas à quel point il était sale. Il se leva maladroitement sans jeter un seul regard aux miroirs dans la salle de bain, sans vouloir voir son hématome à la joue, ses bleus et marques trop parlantes sur le corps, et s'engouffra dans la douche. Il l'alluma sans même chercher à savoir si elle était chaude ou froide.
De toute façon, ce matin, tout lui faisait mal. Même respirer.
– Tu as senti, DM ? On dirait qu'Aphrodite est rentré chez lui et qu'il est moins méfiant que d'habitude, son cosmos est de nouveau perceptible dans son temple, remarqua Shura en arrêtant brièvement son échauffement.
Son compagnon, allongé sur un des gradins de pierre du Colysée, mâchonnait un brin d'herbe, les bras croisés derrière la tête. Il ne répondit rien et le Capricorne crut un instant qu'il s'était endormi. Il le regarda.
– Deathmask, je te parle.
– Ouais, j'ai senti, consentit à prononcer le Cancer sans daigner bouger. Et alors ?
– C'était simplement pour meubler le silence.
L'Espagnol retourna à ses échauffements. L'Italien avait décidé ces derniers temps de l'accompagner lors de ses entraînements ici, juste pour le plaisir de se faire dorer la peau au soleil. Le Colysée était l'endroit le plus chaud du Sanctuaire, et l'une des arènes d'entraînement favorites de Shura et de nombre autres apprentis et chevaliers. L'endroit était grandiose avec ses innombrables gradins de pierre et ses colonnes majestueuses qui en faisaient le tour. De plus, il régnait une ambiance particulière dans ce lieu antique, bercé par le doux ronronnement de la mer et le bruissement des champs d'oliviers non loin. Comme si, l'espace d'un instant, on était projeté en Grèce antique, des milliers d'années plus tôt, alors que le Sanctuaire était encore jeune.
– Ne t'inquiète pas, c'est normal qu'il soit tout agité, le Poiscaille, lâcha Deathmask en se redressant, au bout d'un moment.
– Je n'ai rien dit.
– Shura, je sais bien que t'as pas abordé le sujet pour rien. Tu surveillais le Temple de la Crevette dès que tu as senti son cosmos disparaître totalement, pour voir quant il allait revenir, hein ?
Shura s'arrêta une nouvelle fois et soupira doucement. Son ami savait lire en lui comme un livre. A moins qu'il ne fût trop prévisible.
– C'est vrai. Les Chevaliers d'Or ne doivent pas disparaître si longtemps de leurs Temples, et Aphrodite, même s'il le cache, laisse quand même filtrer un peu de son aura pour que l'on puisse sentir sa présence… Sa disparition viole l'ordre du Pope, c'est pourquoi j'ai surveillé son retour.
– Tu mens mal, tu sais. Tu as joué les sentinelles parce que tu te faisais du souci et pas parce que tu voulais le sermonner, sinon tu serais déjà en route pour le pigeonnier, au lieu de bavasser avec moi.
– Un point pour toi. C'est normal je crois, de s'inquiéter pour un de nos pairs. D'après ce que je sais, il a perdu son maître, il avait l'air d'y tenir.
– Il va chouiner quelques jours et puis ça lui passera, annonça le Cancer en se rallongeant nonchalamment.
– Quelle compassion, tu m'effraies presque.
– On est des chevaliers, et en prime des assassins professionnels. Les larmes et les gamineries, c'est pour les fillettes, et ça ne sert à rien. Il est temps qu'elle l'apprenne la Princesse, finit-il doucement avec un ton qu'eût du mal à déchiffrer Shura.
Le surnom néanmoins, fit sourire doucement l'Espagnol. Ce n'était pas la première fois que DM l'utilisait concernant le Poissons, mais en règle générale, il se limitait à d'autres noms nettement moins poétiques.
– Alors tu te fiches bien de lui, c'est ça ?
– Tu piges vite.
– Alors, ce n'est qu'une coïncidence si tu viens de lui donner le même surnom qu'à ta sœur…
– Tu fais chier.
Il vit le Cancer étouffer un bref juron en italien et se tourner pour lui faire dos. Shura savait que l'adolescent n'était pas vraiment vexé mais refusait simplement de reconnaître qu'il aimait bien le Poissons. Ils étaient assez souvent envoyés en mission ensemble et peu à peu, le Capricorne avait appris à décoder, dans les gestes et les paroles du Saint, l'attachement qu'il avait au Suédois. Parler d'amitié était trop fort certainement – ce n'était pas comparable à ce qu'il y avait entre lui et DM, mais il y avait une forme d'intérêt particulier qui poussait l'Italien à se soucier un peu de son camarade, même s'il ne le montrait guère. Il était ainsi, il n'aimait pas montrer ses sentiments et préférait afficher sa dureté, surtout quand on le perçait à jour. Lui aussi avait été inquiet de ne pas sentir le cosmos d'Aphrodite la veille. Même s'il aurait préféré mourir que de le reconnaître.
Il reprit ses échauffements sans que le Cancer ne le regarde, toujours dédaigneux. Shura sourit. Ça lui passerait bien.
DM quant à lui, resta silencieux. Comme s'il s'en faisait pour cette imbécile de Crevette ! Shura pouvait raconter parfois de belles idioties, à force de lire ses bouquins de psychologie. Bien sûr que non, il ne s'inquiétait pas. Bien sûr que non, il n'avait pas été intrigué de ne pas sentir sa présence à l'autre efféminé, pendant toute la journée d'hier. Bien sûr que non, il n'avait pas été surveiller son Temple le matin, pour voir si le gamin n'allait pas faire une connerie, après avoir senti un bref instant son cosmos vaciller… Bien sûr que non, il n'avait pas été perplexe en voyant, de loin, quelqu'un entrer dans le Temple froid en portant le gamin qui avait l'air endormi… Evidemment que non, il n'avait pas reconnu la toge sombre du Pope quand celui-ci était reparti, avant que le jour se lève, quelques minutes plus tard…
Le mioche avait dû aller pleurer dans ses jupes toute la nuit tiens, et le Grand Patron avait été obligé d'aller le border. Il avait été entre de bonnes mains, alors évidemment que non, trois fois non, il ne se faisait aucun souci.
Même s'il avait cru reconnaître l'odeur du sang, quand la brise nocturne avait changé de direction, alors que le Pope s'éloignait.
-------------------------
Shaka gravissait les marches du Grand Escalier, son visage serein comme à l'habitude bien qu'il fût troublé à l'intérieur. Le cosmos d'Aphrodite, faible, était réapparu quelques dizaines de minutes plus tôt et immédiatement, le jeune Indien s'était mis en route pour aller le voir. Il avait d'abord pensé à lui apporter la photographie donnée par Estia, mais il avait finalement renoncé devant ce qu'il percevait de l'aura de son ami. Il était nerveux et erratique, plus encore que devant le corps sans vie du Saint de Cassiopée. Il n'avait toujours pas digéré sa disparition et dans l'état actuel des choses, Shaka préférait ne pas le brusquer davantage en lui donnant un objet lui rappelant la cruelle absence qu'il endurait. Il attendrait que le cosmos d'Aphrodite redevienne un peu plus calme, et surtout, de voir par lui-même que le Suédois était passé au travers du choc émotionnel, avant de lui faire ce présent.
Le cosmos d'Aphrodite se fit peu à peu plus difficile à percevoir et l'Hindou comprit que son propriétaire tâchait de nouveau de le dissimuler. Il ne désirait pas que l'on puisse lire ses émotions. C'était déjà plus l'Aphro qu'il connaissait et Shaka fut un peu rassuré sur la capacité de son ami à s'en sortir. Il l'aiderait à ne pas tomber dans le désespoir et à accomplir le reste du chemin pour se remettre de la perte de celui qu'il voyait, sans se l'avouer certainement, comme un père de remplacement. Toutefois, il avait fait une promesse et comptait bien la tenir. Il ne désirait pas perdre son seul ami, ni le sentir avoir de la peine, alors que l'animal blessé qu'il était commençait à peine à s'ouvrir au monde extérieur.
Quand il parvint sur le parvis de la Maison zodiacale, le cosmos de son Saint n'était plus du tout perceptible. Shaka soupira doucement, se préparant à affronter le même orage que deux jours plus tôt, et entra doucement, malgré l'absence de réponse qu'il avait obtenue lorsqu'il avait envoyé son cosmos à l'intérieur de la bâtisse.
Il se dirigea vers les appartements privés et chercha du regard la chevelure azurée, sans la trouver. Il se décida à appeler doucement une fois fait le tour des pièces et du patio, mais seul l'oiseau de paradis vint à sa rencontre, en reconnaissant sa voix. Shaka le fit se poser sur son épaule et s'orienta vers le dernier endroit qu'il n'avait pas fouillé : les jardins. Comme il l'avait deviné, le Suédois était dans la roseraie, entouré des hauts rosiers aux fleurs sanglantes qu'il affectionnait tant. Il s'était assis au sol et semblait encore plus fragile que d'habitude. Shaka nota ses cheveux légèrement humides et les vêtements amples qu'il avait enfilés, malgré la chaleur qu'il commençait à faire au Domaine Sacré. Comme s'il voulait se cacher. Shaka s'approcha doucement, jusqu'à ce qu'une pointe de cosmos froid et volontiers agressif ne l'oblige à arrêter.
