Chapitre 3 – Visite tardive
Depuis que Eren Jäger avait quitté la caserne, le Caporal-chef Livaï était d'une humeur massacrante. Certes, il n'appréciait pas toujours le soldat-titan et, dans l'absolu, l'idée de ne plus le revoir ne le dérangeait guère. Mais son départ soudain et non-programmé, seul, vers le territoire ennemi, mettait le bataillon dans l'urgence et tout Paradis en danger. Cela se traduisait par une multiplication des réunions des chefs de l'armée dans le but de se préparer à une attaque dans l'hypothèse où Jäger se ferait repérer, ainsi qu'un recrutement massif de nouveaux soldats et qu'une augmentation du nombre des entrainements au combat afin de former ceux-ci. Pour finir, plus de travail signifiait toujours plus de paperasse à remplir pour le Caporal et, fatalement, moins de temps à y consacrer.
Tout ceci l'épuisait profondément. Il en venait à réellement haïr le jeune Jäger pour son impertinence.
Il se trouvait dans son bureau, l'heure était tardive mais le sommeil ne le guettait pas et le tas de papiers devant lui paraissait encore énorme. Ses muscles étaient endoloris et sa nuque se raidissait de plus en plus au fil des heures. Il ne pouvait s'empêcher de grommeler à chaque nouvelle feuille qu'il devait lire, à chaque nouveau dossier de recrue à étudier, à chaque nouveau rapport à rédiger. Cela l'exaspérait, il était un soldat, un homme d'action, pas :
Un foutu gratte-papier !
Il se leva pour se préparer une tasse de thé, mais changea d'avis juste avant de verser ses précieuses feuilles séchées dans son petit sachet en tissus. Pour une fois, ce n'était pas de cela dont il avait besoin pour se détendre. Non, ce qu'il lui fallait c'était un exutoire. Sa tête bouillonnait de questions, de stratégies, de frustration et de colère et il lui fallait un moyen de se décharger de l'inutile afin d'y voir plus clair.
C'est ainsi qu'il se mit en route pour la salle d'entrainement. Il pensait qu'un peu d'exercice l'aiderait entre autres à dérouiller un peu les muscles de son dos. Naturellement, ne s'attendant pas à ce que qui-que-ce-soit se trouve ici à une heure pareille et dans le noir complet, il entra sans prendre la peine de balayer la pièce du regard et partit directement se poster au milieu du tapis afin d'effectuer quelques échauffements. De plus, lorsqu'il se trouvait seul, il avait l'habitude de travailler les yeux fermés afin de se concentrer au maximum sur ce que lui disait son corps, écouter sa respiration, ressentir le battement de son cœur. C'est pour cette raison qu'il ne remarqua pas tout de suite la jeune soldate endormie au pied du mur.
Il enchaina les mouvements jusqu'à se sentir suffisamment en forme pour passer aux choses sérieuses. Mais, lorsqu'il rouvrit les yeux, ce qu'il vit le fit sursauter : un corps sur le sol à quelques mètres à peine de lui. Ses yeux s'écarquillèrent alors qu'il tenta de déterminer qui cela pouvait bien être. Un intrus au Quartier général ? Peu probable. Les sourcils froncés, la mâchoire contractée, les poings serrés devant le visage, il avança à pas de loup, ne souhaitant pas réveiller l'individu avant de s'être assuré qu'il ne représentait pas une menace.
Ackerman ?! Putain mais c'est quoi ce bordel ? Bientôt deux semaines qu'elle fout plus les pieds hors de sa chambre mais la voilà qui roupille dans la salle d'entrainement ? C'est une putain d'blague ?
Il s'avança encore un peu et bouscula la jeune femme du bout du pied. Celle-ci se réveilla alors en sursaut.
- Oï gamine, qu'est-ce que tu fous là bordel ?
- Ca... Caporal ?
- Non, c'est l'titan colossal... rétorqua-t-il en roulant des yeux. Pourquoi t'es là ?
Bien qu'elle s'était promis d'aller lui parler le lendemain - ou plutôt dans quelques heures à présent - elle ne savait comment répondre. Elle tripotait nerveusement ses doigts, cherchant quoi dire pour limiter la casse. Visiblement, elle mit trop longtemps à parler car elle entendit le Caporal manifester son impatience par un claquement de langue.
- Ça a un rapport avec le fait qu'on voit plus ta gueule nul part ces temps-ci ?
Elle devait répondre, elle devait se justifier, mais elle avait le sentiment que quoi qu'elle dise, son sort était déjà scellé.
- T'as une sale gueule Ackerman, tu devrais essayer de dormir dans un lit plutôt. Tu sais, comme celui que l'armée te fournit dans ta chambre ? Tu te souviens ?
- Oui, monsieur. J'y vais immédiatement.
Elle se releva maladroitement, les muscles trop ankylosés pour effectuer des mouvements fluides. Maintenant le regard sur le sol, elle amorça son départ mais le Caporal lui barra le passage de son bras.
- T'as pas répondu à ma question.
- Laquelle chef ?
- Qu'est-ce que tu fous là au milieu de la nuit alors que tu participes plus ni aux entrainements ni au corvées ?
- Je... Ça ne vous regarde pas monsieur.
Le Caporal eu un mouvement de surprise, laissant retomber son bras.
- Tu te fous d'ma gueule Ackerman ?!
Il avait haussé le ton et avancé un peu plus près, il se trouvait à quelques centimètres à peine du visage de la jeune femme qui gardait la tête baissée, fuyant le regard de son interlocuteur.
- Au cas où tu aurais oublié, je suis ton supérieur, tu es sous ma responsabilité, alors où tu te trouves et ce que tu fous de tes journées me regarde directement !
Il marqua une pause pour observer la jeune femme. Bien qu'il ne puisse apercevoir que partiellement son visage à travers les mèches de cheveux bruns, il se rendait bien compte de la profondeur de ses cernes et de la pâleur de son teint. Il avait raison, elle avait une sale gueule. Une partie de lui avait envie de passer ses nerfs sur elle, mais la vue de son visage ainsi marqué par la fatigue et le chagrin lui fit changer d'avis.
- C'est à cause de ton abruti de p'tit ami, hein ?
A ces mots, Mikasa se raidit et releva légèrement la tête afin de capter le regard du Caporal. Elle bredouilla :
- Eren n'est pas mon petit ami, monsieur.
- Mouais, si tu l'dis... En tout cas c'est pas comme ça que tu vas pouvoir l'aider, alors arrête tes conneries, dort et retourne t'entrainer !
- Je... je n'peux pas monsieur. Pas encore.
Elle n'attendit pas de réponse, elle contourna le Caporal et sortit en marchant aussi vite qu'elle le pu, laissant son supérieur cloué sur place.
