Chapitre 2 – La salle d'entrainement

- Laissez-le tranquille !
- Ne le touchez pas ou je vous égorge !
- Non ! NON !

- NOOOONNNN !

Encore un cauchemar. Il fallut quelques instants à Mikasa pour comprendre où elle se trouvait et reprendre son souffle. Comme toutes les nuits, elle avait réveillé sa colocataire. Cependant, celle-ci n'avait pas eu de parole réconfortante comme à son habitude, ce qui intrigua la brune. Elle se tourna vers son amie pour la trouver assise dans son lit, en larmes.

- S-Sasha, ça va ?

- J'en peux plus Mikasa.

Elle n'avait pas relevé la tête, ne pouvant se résoudre à affronter le regard de son amie.

- Je suis désolée, mais j'en peux vraiment plus. Il faut que je dorme !

- Je... je... Désolée, prononça-t-elle dans un soupir.

Elle n'avait malheureusement pas d'autre mot. Elle aurait voulu promettre à sa camarade qu'elle allait aller mieux et arrêter de l'importuner, mais elle savait que ça aurait été lui mentir.

- Il faut que tu fasses quelque chose Mik'. Demande de l'aide à la Major Hansi, elle a sûrement quelque chose pour toi à l'infirmerie. Un truc pour te détendre, une tisane, n'importe quoi !

- Ok, répondit-elle avec embarra, elle ne savait pas quoi dire de plus. Tout ce qui était certain, c'est qu'elle ne voulait pas le faire. Elle ne souhaitait pas en parler aux supérieurs, de peur de s'attirer plus d'ennuis qu'elle n'en avait déjà en ne prenant plus part aux corvées et entrainements. De plus, aller voir la scientifique et lui parler de ses angoisses serait avouer une faiblesse de sa part, et elle n'était pas prête à cela.

Elle laissa son amie se rendormir et s'assit sur son lit, le dos reposant contre le mur, afin de ne pas plonger à nouveau dans ses songes sordides. Elle pourrait dormir plus tard, lorsque Sasha aurait quitté la chambre pour ses activités. Elle utilisa ce temps pour envisager ses options : elle ne pouvait pas rester ainsi éternellement, et si elle continuait à priver son amie de sommeil, celle-ci risquait de péter un plomb ou bien de la dénoncer auprès de leurs supérieurs. Il fallait qu'elle trouve une solution.

Ainsi, le soir suivant, elle attendit que Sasha s'endorme et elle se dirigea discrètement vers la salle d'entrainement. Elle se doutait qu'elle serait inoccupée à cette heure-ci, mais prit quand même soin de vérifier que personne ne s'y trouvait avant d'entrer. Elle resta une minute debout à observer la pièce. Cela faisait maintenant une dizaine de jours qu'elle n'y avait pas mit les pieds, et d'ordinaire elle ne s'y trouvait jamais seule. Cependant, pour la première fois depuis des jours, elle se sentit dans son élément. Comme si un poids s'était soudain envolé de ses épaules, comme si on lui avait enlevé un corset trop serré. Cet endroit si familier était pour elle comme un sanctuaire. Quand elle s'y trouvait avec ses camarades soldats, elle savait qu'elle allait pouvoir se dépenser et pousser son corps au maximum pour donner le meilleur d'elle-même. Elle connaissait cet endroit comme celui où elle allait pouvoir mettre à terre même les plus grands et les plus vaillants de ses camarades. Elle s'y sentait à l'aise, forte, fière. Mais pas ce soir, ce soir elle venait s'y réfugier comme une pestiférée rejetée par la société, comme un animal blessé qui cherche un abris où lécher ses plaies. En prenant conscience du ridicule de sa présence ici, le poids se fit sentir à nouveau.

Elle inspecta donc les lieux et entreprit de s'installer dans le coin gauche, de sorte que l'on ne puisse pas la voir directement si quelqu'un venait à ouvrir la porte de la salle. Elle s'assit dans un premier temps dos contre le mur froid, les jambes recroquevillées entre ses bras, le regard perdu dans le vague. Elle ne saurait dire combien de temps elle resta ainsi, à attendre que le sommeil vienne. Mais, lorsqu'elle sentit ses paupières devenir lourdes et sa nuque la picoter, elle s'allongea en chien de fusil et se laissa partir.

Elle se réveilla une poignée de minute avant le réveil officiel. Son corps était endolori par le manque de confort du sol. Heureusement, elle avait pensé à prendre sa cape du bataillon et s'en était servie comme couverture, sans quoi elle aurait certainement passé la nuit à grelotter tant la salle était glaciale. Elle dû s'y prendre à deux fois pour réussir à se mettre sur pieds. Elle parvint quand même à rejoindre sa chambre avant que Sasha n'ouvre les yeux et ne se rende compte de son absence.

- Bonjour Mikasa, tu as mieux dormi cette nuit ! déclara-t-elle joviale alors qu'elle s'étirait.

Mikasa passa une nouvelle journée dans son lit, perdue dans ses peurs, tentant de grappiller quelques heures de sommeil entre les crises d'angoisse.

Armin lui rendit visite en fin d'après-midi pour lui raconter le déroulement de la journée et lui apprendre que le Caporal Livaï ainsi que la Major Hansi avaient posé des questions sur elle. Ils s'inquiétaient de l'absence prolongée de la soldate aux entrainements et au réfectoire. Armin lui expliqua qu'il avait réussi à convaincre le Caporal de le laisser venir la raisonner.

- Il avait l'air vraiment en colère, je pense que tu aurais passé un sale quart d'heure !

- Merci Armin, je vais faire un effort. Tu n'as pas à subir mes états d'âme.

- Je ne subis rien du tout, tu es mon amie Mikasa et je veille sur mes amis.

Le sourire franc du blond réchauffa momentanément le cœur de la soldate. Ce fut cependant de courte durée car elle savait pertinemment qu'elle allait tôt ou tard devoir faire face à ses responsabilités devant son chef d'escouade. Elle ne pouvait pas se terrer ici indéfiniment. Ses supérieurs avaient par ailleurs déjà fait preuve d'une grande clémence à son égard, lui laissant le temps de digérer le départ brutal de son ami. Mais elle était une soldate, et il était de son devoir de mettre ses émotions de côté afin de servir l'humanité comme elle en avait fait la promesse.

Une fois le bataillon endormit, elle retourna dans la salle d'entrainement afin d'y passer la nuit encore une fois. Lorsqu'elle passa devant le bureau du Caporal-chef Livaï, elle se fit la promesse d'aller le voir le lendemain à la première heure pour s'expliquer.

Elle essaya de faire le tri dans sa tête afin de trouver les arguments à lui présenter. Elle savait qu'elle aurait à prendre les devants si elle voulait s'épargner un peu du courroux de son supérieur. Elle se dit que si elle reconnaissait d'emblée son manquement au règlement, qu'elle assumait pleinement ses responsabilités et qu'elle acceptait sans broncher d'être sanctionnée, alors peut-être ferait-il preuve d'indulgence et elle pourrait ainsi quitter son bureau sans trop de mal. Elle poussa un soupir, n'arrivant pas à se convaincre elle-même qu'un tel scénario était possible.

Tu rêves ma pauvre Mikasa, il va te clouer au mur c'est certain. Tu vas en prendre pour ton grade et te retrouver de corvée de chiottes pendant un sacré bout de temps...

Elle massa délicatement sa nuque douloureuse avant de prendre position pour s'endormir. Elle était épuisée tant physiquement que moralement, si bien qu'elle ne tarda pas à sombrer.