– Shaka, va-t-en. Je ne veux voir personne, ordonna d'une voix faible le Suédois sans se retourner.
– Je partirai dès que je verrai que tu vas mieux qu'avant.
– Je vais mieux. Pars.
Le ton se voulait dur, mais Shaka sut y percevoir la supplique cachée derrière et n'obtempéra pas. Il s'approcha encore et vint s'asseoir doucement à côté d'Aphrodite.
– Tu n'écoutes jamais ce qu'on te dit, souffla le Suédois toujours sans le regarder.
– J'ai écouté ce que murmurait ton cœur.
– …
– Aphro, je sais que tu aimerais rester seul… mais moi, je n'ai pas envie de te laisser. Je me sentirais trop inutile si je t'obéissais et repartais.
– Inutile ? Pourquoi ?… Tu ne peux rien faire, Shaka, murmura le Suédois en baissant doucement la tête.
Shaka remarqua sa main qui caressait le rosier devant lui. La plante portait des fleurs plus sombres que les autres, d'un bordeaux presque brun. L'Hindou ne l'avait jamais remarquée auparavant. Il observa le profil de son compagnon. Ses yeux semblaient voir au-delà de la plante, rougis par les pleurs, et sa pâleur était effrayante. Il avait cependant un beau bleu à la joue qu'il ne s'était pas fait tout seul. S'était-il battu depuis le soir où il était parti ? Avec qui ?
– Si, je peux être là… Sans parler, comme quand nous méditons ensemble le matin. Je t'ai attendu, tu sais.
– Je n'avais pas la tête à ça… Shaka, je n'ai envie de rien. Juste que tu partes, s'il te plaît.
– Je te connais Aphro… un peu…
– Tu ne sais rien de moi.
Shaka et Aphrodite se turent après cette constatation. Shaka n'aurait pu la nier. C'était vrai, il savait peu de choses du Saint des Poissons. Juste qu'il était Suédois, avait eu pour maître Lucas, aimait les plantes et les oiseaux, était fragile et versatile dans ses humeurs. Le reste, il l'ignorait et ne cherchait pas à le savoir, il n'avait jamais questionné le Poissons pour en percer les secrets. Il prenait ce que lui donnait Aphrodite, autant que lui prenait ce que lui offrait Shaka sans chercher plus avant. Ainsi, ils n'étaient jamais déçus l'un par l'autre, puisqu'ils n'attendaient rien. Shaka leva le visage vers le ciel.
– Est-ce vraiment un problème ?
La réponse silencieuse de son ami le fit sourire gentiment. Il baissa de nouveau le visage vers son compagnon qui gardait le sien obstinément tourné vers ses plantes.
– Shaka… Imagine… Imagine que quelqu'un ait mal… Mal à en mourir… Comment il peut faire pour oublier ?
– Il peut pleurer.
– Et s'il n'a plus de larmes ?
– Il lui reste à hurler sa peine. Il ne faut rien garder en soi, sinon cela fait souffrir encore plus. Les sentiments mauvais comme la haine et la peine doivent trouver un moyen de s'évacuer hors du corps. Mais oublier… C'est vraiment ce que désire cette personne ?
– Oui. Tout oublier.
– Alors, ce serait triste.
– Pourquoi ?
– Parce qu'elle oublierait également les bonheurs, les sentiments heureux qu'elle a pu connaître. Si elle n'a plus ni tristesse, ni joie, elle n'a plus rien. Elle ne serait plus rien. Elle serait morte parmi les vivants.
– … La mort est parfois préférable alors…
Aphrodite ferma les yeux pour retenir les larmes qui lui piquaient de nouveau les yeux. Ses doigts se serrèrent nerveusement sur le rosier. Shaka tourna le visage vers son compagnon. Il hésita, après quelques instants, une main vers son dos, mais le Poissons se dégagea vivement pour ne pas être touché. Shaka n'insista pas. Il avait déjà ressenti ce que ressentait Aphrodite. A chaque voyage qu'il faisait en Inde, au Gange en particulier, et qui le laissait traumatisé quand il était enfant. Parce qu'il ne comprenait pas comment une vie où la mort et la peine étaient omniprésentes ait pu valoir le coup de se battre… Jusqu'à ce que Bouddha lui dise… la véritable raison de ne plus avoir peur, et d'espérer.
– Aphro, écoute-moi. La mort n'est pas un but. Ce n'est qu'un passage vers autre chose. Elle n'enlève pas la peine, les regrets, les joies, ce qui fait de l'humain un humain. Si l'on désire la mort pour être en paix, c'est vers un enfer perpétuel que l'on se dirige, parce qu'elle ne constitue pas une fin de toute chose mais un nouveau départ. Je n'ai pas envie que tu connaisses cela, Aphro.
– C'est ce que je mérite pourtant…
Les larmes échappèrent au Poissons malgré ses efforts pour les taire. Il sentait son cœur être comme déchiré et comprimé à la fois. Il se recroquevilla un peu plus sur lui-même et frotta ses bras d'un geste lent, comme absent. Il voulait se ressaisir, se calmer avant que Shaka ne cherche de nouveau à le toucher. Son compagnon semblait parler de nouveau, mais Aphrodite ne distinguait qu'un son lointain et presque étouffé, seulement entrecoupé de brèves bribes de paroles qui n'avaient pas de sens.
– …aussi je n'ai pas envie d'être de nouveau seul, car je veux me sentir vivant. Et à deux, on y arrive plus facilement, non ?… Aphro ?
Le Poissons parut se réveiller en lui adressant un regard un peu perdu, cherchant manifestement à se souvenir de quoi il parlait. Shaka réprima un soupir. Son ami avait perdu cette habitude désagréable de ne pas écouter les conversations… Le choc de perdre son maître était-il donc si grand, pour qu'il retrouve ses manies de jeunesse ? Le Saint d'Or dut s'avouer que cela l'agaçait, car Aphrodite avait l'air inaccessible aujourd'hui, et il n'appréciait pas de ne pas être au moins entendu de celui à qui étaient destinées ses paroles.
– Aphro… Tu as froid ? demanda-t-il en désignant le mouvement nerveux du Poissons.
– Un peu…
– On devrait rentrer dans…
– Non… Non… Je préfère rester ici.
Au milieu de ses roses, soupçonna l'Hindou. En sécurité ? Il se demanda si l'attitude pour le moins étrange du Suédois n'avait pas un rapport avec ses activités des veille et avant-veille. Une question directe aurait sans doute braqué l'adolescent malheureusement, aussi Shaka ne pouvait-il que se perdre en spéculations hasardeuses. Quoique aujourd'hui, toute méthode était vouée à l'échec manifestement.
– Aphro, tu sais, je voulais venir te voir hier, mais je n'ai pas senti ta présence. Où étais-tu ? commença-t-il doucement.
– J'étais… ailleurs, répondit vaguement son compagnon en frissonnant légèrement.
– Hors du Sanctuaire ?
– Pourquoi veux-tu savoir ?
– Je suis simplement curieux et je me suis inquiété. Tu étais si furieux quand on s'est quitté…
Regarde et laisse-toi faire, ma petite poupée
Aphro ferma brièvement les yeux. Il se souvenait peu de la veille, tout était flou. A part une image, qui le hantait… De l'eau bleue, mêlée de rouge, fuyant dans le siphon… De l'eau et du sang… mon sang…
Nous allons nous amuser encore un peu, n'est-ce pas ?
Il lutta contre cette voix qui lui tordait l'estomac et contre les nouveaux flashes qu'elle lui évoquait. Non, ne pas se souvenir… ne pas se souvenir de l'odeur, de la sensation de peau contre la sienne, de ce regard qui le glaçait, de ce reflet dans les miroirs, insoutenable… Rien n'est vrai…
Shaka vit le visage d'Aphrodite devenir d'une pâleur si prononcée qu'il crut qu'il allait s'évanouir. Le voyant vaciller légèrement, il passa un bras autour de son dos, qui fut durement repoussé. Le Suédois se releva vivement pour se rapprocher de ses rosiers – ou plutôt s'y réfugier. Shaka imita son geste.
– Je ne te poserai plus de questions si tu tiens tant à ne rien dire de tes promenades solitaires…
Un excès de colère étreignit Aphrodite. Shaka se méprenait complètement… Il ne voyait rien, ne comprenait rien… Si désespérément aveugle ! Lui… Lui, il ne pouvait rien dire, sinon ça voudrait dire que quelque chose s'était vraiment passé, mais Shaka pourrait faire le premier pas, se rendre compte à quel point il souffrait ! Une douleur qui ne le quittait pas depuis qu'il avait ouvert les yeux… Il aurait tant voulu que son ami le réconforte, le rassure, lui confirme que ce n'était qu'un cauchemar parmi d'autres.
Mais en même temps… Si Shaka savait, s'il réalisait… Qu'est-ce qu'il pourrait dire pour se justifier ? L'Indien verrait à quel point il était devenu répugnant. Sa colère gonfla encore alors que la Vierge approchait, inquiète. Il sentait son cosmos doux et chaud qui tentait de se mêler au sien si agité. Il se ferma complètement à la tentative. Il n'arrivait plus à comprendre pourquoi, mais il était en colère.
– Ça suffit, Shaka, je suis fatigué, je veux que tu me laisses maintenant.
– Aphro, je veux juste t'aider, tu as l'air malade.
– Je peux me débrouiller tout seul. Pars.
– Mais…
– Fous le camp ! cria à bout de nerfs le Poissons en faisant volte-face.
Shaka sursauta aux yeux brillants de rage et de larmes, autant qu'à l'invective. Il n'était plus question de discuter. L'Aphrodite devant lui était celui qui l'avait menacé deux jours plus tôt. Même les roses proches du Poissons avaient pris une teinte très foncée, presque noire, en réaction au cosmos de ce dernier, qu'il n'arrivait pas à dissimuler, pris dans sa colère. L'Hindou, vexé de ce manque de confiance envers lui, secoua doucement la tête en signe de mépris et se détourna pour quitter le jardin, non sans avoir lancé un bref :
– Si tu aimes tant mordre la main tendue vers toi, reste donc à te lamenter seul…
Aphrodite regarda la silhouette fière disparaître dans les rochers bordant sa roseraie. Shaka n'avait pas daigné retraverser son Temple pour reprendre sa route. Mais qu'est-ce qui lui avait pris de lui parler comme ça ? Toute sa colère s'était évaporée, avec son cri. Il avait éloigné Shaka, l'Indien ne pourrait pas découvrir ce qui était arrivé… C'était ce qu'il avait voulu, non ?
Tu es à moi, tu vois ? Tu ne peux pas m'échapper
Ses jambes tremblèrent et il réprima une nouvelle nausée. Shaka avait raison, il devait être malade. Sa tête tournait un peu et sa gorge était devenue sèche. Il avait plus de mal à bloquer les souvenirs épars qui lui revenaient à l'esprit. Ces choses qu'il détestait. L'adolescent aux cheveux azur rentra tant bien que mal dans sa Maison pour aller à la salle de bain et boire un peu d'eau.
Penché au-dessus du lavabo, yeux fermés, il tâcha de contrôler le malaise qu'il sentait venir. Pourquoi sa tête lui faisait-elle autant mal ? C'était comme s'il était grippé tout d'un coup. Depuis que… Depuis que Saga l'avait frappé avec son attaque…
Il lutta pour bloquer sa mémoire une nouvelle fois pour éviter que d'autres sons ou images ne l'assaillent. Sa faiblesse finirait bien par passer toute seule, ça devait être un début de rhume certainement. Il tâchait encore de se convaincre avec ce nouveau mensonge lorsqu'il rejoignit finalement son lit pour s'y allonger, vacillant.
Je veillerai sur toi
Je t'aiderai
Crois en moi
Il ferma les yeux, faisant apparaître une rose qu'il étreignit avec force, se faisant saigner les doigts. Elle ne l'avait jamais abandonné. Alors…
– Je crois en toi… Aide-moi… murmura-t-il alors qu'il sombrait dans un sommeil sans rêve.
Aphrodite ne s'était pas aperçu que la fleur qu'il avait matérialisée était d'un noir d'ébène.
Il fallut plusieurs jours au jeune Suédois pour se remettre de sa faiblesse. Il était passé par presque tous les stades du mal de tête, sans pouvoir dire exactement ce qu'il avait. Tous les médicaments qu'il prenait n'avaient aucun effet et il resta autant que possible allongé, au frais, dans sa chambre. Il ne parvenait à diminuer la douleur que grâce au parfum de ses roses ou au mordillement d'une tige. Le poison, auquel il était immunisé, le calmait. Il mangea peu durant sa convalescence forcée et son sommeil était agité de nombreux cauchemars. Dès qu'il fermait les yeux, il revoyait cette ombre qui avançait vers lui et le saisissait pour le jeter au sol. A son réveil, frissonnant, il avait toujours l'impression qu'elle serait là, à le guetter dans un coin de sa pièce… Mais il demeurait seul, seulement veillé par l'oiseau de Paradis.
Shaka, peut-être durablement vexé, n'était pas revenu. Quelques fois, lors de crises de douleur plus aiguës où il n'arrivait pas à cacher son cosmos, il sentait celui de l'Indien venir à lui timidement. Mais à chaque tentative, il le repoussait. Il ne devait pas le laisser lire en lui. Jamais. Aucun autre chevalier ne semblait inquiété de son état et cela allait bien à Aphrodite. Il n'aurait toléré personne près de lui. Parfois, un autre cosmos l'effleurait, mais il ignorait à qui il appartenait et s'en protégeait férocement. Ses longues heures d'inactivité avaient malheureusement une contre-partie dont se serait bien passée le Saint d'Or.
Quand il fermait les yeux, souffrant… Il ne pouvait s'empêcher d'attendre qu'une main douce se pose sur son front et qu'une voix chaleureuse et calme lui parle pour le rassurer. Lucas. Au début, Aphrodite ouvrait les yeux, plein d'espoir insensé, mais il ne rencontrait que du vide, un vide désespérant. Alors il gardait les yeux fermés désormais et se laissait aller à l'illusion autant que possible. Oui… Lucas serait venu lui, il aurait apporté un verre de jus d'orange et se serait assis sur le bord du lit en le regardant gentiment. Il aurait passé sa main dans ses cheveux pour l'aider à s'endormir.
Raiponce, Raiponce
Descends-moi tes cheveux… C'est ainsi que je te rejoindrai, dans ta haute tour sans porte ni fenêtres…
Mais le doux rêve volait toujours en larmes. Lucas était mort et c'était lui qui l'avait tué. S'il avait accepté cette satanée mission, s'il avait pris la tête de l'Eridan, rien ne serait arrivé, Lucas serait toujours là, son regard argenté veillant sur lui avec amour et gentillesse. Il aurait tant voulu revenir en arrière, retenir Lucas dans son Temple ce jour-là.
Il aurait tant voulu être moins stupide.
Je mérite ma prison sans porte ni fenêtres
car mon prince ne viendra plus jamais
et mes cheveux ne serviraient qu'à attirer un diable aux yeux rouges…
-------------------------
Shaka soupira doucement en sentant les rayons du soleil commencer à lui chauffer la peau. Encore un jour sans la présence d'Aphrodite. Cela faisait à présent presque une semaine qu'il ne l'avait plus vu, que ce fût ici, sur la plage ou aux arènes, où le Poissons s'entraînait parfois en temps normal. Il était toujours au Sanctuaire – il sentait par moment son cosmos dans son Temple, mais s'était totalement replié sur lui-même, et son aura, dont il ne lisait que des bribes, indiquait qu'il était au plus mal. Il était vraiment tombé malade comme il l'avait soupçonné… Mais Aphrodite ne le laisserait jamais l'aider. Ne lui faisait-il donc plus confiance ? Certes, ils n'avaient jamais eu de grandes confidences, mais Shaka pensait avoir gagné l'amitié du Suédois après toutes ses années à être à ses côtés, en toutes circonstances. Il se doutait bien que la mort de Lucas, à elle seule, n'expliquait pas totalement l'état du Poissons, mais il ne savait pas ce qui pouvait compléter l'explication. Cela avait un rapport avec son bleu au visage… Une bagarre était le seul événement qui venait à l'esprit de Shaka, bien que ce ne fût guère dans le caractère de son compagnon.
Il n'avait pourtant entendu parler d'aucune empoignade au Sanctuaire. Des Chevaliers d'Argent ou des amis de Lucas avaient-il pu chercher vengeance en s'en prenant au Poissons ? Pourtant il n'y était pour rien dans le décès de Cassiopée. Et ils auraient su pertinemment que contre un Saint d'Or, ils n'avaient aucune chance. Surtout dans l'état nerveux qui était le sien ce fameux soir. Un fauve qui aurait déchiqueté quiconque se serait dressé sur son chemin. Non… Aphrodite avait eu l'air de savoir où il allait, il avait eu cette lueur caractéristique dans les yeux. A l'évocation de l'Eridan, il avait changé. Aurait-il pu aller régler son compte au chevalier ? Non, ça ne tenait pas. Aphrodite avait disparu tard dans la soirée, et son cosmos s'était brièvement fait sentir au matin, avant de disparaître de nouveau. Et à ce moment-là, Shaka avait pu sentir qu'il était déjà erratique. Même pour un Saint d'Or, effectuer le trajet jusqu'au camp d'entraînement de l'Eridan en quelques heures et sans faire appel à son cosmos – sous peine d'être détecté – aurait été impossible. Mais Aphrodite avait de la ressource…
Shaka ouvrit doucement les yeux en se rendant compte qu'en réalité, il y avait tellement de probabilités envisageables qu'il s'y perdait. Sans savoir, de la bouche de son ami ou d'une autre, ce qui était vraiment arrivé, il n'arriverait pas à dénouer les possibilités, et peut-être, à reprendre contact avec le Poissons. Il regarda sa main. Si tu tiens tant que ça à mordre la main tendue vers toi…Il devrait attendre que l'animal redevienne docile. Les humains étaient décidément compliqués, et les sentiments, une source de perturbations. Camus n'avait peut-être pas tort finalement.
-------------------------
Loin de là, au sommet de la colline où s'étendait le Sanctuaire, Saga s'était agenouillé devant la gigantesque statue d'Athéna, casque et masque posés à terre, dans une posture de soumission – ou d'abandon – qu'il avait rarement. Les yeux fermés, il se forçait à maintenir le lien entre son cosmos et celui du Chevalier des Poissons. Tout au long de la semaine écoulée, il n'avait cessé de le faire, à partir du moment où il avait reçu des rapports lui indiquant qu'on ne l'avait pas vu s'entraîner.
C'était sa faute.
Seul sur l'esplanade, une légère brise jouant avec sa chevelure marine, il se laissait envahir par la douleur qu'il percevait dans l'aura du jeune Suédois. Le viol à lui seul n'expliquait pas son état et Saga le savait. Le Poissons avait été le seul, jusqu'à présent, à subir deux fois une Illusion Diabolique. Même si la victime était un Chevalier d'Or, le Gémeaux était conscient des répercussions sur le cerveau de celui qui en était atteint. On ne manipulait pas la conscience des gens sans l'endommager. C'était la raison pour laquelle Sion, et les grands Popes précédents, ne l'avaient utilisée que très rarement, et contre des adversaires redoutables tels que les Juges des Enfers ou les incarnations humaines, parfois défaillantes, des dieux. Le Saint d'Or de quinze ans s'était pris l'équivalent de deux lobotomies à vif presque d'affilée, et alors que ses défenses psychiques étaient totalement baissées. Saga serra le poing en sentant le cosmos d'Aphrodite vaciller avant de se fermer. Il reprenait des forces, c'était bien. Mais pas suffisant. Le Gémeaux aurait voulu faire plus pour l'aider, en profitant que l'Autre soit encore en sommeil. Mais il ne pouvait pas annuler les effets de son attaque, et il se doutait bien que sa vue remplirait le Poissons d'effroi plutôt que de sérénité. Qu'avait-il eu en tête aussi, ce soir-là, quand il était venu l'attaquer ? Ils n'en seraient pas là s'il s'était tenu tranquille ! Son imbécillité les plongeait tous les deux dans le désarroi…
Saga secoua la tête. Voilà qu'il rejetait encore la faute sur le gamin.
Oh allons, reconnais donc qu'il l'a cherché…
Un frisson parcourut son échine. "Il" était réveillé…
Je t'ai manqué ? Il m'a fallu du temps pour reprendre des forces
Je ne te laisserai pas reprendre le dessus, démon.
Vraiment ? C'est pourtant ce que je suis en train de faire.
Saga jeta un œil à sa chevelure éparpillée. Elle s'éclaircissait, c'était vrai. Il banda ses forces mentales contre l'envahisseur. Il ne pouvait pas être dominé si facilement par cette chose, et la laisser commettre d'autres méfaits. Mais il sentait ses efforts être trop faibles.
Tu as tellement d'ombre dans ton cœur Saga, c'est un jeu d'enfant de refaire surface. Tu ne peux pas vivre sans moi. Je suis toi, je suis ton exutoire, que tu le veuilles ou non.
Non, c'est faux, tu n'es qu'un diable qui se sert de mon corps.
Grâce à moi, tu accomplis tes désirs sans aucune limite, et tu aimes ça.
Des meurtres, du sang sur les mains, tu crois vraiment que c'est ce dont j'ai envie ? Je veux la paix, toi tu ne veux que la guerre et la destruction.
Ahahah… Et le petit Poissons alors, mm ? N'en avais-tu pas envie ? J'ai vu tes rêves tu sais… Ceux où tu le caressais, ceux où tu le possédais…
Tais-toi !
Saga, haletant dans sa lutte contre le côté sombre de son âme, posa les mains à terre, les pupilles dilatées. Il se sentait nu face à Lui, rien ne semblait lui être inconnu. Pour la première fois, le Gémeaux pensait ressentir ce qu'éprouvait le Poissons à cet instant. L'impression d'être sale.
Je le voulais mais pas en le forçant, pas en le violant ! A cause de toi, je l'ai perdu…
Tu crois ça ? S'il est venu aux thermes sans son armure, s'il ne s'est pas plus défendu face à moi, c'est qu'il voulait que l'on s'occupe de lui, tu ne crois pas ?
Tu ne me feras pas avaler tes sornettes…
Mais pourtant tu sais que c'est vrai. Et j'ai senti ce que tu ressentais Saga… Tu as eu du plaisir avec moi…
Mensonge… Mensonge… Tu déformes tout. Je ne veux plus t'entendre !
Ça, c'est facile
Profitant de la faiblesse psychique passagère d'un Saga troublé, l'Autre n'eut aucune difficulté à reprendre le dessus. Saga vit avec horreur ses cheveux devenir gris sans avoir la force d'arrêter l'esprit maléfique. Il sentit sa conscience s'assombrir, et avec un dernier assaut de l'intrus, celle-ci se ferma complètement.
Le Pope se releva en passant une main dans sa chevelure. Il admira la statue d'Athéna avec un sourire ironique, puis se baissa pour ramasser l'attirail que sa fonction l'obligeait à porter.
– Dieu est amour, Saga. Et certaines personnes ont plus besoin d'amour que d'autres. Tu ne veux pas le reconnaître, mais tu es heureux d'avoir mis la main sur ton Poissons. Et crois-moi, il ne s'en échappera jamais.
Il remit son casque en faisant route pour rentrer à l'intérieur du palais. Il avait été dans l'esprit du Poissons un instant, vu ses sentiments sombres qui l'étouffaient, et surtout, son immense amour pour son maître chéri. Alors, ce qu'il allait faire à présent n'était pas difficile à prévoir. Ce n'était plus qu'une question de jours pour que le Poissons vienne se jeter de lui-même dans ses filets. Il avait aimé l'expérience et cette fabuleuse nuit qu'ils avaient passée, et le Pope ne comptait pas se laisser perturber par Saga et sa trop grande morale.
– Je t'attends, ma petite poupée. Viens vite, sourit-il.
L'adolescent préparait son petit-déjeuner perdu dans ses pensées. Il se sentait mieux aujourd'hui et n'avait presque plus mal à la tête. Les cauchemars s'étaient espacés et finalement, il avait pu faire sa première nuit complète depuis plusieurs jours. Pourtant, une idée lancinante ne le quittait pas. J'ai tué Lucas. Les responsables doivent le payer. Il se tuerait en dernier, pour avoir le temps de mettre à mort les autres coupables. Il n'avait plus que la vengeance en tête, cela le saisissait à la gorge par moment. Tuer ce lâche qui avait frappé le doux Cassiopée dans le dos, qui avait mis fin à la vie de cette brillante étoile, si lumineuse qu'elle avait réussi à le sortir des ténèbres. Il avait eu du mal à le comprendre, mais il devait tout ce qu'il était à présent à son maître, il en était persuadé. Il l'avait arraché des griffes du Croque-Mitaine, puis l'avait entraîné sans jamais être injustement brutal, il lui avait redonné confiance en lui sans poser de questions sur qui il était avant. Il lui avait même donné de l'affection. C'était ça qui manquait le plus au Saint d'Or. Peut-être qu'il se trompait et que le Chevalier d'Argent avait juste fait son travail… mais Aphrodite voulait croire à ce mensonge. Les mensonges étaient si doux comparés à la froide et dure réalité. Il voulait s'y perdre et oublier complètement que toute autre possibilité existait. Dans tous les domaines.
Il posa sa tasse de jus d'orange à côté de son bol de céréales et d'un peu de filmjölk (3) sans même en être conscient, puis s'assit pour perdre son regard azur dans celui de son reflet dans le liquide. Il aurait pu aller tuer l'Eridan en secret, mais comment toucher un adversaire qu'il ne savait pas où débusquer ? Shaka ou Camus devait connaître son lieu d'entraînement, mais ils ne le lui diraient pas, il le pressentait. Et le Saint d'Or n'avait guère l'envie, même pour avoir une information, d'aller vers d'autres personnes. Il était donc obligé de passer par la voie officielle, et demander l'ordre de mission du Pope lui-même. Aphrodite frissonna involontairement. Se retrouver devant cet homme… devant Saga… Il avala sa salive. Il ne serait pas seul face à lui. Il y avait des gardes dans la salle d'audience. Même si le Pope les congédiait lors d'une entrevue importante, ils restaient tout près des portes. Prêts à agir à la moindre alerte. Il pourrait toujours les appeler à l'aide. Le Suédois se raccrocha de toutes ses forces à cette pensée et finit par calmer les tremblements qui commençaient à l'agiter. Ça ne serait pas long. Juste quelques minutes. Et après, il ne le reverrait plus. Et Lucas serait vengé.
Le Poissons se releva. Il n'avait plus d'appétit. Autant se retirer l'aiguille du pied au plus vite. Pour oublier plus facilement après.
-------------------------
Le Pope accepta de le voir, même si cette audience à l'improviste ressemblait plus à une obligation. Aphrodite n'avait pas laissé le choix aux gardes qui prétextaient que le saint homme était en méditation. Assez rapidement après que sa demande ait été transmise, il reçut l'autorisation d'entrer.
La salle d'audience ne lui avait jamais paru si étouffante. Un superbe soleil pénétrait pourtant par les larges fenêtres en ogive creusées dans la pierre, au plus haut de la façade Sud de la pièce. Lorsque l'on entrait ici, la lumière venait depuis le dos du visiteur, pour s'estomper à mi-chemin. Le Pope laissait en général les rideaux s'étendant derrière son trône ouverts, découvrant à la fois une nouvelle rangée de belles fenêtres gothiques et une estrade où étaient entreposées les armures d'or lorsqu'elles n'avaient pas de maîtres. Tout ici n'était que lumière. Le visiteur entrait avec la lumière, le Pope y était nimbé. Les colonnades s'élevant de part et
d'autre de la pièce finissaient de conférer à l'endroit une dimension mystique. La salle d'audience était un curieux mélange entre un fort et une nef carolingienne déformée. La décoration se résumait au long tapis rouge guidant vers le trône du Pope, et aux discrets vitraux placés dans la partie haute des fenêtres surplombant le Pope. La température était fraîche sans être désagréable, et pourtant, le Chevalier d'Or sentait son estomac se tordre à mesure qu'il avançait vers le maître du Sanctuaire.
Celui-ci, assis sur son trône comme à l'habitude, était impérial. Son siège, surélevé par quelques marches, lui donnait une position de dieu, dans tous les sens du terme. Aphrodite tâcha de contrôler sa respiration pour se calmer et ne rien laisser paraître de son trouble. Casqué et masqué, le Pope était une toute autre personne, très éloignée de Saga. Il espéra que celui-ci ne prendrait pas l'idée de retirer ses effets. Parce qu'Aphrodite ne savait pas s'il arriverait à tenir ses nerfs dans ce cas-là. Le regard des deux gardes de la porte, dans son dos, le rassurait. Pourtant, qu'auraient-ils pu faire contre le Pope si quelque chose arrivait ? Il devait se comporter comme d'habitude. Comme si tout était normal.
Il mit genou à terre devant son seigneur lorsqu'il parvint devant lui. Le Pope fit son léger signe de main habituel et les gardes se retirèrent. Les portes claquèrent dans le silence qui n'avait pas quitté les lieux depuis son arrivée. Le maître du Sanctuaire croisa les mains devant lui.
– Eh bien, Aphrodite des Poissons, je pensais que tu étais parti. Tu n'as pas été à ton entraînement depuis une semaine, et personne ne semble t'avoir vu dans ce délai.
– Pardonnez-moi, Grand Pope… J'avais besoin de réfléchir…
– C'est tout à fait ce que j'espérais. Qu'ont donné ces réflexions ? As-tu pris une bonne décision ?
– Ça concerne le Saint de l'Eridan. Vous aviez dit que je serais responsable en cas d'échec. Et Lucas de Cassiopée… a échoué. La faute m'en revient donc.
– Je vois avec plaisir que tu sais reconnaître tes torts lorsqu'on te les montre, sourit Saga.
Aphrodite ne releva pas le sous-entendu et garda la tête baissée. Son regard se perdait sur les fibres du tapis. Ne penser qu'à ce qu'il était venu demander, à rien d'autre. Il sentait le regard du Pope sur lui. Ça le répugnait.
– Je prends ce silence pour un acquiescement. Alors, Saint d'Or des Poissons, je suppose que tu viens demander l'autorisation d'achever toi-même, enfin, cette mission, n'est-ce pas ?
– Oui. Je… ne fuirai plus devant mes obligations.
– Des obligations, vraiment ? Je ne suis pas idiot, chevalier. Je devine les véritables raisons qui te poussent à cette demande. Ton ancien maître est mort en effectuant la tâche qui te revenait de droit, comme tu l'avais toi-même conseillé. Tu veux tuer l'Eridan moins par désir de servir Athéna que pour satisfaire ta rancœur. Je me trompe ?
Aphrodite ne répondit pas. Sa voix l'aurait trahi. Il entendit un léger bruit de tissu et frissonna lorsque la main du Pope se posa sur sa joue. Il ferma les yeux quand celui-ci le força à relever la tête pour lui faire face.
– Aphrodite, regarde-moi.
Le Poissons obéit avec difficulté. Le masque impersonnel du Pope était tout proche de lui. Le saint homme s'était agenouillé à sa hauteur. Le chevalier entendait presque son souffle.
– Tu sais ce que signifierait l'emploi de tes pouvoirs dans ces conditions. Tu ferais un parjure à ton serment de chevalier. Les pouvoirs qu'Athéna nous a conférés sont destinés à servir l'Humanité entière et non ceux qui en bénéficient. Les Saints ont interdiction formelle de les utiliser à des fins personnelles, quelles qu'elles soient: ambition, argent, pouvoir… ou vengeance. Ils sont des protecteurs, pas des justiciers. Tu nierais ta fierté de chevalier en reniant cela. Et pourtant, c'est ce que tu comptes faire, n'est-ce pas ?
Aphrodite ne voulait pas répondre. Tout cela, il le savait, combien de fois y avait-il pensé jour et nuit ? La voix du Pope le mettait mal à l'aise, tout comme le sourire qu'il entendait dans ses mots. Saga ne faisait que jouer avec lui, ils connaissaient tous les deux la réponse à sa question. Aphrodite, les pouvoirs des chevaliers les rendent dangereux pour eux-mêmes et pour les autres. C'est pour ça qu'Athéna nous a défendus de nous en servir en dehors des combats. Ce ne serait pas équitable sinon, surtout pour un Saint d'Or, tu ne crois pas ? La main du Pope ne quittait pas sa joue. Il attendait sa réponse. Et te tuer dans le dos, est-ce équitable, Lucas ? Je veux bien perdre toute ma fierté, si c'est pour te venger…
– Aphrodite, réponds-moi. Dis-le. C'est ce que tu vas faire, hein ? Te servir de tes pouvoirs pour assassiner une personne que tu hais.
– …Oui.
Le simple mot avait été soufflé du bout des lèvres, mais cela contenta le Pope. A travers son masque, il pouvait voir les yeux troublés du Poissons. Troublé par sa présence, et par sa trahison. Il aurait été si facile de l'embrasser. La peau douce de sa joue lui rappelait les délicieuses sensations que lui avait offert son corps, une semaine plus tôt.
Non, tu ne le toucheras plus ! Je t'en empêcherai !
Le Pope pesta silencieusement quand il vit sa main quitter la joue délicate contre son gré. Il avait dormi trop longtemps, l'Autre sentimentale avait repris des forces, le bougre. Le Poissons sembla retrouver quelques couleurs. Il avait intérêt à mettre fin rapidement à l'entrevue s'il ne voulait pas voir son double raté faire une apparition tout à fait déplaisante.
Il retourna s'asseoir et croisa de nouveau ses mains comme s'il réfléchissait. Sa décision était prise depuis longtemps pourtant. Il aimait voir la tension grimper dans sa jolie poupée.
– Très bien Aphrodite, tu vois que ce n'était pas si difficile que ça de le reconnaître. Je veux bien accepter de te laisser faire à ta guise, Serpent de la Chimère. Ça sera une occasion de voir ta force et ta fidélité à ma cause. Cependant, je n'accepterai qu'à une seule condition.
– Laquelle, Grand Pope ?
Le Pope eut un haussement de tête qui pouvait passer pour de l'amusement puis annonça froidement :
– Le silence.
Aphrodite baissa les yeux. Le silence ? Le maître du Sanctuaire le transperçait de son regard. Non, pas lui. C'était Saga. Il comprit ce qu'il sous-entendait. Le silence sur la vérité. Le silence sur ce qui était arrivé, une semaine plus tôt. Briser la dernière bribe de fierté qu'il avait, au nom d'une volonté destructrice. Mais après tout…
Si personne n'évoquait l'incident, ils l'oublieraient tous les deux. Et si l'on ne se rappelle pas d'un événement, c'est comme si celui-ci n'avait jamais existé. Aphrodite aurait dû se sentir heureux. Pourtant, il avait seulement envie de pleurer, sans comprendre pourquoi.
– J'accepte, murmura-t-il.
Saga savoura le mot, alors qu'il entendait le soupir triste de l'Autre dans sa tête.
– Très bien. Alors je vais te donner les détails et renseignements qui te seront utiles contre Raphaël de l'Eridan…
– Aphrodite va vraiment le faire, tu crois ? demanda Milo à son vis-à-vis. Il a été demander au Pope l'autorisation de se faire l'Eridan hier, il paraît.
– Il est déterminé, il ne reculera pas. Il se laisse aveugler par des sentiments et regarde où ça le mène, trancha Camus, confortablement assis contre le tronc d'un olivier.
– C'est normal qu'il réagisse comme ça, je trouve. On a buté son maître, répliqua Milo en croquant dans sa pomme.
– Les missions sont toujours dangereuses. Cassiopée est mort en faisant son devoir. Et il ne fait aucun doute qu'Aphrodite a des motivations surtout personnelles là-dedans. C'est un comportement indigne d'un chevalier.
– Qu'est-ce que tu peux être dur avec les gens quand tu t'y mets !
– Je suis juste rationnel.
– Mais ça n'empêche pas d'avoir de la compassion, tu sais, intervint une voix grave près d'eux.
Les deux adolescents regardèrent Aldébaran qui s'approchait. Son imposante carrure pour son âge laissait présager que sa constellation, le Taureau, n'était pas déméritée. Pourtant, le Brésilien, assez timide, ne faisait jamais usage de sa force physique pourtant supérieure à celle de ses camarades, même lorsque ceux-ci se montraient cruels avec lui. Il avait hérité de Mû, son meilleur ami, le goût de la Nature et des choses simples, et il aimait beaucoup se promener dans les champs d'oliviers du Sanctuaire. Il ne pensait pas y trouver Camus et Milo.
– La compassion est un mot poli pour désigner la faiblesse.
– Tu ne changes pas, décidément, sourit un peu tristement Aldébaran. C'est peut-être bien de la faiblesse alors, mais je suis triste pour Aphro. Je ne le connais pas, mais à sa place, je me sentirais désemparé.
– Tu vois, même Aldé dit qu'il a raison d'aller tuer l'Argent, objecta Milo.
– Je n'ai pas dit ça. Je dis juste que nous sommes mal placés pour le juger, non ? A part Shaka, aucun de nous ne le connaît vraiment bien et on ne peut pas imaginer ce qu'il pense. Même s'il agit pour lui, nous n'avons pas le droit de le condamner. C'est à Athéna de le faire. Deathmask réagit bien pareil…
– Ce n'est pas un exemple, coupa Camus de son voix atonale. La Chimère agit sur ordre du Pope. DM prend plaisir à tuer, et exécute aussi des innocents s'ils sont entre lui et sa cible, mais je dois lui reconnaître la fierté de ne pas avoir fait de parjure. Il ne s'est jamais servi de ses pouvoirs pour but personnel, à ma connaissance.
– Tu ne peux pas tout savoir, Camus…
– Non, en effet. De toute façon, cette discussion est stérile. Athéna n'a pas de pitié. Les dieux n'en ont pas pour les humains. Ils jugent sur les faits, pas sur les explications. Ils sont la Justice aveugle. Alors, peu importe le pourquoi de son acte…
Camus leva le regard pour le perdre à travers les branchages de l'arbre. Aldébaran et Milo l'avaient rarement vu aussi pensif. Etait-il vraiment si indifférent que cela à tout, comme il s'évertuait à le montrer ? Sa voix avait pris un étrange timbre, que l'on aurait pu prendre pour de la mélancolie.
– … Quand il tuera l'Eridan, Aphrodite sera perdu, conclut-il.
Une fureur de justice pour tous, pour sentir,
Avec des larmes innocentes et des hurlements de haine,
Le sang du Mal qui ne semble satisfait
Qu'une fois tué, mutilé et pacifié
Nous sommes tombés
La Lumière m'appelle
Les larmes en moi
M'apaisent
Shootie HG – Devils Never Cry
Le chevalier arpentait le chemin boisé en gardant les yeux à terre. Il aurait pu demander à être conduit là en voiture, mais il voulait être seul face à l'assassin de son maître. Les longues marches ne le fatiguaient pas, et cela l'aidait à se concentrer. Le soleil était caché par un voile de nuages tenace et la température oscillait entre fraîcheur et lourdeur. Il marchait depuis le matin et savait qu'il atteindrait son but dans peu de temps. L'endroit était beau. Il n'avait jamais vu l'Allemagne, ni la Bavière. Les forêts profondes et d'un vert éclatant, les paysages de vallons qu'il entrapercevait à travers des trouées dans les branchages, et le discret mais persistant chant de quelques oiseaux avaient tout pour ravir. Si différents de la Suède et de la Grèce. Lucas avait-il eu les mêmes pensées ?
Aphrodite n'en savait rien. Il continuait à suivre des yeux les traces de pneus récentes le long de la piste. Elles s'arrêtèrent soudain. Le camp d'entraînement ne devait pas être loin alors. Le Saint d'Or releva enfin la tête. Le Pope avait dit qu'il y avait quatre personnes là-bas : le maître et ses trois apprentis. Il n'avait de haine que pour l'Eridan, mais il se sentait prêt à détruire tout insecte se dressant entre lui et sa proie. Voilà que je pense comme DM, pensa-t-il en souriant. Peut-être qu'aujourd'hui, il comprenait l'Italien et sa soif de combats. Lui aussi avait faim. Faim de la tête de l'homme qui lui avait arraché la première, et sans doute la seule, personne qui lui ait jamais témoigné de l'intérêt. Il se concentra brièvement pour faire apparaître une rose, dont il s'enivra du parfum délicat.
Je te protègerai
Je te vengerai
Je ne laisserai rien te faire du mal
– Aide-moi à avoir moins mal…
Il porta la rose à sa bouche pour la tenir entre ses dents. La sève qui coulait un peu à l'endroit où il mordait coula doucement dans sa gorge et il se sentit plus calme. Il reprit sa marche. Il ne fallut pas beaucoup de temps avant qu'il aperçoive l'entrée du camp d'entraînement. Son âme se troublait à nouveau. Son sang s'échauffait. Bientôt… Bientôt Lucas serait vengé…
-------------------------
Il pénétra dans le camp où s'entraînaient deux garçons et une fille. Ils s'arrêtèrent à son arrivée, ne sachant comment réagir à cette visite qui n'était pas prévue. C'était la première fois également qu'ils voyaient un Chevalier d'Or, mais il avait l'air si jeune, plus jeune qu'eux… N'était-ce pas une ruse du Pope ? L'apprentie, qui semblait être la plus âgée des trois prétendants aux armures, se porta devant ses deux camarades.
– Qui es-tu et qu'est-ce que tu veux ? demanda-t-elle avec méfiance.
Aphrodite retira la rose de sa bouche et jeta un regard dans le camp sans sembler lui accorder d'importance. Où était le Chevalier d'Argent qu'il était venu trouver ? Il n'était pas visible et son cosmos, absent.
– Qui es-tu ? répéta plus fort la jeune fille pour attirer son attention.
Elle fit quelques pas en avant, dressant son mince cosmos en signe de menace. Elle obtint gain de cause.
– Je m'appelle Aphrodite, Chevalier des Poissons. Je cherche Raphaël de l'Eridan, où est-il ?
– Le Pope t'envoie pour le tuer ?
Aphrodite ne répondit pas. Elle ne l'intéressait pas, pas plus que les deux autres.
– Il a fui, ou il est encore là ?
– Je ne dirais rien à un assassin.
– Peu m'importe.
L'adolescent avait repéré les cabanes dans le fond du camp, celles des apprentis et du maître à côté, très certainement. Pour que l'apprentie réagisse ainsi, c'était que l'Eridan était ici. Lucas l'avait sans doute blessé et il se reposait pour récupérer. Il s'avança vers sa nouvelle destination mais perçut un mouvement et se baissa juste à temps pour éviter le coup de pied que la jeune fille lui avait adressé. Il se déporta et la toisa du regard.
– Ne te mets pas sur mon chemin. Ce n'est pas toi qui m'intéresses.
– Je ne te laisserai pas tuer mon maître.
– Ni nous, répliquèrent les deux garçons en se portant à ses côtés.
Ils l'énervaient. Comment pouvaient-ils défendre ce meurtrier fourbe ? Tant pis pour eux alors. Il fit apparaître trois roses dans sa main.
– Si vous voulez tant que ça mourir, approchez. Venez affronter le Serpent de la Chimère.
– Le Serpent…? Foutaises ! objecta l'un des garçons.
– Oui, comment un des assassins du Pope pourrait être une gamine ?
– "Une" ?
Aphrodite sourit. Ils étaient si stupides.
– Fais attention à ce que tu dis, recommanda-t-il en s'apprêtant à jeter ses roses empoisonnées.
– Attendez !
Un cosmos plus fort que celui des apprentis venait d'apparaître, arrêtant le Saint dans son attaque. Il se tourna vers les cabanes, d'où sa proie venait d'émerger. C'était bien ce qu'il pensait. Visiblement fatigué, torse nu et ne portant pas son armure, le Chevalier d'Argent avait de solides bandages au bras droit et au ventre. Aphrodite s'était attendu à un monstre de puissance, mais ce qu'il avait sous les yeux n'était qu'une sorte de loque qui avait du mal à tenir debout. Il ressemblait à Cassiopée en terme de physique, mais n'avait pas sa prestance.
Raphaël s'approcha de l'intrus en boitant. Il se doutait de la venue d'un nouvel assassin, mais pas si rapidement et surtout, pas un Chevalier d'or et qui plus est, un de la Chimère. L'adolescent face à lui avait un visage très doux et féminin, troublant. Presque autant que la flamme qui brillait dans ses yeux à présent. Il était fou de rage, même s'il ne le montrait pas.
– Syn, James, Karl, vous rentrez dans vos baraques.
– Maître, on ne va pas vous laisser face à ce…
– Syn, obéis.
Elle serra le poing de rage mais baissa la tête. Elle s'était promis de ne plus désobéir à son maître. La gifle qu'elle avait reçue à la mort du précédent assassin l'avait marquée, et elle ne désirait pas s'attirer davantage les foudres de l'Eridan. Les trois apprentis commencèrent à reculer, bien qu'ils eussent préféré aider Raphaël contre son adversaire à l'apparence bien chétive.
– C'est entre toi et moi, Saint des Poissons. Ne fais pas de mal à mes apprentis.
– Tu n'es pas en position de demander quoi que ce soit.
-------------------------
Le Suédois ne parvenait pas à endiguer la colère qui grandissait en lui. Cet homme avait un culot monstre, et était si indifférent par rapport à ce qu'il avait fait ! Comment pouvait-il être si calme et détaché, après avoir tué Cassiopée ?
– Tu vas mourir, Eridan. Je vais terminer ce qu'a commencé Lucas.
– Tu es venu le venger ? soupira l'Eridan. Je sais très bien que je ne peux pas me battre avec mes blessures. Il était très fort et méritait le respect…
– Tais-toi ! Ne parle pas de lui. Ne souille pas son nom avec tes mots ! ordonna Aphrodite en lançant une première rose qui se planta dans l'épaule meurtrie du chevalier.
Celui-ci contint un cri en se mordant la lèvre et arracha la fleur. La douleur avait été ravivée par la plante et il sentait une étrange chaleur persister à l'endroit de l'impact. Il posa les yeux de nouveau sur le Saint d'Or, qui venait d'appeler son cosmos, les yeux flamboyants. Ils avaient la même lueur que ceux de Lucas de Cassiopée.
– Frapperas-tu un homme qui est sans défense ? Je pensais que tu avais le même respect que celui que tu as l'air d'apprécier.
– Je ne suis pas aussi gentil que lui, sale lâche.
Avant que l'Eridan ait compris la manœuvre, Aphrodite le rejoignit et lui asséna un coup de genou au ventre. Il se régala du cri qu'il lui arracha enfin et le regarda retomber quelques mètres en arrière. Il n'avait pas envie de se retenir. L'adrénaline battait dans ses veines. Il voulait le voir hurler, gémir, saigner. Tellement saigner ! Il voulait voir la peur dans ses yeux.
Il s'approcha de l'Eridan et enfonça le talon de sa chaussure dans la plaie qu'il venait de rouvrir. L'impulsion était là. La douleur dans le regard de Raphaël. Il désirait en voir plus.
– Tu vas souffrir, comme tu l'as fait souffrir. Je ne vais pas te tuer tout de suite, déclara-t-il en donnant un coup dans la blessure à vif. Tu vas d'abord crier. Te débattre, comme lui. Je veux voir de quelle couleur est ton sang.
Il le frappa une nouvelle fois au ventre, arrachant une plainte étranglée à sa victime. Il baissa le regard pour constater que ce qui coulait de l'Eridan était rouge, un rouge brillant. Plus clair que celui d'une biche. Les insectes avaient donc le même sang que les humains ? Pour la première fois depuis longtemps, il aimait le voir couler. Il allait en vider l'Eridan totalement, jusqu'à la dernière goutte. Il donna de nouveaux coups, tachant sa chaussure, avant que Raphaël ne bande son cosmos et lui envoie une décharge pour l'éloigner.
Aphrodite l'évita d'un élégant saut en arrière.
– Pour un homme sans défense, tu as un bon cosmos.
– Je ne vais pas me laisser tuer… si facilement… Même si tu as un joli minois.
– Alors débats-toi, sourit le gamin. Ça sera encore plus amusant.
L'Eridan se redressa avec difficulté, une main sur le ventre. Le Serpent semblait dans un état second à présent. Il souriait, mais d'un sourire sans chaleur et sans vie, ses yeux seulement animés de rage. Une bête fauve. Appeler son cosmos dans son état l'épuisait. Il devait être réaliste : il ne survivrait pas à cet affrontement. Mais son adversaire ne souhaitait pas seulement sa mort. Il voulait le torturer pour lui faire payer la mort de Cassiopée. Raphaël était désolé pour lui, mais pas non plus prêt à mourir en martyr pour expier. Les Saints connaissaient les risques des missions d'assassinat. Il appela le cosmos qui lui restait pour intimider le Serpent de la Chimère, mais celui-ci ne cilla même pas.
– Les faibles comme toi ne méritent pas de vivre, murmura Aphrodite en renforçant son cosmos.
Règle numéro 8 : Tu ne souffriras pas que vive plus faible que toi
Nous te protégerons
– Par les roses démoniaques ! cria-t-il en libérant son cosmos.
Des roses rouges innombrables surgirent de son aura et frappèrent l'Eridan violemment, comme autant de coups de poings. La puissance de l'attaque l'envoya taper contre un élément d'entraînement tout proche.
Raphaël essaya de se relever sans y parvenir. Les blessures dues aux roses étaient relativement bénignes – des griffures – mais ses sens semblaient s'endormir rapidement, ses forces l'abandonnaient. Il entendit des pas s'approcher et un cosmos froid et chaud à la fois le frôler, avant qu'un coup de pied ne le retourne brutalement sur le dos. Le Saint des Poissons se pencha au-dessus de lui, le visage indifférent.
– Je n'ai pas mis toute ma puissance. Mes chéries sont capables de priver des cinq sens et de faire mourir n'importe quoi grâce à leur poison, avec lenteur. Mais je voulais juste que tu ne puisses pas bouger. Alors rassure-toi, leur poison ne te sera pas mortel. Tu mérites une mort incomparablement plus douloureuse. Sauf que moi, je ne te frapperai pas dans le dos, comme tu l'as fait.
-------------------------
Il eut une nouvelle fois son sourire mécanique. Il se sentait presque détaché de la réalité, comme s'il regardait un film étrangement réel. La sensation ne lui déplaisait pas mais sa haine ne s'apaisait pas. Il en fallait plus, tellement plus !
– C'est moi qui ai tué le chevalier ! cria soudain Syn derrière lui.
Raphaël aurait voulu parler, mais il n'arriva pas à articuler quelque chose, ni même à bouger. Les roses qui l'entouraient, et leur parfum obsédant, l'empêchaient bel et bien d'agir… Le Saint des Poissons était réellement plus redoutable qu'il ne l'avait pensé au début. Pourtant, celui-ci continuait à le regarder sans se soucier de la jeune fille qui s'approchait, sans doute suivie des autres apprentis. Ils n'abandonneraient pas leur maître si facilement. Il aurait dû les faire partir du camp dès la mort de Cassiopée.
– Oui, c'est moi ! Pas mon maître ! C'est moi qui l'ai frappé, comme il le méritait ! Ce n'était qu'un chien qui attaquait injustement mon maître ! continua la jeune fille, entêtée.
Elle sentit un souffle près d'elle et entendit deux cris étouffés. Elle se retourna. Ses deux compagnons étaient effondrés au sol, des roses noires plantées dans le corps. Quand…! Une douleur aiguë au genou l'arracha à sa question et elle s'effondra avant même de comprendre que c'était de nouvelles roses qui venaient presque de lui scier une jambe. Le Saint des Poissons lui faisait face et s'approchait rapidement, d'autres fleurs ténébreuses à la main. Son cosmos bouillait littéralement et elle frissonna en croisant son regard ; il ne la regardait pas comme un être humain.
Elle se redressa autant qu'elle put sur ses avants-bras. Sa jambe lui faisait terriblement mal. C'était donc ça la puissance d'un chevalier ?
Aphrodite la saisit à la gorge pour la relever.
– Je devrais t'arracher la langue, femme traîtresse, souffla-t-il avec mépris, avant de la jeter au côté de l'Eridan.
Il baissa les yeux sur ses roses noires en revenant vers ses deux proies. Il semblait les remarquer enfin.
Aphrodite ignorait comment il avait fait pour créer ces fleurs. Elles étaient froides au toucher et dures comme de l'acier. Leurs épines lui tranchaient presque les doigts. C'était sa colère qui les avait créées ? Sa douce amie voulait-elle l'aider comme ça ?
Tue-les
Nous t'aiderons
Ils le méritent
Il sourit et releva les yeux vers l'apprentie et l'Eridan. La jeune fille essayait de se relever en s'appuyant contre l'élément de bois, une main sur le nez pour ne pas respirer le parfum des roses démoniaques. Elle ne s'enfuirait pas. Ils s'étaient mis à deux contre Lucas. Doublement lâches. Doublement coupables.
Il lança une rose noire qui transperça sa main.
– Reste tranquille. Raphaël, elle t'a aidé à tuer Cassiopée, hein ? demanda-t-il, sachant pertinemment que le chevalier ne pouvait pas lui répondre. Elle est comme toi alors, un insecte misérable, inutile et faible. Tellement laide…
Le Saint d'Argent l'écoutait à peine, le regard fixé sur son apprentie mal au point. Des larmes de douleur coulaient silencieusement sur ses joues. Elle essayait de retirer la rose sans y parvenir.
– Et tout comme elle, tu penses que Lucas était comme toi, faible…
– Oui, il l'était pour n'être qu'un chien aux ordres du Pope, coupa Syn malgré la douleur.
Le cosmos d'Aphrodite augmenta. Elle savait, elle, que son maître avait raison. Le Pope et les chevaliers du Sanctuaire étaient corrompus. Du coin de l'œil, elle croisa les yeux du Poissons. Il n'y avait plus aucune considération dans son regard, seulement un grand vide pour ce qu'elle était.
– Lucas était mon maître, souffla-t-il en prenant une posture d'attaque.
Il voyait enfin ce qu'il aimait tant et désirait voir dans leurs yeux à tous les deux : de la peur, la peur de la mort.
– J'ai envie de voir les pouvoirs de ces roses noires. Amusons-nous.
Un nouveau sourire, empreint de folie.
Si tu as peur du Mal
Deviens le Mal
Nous te protégerons
Nous t'aimons
Nous les tuerons
Shaka pénétra dans le Temple des Poissons désert. Le soleil qui avait dominé toute la journée d'avant avait cédé à une pluie fine mais qui durait depuis la mâtinée. Le soir approchait et Aphrodite n'était pas encore revenu de sa mission. Pourtant, selon les rumeurs, elle ne devait pas être si ardue que cela. Sans doute que le Poissons, comme un chat, jouait avec ses victimes. Il n'avait plus l'entrave de sa conscience dans cette histoire. Il n'arrivait pas à dominer ses émotions depuis la mort de Lucas. Et cela le rendait invivable.
Le Saint de la Vierge n'avait pas eu de nouveaux contacts avec le Suédois, et il ne tenait pas à faire le premier pas. Comme lorsqu'ils étaient enfants, c'était Aphrodite qui déciderait de s'il avait envie ou non de venir le voir et de reprendre leurs relations comme avant. C'était la seule solution pour qu'il cesse de se braquer. Et Shaka devait bien s'avouer qu'il restait vexé de son attitude. Cette petite humiliation mettrait le Poissons face à ses emportements et le forcerait à reconnaître qu'il avait nettement dépassé les bornes en jouant les sauvages avec lui. L'Hindou n'était pas rancunier, mais il aimait à ce que les gens soient honnêtes envers eux-mêmes, dans leurs forces, faiblesses et erreurs.
Il déposa le mot qu'il avait rédigé, ainsi que la photo donnée par Estia, sur la table du salon. Aphrodite serait obligé de passer par là en rentrant chez lui, pour atteindre sa chambre, aussi les trouverait-il sans mal. Tuer l'assassin de Lucas lui permettrait sans doute de faire la paix avec sa tristesse, et avoir cet objet apparemment important pour l'ex-Chevalier d'Argent pourrait l'y aider maintenant qu'il était moins perturbé – comme l'avait trahi son cosmos parfois perceptible au cours de la semaine écoulée. De toute façon, il serait libre de le garder ou non.
Il jeta un regard machinal pour la fenêtre. Les rosiers d'Aphrodite n'avaient jamais été aussi beaux, malgré la pluie qui les écrasaient. Shaka remarqua qu'ils bruissaient bien plus qu'ils ne l'auraient dû. On aurait dit qu'ils frissonnaient, surtout ceux aux fleurs noires, qui n'étaient pas si nombreux la dernière fois que l'Indien était venu.
Sans savoir pourquoi, il trouva que tout cela était sinistre.
La pluie s'était arrêtée lorsque Aphrodite rentra au Sanctuaire. Des nuages voilaient par intermittence une lune déjà haut levée, et tout était calme. Le Suédois ne se rappelait plus quand il avait quitté le camps de l'Eridan, ni du moment où il avait appelé les agents du Sanctuaire pour qu'ils viennent le chercher. Quant au voyage de retour, ça n'avait semblé durer que le temps de battre les paupières. Il avait toujours l'impression de flotter, que son corps n'était pas tout à fait le sien. Il ne pouvait pas dire s'il était fatigué, s'il avait faim ou non ; il avait déjà à peine conscience de monter les marches du Grand Escalier pour rejoindre son Temple.
Lorsqu'il l'atteignit enfin, il se dirigea vers ses appartements privés. Sitôt arrivé au patio, son armure maculée de sang quitta son corps pour se reconstituer à côté de son urne. Le liquide visqueux qui la couvrait commença à s'égoutter au sol. Aphrodite le regarda d'un œil vide puis se passa une main sur le visage. Il s'en était mis jusque sur la figure… Il avait besoin de prendre une douche. Il commençait à sentir l'odeur du sang coagulé sur lui, et les roses noires lui avaient écorché les doigts. Ça ne lui faisait pas mal pourtant. Il lui sembla avoir déjà fait ce geste, là-bas en Bavière, puis d'avoir éclaté de rire, mais il n'était pas sûr. Peut-être avait-il rêvé. Il commençait à reprendre pied. Il chercha Shaka du regard et le trouva posé sur son refuge habituel, les moulures sur les murs du patio. Bien que réveillé, l'oiseau ne faisait aucun geste pour rejoindre son maître comme il le faisait pourtant en temps normal.
– Tu n'aimes pas le sang, Shaka ? Pourtant on en a tous… sourit Aphrodite un peu tristement.
Cela ne convainquit pas le volatile de faire un effort. L'adolescent n'insista pas. Il frotta sa main tâchée contre son pantalon en traversant le patio. La tension et l'excitation qu'il avait ressenties durant la mission étaient presque tout à fait retombées à présent, et il ne lui restait qu'un sentiment de vie et d'irréalité.
Au moment où il entra dans le salon, son regard fut attiré sur des feuilles posées sur la table. Il prit le message manuscrit et reconnut l'écriture de Shaka. L'Indien était venu durant son absence ? Mais pourquoi faire? Il parcourut le bref mot où il lui expliquait qu'Estia, amie de Lucas, lui avait remis une photo appartenant à ce dernier. Cette femme était certainement la rouquine avec qui il avait parfois vu Cassiopée. Ils s'entendaient bien tous les deux. Elle avait parfois essayé de nouer un contact avec lui, sans succès. Aphrodite ne l'aimait pas beaucoup. Elle était trop gentille.
Il reposa le mot et jeta ensuite un œil à la photo.
Il tiqua.
Shaka lui faisait-il une farce ? Comment Lucas aurait-il pu avoir cette photo avec lui ? Aphrodite, un peu tremblant, frôla du doigt le fin visage de la femme sur l'image, figé dans un sourire doux. Elle devait avoir une vingtaine d'années. Impossible… Il vit les écritures manuelles sur l'image, mais ne voulut pas les croire. C'était impossible. Il le savait… Jag alskär dig, Lucas. Je t'aime, Lucas. Et le verso était on ne peut plus explicite sur la nature de leur liaison. Cela voulait dire que…
Aphrodite poussa un cri mental en sentant ses genoux se dérober sous lui. Il lâcha la photo comme si elle lui avait brûlé la main et se recroquevilla tant bien que mal sur le fauteuil le plus proche. Lucas… Pourquoi tu ne m'as rien dit ? Pourquoi tu es parti avant de me l'avoir dit !
Il ferma ses yeux brûlants. Ce n'était pas ce qu'il imaginait. Il ne voulait plus voir le visage souriant de la jeune fille sur la photo.
Un visage aux yeux bleus et aux cheveux de la même teinte que les siens qu'il n'avait pas vu depuis longtemps.
Celui de sa mère.
A SUIVRE…
Notes concernant les mots étrangers :
(1) Bhagavad : "Bienheureux seigneur" en sanskrit.
(2) Extrait du Bordol Thödol.
(3) Filmjölk : Lait caillé que les Suédois prennent traditionnellement en petit-déjeuner.
